CA Douai, ch. soc., 31 mars 1999, n° 95-10097
DOUAI
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Duriez
Défendeur :
Montecolino (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Tredez
Conseillers :
MM. Debonne, Delon
Avocats :
Mes Deleurence, Obadia.
Attendu que par jugement en date du 6 octobre 1995, le Conseil des Prud'hommes de Lille section encadrement a :
- dit que la rupture du contrat de travail de Monsieur Alain Duriez est fondée sur une faute grave privative de l'indemnité compensatrice de préavis et de l'indemnité de clientèle ;
- condamné la société Montecolino à payer à Monsieur Alain Duriez les sommes suivantes :
* 1 F de dommages et intérêts pour non-respect de la procédure de licenciement ;
* 25.670,70 F à titre de retour sur échantillonnage et congés payés y afférents avec intérêt légal à compter de la citation en justice ;
- ordonné à la société Montecolino de remettre à Monsieur Alain Duriez un certificat de travail rectifié et a confirmé la date de fin de contrat de travail au 31 juillet 1994 ;
- débouté Monsieur Alain Duriez du surplus de ses demandes ;
- condamné les parties aux dépens par moitié ;
Attendu que Monsieur Alain Duriez a interjeté appel de cette décision le 24 octobre 1995 et demande à la Cour :
- de condamner la société Montecolino à lui payer :
* 35.100 F au titre du préavis ;
* 35.100 F au titre de retour sur échantillonnage ;
* 7.020 F à titre de congés payés sur préavis et sur retour sur échantillonnage ;
* 140.000 F à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans réelle et sérieuse ;
- de condamner la société Montecolino à la régularisation de sa situation vis-à-vis des organismes sociaux et à la remise d'un certificat de travail modifié, sous astreinte de 500 F par jour de retard ;
- de condamner la société Montecolino au paiement d'une somme de 10.000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;
- de la condamner en tous les frais et dépens ;
Attendu que Monsieur Alain Duriez fait valoir au soutien de ses demandes que :
- la démission ne se présumant pas, la société Montecolino ne peut prétendre que la rupture du contrat de travail doit s'analyser en une résiliation décidée unilatéralement par le salarié ;
Dès lors, il convient de dire la rupture imputable à l'employeur ;
- l'invocation d'une faute grave entraîne obligatoirement l'obligation pour l'employeur de démontrer ladite faute ;
Dans son courrier en date du 13 juillet 1994, la société Montecolino a montré qu'elle ne désirait pas rendre la rupture immédiate puisqu'elle écrit : "nous vous demandons dans un premier temps de cesser toute activité pour cette carte" ;
Son activité antérieure pour la société Sanderson était dès lors connue de son employeur et donc acceptée par ce dernier ;
- les différentes cartes professionnelles en sa possession n'étaient nullement concurrentes mais bien complémentaires ;
En tout état de cause, il appartient à l'employeur de démontrer cette prétendue concurrence ;
- le fait qu'il exerçait sur ces deux cartes depuis plus de trois ans démontre bien qu'aucune situation de concurrence n'existait, bien plus, c'est bien une complémentarité qui existait de fait entre ces deux cartes ;
Attendu que la société Montecolino demande de son côté à la Cour :
- de confirmer le jugement entrepris,
- de débouter Monsieur Duriez de l'ensemble de ses demandes,
- de dire recevable et bien-fondé sa demande reconventionnelle;
En conséquence ;
- de condamner Monsieur Duriez à lui payer les sommes suivantes :
* 2.627,26 F correspondants à la part salariale des charges sociales de Sécurité Sociale (6,90 %) et à la cotisation vieillesse (6,55 % sur la base du plafond octobre 1995, soit 13.060 F), due sur l'indemnité de retour sur échantillonnage ;
* 2.270,92 F correspondants au montant des cotisations retraite (IRPVRP et IRREP) dues sur les commissions versées à Monsieur Duriez durant l'année 1994 ;
avec intérêts de droit à compter de l'arrêt ;
