Livv
Décisions

CA Paris, 22e ch. C, 18 novembre 1999, n° 97-35447

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Euroka (SA)

Défendeur :

Martin Durville

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Debû

Conseillers :

Mmes Bodin, Ajjan

Avocats :

Mes Hervouët, Grosjean.

Cons. prud'h. Villeneuve-Saint-Georges, …

10 mars 1997

Mme Martin Durville a été engagée selon contrat du 1er septembre 1992 par la SA Kickers Services en qualité de VRP statutaire ; à compter du 1er mai 1993, son contrat a été transféré à la SA Euroka en application de l'article L. 122-12 alinéa 2 du Code du Travail.

Par lettre du 27 octobre 1995, Mme Martin Durville a été convoquée à un entretien préalable en vue de son licenciement pour le 2 novembre suivant ; elle a été licenciée par lettre recommandée avec accusé de réception du 8 novembre 1995 pour les motifs suivants :

"A plusieurs reprises, nous vous avons fait part de nos griefs sur l'insuffisance des résultats obtenus malgré l'assistance de vos responsables et la notoriété de la marque.

Le 8 septembre 1993, nous rappelions que les résultats de votre secteur étaient décevants et inférieurs à vos objectifs.

Le 10 mars 1994, avec vos objectifs de l'hiver 1994, (24.100 paires) nous vous confirmons notre souhait de vous voir faire les efforts nécessaires pour atteindre ces objectifs.

Le 23 décembre 94, par lettre recommandée, nous faisions le constat que vos résultats sur l'hiver 93/94, non seulement n'atteignaient pas l'objectif visé, mais étaient de surcroît à 64 % des résultats de la saison Hiver 92/93 comparable. La moyenne de la force de vente France réalisait alors 85,20 % du Chiffre d'affaires de l'année précédente. Nous qualifions vos résultats d'insuffisants et vous demandions un redressement important dès la saison été 95.

Le 21 juillet 1995, nous faisions le point par lettre recommandée avec A/R sur les résultats de l'Été 1995. Alors que la force de vente réalisait 87,00 % du CA prévu, votre propre performance était de 66 %. Nous attirions votre attention sur le fait que, faute d'un redressement spectaculaire, nous pourrions remettre en cause, notre collaboration.

Le 27 septembre 1995, faute d'avoir vos prévisions de vente pour l'été 96, nous vous fixions un objectif de 11.000 paires.

Le 20 octobre 1995, après analyse des résultats de la saison Hiver 95/96, nous vous rappelions vos résultats catastrophiques 8.272 paires vendues contre 11.490 en fin de saison Hiver 94/95 comparable et une perte de 26 % de chiffre d'affaires.

Pour la saison Été 96, à la même date, vos commandes d'entrée de saison n'étaient que de 32 % contre 66,5 % en moyenne pour la force de Vente France.

Malgré les délais que nous vous avons laissés, nous devons constater que le volume de paires vendues sur votre secteur régresse d'une manière deux fois plus importante que pour vos collègues de la force de vente.

Après avoir écouté vos explications, nous vous avons fait remarquer que vos collègues étaient confrontés à la même crise économique que vous, vendaient les mêmes produits et avaient eux aussi, des clients de votre portefeuille sur leurs secteurs. Et que la baisse de facturation globale de la force de vente (vous compris) était de - 27,51 % sur les deux dernières saisons d'Hiver (H95 - 96/H93/94), alors que la votre seule était de - 54 %. Nous devons donc constater que les objectifs ne sont et ne seront pas atteints, comme vous en convenez vous-même et que rien ne permet de penser qu'ils le seront à brève échéance."

Par jugement contradictoire rendu le 10 mars 1997 par le Conseil de Prud'hommes de Villeneuve St Georges, la SA Euroka a été condamnée à payer à Mme Martin Durville les sommes de 100.000 F à titre d'indemnité de clientèle et de 3.000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Les parties ont été déboutées du surplus de leurs demandes.

Par déclaration du 8 juillet 1997, la SA Euroka a interjeté appel de cette décision, précisant limiter son appel aux dispositions du jugement qui ont alloué à Mme Martin Durville 100.000 F à titre d'indemnité de clientèle et 3.000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Par lettre recommandée du 23 juillet 1997, Mme Martin Durville a également interjeté appel.

La SA Euroka demande à la Cour de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté Mme Martin Durville de sa demande de dommages intérêts pour licenciement sans motif réel et sérieux, de réformer le jugement pour le surplus en déboutant Mme Martin Durville de toutes ses demandes.

