CA Toulouse, 4e ch. soc., 12 mars 1999, n° 97-05371
TOULOUSE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Arbomont
Défendeur :
Nature et Traditions (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Roger
Conseillers :
Mme Tribot-Laspière, M. Saint Ramon
Avocats :
Mes Bedry, Atlani.
FAITS ET PROCEDURE
Monsieur Christian Arbomont a été embauché le 25 avril 1995 en qualité de VRP par la société Nature et Traditions qui exerce une activité de marchand de biens. Son secteur d'activité était limité au Tarn Nord et à l'Aveyron Sud. Son contrat de travail comportait une clause de non-concurrence lui interdisant de s'intéresser directement ou indirectement à une entreprise concurrente.
Il a été licencié pour faute lourde par lettre du 25 novembre 1996 pour violation de la clause contractuelle de non-concurrence. Il lui est reproché dans cette lettre d'avoir exercé une activité parallèle de marchand de biens pour une société concurrente dénommée Terroir et Patrimoine récemment constituée entre sa concubine Madame Bonnet, son fils Jean-Christophe Arbomont et son collaborateur habituel Monsieur Marc Panis et dont il aurait signé lui-même les statuts. La société déclare avoir eu la révélation de ces faits à l'occasion d'une vente réalisée par une dame Evanno.
La société Nature et Traditions se plaignant du détournement d'une partie de sa clientèle par Monsieur Arbomont a saisi le 12 décembre 1996 le conseil de prud'hommes d'Albi d'une demande de dommages-intérêts à l'encontre de Monsieur Arbomont pour violation par ce dernier de la clause de non-concurrence prévue dans son contrat de travail.
Par jugement du 3 novembre 1997, le conseil de prud'hommes a considéré au vu des éléments versés aux débats que Monsieur Arbomont avait indirectement collaboré avec la société Terroir et Patrimoine et l'a condamné à payer à la société Nature et Traditions la somme forfaitaire de 60.000 F outre 2.000 F en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
Monsieur Arbomont a relevé appel de ce jugement. La société Nature et Traditions a formé appel incident.
PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
L'appelant déclare avoir été engagé par la société Nature et Traditions par l'intermédiaire de Monsieur Henri Catry qui n'est autre que le père de Messieurs Eric et Thierry Catry lesquels étaient respectivement gérants de la société Nature et Traditions et de la société Aix +.
Il prétend que la société a tenté de lui imposer des méthodes de travail malhonnêtes et illégales consistant à obtenir d'un vendeur la signature d'un mandat de vente au profit de la société Aix + sans révéler son lien avec la société Nature et Traditions puis de rechercher un acquéreur et de lui faire signer une offre d'achat au profit de la société Nature et Traditions à un prix élevé, d'informer le vendeur par tromperie et manœuvre que le prix demandé ne correspondait pas au marché et lui faire ensuite signer une promesse de vente à la société Nature et Traditions permettant ainsi à cette société d'acquérir le bien à un prix plus intéressant et de revendre immédiatement au prix fort à l'acquéreur avec lequel elle avait précédemment signé une offre d'achat.
Monsieur Arbomont prétend que son licenciement fait suite à son refus de se plier à ces pratiques malhonnêtes. Il soutient que la société Nature et Traditions a monté tout un scénario pour se débarrasser de lui en engageant un simulacre de procédure de licenciement. Il déclare que la société a utilisé de fausses identités et des indications erronées pour tenter de démonter une prétendue violation de ses obligations contractuelles. Monsieur Arbomont déclare être en mesure d'établir que les allégations portées à son encontre par la société Nature et Traditions ne sont aucunement fondées. Il conteste avoir accompli des actes de concurrence au cours de l'exécution de son contrat de travail et déclare être sans lien de droit avec la société Terroir et Patrimoine.
Il conclut à la réformation du jugement dont appel et au débouté de toutes prétentions de la société Nature et Traditions. A titre reconventionnel, Monsieur Arbomont demande à la cour de juger que son licenciement ne repose pas sur une cause réelle et sérieuse et de condamner la société Nature et Traditions à lui payer la somme de 250.000 F à titre de dommages-intérêts, de la condamner en outre sous astreinte de 500 F par jour de retard à compter de l'arrêt à intervenir à lui remettre tous les éléments permettant de calculer les commissions lui restant dues ainsi que le bulletin de salaire correspondant à l'acompte de 10.000 F versé en juillet 1996; il réclame enfin la somme de 50.000 F à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et 25.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
La société Nature et Traditions déclare avoir appris fortuitement à l'occasion de la vente d'un bien que Monsieur Arbomont détournait la clientèle de la société au profit d'une autre société dénommée Terroir et Patrimoine à laquelle il était intéressé et pour le compte de laquelle il a été embauché après son licenciement.
