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Décisions

CA Rennes, 5e ch. prud'homale, 7 septembre 1999, n° 98-04206

RENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Lauvic (SARL)

Défendeur :

Le Bihan

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Ploux

Conseillers :

Mmes Citray, Van Ruymbeke

Avocats :

Mes Buffet, Le Moel.

Cons. prud'h. Rennes, du 29 mai 1998

29 mai 1998

EXPOSE DES FAITS

Engagé le 25 novembre 1996 en qualité de " technico-commercial VRP statutaire " par la société Lauvic Dépannages, franchisée de l'enseigne " Ok Services ", Jean-Paul Le Bihan a cessé ses fonctions le 28 octobre 1997 et avec deux autres salariés de la société saisi le Conseil des Prud'hommes de Rennes pour voir consacrer la rupture de son contrat de travail à la charge de son employeur aux motifs que celui-ci avait modifié unilatéralement ses conditions de travail et lui avait à tort imposé le statut de VRP.

Par jugement en date du 29 mai 1998, le Conseil des Prud'hommes a dit :

- que le contrat conclu entre les parties était un contrat de droit commun,

- que la rupture du contrat de travail incombait à la société Lauvic Dépannages

celle-ci étant condamnée au paiement des sommes suivantes :

* dommages et intérêts pour licenciement abusif : 38.446,74 F

* rappel de salaire : 6.735,79 F

* indemnité pour frais non répétibles : 2.000 F

et déboutait le salarié du surplus de ses réclamations.

MOYENS DES PARTIES

La société Lauvic Dépannages a interjeté appel de cette décision le 12 juin 1998, faisant valoir :

- sur le statut du salarié que celui ci avait signé en toute connaissance de cause le contrat qu'il contestait aujourd'hui et qui prévoyait deux fonctions, l'une commerciale et l'autre technique ; qu'en tout état de cause, le débat qu'il instaurait était hors sujet dans la mesure où rien n'interdisait aux parties de se référer contractuellement au statut de VRP pour régler leur rapport quand bien même le salarié ne remplirait pas les conditions pour bénéficier du statut de VRP, plus favorable que le statut de droit commun; que ce dernier était en conséquence tenu par les dispositions de l'article 1134 du Code Civil;

- sur la rupture contractuelle que le Conseil était tenu par les motifs indiqués dans la lettre de rupture adressée par le salarié ; qu'à ce titre aucune faute ne pouvait lui être imputée ;

- qu'elle est fondée à réclamer reconventionnellement une somme de 7.324,62 F au titre du non-respect de préavis, la rupture du contrat de travail s'analysant en une démission et y additer une réclamation de 8.000 F au titre de ses frais non répétibles ;

En réplique Jean-Paul Le Bihan demande la confirmation du jugement en y ajoutant une réclamation de 2.000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau code de Procédure Civile et entend faire observer :

- qu'il ne pouvait se voir attribuer le statut de VRP dans la mesure où les fonctions qu'il occupait au sein de la société Lauvic Dépannages étaient essentiellement des fonctions techniques, l'activité commerciale se limitant à proposer des contrats d'abonnement ; que son activité de prospection était limitée et que le secteur géographique n'était pas déterminé;

- que la rupture est imputable à l'employeur qui lui avait retiré le véhicule qu'il avait mis à sa disposition et qui ne remettait pas régulièrement les journaux de production lui permettant de connaître la base de sa rémunération.

DISCUSSION

Considérant qu'il appartient au demandeur en indemnités de rapporter la preuve de l'imputabilité de la rupture de contrat de travail;

Que le juge ne peut fonder sa décision qu'en examinant les seuls motifs invoqués dans la lettre de rupture ;

Considérant qu'aux termes d'un courrier daté du 18 octobre 1997 Jean-Paul Le Bihan a adressé à la société Lauvic Dépannages une lettre de rupture ainsi libellée :

" Après quelques désaccords et suite à votre dernier courrier du 15 octobre 1997 ;

Nous vous restituons les véhicules en temps et en heure suivant l'article 9 du contrat de travail.

Par contre notre activité professionnelle prendra fin par la même occasion pour faute grave dont les deux motifs sont les suivants :

- non requalification du contrat de travail

- non remise à nouveau des journaux de production "

Considérant que le débat est circonscrit aux deux griefs dont se prévaut le salarié à l'exclusion de tous autres à tort examinés par le Conseil des Prud'hommes;

1) LA QUALIFICATION DE SON CONTRAT DE TRAVAIL

Considérant que si le salarié doit en toute hypothèse, bénéficier du statut de VRP lorsque les parties ont entendu conventionnellement et sans équivoque lui conférer un tel statut, ce salarié peut en tout état de cause contester l'application des règles statutaires et se prévaloir de dispositions plus favorables dès lors qu'il démontre qu'il ne remplissait pas, en fait, les conditions requises par l'article L. 751-1 du Code du Travail;

