CA Toulouse, 4e ch. soc., 10 septembre 1999, n° 98-00371
TOULOUSE
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
AB7 Industries (SA), Rey (ès qual.), Fourquié (ès qual.), AGS
Défendeur :
Chevalier
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Tribot-Laspiere
Conseillers :
MM. Ignacio, Rimour
Avocats :
Mes Vacarie, Dublanche, SCP Saint-Geniest & Guero, de Roffignac.
FAITS ET PROCEDURE
Monsieur Chevalier Joseph a été embauché à compter du 5 février 1996 par la SA Setric International à Deyme (31), devenue la SA AB7 Industries, en qualité de VRP exclusif, suivant un contrat écrit à durée indéterminée faisant expressément référence à sa qualité de VRP, représentant statutaire, chargé de placer des produits à la marque Ecogène et Alzoo dans les neuf départements suivants : Landes, Gironde, Charente-Maritime, Lot-Et-Garonne, Dordogne, Tarn-Et-Garonne, Lot, Corrèze et Cantal, avec cependant une clause de modification de secteur à l'article B 3 suivant laquelle : " La société Setric International pourra, sans que le représentant puisse prétendre à une quelconque indemnité, ni s'y opposer, modifier, agrandir ou réduire le secteur ainsi défini ".
Un échange de courriers a eu lieu en juillet et août 1996 sur ses résultats insuffisants et sur le fait qu'il ne remettait pas de façon régulière ses prévisions hebdomadaires et les justificatifs de visite.
Par une lettre recommandée du 20 septembre 1996, Monsieur Blanc, directeur des ventes de l'entreprise, a annoncé à Monsieur Chevalier qu'à partir du 1er octobre 1996, les départements de la Gironde et des Landes appartenant à son secteur seraient affectés à celui de Monsieur Mazure du mois de septembre au mois de mars de chaque année, ajoutant que cette modification serait conforme à son intérêt car elle lui permettrait d'approfondir ses prospections, d'être plus présent chez ses clients et de pouvoir assurer un meilleur suivi.
Par une lettre en réponse du 21 septembre suivant, Monsieur Chevalier a demandé un entretien afin d'obtenir des éclaircissements sur plusieurs points ; il n'est pas contesté que cet entretien a eu lieu par téléphone.
Le 26 septembre 1996, Monsieur Chevalier a adressé à son employeur la lettre suivante :
" Je fais suite à l'entretien téléphonique avec ma direction des ventes ce matin à 9 heures.
Compte tenu que mes relations commerciales se dégradent de jour en jour avec Monsieur Blanc, j'ai suffisamment de raisons et de précisions pour pouvoir vous présenter ma démission si rapidement à partir de ce soir 20 heures.
Le matériel ainsi que le véhicule que vous m'avez confiés sont à votre disposition. "
Par une autre lettre du 7 octobre suivant, le salarié a demandé à son employeur de lui rembourser la somme de 100 F au titre d'une assurance " garde voiture " qu'il avait souscrite concernant le véhicule de société.
La société Setric lui a répondu le 9 octobre sur le véhicule et a demandé qu'il respecte le préavis d'un mois correspondant à sa démission sous peine de lui réclamer une indemnité d'une valeur correspondante.
Saisi le 14 octobre 1996 par Monsieur Chevalier de demandes de dommages et intérêts pour rupture abusive du contrat de travail, d'indemnités de rupture et de rappel de commissions, le conseil de prud'hommes de Montauban, par jugement du 19 décembre 1997, a condamné la société AB7 Industries à verser à Monsieur Chevalier les sommes suivantes :
- 9 458,95 F à titre de complément de commissions,
- 5 903,31 F à titre de complément de congés payés,
a débouté Monsieur Chevalier du surplus de ses demandes et l'employeur de l'ensemble de ses demandes, condamnant celui-ci aux dépens.
La société AB7 Industries a interjeté appel de cette décision.
Le tribunal de commerce de Toulouse, par jugement du 2 décembre 1998, a prononcé l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société AB7 Industries, désignant Maître Rey en qualité de représentant des créanciers, et maître Fourquié en qualité d'administrateur.
