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Décisions

CA Aix-en-Provence, 18e ch. soc. et civ., 29 juin 1999, n° 95-17120

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Boutigny

Défendeur :

Resistex (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Toulza

Conseillers :

Mme Baetsle, M. Fohlen

Avocats :

Mes Colombe, Chemla.

Cons. prud'h. Nice, du 22 juin 1995

22 juin 1995

EXPOSE DU LITIGE

Par jugement du 22 juin 1995, le Conseil de Prud'hommes de Nice a débouté Paul Boutigny de sa demande de résolution judiciaire du contrat de travail de représentant exclusif le liant à la SA Resistex depuis le 10 novembre 1970 en considérant qu'il ne démontrait pas l'inexécution par l'employeur de ses obligations contractuelles.

Appelant de cette décision, M. Boutigny qui depuis lors a pris sa retraite le 31 mai 1996 expose :

- qu'en transférant sans son accord une partie de son secteur à une société Balitrand, l'employeur lui a fait une concurrence déloyale, l'a empêché de mener à bien sa mission de prospection, a violé son exclusivité et a modifié son contrat de travail ; que ce comportement constitutif de faute grave a entraîné une baisse de 50 % de son chiffre d'affaires et de sa rémunération, et l'a poussé à demander sa mise à la retraite ;

- que lui est due en vertu de l'accord national des VRP la contrepartie financière de la clause de non-concurrence prévue au contrat, applicable même en cas de départ à la retraite et sans avoir à démontrer un préjudice dès lors que cette clause a été respectée ;

- qu'il remplit les conditions d'attribution de l'indemnité de clientèle, ayant apporté et fidélisé sa propre clientèle et la baisse depuis 1990 de son chiffre d'affaires n'étant imputable qu'à la concurrence de son employeur ;

- qu'il a droit : à une commission sur toutes les commandes enregistrées dans son secteur et donc celle enregistrée par la société Balitrand ; à un réajustement motivé par la réduction unilatérale par son employeur du taux de commissionnement contractuel ; aux commissions correspondant à des commandes acceptées mais incomplètement livrées ; à celles retenues illégalement sur factures impayées sans démonstration d'une faute de sa part ;

- que la concurrence Balitrand a eu pour conséquence une baisse de ses commissions qui a entraîné une perte importante de points de retraite, un préjudice financier dû au manque à gagner, et un fort préjudice moral.

Il réclame en conséquence l'infirmation du jugement et le paiement des sommes suivantes :

- 45.652 F à titre de contrepartie financière de clause de non-concurrence ;

- 1.711.753 F à titre d'indemnité de clientèle ;

- 20.656 F à titre de commissions non perçues sur vente (facture Balitrand) ;

- 2.231.449 F à titre de réajustement de commissions (sous-commissionnement) ;

- 185.099 F à titre de commissions sur commandes incomplètement livrées ;

- 36.525 F à titre de commissions sur factures impayées ;

- 237.000 F pour perte de points de retraite ;

- 11.009.400 F pour préjudice financier à la suite de l'implantation Balitrand ;

- 600.000 F pour préjudice moral ;

- 50.000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC.

L'employeur demande à la cour de constater que l'appel n'a pas été soutenu dans les délais impartis et subsidiairement :

- de constater que de son propre aveu ses demandes initiales sont devenues sans objet, de déclarer irrecevables ses demandes nouvelles sans lien avec l'objet du débat de première instance puisqu'elles fondées non sur une rupture du contrat par résolution judiciaire ou licenciement mais sur son départ à la retraite volontaire, et de le renvoyer devant le premier juge en vertu du double degré de juridiction ;

- de constater qu'il a accepté les sommes résultant de son départ à la retraite par lettre du 17 juillet 1996 non remise en cause depuis et valant quittance définitive, de sorte que sont irrecevables ses demandes de contrepartie financière de clause de non-concurrence, d'indemnité de clientèle, de dommages-intérêts et de points de retraite ;

Plus subsidiairement encore

- qu'il n'a pas attribué à M. Boutigny un secteur géographique mais un secteur constitué par une liste de clients remise lors de l'embauche ;

- que la possibilité de livrer des surfaces moyennes ou grandes comme Balitrand qui vendent au grand public répondait à une nécessité commerciale et était prévue à l'article 9 du contrat de travail; que politique était approuvée par M. Boutigny et lui bénéficiait puisqu'elle n'amputait pas sa liste de clients et qu'il était commissionné sur l'ensemble des produits facturés à Balitrand ; qu'il ne justifie pas d'une seule commande qui lui ait échappé du fait d'une théorique prospection par Balitrand ;

