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Décisions

CA Toulouse, 4e ch. soc., 16 janvier 1998, n° 3033-96

TOULOUSE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Jolivet

Défendeur :

Agora Eks France (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Roger

Conseillers :

MM. Saint-Ramon, Rimour

Avocats :

Me Dehors, SCP Sabatte-Broom.

Cons. prud'h. Toulouse, du 19 avr. 1996

19 avril 1996

FAITS ET PROCEDURE

Jolivet Noël né le 25 décembre 1937 a été embauché le 17 juin 1988 en qualité de délégué commercial par la société Eks.

Son licenciement lui a été notifié le 28 décembre 1993.

Jolivet poursuit contre son ancien employeur la reconnaissance du statut de VRP avec l'indemnité de clientèle qui est attachée à ce statut, un rappel de rémunération d'indemnités kilométriques et une commission sur une affaire Matra.

Jolivet en cours de procédure a abandonné les contestations sur licenciement et le rappel de salaire tranchés par un jugement pris sous la présidence du juge départiteur le 1er juillet 1996.

Au soutien de son appel du jugement du 19 avril 1996 qui l'a débouté des trois demandes ci-dessus énumérées, Jolivet expose que la reconnaissance du statut de VRP est une question de pur fait et que le juge n'est pas lié par la qualification retenue par les parties au moment de la conclusion de l'engagement.

Jolivet affirme qu'il a travaillé sur un secteur géographique bien déterminé, ainsi qu'il en justifie ; il précise qu'il n'est sorti de ce secteur que sept fois durant les sept années de son emploi au service de la société Agora et que ses interventions, très exceptionnelles ne sauraient lui faire perdre le bénéfice de son secteur.

Il énumère les autres conditions du statut, indique qu'il visitait la clientèle, qu'il effectuait un travail de prospection, qu'il recherchait des commandes, faisait signer des contrats et s'abstenait de toute opération commerciale.

II s'explique sur ses conditions réelles d'activité, et notamment dans des conclusions responsives, fait valoir qu'il procédait lui-même dans de nombreux cas aux premières visites des clients et que c'est seulement après que l'entreprise établissait les fiches de visite dont elle se prévaut.

Il sollicite en conséquence l'indemnité de clientèle en faisant valoir que la société n'avait aucun client sur son secteur lorsqu'il est intervenu, indique que la rupture du contrat l'a privé du bénéfice de l'exploitation de cette clientèle qu'il avait créée et développée, affirme que le service rendu présentait un caractère parfaitement renouvelable ; qu'en effet il existe une prestation de base à laquelle peuvent venir s'ajouter des compléments ; il sollicite une indemnité de clientèle assise sur le total des commissions qu'il a perçues dont il a déduit l'indemnité de licenciement qui lui a été servie et 30 %, ce qui selon lui, lui permet de solliciter le bénéfice de cette indemnité à hauteur de 1.343.710,70 F avec intérêts au taux légal à compter de la saisine initiale du conseil de prud'hommes de Montauban.

Jolivet sollicite en outre un rappel de rémunération au titre des indemnités kilométriques ainsi qu'il l'avait déjà fait devant les premiers juges dans les mêmes termes ainsi que le bénéfice d'une commission au titre d'une affaire Matra sur laquelle il fournit toutes explications utiles.

Il sollicite en conséquence les sommes suivantes :

- rappel d'indemnités kilométriques : 13.436,52 F

- rappel commission Matra : 15.000 F

et demande enfin 10.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

La société Agora Eks France conteste l'application du statut de VRP et affirme que Jolivet se contentait de remplir ses fonctions de délégué commercial telles qu'elles sont définies par son contrat de travail ; l'employeur explique qu'il remettait à Jolivet des fiches concernant les clients à visiter ; il produit les fiches pré-établies par lui-même et par lesquelles la direction définissait à l'avance l'activité de son salarié ; il rappelle que ces fiches étaient suivies de l'établissement par le commercial d'un rapport de visite et qu'il ne saurait donc exister aucune ambiguïté quant à l'initiative des visites et au rôle exact de Jolivet.

La société Agora en déduit que selon une jurisprudence constante les vendeurs dont les visites sont imposées par l'employeur dans un cadre strict et suivant des fiches pré-établies ne peuvent prétendre au bénéfice du statut de VRP.