- de condamner Monsieur Duriez aux dépens ;
Attendu que la société Montecolino fait valoir au soutien de ses demandes que :
- elle n'a jamais été informée de ce que Monsieur Duriez détenait la carte de la société Sanderson qui exerçait la même activité qu'elle ;
- elle n'avait pas eu connaissance de ce fait à la date de signature du contrat de travail de Monsieur Duriez ;
- les résultats de Monsieur Duriez ne sont nullement en cause dans la décision de rompre son contrat de travail ;
- à défaut de clause d'interdiction insérée au contrat de travail, Monsieur Duriez était tenu par une obligation de loyauté et de fidélité à son égard en vertu de l'article L. 751-3 alinéa 2 du Code du Travail ;
- la renonciation de l'employeur à ces obligations qui lui sont dues ne se présume pas ;
- la Cour de Cassation est venue préciser qu'il y avait faute grave lorsque les produits bien que non directement concurrentiels, étaient analogues ou similaires ou même destinés au même usage et intéressant la même clientèle ;
- Monsieur Duriez n'a jamais eu l'autorisation d'exercer sous la carte Sanderson et il était dès lors impossible pour la société d'avoir connaissance de cette représentation ;
- il ne fait aucun doute que les produits de la société Montecolino et Sanderson étaient concurrents ;
- quand bien même la lettre du 25 juillet 1994, par laquelle la société Montecolino prenait acte de la démission du salarié, devrait être considérée comme étant une lettre de licenciement, il conviendrait de dire que cette lettre répond aux exigences de l'article L. 122-14-2 du Code du Travail ;
- en application de la jurisprudence constante de la Cour de Cassation, il convient de dire que la faute de Monsieur Duriez revêt un caractère de gravité suffisant ;
- la rémunération de Monsieur Duriez s'élevait en fait à 7.776 F et non à 11.500 F comme il le prétend ;
- l'indemnité de retour sur échantillonnage a déjà été versée à Monsieur Duriez le 20 octobre 1995 de même que les congés payés y afférents ;
SUR CE
Attendu que Monsieur Duriez a été embauché par la société Montecolino en qualité de VRP multicartes par contrat en date du 2 mai 1989 ; que cette société a pour activité la commercialisation de revêtements muraux auprès de grossistes et détaillants ;
Attendu que l'article 12 du contrat de travail, visait les différentes autres cartes dont Monsieur Duriez était détenteur à la date de la signature du contrat, à savoir, Besmer France, Hellemann, Rougier Pie et Elitis ;
Qu'au terme de ce même article, il est précisé: "Pour la durée du présent contrat, le représentant s'engage à ne pas représenter des maisons vendant des articles susceptibles de concurrencer ceux confiés à la vente par les présentes" ;
Attendu que par un courrier recommandé et en date du 13 juillet 1994, l'employeur faisait remarquer à Monsieur Duriez qu'il comptait dans son portefeuille la carte de la société Sanderson et ce, sans en avoir sollicité l'accord préalable, conformément à l'article 12 de son contrat de travail ;
Que par ce même courrier, la société Montecolino demandait à son salarié de cesser son activité au sein de la société Sanderson ;
Que le salarié répondait le 18 juillet que les produits Sanderson étaient les tissus d'ameublement coordonnés à du papier peint ;
Que par un courrier en date du 21 juillet 1994, l'employeur réitérait sa demande et faisait remarquer que ses propres produits comportaient des tissus d'ameublement ;
Attendu que par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 25 juillet 1994, Monsieur Duriez avisait son employeur qu'il ne considérait pas se trouver en situation de concurrence et précisait qu'il avait débuté cette activité pour le compte de la société Sanderson à compter du 1er mars 1991 ;
Attendu que le 25 juillet 1994, l'employeur adressait alors au salarié, la lettre recommandée suivante :
"Suite à votre lettre recommandée du 25 juillet 1994, nous prenons acte de votre décision de ne pas vous séparer de votre carte Sanderson.
