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Décisions

CA Grenoble, 1re ch. civ., 18 février 1998, n° 3039-85

GRENOBLE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Ediar (Epoux)

Défendeur :

Casino Guichard Perrachon et Cie (SCA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Lalloz

Conseillers :

MM. des Poneys, Fournier

Avoués :

Me Ramillon, SCP Grimaud

Avocats :

Mes Arnon, Clergue.

T. com. Vienne, du 10 sept. 1985

10 septembre 1985

RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCEDURE - PRETENTIONS DES PARTIES :

Par jugement du 10 septembre 1985, auquel la Cour se réfère pour l'exposé des faits, de la procédure et des prétentions et moyens des parties, le Tribunal de Commerce de Vienne, retenant sa compétence :

- a déclaré mal fondée l'opposition formée par les époux Ediar-David à une ordonnance d'injonction de payer en date du 20 décembre 1984,

- a condamné solidairement les époux Ediar qui avaient été gérants libres d'une succursale des Ets Casino à payer à la société Casino :

1. la somme de 124.444,02 Fen principal représentant la valeur des marchandises reçues en dépôt, avec intérêts de droit à compter du 6 décembre 1984 date de la requête en injonction de payer

2. celle de 3.000 F à titre de dommages-intérêts

3. celle de 3.000 F en vertu de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile :

- a débouté les époux Ediar de toutes leurs demandes,

- et les a condamnés aux dépens.

Le 6 novembre 1985, les époux Ediar ont régulièrement relevé appel de cette décision avec enrôlement de l'affaire au greffe de la Cour le 28.11.85.

Ils ont attendu le 27 juillet 1987 pour conclure à la réformation dudit jugement et au débouté de la société Casino en toutes ses demandes.

Ils contestent la régularité des inventaires servant de fondement à la réclamation des Etablissements Casino, aux motifs que n'ont été respectées ni les dispositions de l'Accord Collectif National des Maisons d'alimentation à succursales ni les dispositions du contrat de co-gérance, alors que ces irrégularités doivent être appréciées au regard des textes régissant les conditions d'emploi des époux Ediar.

Ils soutiennent que la demande des Etablissements du Casino ressort de la compétence des juridictions prud'homales et concluent au renvoi du Casino à se pourvoir ainsi qu'il appartiendra devant le Conseil des Prud'hommes de Lyon déjà saisi d'une instance entre les parties.

Très subsidiairement, les époux Ediar prétendent que l'inventaire établi par les Etablissements Casino le 21 mai 1984 est dénué de valeur probante puisqu'il a été réalisé selon eux par des salariés du Casino sans le contrôle d'un huissier conformément à l'article 7 du contrat de co-gérance et que le manquant de marchandises et d'emballages allégué par le Casino est hors de proportion avec le stock de marchandises en dépôt dans la succursale tenue par eux.

Ils font valoir qu'en application de l'article 13 de l'Accord Collectif National, l'inventaire du 21 mai 1984 dénoncé par huissier à eux mêmes le 5 juin 1984 n'a pas fait l'objet d'un délai d'un mois pour permettre l'examen des pièces communiquées et la formulation de toutes observations, malgré la contestation par eux de cet inventaire dès le 10 juin 1984.

Ils estiment que l'inventaire établi le 6 juin 1984, dont ils contestent la régularité des opérations n'est pas contradictoire à leur égard, puisqu'ils n'ont pu se faire assister d'un huissier.

Ils soutiennent en conséquence que le Casino n'apporte pas la preuve de la créance alléguée.

A titre infiniment subsidiaire, ils sollicitent une expertise comptable pour déterminer le compte entre les parties au 6 juin 1984, par référence à l'ensemble des documents comptables et d'exploitation relatifs à leur gérance de la supérette Casino, place Vauboin à Tassin La Demi Lune depuis leur prise de fonction.

Ils réclament en outre aux Etablissements Casino 25.000 F de dommages-intérêts pour procédure abusive et 3.000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code Procédure Civile.