Reconventionnellement, la SA Euroka conclut à la condamnation de Mme Martin Durville à lui payer la somme de 4.873 F avec intérêts au taux légal à compter du 5 novembre 1996, représentant un remboursement de commissions et un solde de cotisation de la caisse de retraite des cadres, ainsi que 10.000 F en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Elle soutient qu'en dépit de nombreuses mises en demeure, les résultats de Mme Martin Durville entre la saison Hiver 1993 et la saison Été 96 ont présenté une constante et importante dégradation, alors que les pratiques commerciales alléguées par Mme Martin Durville sont les mêmes pour tous les VRP. Elle conteste toute influence du procès intenté par Mme Martin Durville à son encontre, ainsi que l'incidence de l'exclusion des "gros clients" qui est contractuelle.

Sur l'indemnité de clientèle, la SA Euroka fait valoir qu'elle ne peut se voir opposer l'acquisition par Mme Martin Durville de la carte de son prédécesseur ou la modification unilatérale du contrat par la suppression des "grands comptes".

Mme Martin Durville interjette appel incident, conclut à la réformation du jugement et demande à la Cour de reconnaître le caractère abusif du licenciement et de condamner la SA Euroka à lui payer la somme de 100.000 F.

Elle sollicite la condamnation de la SA Euroka à lui payer la somme de 300.000 F à titre d'indemnité de clientèle, la somme de 151.000 F de dommages intérêts en raison du préjudice commercial et moral, la somme de 20.000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Elle soutient que les pratiques de la SA Euroka animaient le mécontentement de la clientèle, et que l'action judiciaire ayant abouti à la condamnation, par arrêt rendu le 29 septembre 1998 par la Cour d'appel de Poitiers, de la SA Euroka à lui régler des commissions sur commandes annulées du fait de l'employeur a conduit à la dégradation de leurs relations.

Mme Martin Durville ajoute que la SA Euroka n'apporte ni la preuve de la fixation contractuelle des objectifs dont elle se prévaut, ni la preuve de leur absence de réalisation, le licenciement étant au surplus prématuré au 6 novembre 1995, date à laquelle la saison de tournée n'était pas terminée.

Elle fait valoir sur l'indemnité de clientèle que toutes les conditions d'activité sont remplies.

Sur quoi LA COUR :

Dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, il y a lieu de procéder à la jonction des dossiers n° S.97-35447 et S.97-35536.

Sur le licenciement :

Considérant que le contrat signé le 1er septembre 1992 entre la SA Euroka et Mme Martin Durville lui imposait en ses articles 2 et 4 un objectif de 30 000 paires de chaussures vendues pour la saison Eté 93 et excluait de la représentation commerciale les grandes et moyennes surfaces, les centrales et groupement d'achats.

Considérant que par courriers des 8 septembre 1993, 23 décembre 1994, 21 juillet et 27 septembre 1995 la SA Euroka à laquelle le contrat de travail de Mme Martin Durville avait été transféré, attirait l'attention de cette dernière sur la baisse de ses résultats nettement inférieurs à la moyenne des ventes et lui fixait en outre dans son courrier du 27 septembre 1995 un objectif de 11.000 paires de chaussures vendues pour la saison Printemps Été 1996.

Considérant que le courrier du 20 octobre 1995 précédant le licenciement précisait à Mme Martin Durville que "ses résultats sont catastrophiques pour son secteur et par rapport à la moyenne des ventes" soit pour la saison Hiver 1995/1996, 8.272 paires vendues contre 11.430 en fin de saison 1994 (-28% contre - 11,8 % sur l'ensemb1e du réseau) et une saison de 25,7 % du chiffre d'affaires contre 7,8 % sur l'ensemble du réseau ; que ce même courrier relevait d'ores et déjà que pour la saison Eté 96,32 % seulement de l'objectif fixé était atteint.

Considérant que la lettre de licenciement du 8 novembre 1995, qui fixe les limites du litige, rappelle très exactement le contenu de ces courriers ; que les graphiques et tableaux, certes établis par l'employeur, mais contre lesquels aucune fraude n'est alléguée, corroborent ces chiffres et confirment d'une part une baisse constante des ventes de Mme Martin Durville sur trois saisons d'hiver et trois saisons d'été de 1993 à 1996, d'autre part des résultats très inférieurs à la moyenne des ventes pour l'hiver et l'été 1996, et à ceux réalisés par les autres représentants entre 1993 et 1996.

Considérant sur les moyens opposés par l'intimée que le lien entre le licenciement et la procédure judiciaire en rappel de commissions n'est pas établi, étant observé que la saisine du Conseil de Prud'hommes par la salariée est intervenue postérieurement à la première lettre critique de l'employeur.

Considérant en second lieu que l'annulation de leur commande par certains clients ne peut avoir pour effet de rendre l'employeur responsable de la baisse des résultats, les mécontentements exprimés (2 en 1993, 1 en 1994, 3 en février, mars, avril 1995) étant en nombre très limité par rapport à l'ensemble des clients démarchés par Mme Martin Durville (plus de 40 par saison).