La société Nature et Traditions déclare rapporter la preuve qu'une dame Evanno répondant à une publicité de vente d'un bien immobilier à l'en-tête de la société s'est vu présenter par Monsieur Arbomont un autre immeuble mis en vente par la société Terroir et Patrimoine et que cette cliente a arrêté son choix sur ce dernier immeuble en se mettant directement en rapport avec le notaire Maître Passebosc désigné dans l'offre d'achat que lui avait fait signer Monsieur Arbomont.
La société Nature et Traditions prétend que sur les huit affaires pour lesquelles Monsieur Arbomont réclame des commissions trois au moins ne sont pas à prendre en compte, qu'une seule commencée en 1996 a en fait été réalisée, aucun contrat n'ayant été concrétisé par Monsieur Arbomont au profit de la société Nature et Traditions pendant plusieurs mois puisque ce dernier consacrait toute son activité à la société Terroir et Patrimoine en violation de la clause contractuelle de non-concurrence.
La société intimée évalue à la somme de 420.000 F la perte du chiffre d'affaires dont elle a été privée du fait des agissements de Monsieur Arbomont et sollicite l'octroi de la somme de 10.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DECISION
Attendu que les fonctions de Monsieur Arbomont telles qu'elles sont définies dans son contrat de travail consistaient à :
"- rechercher pour le compte de la société Nature Et Traditions des immeubles à acquérir et les présenter à des acheteurs potentiels :
- assurer le suivi des ventes auprès de la clientèle,
- fournir tous renseignements sur la situation du marché, les efforts de la concurrence et la pénétration commerciale,
- effectuer en cas de difficultés avec la clientèle, toutes démarches appropriées pour leur règlement".
Attendu que cette activité s'exerçait sur le secteur du Tarn Nord et du Sud de l'Aveyron.
Attendu que lors de la conclusion du contrat Monsieur Arbomont a déclaré qu'il représentait deux entreprises à savoir la SARL Segitel (bureau d'étude technique) et la SARL Aix Plus (marchand de biens), qu'il s'était engagé pendant toute la durée de son contrat à communiquer toute modification de la liste des entreprises dont il assurait la représentation et à ne faire aucune affaire de quelque nature que ce soit pour son propre compte ;
Attendu qu'il était en outre tenu aux termes de son contrat par une clause de non-concurrence lui interdisant de s'intéresser directement ou indirectement à une entreprise concurrente ou à collaborer sous quelque forme que ce soit avec une telle entreprise.
Attendu qu'il est établi par les pièces du dossier qu'un mois environ après l'embauche de Monsieur Arbomont par la société Nature et Traditions a été constituée entre une dame Bonnet Joëlle concubine de Monsieur Arbomont, son fils Jean-Christophe Arbomont étudiant et Monsieur Marc Panis, demandeur d'emploi, une société dénommée Terroir et Patrimoine ayant le même objet social que la société Nature et Traditions.
Attendu que les statuts de cette nouvelle société dont les concepts présentent une évidence similitude avec ceux désignés sous la dénomination Nature et Traditions portent la signature de Monsieur Arbomont.
Attendu qu'il apparaît donc qu'au mépris de ses engagements contractuels, Monsieur Arbomont a participé à la création d'une société concurrente dans le même secteur géographique que la société Nature et Traditions, que ces faits suffisent à eux seuls à caractériser les manquements du salarié à l'obligation de loyauté caractérisée par la clause de non-concurrence qui le liait à son employeur.
Attendu qu'il résulte en outre des éléments du dossier que le gérant de la société Terroir et Patrimoine, Monsieur Panis collaborait avec Monsieur Arbomont à la recherche de vendeurs potentiels et avait donc accès aux informations recueillies pour le compte de la société Nature et Traditions ; que même si l'affaire Evanno paraît procéder d'un montage organisé par la société Nature et Traditions pour dévoiler les agissements de Monsieur Arbomont, la lettre du notaire Maître Passebosc chargé de passer l'acte de vente révèle qu'une confusion était possible entre les opérations immobilières traitées par ces deux sociétés dont l'activité était identique et se rapportait aux mêmes produits.
Attendu que la société Terroir et Patrimoine a d'ailleurs été condamnée par jugement du tribunal de commerce d'Albi pour avoir par l'intermédiaire de Messieurs Arbomont et Panis exercé des pratiques de concurrence déloyale à l'égard de la société Nature et Traditions.