La société Agora explique qu'elle établissait la liste des clients à partir du bottin, que cette source était complétée par des listes provenant des chambres de commerce qu'elle demandait à ses différents délégués commerciaux d'acheter régionalement et qui leur auraient été remboursées.

La société Agora conteste en second lieu le secteur géographique précis qui aurait été attribué à monsieur Jolivet, affirme que ce secteur n'était pas limité strictement à une région précise mais qu'il est intervenu dans le Cher, la Corrèze, le Lot et la Côte d'Or.

Que cette absence de secteur suffirait à elle seule à empêcher l'application du statut de VRP.

S'agissant de l'indemnité de clientèle, la société Agora propose deux arguments à la réclamation de monsieur Jolivet ; elle fait valoir d'une part que la rupture est intervenue dans le cadre d'une convention FNE dans lequel la rupture est réputée rompue d'un commun accord et d'autre part que l'apport de clientèle implique un renouvellement des commandes et la stabilité des relations, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.

La société affirme en effet que le type de prestations offertes implique l'absence de renouvellement du contrat et de facturation de nouvelles prestations et plus généralement l'absence de gestion d'une clientèle existante.

S'agissant de l'indemnité kilométrique, l'employeur se fonde uniquement sur le libellé du contrat de Jolivet qui prévoyait des remboursements sur justificatifs pour le carburant utilisé ; la société conclut sur ce point à la confirmation du jugement entrepris.

S'agissant de la commission Matra, la société Agora affirme que c'est un autre contrat qui a finalement été signé avec la société Matra et en des termes différents de ceux négociés par monsieur Jolivet.

La société Agora Eks France forme un appel incident en paiement d'une somme de 25.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DECISION

1°) Sur le statut de VRP

Attendu que c'est à tort que la société Agora France affirme que "ce serait tout de même un comble" que les clauses du contrat de travail ne puissent être prises en considération.

Attendu en effet que c'est à juste titre que Noël Jolivet fait plaider que la qualification du contrat et l'attribution ou le refus de la qualité de VRP statutaire ne dépendent pas de la volonté des parties mais uniquement des modalités effectives d'exercice de la profession de représentant, peu important à ce titre la qualification donnée au VRP dans le contrat de son travail.

Attendu qu'en cas de contestation il convient de rechercher les conditions de travail réelles et effectives dans lesquelles le salarié exerce ses attributions et que le juge n'est effectivement lié en rien par la qualification donnée par l'employeur au salarié.

Attendu qu'en l'espèce la société Agora Eks France affirme que le salarié travaillait sur des fiches préparées à l'avance par l'entreprise et n'avait pas le libre choix des clients à prospecter.

Attendu que pour le prouver la société Agora Eks France produit 25 fiches dont elle déduit que Jolivet ne prospectait que sur des fiches de visite préalablement établies.

Attendu néanmoinsque sur les 25 exemples donnés par la société, qu'elle a choisis elle-même, dans neuf cas la visite de Jolivet dans les entreprises est antérieure aux fiches de visite établies par la société, ce qui démontre que comme il l'affirme il a été le premier en contact avec les entreprises, sept des fiches de visites ne portant aucune date et sept témoignant de visites postérieures aux fiches pré-établies.

Attendu en outre que lors d'une réunion du 14 mai 1990 il a été clairement indiqué aux commerciaux de prendre l'habitude quand ils vont à un rendez-vous, de faire le tour de la zone industrielle, de relever les noms avec un minimum de renseignements, l'entreprise essayant ensuite d'en trouver davantage sur le bottin.

Attendu qu'il résulte de cet ensemble de documents que Noël Jolivet se livrait à une véritable prospection, que la société ne démontre pas la subordination totale des commerciaux dans le choix des clients, puisque ceux-ci étaient trouvés sur des listes telles que le bottin ou établies par les chambres de commerce et que les visites étaient dictées par des soucis purement commerciaux.

Attendu que s'agissant du secteur, Noël Jolivet affirme avoir prospecté sur Midi-Pyrénées, Languedoc-Roussillon et Aquitaine; qu'effectivement par lettre du 20 novembre 1989 il a reçu une lettre ainsi libellée "votre secteur géographique d'activité occupé actuellement restera inchangé, sauf demande écrite soumise à notre approbation".

