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Décisions

CA Rennes, 8e ch. A, 19 février 1998, n° 96-8557

RENNES

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Doc The Original (SARL)

Défendeur :

Ramond

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Burdeau

Conseillers :

Mmes Algier, L'Hénoret

Avocats :

Mes Loyer, Lambert.

Cons. prud'h. Nantes, du 14 oct. 1996

14 octobre 1996

La société Doc The Original est distributeur exclusif sur la France des produits Doc Martens qu'elle achète en Angleterre au Groupe Griggs Ltd, fabricant et licencié de la marque.

Monsieur François Ramond exerçait au sein de la société Doc Martens la fonction de VRP Multicartes, chargé de vendre auprès d'une clientèle de détaillants spécialisés et indépendants en magasin de chaussures et prêt à porter, des produits de marque Doc Martens, chaussures à semelle Doc Martens et vêtements de marques Doc Martens.

Compte tenu de la forte demande du produit, des contraintes de fabrication et de financement de la production, la société Doc The Original avait du, à plusieurs reprises, limiter les quotas de vente et exiger de ses commerciaux de ne pas les dépasser.

En prévision de la saison été 1995 la société a convoqué l'ensemble des commerciaux à une réunion qui s'est tenue les 24 et 25 août 1994, à l'occasion de laquelle les objectifs de chiffre d'affaires ont été négociés et fixés suivant les secteurs, la société Doc The Original ayant exigé que ces objectifs soient des quotas maximum pour chacun de ses représentants.

Monsieur Ramond ayant refusé de respecter le quota de 3.700.000 F qui lui avait été fixé la société lui a signifié une mise à pied conservatoire et a prononcé son licenciement pour faute grave par lettre du 7 décembre 1994.

Contestant la légitimité de ce licenciement, Monsieur Ramond a saisi le Conseil de Prud'hommes de Nantes qui par jugement du 14 octobre 1996 a condamné la société Doc The Original à lui payer :

- 149.504 F à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- 14.950 F à titre de congés payés y afférents,

- 300.000 F à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 3.000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

La société Doc The Original a relevé appel de cette décision et conclut au rejet de toutes les prétentions adverses, sollicitant paiement d'une indemnité de 20.000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Au soutien de son appel, la société Doc The Original fait observer que le licenciement est justifié par un acte d'insubordination caractérisé du fait de l'opposition systématique et délibérée de Monsieur Ramond aux directives données par son employeur en matière de prise d'ordres et de quotas, acte d'insubordination constitutif d'une faute grave.

Elle souligne que la pratique des quotas était habituelle dans la société et résultait des contraintes en terme de quantité mensuelle de fabrication qui lui étaient imposées par Griggs Ltd son fabricant.

Elle fait remarquer que le respect d'un quota maximum ne remettait pas en cause les éléments essentiels de son contrat, dès lors qu'avec l'objectif maximal qui fui avait été fixé, Monsieur Ramond a bénéficié d'une augmentation de sa rémunération de plus 42 %.

Monsieur Ramond conclut à la confirmation de la décision attaquée sur l'indemnité de préavis et les congés payés, tout en précisant que les intérêts devront courir de plein droit à compter de la saisine du Conseil de Prud'hommes.

Pour le surplus il se porte appelant incident et prétend obtenir :

- 49.834 F pour non-respect de la procédure de licenciement,

- 280.000 F à titre de rappel sur commissions,

- 150.000 F à titre de retour sur échantillonnage,

- 1.000.000 F à titre d'indemnité de clientèle,

- 500.000 F à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 30.000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Pour l'essentiel, il réplique que contrairement à ce que soutient la société Doc The Original, aucun quota maximum de vente n'a jamais été contractuellement fixé, ni accepté ; que la société ne pouvait, au prétexte de l'exercice par le chef d'entreprise de ses pouvoirs de direction et d'organisation, imposer une modification particulièrement essentielle du contrat, en empêchant Monsieur Ramond de prospecter normalement la clientèle, élément qui à lui seul constituait une attitude fautive de sa part ;