Considérant que Mme Martin Durville ne peut pas non plus exciper de la crise économique et d'une nouvelle politique commerciale engagée au cours du premier semestre 1996, la dégradation de ses résultats ayant été constatée sur plusieurs saisons, et les autres représentants étant soumis à la même conjoncture défavorable.

Considérant sur l'insuffisance des résultats, que le contrat signé le 1er septembre 1992 contenait un objectif de 30.000 paires de chaussures pour l'été 1993 ; que Mme Martin Durville n'a pas émis d'opposition à l'objectif de 11.000 paires vendues en fin de saison qui lui était assigné dans la lettre du 27 septembre 1995 ; qu'il en résulte qu'elle a accepté cet objectif correspondant à des normes sérieuses et réalisables ;

Considérant que cet objectif étant fixé pour la saison, le licenciement intervenu en novembre 1995, alors que les chiffres de cette période étaient déjà connus (les commandes étant passées très tôt) ne peut être considéré comme prématuré ; que l'exclusion des grands comptes n'explique pas ces faibles résultats, l'objectif initialement prévu par le contrat, soit 30.000 paires ayant tenu compte en son article 2 de cette exclusion.

Considérant enfin que la comparaison avec les résultats de M. Pruvost est sans incidence, ce dernier ayant succédé à Mme Martin Durville en intérim sur un secteur en difficulté.

Considérant en définitive que l'insuffisance des résultats par rapport aux quotas prévus, objectivement établie par les éléments précités constitue une cause réelle et sérieuse de licenciement; qu'il convient, confirmant la décision des premiers juges de débouter Mme Martin Durville de sa demande de dommages intérêts pour licenciement abusif.

Sur l'indemnité de clientèle :

Considérant qu'en application de l'article 751-9 du Code du Travail l'employé a droit à une indemnité en cas de résiliation de son contrat non provoquée par une faute grave pour la part qui lui revient personnellement en nombre et en valeur de la clientèle apportée, créée ou développée par lui.

Considérant que compte tenu des explications concernant les conditions de son licenciement, il ne peut être considéré que Mme Martin Durville a créé ou développé une clientèle ; que l'exclusion des grands comptes est sans incidence sur l'octroi de cette indemnité.

Considérant cependant sur l'apport de clientèle que Mme Martin Durville produit l'acte de cession intervenu le 20 juin 1992 avec M. Briengue Bernard ayant pour objet la carte de la maison Kickers pour la somme de 300.000 F; que cet acte, dont la SA Euroka ne nie pas qu'il a été autorisé par la société Kickers, doit être déclaré opposable à l'appelante à laquelle il appartient en application de l'article L. 122-12 du Code du Travail, d'assumer les engagements pris par son ancien employeur.

Considérant que la perte de cette clientèle apportée par Mme Martin Durville lui a causé un préjudice que les premiers juges ont justement évalué à la somme de 100.00 F.

Considérant sur la demande de dommages-intérêts pour préjudice commercial et moral subi, que Mme Martin Durville ne justifie pas d'un préjudice distinct de celui réparé par 1'indemnité de clientèle.

Sur les demandes reconventionnelles de la société Euroka :

Considérant sur la somme de 3.427,96 F réclamée à titre de commissions que la SA Euroka ne démontre pas la cause de leur non-paiement alors que comme l'a énoncé la Cour d'appel de Poitiers dans son arrêt du 29 septembre 1998, s'agissant d'une clause de " vente menée à bonne fin " l'article 4 du contrat prévoyant la fixation de la commission n'est pas applicable si la résiliation des ordres est du fait de l'employeur ; que dès lors, la SA Euroka doit être déboutée de la demande formée à cet égard.

Considérant sur la cotisation patronale de 60 % soit 1.445,04 F qu'un courrier de CRICA du 16 octobre 1996 démontre le bien-fondé de cette réclamation.

Considérant qu'il paraît équitable de ne pas faire application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile à la SA Euroka et d'allouer à Mme Martin Durville à titre d'indemnité complémentaire en cause d'appel la somme de 4.000 F.

Par ces motifs : Ordonne la jonction des dossiers S.97-35447 et S.97-35536 ; Confirme en toutes ses dispositions le jugement déféré, Y ajoutant : Condamne Mme Martin Durville à payer à la SA Euroka la somme de 1.445,04 F (mille quatre cent quarante cinq francs quatre centimes) avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ; Condamne la SA Euroka à payer à Mme Martin Durville la somme de 4.000 F (quatre mille francs) en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile à titre d'indemnité complémentaire en cause d'appel ; Déboute les parties du surplus de leurs demandes ; Condamne la SA Euroka aux dépens.