Attendu que licencié pour faute lourde le 25 novembre 1996, Monsieur Arbomont n'a pas tardé à rejoindre la société Terroir et Patrimoine au service de laquelle il est entré en qualité de cadre administratif à compter du 7 janvier 1997 soit environ un mois et demi plus tard.
Attendu que les manquements graves et délibérés commis par Monsieur Arbomont à ses obligations contractuelles caractérisent la faute lourde justifiant la mesure de licenciement privative de toute indemnité prononcée à son encontre par la société Nature et Traditions dès que celle-ci a eu connaissance de ces faits.
SUR LA DEMANDE RECONVENTIONNELLE
Attendu que si les notes internes diffusées par la société Nature et Traditions à ses collaborateurs démontrent les méthodes parfaitement malhonnêtes voire illégales mises au point par cette société pour manipuler les vendeurs d'immeubles et concrétiser ses bénéfices au détriment de ceux dont elle était censée défendre les intérêts, il ressort des agissements de Monsieur Arbomont que ce dernier a su lui-même tirer parti des enseignements de la société Nature et Traditions en les appliquant aux dépens de cette dernière.
Attendu que la société Nature et Traditions qui a déjà réclamé et obtenu devant le tribunal de commerce d'Albi la condamnation de la société Terroir et Patrimoine à l'indemniser du préjudice commercial et financier qu'elle a subi du fait des pratiques de concurrence déloyale exercées à son encontre par l'intermédiaire de Monsieur Arbomont ne peut légitimement prétendre à une double indemnisation pour les mêmes faits.
Attendu qu'il y a lieu en conséquence de la débouter de sa demande de dommages-intérêts.
SUR LE RAPPEL DE COMMISSIONS
Attendu qu'aux termes du contrat de travail la société Nature et Tradition devait verser à Monsieur Arbomont une commission sur toutes les affaires directes définitivement conclues c'est-à-dire après la levée des éventuelles conditions suspensives et dès que la société percevait sa propre rémunération ; que cette commission brute congés payés inclus était égale à 50 % de celle hors taxes perçue par la société sur chaque opération diminuée des frais.
Attendu que Monsieur Arbomont déclare que huit ventes ont été conclues par son intermédiaire, que sur ces opérations quatre se sont concrétisées et ont donné lieu à la signature d'actes de vente régulièrement publiés à savoir :
- Galtier : promesse de vente du 12 avril 1996, vente publiée le 21 août 1996
- Rodier : promesse de vente du 24 mai 1996, vente publiée le 22 juillet 1996
- Bernard : promesse de vente du 24 avril 1996, vente publiée le 25 juillet 1996
- Seguin : promesse de vente du 12 juillet 1996, vente publiée l 29 novembre 1996.
Attendu que la société Nature et Traditions qui admet que ces quatre affaires ont bien été réalisées avec le concours de Monsieur Arbomont doit payer à ce dernier les commissions correspondantes, que faute par elle d'établir que ces commissions ont été effectivement réglées, la société devra s'en acquitter auprès de l'intéressé sous déduction toutefois d'un acompte de 10.000 F que Monsieur Arbomont reconnaît avoir perçu en juillet 1996.
Attendu qu'en revanche, le commissionnement n'est pas dû pour les affaires Rousseau, Cantaloube, Marcheschi et Armandy qui ne paraissent pas avoir donné lieu à des ventes définitives et pour l'affaire Gelis conclue par la société Aix Plus.
Attendu que Monsieur Arbomont sera débouté du surplus de ses demandes qui ne sont pas fondées.
Attendu qu'il n'y a pas lieu en équité compte tenu des circonstances de la cause de lui allouer la somme qu'il réclame au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
Par ces motifs : Confirme le jugement du conseil de prud'hommes d'Albi du 3 novembre 1997 en ce qu'il a constaté la violation par Monsieur Arbomont de ses obligations contractuelles. Déboute Monsieur Arbomont de sa demande de dommages-intérêts pour licenciement abusif. Réformant pour le surplus. Déboute la société Nature et Traditions de sa demande reconventionnelle. La condamne à payer à Monsieur Arbomont les commissions dues sur les affaires Galtier, Rodier, Bernard et Seguin sous déduction de l'acompte de 10.000 F versé en juillet 1996. Déboute Monsieur Arbomont de ses autres demandes, fins et conclusions. Déboute la société Nature et Traditions de sa demande tendant au bénéfice des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile. Fait masse des dépens qui seront supportés par moitié par chacune des parties.