Sur quoi, LA COUR

Considérant que Monsieur Ramond a été licencié par lettre du 7 décembre 1994 pour faute grave, l'employeur rappelant qu'il l'avait informé du caractère impératif du respect des quotas de vente par courrier du 19 septembre 1994 et ce compte tenu des quotas de production imposé par le fournisseur ; que la lettre visait les avertissements des 5 octobre et 17 novembre 1994, restés sans effet, le quota imposé étant dépassé de 623.000 F ; qu'il était ajouté que cette situation causait un grave préjudice à la société, mise en difficulté vis-à-vis de sa clientèle, dès lors que les 623.000 F de commandes ne pouvaient être livrées ;

Considérant qu'il est constant, au vu des pièces versées aux débats que la société Doc The Original a été soumise, dès 1993, à des contingentements de production imposés par le fabricant pour certaines gammes de produits, que des commandes avaient été refusées par l'usine et que devant l'énorme progression de la demande pour 1994 (370.000 paires de chaussures contre 200.000 en 1993) elle a été confrontée à des problèmes de livraison et de réassortiment ;

Considérant que si en 1993 et 1994 les contingentements ont porté sur certaines lignes de produits, la société a été ensuite contrainte d'établir des quotas maxima de vente sur l'ensemble de la gamme, faute de pouvoir répondre à l'intégralité des commandes ;

Considérant ainsi qu'après une réunion du 24 août 1994, destinée à la définition des objectifs de chiffre d'affaires pour la saison printemps-été 1995, une note a été adressée à tous les représentants leur fixant des objectifs à ne pas dépasser, soit pour Monsieur Ramond le chiffre de 3.700.000 ;

Considérant que cette note indiquait clairement que ces objectifs étaient fixés compte tenu des contraintes en terme de quantité mensuelle qui lui étaient imposées par le fabricant et par les contraintes de financement de production ; qu'il était précisé qu'il était de l'intérêt de tous les représentants d'atteindre et de ne pas dépasser ces chiffres afin de ne pas engager l'entreprise sur des commandes qu'elle ne pourrait pas honorer, que ces objectifs étaient donc également des quotas ; qu'enfin il était donné pour instruction de visiter d'abord les clients existants et de n'envisager l'ouverture de nouveaux comptes que dans la mesure où le quota le permettrait ;

Considérant qu'il est constant et non discuté par Monsieur Ramond que celui-ci n'a pas respecté le quota maximum qui lui était assigné provoquant de la part de la société 2 avertissements, l'un le 5 octobre 1994, le second le 17 novembre 1994, constatant que les prises d'ordre arrêtées à cette date s'élevaient à 4.239.000 F ; qu'entre-temps d'ailleurs, par lettre du 24 octobre 1994, la société Doc The Original avait eu une fois de plus l'occasion de rappeler à Monsieur Ramond ses obligations en matière de quota de vente et pour répondre à un courrier du salarié, de mettre les choses au point en précisant que si la force de vente est chargée de développer le chiffre d'affaires de l'entreprise, il est de la mission du chef d'entreprise de maîtriser son développement et d'organiser la bonne livraison des ordres pris; qu'ainsi c'est en raison d'impératifs très précis de production et de financement que la direction avait été amenée à fixer des quotas définis par secteur qui lui assurait toutefois une croissance importante de son chiffre d'affaires;

Considérant que de fait, ainsi que le soutient à juste titre la société Doc The Original, la fixation des quotas relevait du pouvoir directionnel du chef d'entreprise dès lors qu'elle était nécessairement liée à des contraintes économiques de fabrication, de financement de la production et des cartes de distribution que seul l'employeur pouvait apprécier dans l'intérêt de l'entreprise ; que le fait que le VRP ait pour fonction de visiter une clientèle et de prendre des commandes ne signifie en aucun cas qu'il puisse travailler à son gré sans tenir compte des directives de l'employeur; qu'il ne peut en effet être admis que le VRP puisse prendre des commandes dans son seul intérêt, sans tenir compte des possibilités pour l'entreprise de satisfaire ces commandes;