La Société en commandite par actions des Etablissements Economique du Casino Guichar, Perrachon et Cie conclut au débouté des époux Ediar de toutes leurs demandes et à la confirmation du jugement entrepris sauf à dire que les intérêts se capitaliseront par année entière conformément à l'article 1154 du Code Civil et sauf à élever à 10.000 F le montant des dommages-intérêts et à 6.000 F l'allocation au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

DISCUSSION :

Attendu, en fait, qu'il résulte des pièces versées aux débats que le 16 mai 1983 les époux Ediar ont signé avec la société Casino un contrat de co-gérance non salariée et un avenant conformes à tous les contrats présentés par les Etablissements Economiques du Casino à leurs futurs gérants, pour assurer l'exploitation de la succursale C.40.30 de Tassin La Demi Lune ;

Que la régression constante du chiffre d'affaires amenait la société Casino à effectuer le 21 mai 1984 un inventaire de renseignements qui faisait apparaître un manquant en marchandises de 97.111,82 F et un manquant en emballages de 14.282,80 F ;

Que par suite, sur le fondement de l'article 16 du contrat de co-gérance, aux termes duquel le cas de manquant en marchandises ou d'espèces provenant des ventes constitue une faute lourde imputable au gérant, la société Casino a dénoncé sans préavis le 6 juin 1984 le contrat de co-gérance et a procédé le même jour à l'inventaire de reprise contradictoirement avec les époux Ediar et sous le contrôle de Me Alzima huissier de justice à Mornant, et ce en présence des co-gérants reprenants et des inventoristes appeleurs du Casino ;

Que les époux Ediar relevaient ainsi sur un cahier les prix des articles appelés par les inventoristes et, en fin d'inventaire, après avoir signé lesdits cahiers, les échangeaient avec les co-gérants reprenants et les représentants du Casino ;

Qu'après passation au crédit du compte général de dépôt des commissions acquises et des congés payés, les comptes de l'inventaire effectués contradictoirement le 6 juin 1984 présentaient un solde débiteur de 118.089,32 F et étaient remis aux époux Ediar le 19 juillet 1984 par la société Casino qui les informait qu'ils disposaient d'un délai d'un mois pour les examiner et présenter leurs observations ;

Que compte tenu des intérêts de retard contractuels prévus à l'article 8 du contrat de co-gérance, la société Casino réclamait le paiement de la somme de 124.444,02 F ;

SUR LE STATUT DES GERANTS MANDATAIRES, LA REGULARITE DES INVENTAIRES ET LA COMPETENCE DE LA JURIDICTION COMMERCIALE :

Attendu que le statut des gérants mandataire, ainsi qu'il est d'ailleurs précisé sur le contrat lui-même, est régi tant par les dispositions des articles L. 782-1 et suivants du code du travail que par celles de l'Accord Collectif National du 18 juillet 1983 modifié ;

Attendu que les époux Ediar ne rapportent pas la preuve que les éléments particuliers se rattachant au statut des gérants mandataires n'ont pas été respectés et ne peuvent contester la valeur probante des inventaires de renseignement et de reprise en date des 21 mai et 6 juin 1984 sur chacun desquels ils ont fait même précéder leur signature de la mention "lu et approuvé bon pour accord" ;

Qu'ils ont donc approuvé la matérialité des opérations d'inventaire et que leurs contestations sont d'autant moins crédibles que l'inventaire de reprise du 6 juin 1984 a confirmé les résultats enregistrés lors de l'inventaire du 21 mai 1984 ;

Attendu que les inventaires de renseignement ou de reprise ne peuvent être assimilés ou rattachés aux conditions de travail des gérants et sont liés aux modalités commerciales d'exploitation de la succursale, puisque non seulement les modalités de réalisation desdits inventaires sont expressément prévus par le contrat de cogérance et la convention collective, mais encore ils peuvent être sollicités par le gérant lui-même ou par la société et s'imposent par le mandat même donné aux gérants ;

Qu'il n'est pas inutile de rappeler aux époux Ediar que le gérant reçoit de la société les marchandises qu'il a commandées sans avoir à les payer, c'est à dire à titre de dépôt, si bien que la société Casino en reste propriétaire ;