DEMANDES ET MOYENS DES PARTIES
La SA AB7 Industries demande la réformation du jugement attaqué, le rejet de l'ensemble des demandes de Monsieur Chevalier, et la condamnation de celui-ci à lui payer les sommes suivantes :
- 1.386,45 F à titre de solde de compensation entre l'indemnité de brusque rupture qu'elle réclame et les montants de commissions et de congés payés restant dûs à Monsieur Chevalier à la date de sa démission,
- 20.000 F à titre de dommages et intérêts pour démission abusive,
- 8.000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
L'employeur invoque l'applicabilité de la clause du contrat de travail prévoyant la modification du secteur géographique de Monsieur Chevalier, dont l'insuffisance manifeste d'activité et le comportement semblaient avoir pour objectif de se faire licencier, et le caractère clair et non équivoque de sa démission, intervenue sans qu'il ait jamais indiqué s'il acceptait ou s'il refusait la modification de son secteur, dans des conditions brutales et abusives qui fondent la demande de dommages et intérêts.
En ce qui concerne les commissions, la société fait observer que le salarié n'a jamais tenu compte du fait qu'il devait retrancher une somme correspondant à la différence entre le SMIC et 5 000 F conformément à l'article C3 du contrat de travail, de telle sorte que l'intégralité des commissions dûes lui a été réglée, ainsi que les indemnités de congés payés, comme en attestent les bulletins de salaire.
L'employeur précise qu'il demande une indemnité de brusque rupture équivalant à un mois de salaire, soit 6 406,79 F et que les montants de congés payés et de commissions qui restaient dûs à Monsieur Chevalier lors de la rupture du contrat de travail figuraient sur le bulletin de salaire du 31 octobre 1996, venant en compensation avec cette indemnité de brusque rupture pour constituer une dette de 1 386,45 F de la part de Monsieur Chevalier.
Maître Rey et Maître Fourquié, ès qualités, s'associent aux conclusions de la société AB7 Industries.
Monsieur Chevalier Joseph conclut à la confirmation du jugement dont appel en ce qui concerne les sommes allouées au titre de complément de commissions et de complément de congés payés, restant à fixer dans la procédure collective de la société AB7 Industries, à la réformation de cette décision pour le surplus et à la fixation des sommes suivantes dans cette procédure collective :
- 1 512,60 F à titre de complément sur commissions,
- 1 044,71 F à titre de complément d'indemnité de congés payés,
- 7 720,02 F au titre d'un mois de préavis,
- 772 F au titre de l'indemnité de congés payés afférents à ce préavis,
- 50 000 F à titre de dommages et intérêts pour la rupture abusive du contrat de travail,
ainsi qu'à ce que l'arrêt à intervenir soit dit opposable à l'AGS ;
Le salarié fait valoir que sa démission aurait été provoquée par la modification unilatérale apportée par l'employeur à la clause de son contrat de travail concernant son secteur géographique, aboutissant à réduire de plus de la moitié ses commissions ; que cette modification unilatérale de son contrat de travail constitue une rupture de celui-ci imputable à l'employeur équivalant à un licenciement abusif.
Le CGEA de Toulouse représentant l'AGS conclut à la réformation du jugement dont appel, au rejet de l'ensemble des demandes de Monsieur Chevalier, invoquant l'applicabilité de la clause de modification du secteur géographique, le caractère non équivoque de sa démission et l'absence de fondement de ses autres demandes ; à titre subsidiaire, cet organisme conclut à l'application de sa garantie dans les limites légales et réglementaires, notamment dans la limite du plafond IV.
MOTIFS DE LA DECISION
1°) SUR LA RUPTURE DU CONTRAT DE travail
Attendu que Monsieur Chevalier bénéficie du statut de VRP, dont l'application résulte de ce que la qualité de VRP, représentant statutaire, lui a été explicitement conférée dans son contrat de travail par un accord non équivoque des parties.