Attendu que cette phrase comporte en elle-même la preuve incontestable de l'existence d'un secteur géographique; que non seulement ce secteur existait mais encore que sa fixité était tellement ferme que pour en changer le salarié devait présenter une demande écrite à son employeur.

Attendu d'ailleurs qu'il résulte des documents produits que la plupart des contrats signés par Jolivet l'ont été dans ce secteur et que s'il a pu conclure quelques rares affaires en dehors avec l'accord de son employeur pour des motifs commerciaux évidents, ce fait ne saurait suffire à écarter l'existence bien réelle du secteur de Jolivet.

Attendu que le lien de subordination n'est pas exclusif du statut de VRP ; que d'ailleurs l'employeur ne se prévaut de ce défaut d'indépendance que pour contester la réalité de la prospection personnelle de Jolivet.

2°) Sur les conditions de l'indemnité de clientèle

Attendu que l'indemnité de clientèle est due quand le contrat est résilié par le fait de l'employeur.

Attendu qu'en l'espèce c'est bien lui qui a pris l'initiative de la ruptureet que l'employeur ne peut pas se prévaloir d'une rupture présumée d'un commun accord pour rejeter le principe même de l'allocation de l'indemnité.

Attendu, s'agissant de l'existence d'une clientèle et du renouvellement des commandes, que les contrats proposés présentent certaines varianteset que le même client peut être prospecté à plusieurs reprises pour que soit complété le service initialement convenu par les parties ou éventuellement pour que ce service puisse être proposé à d'autres filiales du même groupe.

Attendu qu'il résulte de cet ensemble d'arguments que l'indemnité de clientèle est bien due à Jolivet, la rupture l'ayant privé pour l'avenir du bénéfice de la clientèle qu'il avait lui-même créée, puisqu'il était le premier sur le secteur.

Attendu, sur le montant réclamé, que celui-ci est notoirement exagéré; que Jolivet ne saurait se fonder sur la totalité des commissions qu'il a perçues depuis son entrée dans la société pour établir le montant de cette indemnité; qu'il convient de prendre en compte la spécificité des produits proposés, l'âge du VRP et de lui allouer une indemnité de clientèle de 300.000 F.

3°) Sur le rappel de rémunération d'indemnités kilométriques

Attendu que les modalités de remboursement des frais de déplacement ont été modifiées unilatéralement par l'employeur qui, au remboursement de carburant prévu au contrat, a substitué à partir du 1er janvier 1991 un remboursement au kilomètre établi sur la base du tarif fiscal.

Attendu néanmoins que l'employeur s'est abstenu de suivre les réévaluations de ce tarif.

Attendu que la société Agora ne pouvait appliquer ce principe de remboursement au barème fiscal sans suivre son évolution ; qu'en effet cette clause, contrairement à ce qu'a répondu l'employeur dans sa lettre du 30 novembre 1994, s'est intégrée au contrat aux lieu et place de celle prévoyant le remboursement du carburant ; que cette clause doit être appliquée dans toutes ses dispositions et notamment dans son évolution ; qu'il convient en conséquence de dire que la société Agora devra rembourser à Noël Jolivet la somme de 13.436,52 F qui n'est pas contestée dans son montant.

4°) Sur la commission concernant l'affaire Matra

Attendu que sauf à suspecter la société Agora de faux, ce que ne fait pas Jolivet, il convient de constater que le contrat signé entre la société Agora et la société Matra n'est pas le même que celui qui avait été proposé à sa signature par Noël Jolivet ; qu'il ne peut donc prétendre à la commission réclamée.

Attendu qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de Noël Jolivet ceux des frais non compris dans les dépens dont il a fait l'avance, qu'il y a lieu de lui allouer la somme de 6.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Par ces motifs, Ordonne la jonction de deux dossiers portant les numéros 3033-96 et 4619-96 ; Réforme le jugement entrepris ; Dit et juge que Noël Jolivet doit bénéficier du statut de VRP ; Dit qu'il est en droit de prétendre à une indemnité de clientèle ; Condamne la société Agora Eks à payer à Noël Jolivet la somme de 300.000 F à ce titre ; La condamne encore à rembourser à Noël Jolivet la somme de 13.436,52 F à titre de rappel de rémunération d'indemnités kilométriques ; La condamne enfin au paiement d'une somme de 6.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ; Déboute les parties de toutes leurs autres demandes, fins et conclusions ; Condamne la société Agora Eks France aux dépens.