En dehors des autres griefs qui vous sont reprochés : manque d'activité et défaut de rapports de visite ; cela constitue, de votre fait et à compter de ce jour une rupture unilatérale de votre contrat en fonction de l'article 12 de celui-ci".
Attendu que c'est dans ces conditions que Monsieur Duriez saisissait le Conseil des Prud'hommes de Lille le 13 septembre 1994 en vue d'obtenir le paiement de diverses indemnités et de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
SUR LES MOTIFS DE LA RUPTURE DU CONTRAT DE TRAVAIL
Attendu que contrairement à ce que prétend le salarié, l'employeur n'a nullement invoqué une démission mais un manquement grave du salarié à ses obligations contractuelles entraînant de ce fait une rupture unilatérale du contrat de travail ;
Attendu que l'article 12 du contrat de travail liant Monsieur Duriez à la société Montecolino dispose : "pour la durée du présent contrat, le représentant s'engage ne pas représenter des maisons vendant des articles susceptibles de concurrencer ceux confiés à la vente par les présentes";
Attendu que l'article L. 751-3 alinéa 2 du Code du Travail précise que : "lorsque les contrats de représentant ne contiennent pas de clause d'interdiction, ils doivent, à moins que les parties n'y renoncent par stipulations expresses, contenir s'il y a lieu, la déclaration des maisons que les VRP représentent déjà et l'engagement de ne pas prendre en cours de contrat de nouvelles représentations sans autorisation préalable de l'employeur";
Attendu qu'il ressort de ces dispositions et en l'absence de dispositions contractuelles contraires, que Monsieur Duriez était lié à son employeur par une obligation de loyauté et de fidélité;
Que seules les cartes des sociétés mentionnées au contrat de travail pouvaient donc faire l'objet d'une représentation de la part de Monsieur Duriez;
Que la société Sanderson ne figurait pas dans cette liste ;
Attendu qu'il ressort des différents documents apportés au débat, notamment des échantillons et plaquettes publicitaires, que les produits commercialisés par la société Sanderson étaient sans aucun doute en concurrence directe de ceux commercialisés par la société Montecolino, qu'ils étaient destinés au même usage et intéressaient la même clientèle;
Qu'en décidant d'exercer sous la carte Sanderson en dépit de ces constatations, Monsieur Duriez a violé ses obligations contractuelles;
Attendu en outre, qu'il n'est aucunement fait la démonstration que la société Montecolino aurait expressément ou tacitement accepté cette représentation ;
Que bien que mis en demeure par son employeur dans un courrier en date du 13 juillet 1994 et réitéré le 21 juillet 1994 de cesser toute activité pour la société Sanderson, Monsieur Duriez n'a pas cru bon devoir accéder à ces demandes;
Que bien plus, il a notifié son refus par courrier en date du 25 juillet 1994 ;
Attendu qu'il ressort de l'ensemble de ces éléments que l'attitude de Monsieur Duriez face à son employeur est constitutive d'un non-respect des obligations essentielles de son contrat travail, et par le même d'une faute grave, liée à son insubordination et justifiant la rupture immédiate de la relation contractuelle;
Qu'il convient donc de dire, conformément à la décision des premiers juges, que la rupture du contrat de travail liant Monsieur Duriez à la société Montecolino doit être requalifié en licenciement pour faute gravepeu important les bons ou mauvais résultats de Monsieur Duriez en termes financiers ;
Que par conséquent, il convient de débouter ce dernier de ses demandes au titre des indemnités compensatrices du préavis, congés payés sur préavis, et au titre des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
SUR LA DEMANDE AU TITRE DU RETOUR SUR ÉCHANTILLONNAGE ET REMISE D'UN CERTIFICAT DE TRAVAIL
