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Décisions

CA Metz, ch. civ., 27 janvier 1999, n° 3955-97

METZ

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Lévy

Défendeur :

Alem Sièges (SA), Nodée (ès qual.)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Martin

Conseillers :

Mlle Favre, Mme Duroche, MM. Bockenmeyer, Legrand

Avocats :

Mes Rozenek, Monchamps, Schwitzer-Martin.

Cons. prud'h. Colmar, du 19 janv. 1990

19 janvier 1990

FAITS ET PROCEDURE

M. Pierre Lévy a travaillé en qualité de représentant pour le compte de la société Alem Sièges du 1.3.1960 au 31.12.1988, date à laquelle il a été mis à la retraite en se voyant octroyer une indemnité de départ à la retraite correspondant à 3 mois de salaire, soit 33 889,33 F.

Estimant avoir été abusivement licencié, il a saisi le 10.4.1989, le Conseil de Prud'hommes de Colmar aux fins de voir condamner son ancien employeur à lui payer les sommes suivantes:

- 166 110,67 F à titre d'indemnité de clientèle,

- 60 000 F à titre d'indemnité pour rupture abusive,

- 50 000 F à titre de préjudice moral,

- 5 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Par jugement du 19.1.1990, le Conseil de Prud'hommes a :

- condamné la société Alem à payer à M. Lévy la somme de 33 889,33 F à titre de complément d'indemnité de départ à la retraite,

- débouté M. Lévy de toutes ses autres demandes.

Sur appel principal de M. Lévy et appel incident de la société Alem Sièges, la Cour d'appel de Colmar, par arrêt du 4.4.1991, a confirmé en toutes ses dispositions le jugement entrepris.

Sur pourvoi de M. Lévy, la Cour de Cassation, par arrêt du 21.6.1995 a cassé et annulé l'arrêt de la Cour d'appel de Colmar en ce qu'il avait débouté M. Lévy de sa demande d'indemnité de clientèle, au motif qu'en statuant ainsi, la Cour d'appel avait violé les articles L. 122-14-13 et L. 751-9 du Code du Travail.

La Cour d'appel de Metz, désignée comme juridiction de renvoi, a été saisie le 24.11.1995 par Mme Yvette Lévy née Hirtz, se déclarant seule héritière de M. Pierre Lévy, décédé.

Mme Lévy a indiqué que la société Alem avait été placée en liquidation judiciaire par jugement du 31.7.1996 et qu'il y avait donc lieu de citer Me Gérard Nodee, ès-qualité de liquidateur de ladite société.

Par arrêt avant dire droit du 27.5.1998, la Cour de céans a :

- ordonné la convocation par les soins du Greffe de Me Gérard Nodée, ès-qualité de liquidateur de la société Alem;

- invité Mme Lévy à justifier de sa qualité de seule héritière de M. Pierre Lévy, par la production d'un certificat d'hérédité.

Maître Gérard Nodée, liquidateur de la société Alem, a été régulièrement convoqué par lettre recommandée du 8.6.1998 avec demande d'avis de réception.

Madame Lévy a produit une attestation établie le 2.12.1993 par Maître Geismar, Notaire associé à Colmar, dont il ressort qu'elle est seule et unique attributaire en pleine propriété de l'ensemble des biens dépendant de la succession de M. Pierre Lévy, son mari décédé le 15.11.1993.

Elle fait valoir que la mise à la retraite du salarié constitue un mode de résiliation du contrat de travail par le fait de l'employeur, permettant au salarié de prétendre à l'indemnité de clientèle prévue par l'article L. 751-9 du Code du Travail;

que l'indemnité de clientèle est usuellement fixée à 2 ans de commissions, ce qui en l'espèce compte tenu de l'ancienneté du salarié, ne couvre pas l'étendue du préjudice subi;

que les commissions perçues par son mari au titre des années 1987 et 1988 se sont élevées à un montant total de 215 084 F, de sorte que la demande chiffrée à 200 000 F doit être accueillie, déduction faite de l'indemnité de départ réglée à hauteur de 33 889,33 F.

1) de fixer sa créance, en sa qualité d'héritière de M. Pierre Lévy, à l'égard de la société Alem, aux montants suivants :

- 166 110,67 F au titre du solde restant dû sur l'indemnité de clientèle;

- 15 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile;

2) de dire que les frais seront considérés comme frais privilégiés de la liquidation judiciaire