- que le chiffre d'affaires de M. Boutigny a baissé de 50 % en 4 ans par suite de la diminution de son activité à l'approche de la retraite, ce qui caractérise une insuffisance de résultats et une perte de clientèle par rapport à celle qui lui avait été confiée ; qu'il n'a donc ni apporté, ni développé la clientèle ; que l'indemnité spéciale de départ à la retraite s'est substituée à l'indemnité de clientèle; que son départ à la retraite volontaire exclut cette indemnité ;

- que la contrepartie financière de clause de non-concurrence est réduite de moitié en cas de démission à laquelle s'assimile un départ volontaire; qu'il n'y a pas droit du fait du non-respect de cette clause ; qu'en outre cette indemnité était comprise dans son salaire forfaitaire et lui a été réglée ;

- sur les commissions : qu'il ne devrait pas avoir droit à commission sur la commande Balitrand car non réalisée par lui et s'ajoutant à son secteur, et qu'en toutes hypothèses elle ne pourrait être que de 3,50 % du fait de la remise accordée à ce client ; que sa demande en réajustement occulte la clause contractuelle prévoyant la baisse du taux en cas de prix inférieurs au tarif et qu'au surplus le chiffre qu'il réclame est fantaisiste et dépourvu de justification ; qu'enfin, il résulte du contrat qu'il n'était commissionné que sur les ordres menés à bien.

Il demande à la cour de le débouter de toutes ses réclamations et de le condamner à lui payer les sommes de 30.000 F pour procédure abusive et de 30.000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

MOTIVATION

SUR LA RECEVABILITÉ DE L'APPEL

Attendu que la procédure sans représentation obligatoire applicable en matière prud'homale étant orale en vertu des articles R. 516-6 et R. 516-7 du Code du Travail, l'appel est valablement soutenu dès lors que l'appelant comparaît à l'audience en personne ou par un avocat ou par un délégué syndical dûment représenté ; que dans le cadre de cette procédure, la fixation de délais pour conclure n'a la valeur que d'une simple recommandation dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice et n'a pas de caractère obligatoire, les parties ayant la faculté de déposer des conclusions même à la barre ;

SUR LA RECEVABILITÉ DES DEMANDES NOUVELLES

Attendu que selon les dispositions de l'article R. 516-2 alinéa 1er du Code du Travail, les demandes nouvelles dérivant du même contrat de travail sont recevables en tout état de cause, même en appel, sans que puisse être opposée l'absence de tentative de conciliation ;

Attendu que ces dispositions, qui sont spécifiques au contentieux prud'homal et dérogent à celles des articles 564 et 565 du Nouveau Code de Procédure Civile, prévoient comme seule condition à la recevabilité des demandes nouvelles en appel, le fait qu'elles doivent nécessairement dériver du même contrat de travail ;

Or attendu qu'il ne peut être sérieusement contesté que celles présentées en appel par M. Boutigny (contrepartie financière de clause de non-concurrence, indemnité de clientèle, préjudices fondés sur la rupture du contrat du fait de son départ à la retraite), dérivent du même contrat de travail que ses demandes de première instance ; que ce moyen n'est donc pas pertinent ;

SUR LA RECEVABILITÉ DES DEMANDES LIÉES AU DÉPART À LA RETRAITE AU REGARD DE LA LETTRE DU 17 JUILLET 1996

Attendu que la lettre adressée à l'employeur par M. Boutigny le 17 juillet 1996 et se bornant à confirmer avoir reçu un chèque de 46.547,70 F à titre de décompte de départ à la retraite ne constitue pas un reçu pour solde de tout compte et ne peut s'interpréter comme un acquiescement valant renonciation à en contester le montant ; que ce moyen n'est donc pas davantage fondé ;

SUR LA DEMANDE DE DOMMAGES-INTÉRÊTS POUR PRÉJUDICE MORAL ET FINANCIER

Attendu qu'il résulte du contrat de travail conclu le 26 février 1991 que le secteur de M. Boutigny consistait en une clientèle attribuée par l'employeur qui lui en avait remis la liste nominative; qu'il percevait une commission de 10 % sur toutes les commandes directes et indirectes prises dans ce secteur, due pour toutes les affaires facturées au prix du tarif et menées à bonne fin et portée à 12,3 % lorsque les objectifs mensuels étaient atteints ; que l'employeur s'était réservé cependant la possibilité de vendre à des conditions inférieures au tarif et de payer en ce cas à M. Boutigny une rémunération inférieure en commission et éventuellement en prime ;

Attendu que le salarié reproche en substance à la société Resistex d'avoir mis en place un réseau de vente concurrent en vendant ses produits de marque avec une remise de 25 % à un distributeur, la société Balitrand, qui prospectait ensuite systématiquement les magasins traditionnels constituant son secteur et leur revendait les produits à un prix inférieur au sien, ce qui l'empêchait de mener à bien sa prospection et entraînait une baisse de ses résultats et de sa rémunération;

