CA Rennes, 8e ch., 10 juin 1999, n° 98-00247
RENNES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
The Art Group France (SARL)
Défendeur :
Moutel
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Segondat
Conseillers :
Mmes Algier, L'Hénoret
Avocats :
Mes Paris, Morvant.
I - FAITS ET PROCEDURE
La société The Art Group France qui diffuse des reproductions d'œuvres d'art, des dessins animés de Walt Disney, des cadres, encadrements et cartes a, le 1er septembre 1993 engagé Olivier Moutel en qualité de VRP statutaire multicartes afin d'assurer la diffusion de ses produits sur le secteur Ouest.
Par courrier en date du 3 décembre 1996, la société a proposé à Olivier Moutel un poste d'attaché commercial exclusif qu'il a refusé verbalement au début du mois de janvier 1997.
Il a alors été licencié pour motif économique le 22 janvier 1997 avec dispense d'exécuter le préavis.
Contestant les causes et conséquences de son licenciement, Olivier Moutel a, le 14 mai 1997, saisi le Conseil de Prud'hommes de Vannes.
Par jugement rendu le 16 décembre 1997, le Conseil de Prud'hommes a estimé le licenciement dénué de cause réelle et sérieuse et condamné la société The Art Group France à payer à Olivier Moutel :
- 70.000 F à titre de dommages intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
- 103.885,40 F à titre d'indemnité de clientèle ;
- 4.000 F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
Le Conseil de Prud'hommes a par ailleurs ordonné l'exécution provisoire sur l'indemnité de clientèle, dit que conformément à l'article R. 516-37 du Code du Travail la moyenne des trois derniers mois de salaire est de 15.464,72 F et condamné la société Art Group France aux dépens.
Cette dernière a le 12 janvier 1998 relevé appel de cette décision.
II - MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES
Au soutien de son appel, la société Art Group France fait valoir par conclusions déposées le 11 janvier 1999 entièrement reprises à l'audience :
1°) Sur la cause réelle et sérieuse du licenciement économique
* que la modification substantielle du contrat de travail procédait de sa volonté d'assurer la compétitivité de l'entreprise, compte tenu de l'accroissement de la puissance commerciale de son concurrent menaçant sa propre compétitivité.
* que l'offre faite à Monsieur Moutel était plus avantageuse puisqu'elle était supérieure à la rémunération versée et tenait compte de la rémunération complémentaire qu'il pouvait percevoir au bénéfice d'autres cartes.
2°) Sur le calcul de l'indemnité de clientèle
* qu'elle ne peut rapporter la preuve que Monsieur Moutel continue de prospecter les anciens clients pour d'autres cartes mais qu'une mesure d'instruction peut être ordonnée.
* que Monsieur Moutel n'a pas de droit sur la totalité de la clientèle dont une partie a été apportée par la société et une autre partie par les salons et ne peut en conséquence calculer l'indemnité de clientèle sur l'ensemble des commissions.
3°) Sur la procédure de licenciement
* qu'elle n'avait pas à proposer à Monsieur Moutel une convention de conversion puisqu'il conservait une activité professionnelle complémentaire.
* que si elle a omis la mention de la priorité de ré-embauchage sur la notification du licenciement il n'en résulte aucun préjudice pour Monsieur Moutel qui a poursuivi son activité pour d'autres employeurs et qui a reçu un courrier le lui rappelant avant l'expiration du délai.
Aussi conclut-elle à la réformation du jugement et au débouté de la demande en dommages intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et sur la demande en complément d'indemnité de clientèle, demande-t-elle qu'il soit ordonné à Monsieur Moutel et aux sociétés G Nautics et Clouet la communication de la liste des clients prospectés par Monsieur Moutel pour ces deux marques depuis son licenciement; à titre subsidiaire, elle conclut au débouté de la demande d'indemnité complémentaire de clientèle et au remboursement des sommes perçues au titre de l'exécution provisoire ; elle réclame enfin 10.000 F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
Olivier Moutel répond par conclusions déposées le 18 mars 1999 entièrement reprises à l'audience que le Conseil de Prud'hommes a pertinemment jugé que son licenciement ne répondait pas aux exigences de l'article L. 321-l du Code du Travail et ajoute que la proposition de modification à lui faite n'était pas sérieuse.
Estimant qu'il a été privé du juste fruit de son travail et que le comportement de la société The Art Group était fautif, il réclame 400.000 F à titre de dommages intérêts.
Sur l'indemnité de clientèle, il fait valoir l'apport qui a été le sien et conteste avoir jamais reçu une liste de clients à son arrivée. Il précise que cette clientèle est perdue puisqu'il n'a pas de carte lui permettant de l'exploiter et conclut à la confirmation du jugement qui lui a accordé 103.885,40 F à titre de complément d'indemnité de clientèle.