Attendu qu'il est prévu au terme de l'article 16 du contrat de travail de Monsieur Duriez que les commissions sont acquises sur tous les ordres directs ou indirects ;
Qu'en conséquence l'article L. 751-8 du Code du Travail est applicable en l'espèce ;
Attendu qu'il ressort des éléments et pièces versés au débat que Monsieur Duriez a perçu une rémunération brute mensuelle moyenne pendant les douze derniers mois d'activité à hauteur de 7.779 F bruts ;
Qu'il convient donc, conformément à la décision des premiers juges de faire droit à sa demande au titre des commissions de retour sur échantillonnage pour une période de trois mois ;
Attendu toutefois qu'il ressort des pièces produites (courrier de Me Obadia en date du 24 octobre 1995 joignant le certificat de travail et la photocopie du chèque BICS n° 8711150 établi le 20 octobre 1995 au bénéfice de Monsieur Duriez et pour un montant de 25.670,70 F) que Monsieur Duriez a bien reçu paiement de ces commissions ainsi que son certificat de travail ;
Qu'en l'absence d'élément nouveaux et pertinents permettant de contredire les sommes versées, il y a lieu de constater que Monsieur Duriez a été rempli de ses droits et de le débouter de ses demandes à ce titre ;
Que la décision déférée sera réformée en ce sens ;
SUR LA DEMANDE RECONVENTIONNELLE DE LA SA MONTECOLINO
Attendu qu'il est établi que M. Duriez a perçu la somme de 25.670 F brut au titre de l'indemnité de retour sur échantillonnages, ce qui représente un trop perçu de 2.627,26 F correspondant à la part salariale des charges sociales de sécurité sociale (6,90 %) et à la cotisation vieillesse (6,55 % sur la base du plafond d'octobre 1995, soit 13.060 F) ;
Que l'employeur est donc bien fondé en sa demande en paiement de ladite somme; qu'il convient d'y faire droit ;
Que de même, l'employeur est bien fondé à solliciter le paiement de la somme de 2.270,92 F correspondant au montant des cotisations retraites concernant Monsieur Duriez pour l'année 1994, qu'il a payées sans pouvoir les imputer sur les commissions dues au salarié compte tenu de l'interruption du contrat de travail ; qu'il convient d'y faire droit ;
SUR LES INTÉRÊTS
Attendu que conformément aux dispositions des articles 1153 et 1153-1 du Code civil les condamnations prononcées emportent intérêts au taux légal à compter de la présente décision ;
Attendu qu'il ne paraît pas inéquitable de laisser à la charge de la partie appelante les frais exposés pour sa défense et non compris dans les dépens ;
Qu'il convient de rejeter sa demande d'indemnité formulée pour l'ensemble de la procédure au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;
Par ces motifs, Statuant par dispositions nouvelles, tant confirmatives que réformatives et supplétives ; Dit que la rupture du contrat de travail s'analyse en un licenciement pour faute grave ; Déboute Monsieur Duriez Alain de l'ensemble de ses demandes ; Condamne Monsieur Duriez Alain à payer la société Montecolino les sommes suivantes : 2.627,26 F (Deux Mille Six Cent Vingt Sept Francs Vingt Six Cts) correspondant à la part salariale des charges sociales de Sécurité Sociale et à la cotisation vieillesse due sur l'indemnité de retour sur échantillonnages ; 2.270,92 F (Deux Mille Deux Cent Soixante Dix Francs Quatre Vingt Douze Cts) correspondant au montant des cotisations retraites (IRPVRP et IRREP) dues sur les commissions versées à Monsieur Duriez durant l'année 1994 ; Précise que les condamnations prononcées emportent intérêts au taux légal à compter de la présente décision ; Déboute la partie appelante de sa demande d'indemnité au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile pour l'ensemble de la procédure ; Condamne la partie appelante aux dépens de première instance et d'appel.