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Décisions

CA Douai, ch. soc. B, 30 septembre 1998, n° 96-08778

DOUAI

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Thiers

Défendeur :

Selecta France (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Morel

Conseillers :

MM. Guilbert, Lebrun

Avocats :

Mes Saudemont, Doutriaux.

Cons. prud'h. Cambrai, du 12 sept. 1996

12 septembre 1996

FAITS ET PROCÉDURE

Par jugement des 21 mars, 12 septembre et 19 décembre 1996, auxquels la Cour se réfère pour l'exposé des faits, prétentions, moyens et motifs, le Conseil de Prud'hommes de Cambrai a dit le licenciement de Monsieur André Thiers fondé sur une faute grave ; il l'a débouté de ses demandes mais dit qu'il avait droit aux commissions sur ordres indirects ; il a condamné la SARL Selecta France à lui payer de ce chef la somme de 61.809,11 F ;

Au soutien de son appel, Monsieur André Thiers fait valoir qu'une commission est due dès passation d'un ordre ; quelle qu'en ait été la suite ; en conséquence, il se considère créancier d'un solde de 469.714,83 F plus 46.971,48 F de congés payés ;

Il demande aussi de voir déclarer son licenciement sans cause réelle et sérieuse, son départ de mai 1995 ayant été provoqué par la SARL Selecta, qui ne lui avait pas payé les commissions précitées ; il requiert condamnation de son ex-employeur à lui payer 639.359,04 F d'indemnité de clientèle, 62.882,55 F d'indemnité de préavis et 6.288,25 F de congés payés y afférents, outre 5.000 F en vertu de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

La SARL Selecta conclut à la confirmation du jugement en ce qui concerne la cause du licenciement en soutenant que Monsieur Thiers a commis une faute grave en cessant tout travail à partir de décembre 1994 ;

Elle conclut à l'infirmation du jugement en ce qui concerne les commissions en faisant valoir que toutes ont été payées ;

Elle demande reconventionnellement 200.000 F de dommages-intérêts et 30.000 F en vertu de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

Attendu qu'il convient pour une bonne administration de la justice d'ordonner la jonction des procédures inscrites au répertoire général de la cour sous les numéros 96-08778 et 97-00755 ;

SUR LES COMMISSIONS

Attendu que la SARL Selecta embauchait M. André Thiers le 28 octobre 1991 par contrat à durée indéterminée de retour à l'emploi en tant que VRP ; que l'article VIII précisait les modalités de la rémunération au-delà d'un minimum mensuel garanti de 6.000 F ;

Attendu que la convention s'est exécutée sans incident ni réclamation pendant trois ans jusqu'à la fin de 1994 ;

Attendu que Monsieur André Thiers a brusquement cessé tout travail vers la mi-décembre 1994, sa dernière affaire ayant été conclue le 8 de ce mois ;

Attendu que dans une lettre adressée à la SARL Selecta le 5 février 1995, il ne faisait nullement état d'un solde de commissions de plus de 400.000 F, qui lui serait dû ; qu'il n'abordait pas davantage la question dans une lettre du 5 mars 1995 ;

Attendu qu'il demandait brusquement la somme de 471.704,33 F par courrier du 8 mars 1995 ;

Attendu qu'il y joignait un relevé de 32 commandes passées depuis octobre 1991, qu'il avait établi ;

Attendu que cette pièce unilatérale n'est corroborée par aucun élément ;

Attendu que Monsieur Thiers n'apporte donc pas la preuve, qui lui incombe en vertu de l'article 1315 du Code Civil ;

Qu'en conséquence sa demande sera rejetée ;

SUR LE LICENCIEMENT

Attendu que la faute grave résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié, qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail, d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise même pendant la durée limitée du préavis sans risque de compromettre les intérêts légitimes de l'employeur ;

Attendu que la SARL Selecta licenciait Monsieur André Thiers par lettre recommandée du 7 juin 1995 ainsi libellée :

"Suite à l'entretien que nous avons eu le 1er juin 1995 et après réflexion, nous sommes obligés de mettre un terme à votre contrat et ce, à effet immédiat.

Nous vous citons, ci-après, les raisons de notre décision.

1. Livre de visite

Par notre mise en demeure du 6 avril 1995, nous vous avons demandé de nous faire parvenir vos comptes-rendus d'activité conformément au contrat qui vous lie avec nous.

Par notre lettre du 24 avril 1995, nous vous avons, à nouveau, demandé de nous adresser vos comptes-rendus d'activité comme stipulé dans votre contrat de travail. Lors de votre visite en nos locaux en date du 4 mai 1995, nous vous avons demandé, à nouveau, de nous présenter le livre de visites tel que stipulé dans votre contrat.

Par courrier du 10 mai 1995, nous avons réitéré notre demande de nous présenter des rapports de visite. Nous n'avons toujours rien reçu à ce jour à l'exception d'un listing d'adresses que vous prétendez avoir visité pendant la période du 10 au 15 avril 1995.

Au cours de l'entretien du 1er juin 1995, nous vous avons demandé à nouveau de nous présenter le livre des visites suivant le contrat qui nous lie.

Votre réponse était très claire : Je n'ai pas besoin de tenir votre "fameux" livre des visites, je ne suis pas un collectionneur de cartes de visites.

Tout ceci veut dire qu'à ce jour, nous sommes sans aucun rapport de visites ou copie du livre de visites qui prouve que vous étiez en prospection active de nouveaux et futurs clients Selecta sur le terrain. Aucun bon de commande de nouveaux clients ne nous est parvenu durant les mois de janvier, février, mars, avril et mai à l'exception de la commande Grard du 2 mai 1995 mais qui est le résultat d'une prospection et d'une offre écrite du mois de septembre 1994.