Attendu que suivant les dispositions de l'article L. 751-1 du Code du travail appartenant à ce statut d'ordre public des VRP, la région dans laquelle le représentant doit exercer son activité doit être déterminée.
Attendu qu'en conséquence l'employeur ne pouvait pas faire usage de la clause de modification de secteur inscrite à l'article B3 du contrat, suivant laquelle la société Setric International se réservait le droit de modifier unilatéralement et à tout moment le secteur d'activité du représentant, contrairement aux dispositions d'ordre public susvisées.
Qu'en modifiant le secteur géographique d'activité du VRP, l'employeur, violant ces dispositions d'ordre public, a modifié unilatéralement le contrat de travail de VRP de Monsieur Chevalier.
Attendu qu'en outre, la démission, qui ne se présume pas, ne peut résulter que d'une manifestation de volonté claire et sans équivoque, non affectée par un vice du consentement.
Attendu que lorsque la démission est explicite, c'est-à-dire notamment lorsqu'elle a pris la forme d'un écrit, il appartient au salarié de démontrer qu'il n'avait pas eu la volonté de démissionner ou que sa volonté était affectée d'un vice du consentement.
Attendu qu'en l'espèce, il résulte des documents versés au dossier et des débats que Monsieur Chevalier démontre que son employeur, en modifiant unilatéralement son contrat de travail, a provoqué l'envoi de la lettre du 26 septembre 1996 par laquelle le VRP donnait en effet sa démission en réaction à la lettre de modification de son secteur géographique du 20 septembre 1996 adressée par son directeur des ventes, Monsieur Blanc, avec lequel il disait que ses relations " se dégradaient ".
Attendu qu'il est ainsi établi que Monsieur Chevalier n'a pas eu la volonté de démissionner, mais qu'il a pris acte de l'impossibilité dans laquelle il se trouvait de poursuivre son contrat de travail en raison de la modification apportée à celui-ci par son employeur.
Attendu que cette modification unilatérale du contrat de travail constitue une rupture de ce contrat imputable à l'employeur, équivalant à un licenciement intervenu le 20 septembre 1996.
Attendu que ce licenciement est intervenu sans le respect d'aucune règle de procédure, sans lettre de licenciement ; qu'il est donc dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Attendu que le salarié peut donc prétendre à des dommages-intérêts de ce chef.
Attendu qu'au moment de son licenciement, Monsieur Chevalier était âgé de 56 ans, était employé depuis 7 mois en qualité de VRP pour une rémunération mensuelle brute moyenne de 7 236 F.
Attendu que la cour trouve en la cause les éléments lui permettant de fixer à la somme de 50 000 F les dommages-intérêts pour le licenciement abusif et le préjudice subi.
2°) SUR LES AUTRES DEMANDES
Attendu qu'en ce qui concerne les commissions, il s'avère à l'examen des pièces versées au dossier que Monsieur Chevalier fonde ses réclamations sur des calculs qui n'ont pas tenu compte d'une disposition de son contrat de travail qui prévoit que du montant de la commission brute mensuelle doit être retranchée une somme correspondant à la différence entre le SMIC et 5 000 F ; que cette disposition contractuelle doit être prise en compte ; qu'en conséquence, l'examen des documents permet de constater que l'intégralité des commissions sur les mois de février à août 1996 a été versée avec un décalage normal d'un mois à Monsieur Chevalier ; qu'en ce qui concerne les commissions dues sur le mois de septembre 1996, l'employeur confirme dans ses conclusions qu'il alloue au salarié la somme de 1 605,35 F telle qu'elle figure sur le bulletin de salaire établi le 31 octobre 1996, bien que ne tenant pas compte de la différence susvisée entre le SMIC et la somme de 5 000 F, c'est-à-dire en faveur du salarié.
Attendu qu'en ce qui concerne la demande d'indemnité de congés payés, il est prescrit à l'article L. 751-1 du Code du travail que pour l'application de la législation sur les congés, le VRP a droit à la rémunération moyenne qu'il a reçue pour une période de même durée dans l'année qui a précédé son congé, sans que l'allocation de cette indemnité puisse entraîner une réduction du montant des commissions auxquelles il a droit, dans les conditions prévues à son contrat, en raison de son activité antérieure à son départ en congé.