Me Gérard Nodée, ès-qualité de liquidateur de la société Alem, soutient pour sa part que Mme Lévy doit établir la part revenant personnellement à son mari dans l'importance en nombre et en valeur de la clientèle qu'il prétend avoir apportée, créée ou développée;

qu'en effet, de nombreux clients étaient déjà clients de la société Alem antérieurement au 1.3.1960, et qu'en outre le comportement de M. Lévy a entraîné une diminution nette de la clientèle;

que M. Lévy était le représentant qui avait le pourcentage le plus faible de commandes directes par rapport aux commandes indirectes, ce qui prouve qu'il n'a rien fait pour développer son activité personnelle;

que M. Lévy n'a d'ailleurs jamais proposé de successeur à son employeur, et n'a pas non plus tenté de céder sa carte;

que M. Lévy n'a subi aucun préjudice matériel dans la mesure où il a bénéficié dès la rupture de son contrat de travail de sa retraite complète, dont le montant n'a pas été diminué des frais de déplacement qui existaient lorsqu'il occupait son poste de représentant;

qu'en tout état de cause il faut déduire pour le calcul de l'indemnité de clientèle le montant des frais de déplacement, de 7 000 F;

que l'indemnité de clientèle ne peut se cumuler avec l'indemnité de départ à la retraite versée au salarié, s'élevant à la somme de 67 778,66 F;

qu'enfin l'indemnité de clientèle étant de nature indemnitaire ne peut produire d'intérêts qu'à compter de la décision qui en constate l'existence et en évalue le montant.

Il conclut dès lors au rejet de l'ensemble des prétentions de Mme Lévy.

DISCUSSION :

Attendu que la mise à la retraite du salarié par l'employeur, prévue par l'article L. 122-14-13 alinéa 3 du Code du Travail, constitue un mode de résiliation du contrat de travail par le fait de l'employeur permettant au salarié de prétendre, s'il en remplit les conditions à l'indemnité de clientèle prévue par l'article L. 751-9 du Code du Travail, qui ne se cumule pas avec l'indemnité de départ à la retraite, seule la plus élevée étant due;

Attendu que l'article L. 751-9 du Code du Travail prévoit que le représentant a droit à une indemnité pour la part qui lui revient personnellement dans l'importance en nombre et en valeur de la clientèle apportée, créée ou développée par lui, compte tenu des rémunérations spéciales accordées en cours de contrat pour le même objet ainsi que des diminutions qui pourraient être constatées dans la clientèle préexistante et provenant du fait de l'employé;

Attendu qu'il est admis que la clientèle apportée est celle que le représentant visitait avant son entrée en fonction chez l'employeur, que la clientèle créée est celle que le représentant a suscitée grâce à ses efforts personnels et que la clientèle développée est celle qui existait lors de l'entrée en fonction du représentant et pour laquelle il a fait progresser le chiffre d'affaires ;

Attendu que Mme Lévy, à qui il incombe d'établir la part revenant personnellement à son mari dans l'importance en nombre et en valeur de la clientèle qu'il aurait apportée, créée ou développée, fonde sa réclamation sur l'ancienneté de son mari au sein de l'entreprise au moment de son départ à la retraite (28 ans), sans fournir aucun élément sur l'évolution de la consistance de la clientèle et du chiffre d'affaires réalisé sur le secteur entre la prise d'effet du contrat (1.3.1960) et la cessation dudit contrat (31.12. 1988);

Attendu par contre que la société Alem justifie que M. Lévy refusait d'établir des rapports détaillés et de visiter la clientèle plus de deux jours par semaine, ce qui avait entraîné au cours de ses dernières années d'activité une diminution sensible de son chiffre d'affaires sur les commandes directes, qui reflétaient ses efforts personnels, à la différence des commandes indirectes, significatives de l'activité générale de l'entreprise;

Attendu qu'il apparaît ainsi, au vu de l'ensemble des éléments soumis a l'appréciation de la Cour, que la preuve n'est pas rapportée de la réalité d'une clientèle apportée, créée ou développée par M. Lévy;

Attendu que l'indemnité de clientèle étant destinée à réparer le préjudice subi du fait de la perte pour l'avenir de cette clientèle, M. Lévy ne remplissait manifestement pas les conditions pour prétendre à une telle indemnité, d'autant plus qu'il a perçu dès la rupture de son contrat de travail sa pension de retraite à taux plein;

Attendu qu'il convient en définitive de rejeter l'appel et de confirmer le jugement entrepris ;

SUR LES DEPENS :

Attendu que compte tenu de l'issue du litige, il y a lieu de condamner Mme Lévy à supporter l'ensemble des dépens de la procédure, à l'exception de ceux de première instance, qui seront considérés comme frais privilégiés de la liquidation judiciaire de la société Alem.

Par ces motifs : LA COUR : Statuant sur renvoi de cassation, par arrêt contradictoire; Déclare l'appel mal fondé ; Confirme le jugement rendu le 19.1.1990 par le Conseil de Prud'hommes de Colmar ; Condamne Mme Lévy aux dépens de la procédure, à l'exception de ceux de première instance, qui seront considérés comme frais privilégiés de la liquidation judiciaire de la société Alem.