Il sollicite 15.000 F en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
III - MOTIFS
1°) Sur le motif du licenciement
Considérant que le licenciement est motivé de la manière suivante dans la lettre du 22 janvier 1997 :
" Je te rappelle que notre proposition a pour origine une restructuration nécessaire de notre force de vente due au départ à la retraite de ton collègue de secteur Nord ...
"Je t'avais d'autre part déjà exposé notre souci d'une meilleure disponibilité pour faire face à la concurrence que nous connaissons depuis quelques mois et notamment notre principal concurrent qui vient de restructurer ses secteurs ... Quant à notre gamme de produits, son extension vers des conjonctions d'univers produits proches représente un potentiel très important de chiffres d'affaires et de nouveaux clients à suivre. Cela permettra d'occuper à temps complet l'emploi du temps d'un commercial.
"Pour toutes ces raisons nous devons créer un poste d'attaché commercial sur ton secteur" ;
Considérant que l'analyse de cette motivation montre qu'elle repose sur la restructuration de l'entreprise rendue nécessaire tant par un départ à la retraite que par la concurrence accrue du principal concurrent mais nullement sur des difficultés économiques ou des mutations technologiques ou la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise;
Que la société AG a d'ailleurs fait état dans son offre d'emploi diffusée dans les journaux relative au poste d'attaché commercial reprise par monsieur Moutel de ce qu'elle était en pleine expansion (+ 25 % en 1996);
Qu'ainsi la réorganisation envisagée induite par la seule volonté de faire face à la concurrence, d'accroître la force de vente et de développer "un potentiel très important de chiffre d'affaires" ne répond pas aux exigences de l'article L. 321-1 du Code du Travail;
Que ce seul motif rend le licenciement dénué de cause réelle et sérieuse;
Considérant que le préjudice matériel et moral subi par Olivier Moutel qui connaissait une remarquable progression dans l'entreprise avait depuis plus de trois ans réalisé d'importantes performances, envisageait une augmentation pour l'année 1997 et venait de surcroît d'agrandir sa famille, sera justement réparé par la somme de 100.000 F à titre de dommages intérêts.
2°) Sur l'indemnité de clientèle
Considérant que, se fondant sur les dispositions de l'article L. 751-9 du Code du Travail, sur la progression du chiffre d'affaires après quatre mois de stagnation, sur les courriers et les éléments comptables produits, le Conseil de Prud'hommes a justement apprécié le bien fondé et le quantum de l'indemnité de clientèle due à Monsieur Moutel ;
Considérant que si la société TAG verse aux débats un fichier client qu'elle soutient avoir remis à Monsieur Moutel en 1993, aucun élément ne prouve la remise en l'absence de récépissé, attestations ou autres documents ;
Considérant que si les chaînes de magasin ont été en relation directe avec la direction, il résulte de l'examen de tous les courriers échangés que ceux-ci sont postérieurs à l'embauche de Monsieur Moutel et qu'en conséquence il n'est pas établi que ces clients avaient été apportés par la société TAG et non par Monsieur Moutel ; qu'au demeurant le développement de la clientèle peut résulter d'une action conjointe de la société et du représentant ;
Considérant que l'augmentation de la clientèle en nombre et en valeur est amplement établie par les formulaires d'ouverture de compte, l'examen des chiffres d'affaires par mois notamment de novembre 1995 à octobre 1996 et le montant des commissions perçues lesquelles ne sont pas compatibles avec le simple maintien d'une clientèle existante;
Considérant que la société TAG ne prouve pas que Monsieur Moutel continue à visiter sa clientèle et ait conservé le bénéfice de celle-ci ;
Considérant qu'il n'y a pas lieu d'ordonner la mesure d'instruction sollicitée par l'appelante qui a les moyens de se procurer la preuve de ce qu'elle prétend par attestations ou courriers des clients prétendument prospectés après le licenciement ; que Monsieur Moutel maintient devant la Cour qu'il n'a pas de carte lui permettant d'exploiter cette clientèle avec les produits qu'il présentait pour TAG, ce qui dément le fait qu'il continuerait à prospecter pour les marques G. Nautic et Clouet, fait qui n'est en définitive pas démontré ;
Considérant qu'il y a lieu en conséquence de confirmer le jugement sur l'indemnité de clientèle.
3°) Sur les demandes complémentaires
Considérant que succombant en ses prétentions la société The Art Group France supportera les dépens d'appel ;
Considérant que l'équité commande de faire partiellement droit à la demande en paiement des frais non répétibles présentée par Olivier Moutel.
IV - DECISION
Par ces motifs, LA COUR, Confirme le jugement excepté en ce qui concerne le montant des dommages intérêts. Condamne la société The Art Group France à payer à Monsieur Moutel 100.000 F à titre de dommages intérêts. Déboute la société The Art Group de sa demande de communication de pièces. La condamne à payer à Olivier Moutel 4.000 F au titre des frais non répétibles d'appel et la condamne aux dépens d'appel.