Attendu que ce grief ne peut être justifié ; que dans la mesure où la société Balitrand ne faisait pas elle-même partie de la clientèle de M. Boutigny, rien n'interdisant en ce cas à cette société de distribuer à son tour les produits à ses propres clients ;

Or attendu qu'il résulte des pièces produites qu'en dépit de ses réticences initiales M. Boutigny a accepté d'intégrer cette société dans son secteur de clientèle, ce dont témoigne de manière non équivoque l'activité régulière qu'il a développée auprès de ce client en prenant ses commandes et en assurant leur suivi (cf. notamment notes du 8 janvier 1992, 12 janvier 1992, 11 décembre 1991, bons de commande, comptes-rendus d'activités) ; qu'il a au demeurant toujours été commissionné sur les ordres directs et indirects passés par cette société auprès de Resistex;

Attendu qu'en présence de ces éléments objectifs, il ne rapporte pas la preuve que l'employeur a manqué à ses obligations contractuelles et sera en conséquence débouté de sa demande de dommages-intérêts pour préjudice financier et moral;

Attendu que de même il sera débouté de sa demande présentée pour perte de points de retraite, exclusivement fondée sur le moyen tiré de la prétendue concurrence de la société Balitrand ;

SUR L'INDEMNITÉ DE CLIENTÈLE

Attendu que le salarié a pris l'initiative de son départ à la retraite et a perçu en outre l'indemnité de départ en retraite non cumulable avec une indemnité de clientèle; que dès lors cette indemnité n'est pas due;

SUR LA CONTREPARTIE PÉCUNIAIRE DE CLAUSE DE NON-CONCURRENCE

Attendu que la contrepartie pécuniaire de la clause de non-concurrence prévue par l'article 17 de l'accord national interprofessionnel des voyageurs représentants placiers du 3 octobre 1975 est due quel que soit le mode de rupture du contrat de travail, son montant étant seulement diminué de moitié en cas de démission; que le départ volontaire du salarié en retraite constitue un mode de résiliation de son fait, assimilable à une démission;

Attendu que l'employeur ne rapporte pas la preuve que M. Boutigny n'a pas respecté après son départ cette clause, la seule attestation non circonstanciée de M. Fienoglio étant insuffisamment probante en l'absence de tout autre élément; qu'aucun élément objectif ne permet de supposer que cette indemnité a été incluse dans son salaire ;

Attendu que dès lors il lui paiera une indemnité réduite de moitié, soit au vu de ses bulletins de paie et en application des dispositions conventionnelles la somme de 20.439 F ;

SUR LES COMMISSIONS

Attendu que les demandes du salarié en paiement de commissions sur des affaires pour lesquelles il a été commissionné à taux réduit et sur les commandes qui n'ont pas donné lieu à une livraison complète ou à un paiement intégral ne sont pas justifiées, dès lors que le contrat de travail qui prévoyait ces situations permettait de réduire le taux de commissionnement lorsque les ventes étaient conclues au-dessous du tarif et stipulait que les commissions n'étaient dues que sur celles qui étaient menées à bonne fin ;

Attendu qu'en revanche l'employeur ne peut lui refuser le paiement d'une commission pour la première commande prise auprès de Balitrand le 7 juin 1990 pour un montant de 130.690 F au prétexte qu'il s'agit de la commande initiale prise alors que cette société ne faisait pas encore partie de son secteur, alors que précisément c'est à l'occasion de cet ordre que cette société a été ajoutée à la liste de ses clients et que le contrat de travail doit être exécuté de bonne foi; que compte tenu du tarif préférentiel consenti au client, M. Boutigny peut prétendre, sur la base d'un taux de 5,30 % habituellement pratiqué en ce cas, à une commission de 6.926 F ;

Attendu que succombant même partiellement, l'employeur lui paiera en équité la somme de 3.000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, sera débouté de sa demande reconventionnelle, et supportera les dépens ;

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement, et en matière prud'homale : Réforme le jugement déféré et, statuant à nouveau sur le tout pour une meilleure compréhension, condamne la SA Resistex à payer à Paul Boutigny les sommes suivantes : 20.439 F (3.115,91 euros) à titre de contrepartie pécuniaire de clause de non-concurrence ; 6.926 F (1.055,86 euros) à titre de rappel de commissions ; 3.000 F (457,35 euros) sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile. Déboute le salarié du surplus de ses demandes, et l'employeur de sa demande reconventionnelle ; Condamne l'employeur aux dépens de première instance et d'appel.