Considérant qu'aux termes du contrat de représentation signé par l'entreprise et Jean-Paul Le Bihan, celui ci y étant expressément qualifié de VRP, l'activité de ce dernier, géographiquement déterminée, était de deux ordres :

- d'une part, une fonction technique de dépannage, travaux et services au domicile de particuliers ou des locaux commerciaux dans le domaine de la plomberie,

- d'autre part, une fonction commerciale, caractérisée par la représentation et la vente au nom et pour le compte de la société de services et produits commerciaux sous la franchise Lauvic Dépannages : vente de contrats d'abonnement Atout Confort, de travaux d'installation de rénovation et d'amélioration de l'habitat, de biens d'équipement et de marchandises;

Considérant qu'il n'est pas contesté que les deux activités acceptées en toute connaissance de cause par Jean-Paul Le Bihan s'exerçaient au profit de la même clientèle, l'intervention technique précédant la démarche commerciale;

Considérant que ne perd pas sa qualité de VRP le salarié qui effectue des tâches annexes pour autant que ces tâches, exercées au profit du même employeur, restent accessoires à l'activité principale de représentation;

Considérant que Jean-Paul Le Bihan ne produit à l'appui de ses prétentions aucune pièce justificative de nature à accréditer la prééminence de sa fonction technique; qu'il résulte en réalité clairement des stipulations contractuelles, que la part consacrée par les parties à cette dernière était plus importante que celle relative aux interventions techniques - celles-ci n'étant qu'un moyen de démarcher et créer une clientèle - au regard principalement du système de rémunération mis en place par l'employeur et majoritairement constitué de commissions payées sur les actions commerciales réalisées; que l'examen de ses bulletins de salaire confirme dans les faits, et sans démenti de la part du salarié, la prépondérance de cette activité de représentation, les commissions commerciales correspondant dans l'ensemble au 2/3 de son activité voire d'avantage certains mois ; qu'il n'importe que la société soit soumise à la Convention Collective du Commerce et Services de l'audiovisuel pour le reste de son personnel, ses bulletins de salaire mentionnant précisément en ce qui le concerne le rattachement à la convention des VRP; qu'à ce titre l'entreprise démontre que les minima conventionnels étaient respectés ;

Considérant que c'est encore en vain que le salarié se prévaut de l'absence de secteur géographique alors que son contrat précise expressément que le rayon d'activité est limité au propre rayon d'activité de la société ;

Considérant dans ces conditions que Jean-Paul Le Bihan qui a toujours profité, et sans le contester, de l'abattement professionnel de 30 % bénéficiant aux VRP, ne rapporte pas la preuve qui lui incombe que remplissant les conditions du statut de VRP, le contrat dont il ne démontre pas qu'il soit atteint d'un quelconque vice du consentement est dès lors applicable dans toutes ses dispositions ;

Que ce premier grief au soutien de sa rupture n'est pas fondé;

2) NON REMISE DES JOURNAUX DE PRODUCTION

Considérant que le salarié ne démontre pas davantage la pertinence de ce grief, les journaux de production servant de base au calcul de ses rémunérations lui ayant toujours, à défaut de preuve contraire non rapportée été remis à la fin de chaque mois ; que l'employeur au demeurant lui avait proposé un entretien pour expliquer ce reproche qu'il ne comprenait pas;

Considérant en définitive que le salarié n'établit nullement l'existence d'un quelconque manquement de l'employeur à une de ses obligations contractuelles ; que le troisième grief analysé par le Conseil à tort, à savoir la modification des conditions de travail du salarié n'est au surplus pas opérant dans la mesure où s'agissant de la restitution du véhicule l'employeur n'a fait que mettre en œuvre une clause du contrat de travail (articles 7 et 9);

Considérant que dès lors la rupture du contrat de travail formalisée par un courrier en date du 28 octobre 1997 est imputable au salarié ; que s'agissant d'une rupture immédiate et abusive, l'employeur est fondé à réclamer le paiement d'une indemnité de brusque rupture égale au salaire du temps de préavis conventionnel soit une somme de 7.324,62 F correspondant à trois mois de salaire ;

Considérant enfin qu'il n'est pas inéquitable de laisser à la y [sic] la charge de ses frais non répétibles, Jean-Paul Le Bilan succombant en son action étant condamné aux dépens;

Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement par arrêt contradictoire, Réforme le jugement déféré, Statuant à nouveau ; Déboute Jean-Paul Le Bihan de toutes ses prétentions ; Le condamne à régler à la société Lauvic Dépannages une somme de 7.324,62 F au titre de l'indemnité compensatrice de brusque rupture ; Rejette la demande de la société Lauvic Dépannages au titre de ses frais non répétibles; Condamne Monsieur Jean-Paul Le Bihan aux dépens.