Attendu qu'en conséquence, indépendamment de la partie fixe de son salaire qui a été maintenue chaque mois et qui ne peut en conséquence se cumuler avec une indemnité de congés payés à cet égard, Monsieur Chevalier a droit à une indemnité de congés payés sur les commissions versées, c'est-à-dire sur une somme de 5 039,84 F pour les mois de mars à septembre 1996, à laquelle s'ajoute la somme précitée de 1 605,35 F au titre du mois d'octobre 1996, constituant ainsi un total de 6 645,19 F sur lequel est dû un complément d'indemnité de congés payés du dixième, soit 664,52 F.
Attendu qu'il y a lieu de retenir comme due la somme de 2 660,09 F à titre d'indemnité de congés payés inscrite en faveur du salarié sur son bulletin de salaire du 31 octobre 1996, mais que ne sera pas retenue celle de 370,92 F déjà comprise dans l'indemnité de congés payés sur commissions de 664,52 F allouée ci-dessus.
Attendu que Monsieur Chevalier a droit à l'indemnisation du préavis pour une durée d'un mois qui n'est pas contestée, et suivant son salaire mensuel brut moyen s'élevant à 7 236 F (soit 6 406 F de salaire de base fixe + 830 F de commissions moyennes - 6 645/8 = 830 F), outre 724 F au titre de l'indemnité de congés payés y afférente.
Attendu que la société AB7 Industries doit être déboutée de ses demandes et, partie succombante, ne saurait être dédommagée de ses frais irrépétibles.
Attendu que l'arrêt à intervenir sera opposable à l'AGS dans les limites légales et réglementaires, avec pour limite le plafond 13.
Attendu qu'en effet, les créances du salarié résultent toutes de dispositions législatives et sont nées d'un contrat de travail dont la date de conclusion est antérieure de plus de six mois à la décision prononçant le redressement judiciaire ; qu'en conséquence le montant maximum de la garantie de l'AGS prévu à l'article L. 143-11-8 du Code du travail est fixé à 13 fois le plafond mensuel retenu pour le calcul des contributions au régime d'assurance-chômage, en application de l'article D. 143-2 du même Code.
Attendu que les dépens doivent être passés en frais privilégiés de la présente procédure collective.
Par ces motifs : LA COUR, Réforme le jugement du conseil de prud'hommes de Montauban du 19 décembre 1997 ; Dit que Monsieur Chevalier Joseph n'a pas démissionné ; Dit que la rupture du contrat de travail de VRP de Monsieur Chevalier Joseph est imputable à la SA Setric International devenue la SA AB7 Industries, et constitue un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse intervenu le 20 septembre 1996 ; Fixe aux sommes suivantes la créance de Monsieur Chevalier Joseph dans le redressement judiciaire de la SA AB7 Industries : 50 000 F (cinquante mille francs) à titre de dommages-intérêts ; 1 605,35 F (mille six cent cinq francs, trente cinq centimes) à titre de commissions sur ventes pour septembre 1996 ; 2 660,09 F (deux mille six cent soixante francs, neuf centimes) à titre d'indemnité de congés payés ; 664,52 F (six cent soixante quatre francs, cinquante deux centimes) à titre d'indemnité de congés payés sur commissions ; 7 236 F (sept mille deux cent trente six francs) à titre d'indemnité de préavis ; 724 F (sept cent vingt quatre francs) à titre d'indemnité de congés payés afférente à ce préavis ; Déboute la SA AB7 Industries de ses demandes ; Dit que le présent arrêt est opposable à l'AGS à défaut de fonds disponibles dans le redressement judiciaire de la SA AB7 Industries, dans les limites prévues par les textes légaux et réglementaires applicables, notamment dans la limite du plafond treize susvisé ; Dit que les dépens seront passés en frais privilégiés du redressement judiciaire de la SA AB7 Industries.