Considérant en conséquence que la limitation des quotas comme cela avait le cas dans le passé, n'a pas modifié les éléments essentiels de son contrat de travail, étant observé que le contrat lui même prévoyait que les quotas de chaque saison serait redéfini chaque saison et que Monsieur Ramond ne peut soutenir que la fixation à un quota maximum de 3.700.000 F aurait porté atteinte à sa rémunération alors qu'en 1994 il avait réalisé 2.600.000 F de prise d'ordre et qu'en lui fixant un quota de 3.700.000 F, l'employeur lui permettait de réaliser une progression de + 42 % de sa rémunération;

Considérant ainsi que la fixation impérative d'un quota ne s'analyse pas en une modification définitive du contrat mais comme une mesure provisoire liée à la conjoncture du moment et aux impératifs de la production;

Qu'en refusant, malgré des mises en demeure réitérées d'exécuter les instructions de l'employeur, Monsieur Ramond a commis un acte d'insubordination, constitutif d'une faute grave, son maintien dans l'entreprise se révélant impossible même pendant la durée limitée du préavis, dès lors que manifestement il était déterminé à passer outre aux ordres donnés;

Sur le respect de la procédure

Considérant que Monsieur Ramond soutient que le délai entre l'entretien préalable et la lettre de licenciement n 'aurait pas été respecté ;

Mais considérant que l'entretien préalable a eu lieu le 5 décembre 1994, que le délai d'un jour franc expirait le 6 décembre à 24 heures ; que dès lors la lettre de licenciement a pu être valablement expédiée le 7 décembre 1994 ;

Sur le rappel de commissions de 2 %

Considérant que Monsieur Ramond prétend être en droit d'obtenir un rappel de commissions de 2 %, soit 280.000 F, au motif que selon l'attestation d'un dénommé Rolland qui lui a cédé la carte Doc Martens le taux de commissionnement était de 6 % ;

Considérant toutefois que le contrat de travail signé entre les parties le 4 février 1992 est clair en ce qu'il prévoit d'une part une commission de 6 % sur toute la gamme à l'exception des chaussures de sécurité pour lesquelles la commission sera de 4 % pour les coques Air Wair, cette commission de 6 % s'appliquant à un chiffre d'affaires annuel de 4.000.000 F, et d'autre part une commission de 4 % au delà de 4.000.000 F ;

Qu'ainsi à tort Monsieur Ramond prétend-il que le taux de commissionnement était uniformément de 6 %, de sorte qu'il doit être débouté de sa demande de rappel de commissions dès lors qu'il ne soutient pas que les commissions qu'il aurait touchées n'auraient pas été conformes aux stipulations du contrat ;

Sur les retours sur échantillonnage

Considérant que l'article 10 du contrat de travail prévoyait que le représentant percevait les commissions sur les affaires qui seraient la suite directe de son travail, soit outre les affaires directes ou indirectes conclues avant l'interruption ou la cessation d'activité, toutes les affaires réalisées par la société au cours des 2 mois suivant cette interruption ou cette cessation ;

Considérant que la société Doc The Original produit un décompte de commissions dues sur retour sur échantillonnages faisant apparaître pour décembre 1994, janvier à mars 1995 une somme de 55.676 F brut ;

Considérant que sans la moindre pièce Monsieur Ramond prétend obtenir une somme de 150.000 F, prétention dont il y a lieu de le débouter en l'absence de tout élément apportant la preuve qu'il n'a pas été rémunéré sur des affaires directes ou indirectes qui seraient la suite de son travail ;

Sur l'application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile

Considérant que bien que prospérant sur son appel il n'apparaît pas inéquitable de laisser à la société Doc The Original la charge de ses frais irrépétibles ;

Par ces motifs ; Infirme le jugement du Conseil de Prud'hommes de Nantes du 14 octobre 1996, Déboute Monsieur Ramond de toutes ses demandes, Déboute la société Doc The Original de sa demande au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, Condamne Monsieur Ramond aux dépens.