Nous avons payé votre salaire mais n'avons aucun justificatif que vous avez effectivement travaillé.

2. Absence de nouvelles commandes

Pendant les mois de janvier, février, mars, avril et mai 1995, nous n'avons pas enregistré une commande nouveaux clients sauf l'affaire mentionnée ci-dessus mais qui ne provient pas d'une prospection de futurs clients durant la période de janvier à mai 95.

Ce deuxième grief est distinct du précédent; mais il en constitue indiscutablement la preuve et l'illustration puisqu'à lui seul, il permet d'avoir la certitude de l'absence de tout travail effectif et de prospection véritable depuis plus de cinq mois.

3. Présence au travail

Lors de notre entretien du 4 mai 1995 et par notre courrier du 10 mai 1995, nous avons demandé à ce que vous effectuiez votre travail contractuel, demande que nous avons reformulée lors de notre entretien du 1er Juin 1995.

Vous avez déclaré ne pas avoir travaillé pour nous au cours de la période du 4 mai 1995 au 1er juin 1995 et que nous n'aviez pas l'intention de reprendre votre activité contractuelle avec nous.

En tout état de cause, cette absence injustifiée, malgré les mises en demeure qui vous ont été adressées, constitue indiscutablement un abandon de poste pur et simple et caractérisé, d'autant que nous dénions absolument être à l'origine de la rupture du contrat qui nous lie, toutes précisions vous ayant été données sur ce point dans notre dernière correspondance.

Ces faits indiscutablement prouvés constituent une faute grave, répétée malgré mises en demeure.

C'est la raison pour laquelle nous sommes contraints de procéder à votre licenciement pour faute grave privative de toutes indemnités".

Attendu qu'il ressort de correspondances échangées depuis février 1995 que la SARL Selecta connaissait déjà les manquements reprochés à M. Thiers ;

Attendu qu'en ne sanctionnant pas immédiatement, dès qu'il en a une connaissance complète, la faute commise par le salarié par une mesure de licenciement, dans le respect des règles de procédure, l'employeur manifeste qu'il ne tient pas l'agissement reproché comme présentant le caractère d'une faute grave ;

Attendu que les faits sont prouvés, puisque Monsieur Thiers n'avait réalisé aucune affaire après le 8 décembre 1994 ni davantage rendu compte de son activité à la SARL Selecta ;

Attendu que Monsieur Thiers a dans une lettre du 4 mai 1995 clairement manifesté son désir de cesser tout travail au profit de son employeur ;

Attendu qu'au vu des éléments analysés ci-dessus, la Cour estime que, contrairement à l'avis des premiers juges, le licenciement n'est pas fondé sur une faute grave mais présente une cause réelle et sérieuse ;

Qu'il convient de réformer la décision déférée en ce sens ;

SUR L'INDEMNITÉ DE CLIENTÈLE

Attendu qu'aux termes des dispositions de l'article L. 751-9 du Code du Travail en cas de résiliation d'un contrat à durée indéterminée par le fait de l'employeur et lorsque cette résiliation n'est pas provoquée par une faute grave de l'employé, ainsi que dans le cas de cessation du contrat par suite d'accident ou de maladie entraînant une incapacité permanente totale de travail de l'employé, celui ci a droit à une indemnité pour la part qui lui revient personnellement dans l'importance en nombre et en valeur de la clientèle apportée, créée ou développée par lui, compte tenu des rémunérations spéciales accordées en cours de contrat pour le même objet ainsi que des diminutions qui pourraient être constatées dans la clientèle préexistante et provenant du fait de l'employé ;

Attendu que Monsieur Thiers verse au soutien de sa demande des photocopies de commandes passées pendant l'exécution du contrat;

Attendu qu'il s'agit d'une série de transactions uniques;

Attendu qu'il ne prouve ni des relations renouvelées basées sur la fidélité et un courant d'affaires ni son apport personnel des clients;

Attendu qu'il s'avère donc mal fondé en sa demande;

SUR L'INDEMNITÉ DE PRÉAVIS ET LES CONGÉS PAYÉS Y AFFÉRENTS

Attendu que Monsieur Thiers avait cessé de fait tout travail pour son employeur en décembre 1994 ;

Attendu qu'il ne peut dès lors prétendre à une indemnité de préavis et aux congés payés s'y rattachant ;

SUR LA DEMANDE DE LA SARL SELECTA

Attendu qu'elle ne peut prétendre à des dommages-intérêts en l'absence de faute lourde de son employé ;

SUR LES DEMANDES D'INDEMNITÉ AU TITRE DE L'ARTICLE 700 DU NOUVEAU CODE DE PROCÉDURE CIVILE FORMULÉES PAR LES PARTIES

Attendu qu'il ne paraît pas inéquitable de laisser à la charge des parties les frais exposés par elles et non compris dans les dépens ;

Qu'il convient de les débouter de leur demande respective formulée pour l'ensemble de la procédure au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

Par ces motifs, Ordonne la jonction des procédures inscrites au répertoire général de la Cour sous les numéros 96-08778 et 97-00755 : Infirme la décision déférée en toutes ses dispositions ; Statuant à nouveau ; Dit le licenciement non fondé pour faute grave mais pour cause réelle et sérieuse ; Déboute Monsieur André Thiers de toutes ses demandes ; Déboute la SARL Selecta de sa demande de dommages-intérêts ; Déboute les parties de leur demande respective d'indemnité au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ; Condamne la partie appelante aux dépens de première instance et d'appel.