Qu'en conséquence, le gérant doit être en mesure de présenter à tous moments les marchandises ainsi remises, soit en nature (marchandises en stock ou en rayons) soit en valeur comptable (montant des recettes versées au Casino) ou en espèces (sommes se trouvant dans la caisse au jour du contrôle) ;

Qu'à défaut, il y a un manquant en marchandises que le gérant doit couvrir immédiatement conformément à l'article 8 du contrat de co-gérance ;

Qu'ainsi, il est donc légitime que le Casino, propriétaire des marchandises puisse par des inventaires vérifier que le stock de départ plus les marchandises reçues doivent représenter le stock final plus les recettes versées ;

Attendu en conséquence, que les inventaires ne peuvent s'assimiler aux conditions de travail et relever de l'appréciation du Conseil de Prud'hommes, mais relèvent des modalités commerciales du contrat et, partant, de la compétence exclusive de la juridiction commerciale, ainsi que le prévoit expressément l'article L. 782-5 du Code du Travail ;

Que d'ailleurs ce problème de compétence perd de son intérêt en cause d'appel la Cour ayant plénitude de juridiction ;

AU FOND :

Attendu que les Etablissements Economiques du Casino ne réclament pas le paiement d'un déficit, mais seulement le remboursement d'un manquant en marchandises ou espèces, les gérants n'étant pas tenus à un quelconque résultat positif d'exploitation ;

Qu'ainsi, les sommes réclamées par la Société du Casino aux époux Ediar correspondent simplement à la valeur des marchandises reçues par ces derniers qui n'a été, au jour de l'inventaire, ni retrouvée en nature dans le stock final, ni retrouvé en valeur comptable par des recettes remises à la société ;

Que la société du Casino, propriétaire des marchandises, réclame simplement la réintégration de marchandises dont la disparition reste inexpliquée ;

Qu'en conséquence, dès lors que les inventaires de renseignement et de reprise, ne peuvent faire l'objet de contestations sérieuses et qu'au demeurant les époux Ediar ne formulent aucune contestation sur la comptabilité des Etablissements Casino, la Cour ne peut que confirmer la décision entreprise et rejeter la demande d'expertise comptable qui apparaît comme une manœuvre purement dilatoire ;

Attendu que les intérêts au taux légal de la somme de 124.444,02 F devront courir à compter du 10 janvier 1985, date de la signification aux époux Ediar de l'ordonnance d'injonction de payer ;

Attendu que les intérêts échus de cette somme, dus au moins pour une année entière, produiront eux-mêmes intérêts à compter de la demande de capitalisation formulée par conclusions du 16 janvier 1987 en cause d'appel ;

Attendu qu'il n'est pas inéquitable de mettre à la charge des époux Ediar la somme de 3.000 F par application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile pour compenser la part des frais de procédure d'appel exposés par la société Casino et ce en plus de la somme déjà allouée de ce chef par le Tribunal ;

Attendu que la demande de dommages-intérêts supplémentaires formulée par la société Casino n'est pas suffisamment justifiée.

Par ces motifs, LA COUR, Statuant par arrêt contradictoire, après en avoir délibéré conformément à la loi, Déclare non fondé l'appel formé par les époux Ediar-David, les en déboute ainsi que de toutes leurs demandes, Confirme en toutes ses dispositions le jugement déféré, sauf à préciser que les intérêts au taux légal de la somme de 124.444,02 F. devront courir à compter du 10 janvier 1985, Et y ajoutant statuant sur l'appel incident, Dit que les intérêts échus, dus au moins pour une année entière, produiront intérêts à compter du 16 janvier 1987, Condamne les époux Ediar à payer à la société des Etablissements Economiques du Casino la somme de 3.000 F par application en appel de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, Rejette la demande de dommages-intérêts supplémentaires formulée par la Société Casino, Condamne les époux Ediar en tous les dépens d'appel, avec droit de recouvrement direct contre eux au profit de Me Grimaud, avoué, conformément à l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.