CA Douai, 2e ch. sect. 2, 4 juillet 2002, n° 99-02160
DOUAI
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
ANPF (Sté)
Défendeur :
Soinne (ès qual.), Malo
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Bouly de Lesdain
Conseillers :
MM. Testut, Chollet
Avoués :
SCP Carlier-Regnier, Me Lensel, SCP Cocheme-Kraut
Avocats :
Mes Le Pen, Robert, Laval.
1. Données devant la Cour
La décision attaquée
Par un jugement du 3 février 1999, le Tribunal de Grande Instance de Béthune :
- a déclaré la société ANPF que la responsabilité de la société ANPF était engagée dans le cadre de la procédure de liquidation judiciaire de la société Bruaysienne de Bricolage, tant sur le plan contractuel que sur le fondement de la loi Doubin,
- a condamné la société ANPF à payer à M. Soinne, ès qualités, la somme de 600.000 francs en réparation des préjudices subis par les créanciers et 10.000 francs au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile,
- a débouté les consorts Malo de leurs demandes à l'encontre de la société ANPF,
- a rejeté le surplus des demandes de M. Soinne, ès qualités, présentées tant comme liquidateur judiciaire de la société Bruaysienne de Bricolage, comme liquidateur judiciaire d'autre part d'une société Artesienne Malo.
Procédure
La société ANPF a formé appel de cette décision le 22 mars 1999, instance enrôlée sous le n° RG 99/2160.
Les consorts Malo ont formé appel de cette décision le 12 mai 1999, instance enrôlée sous le n° RG 99/3325.
Par des conclusions de reprise d'instance des 29 et 30 novembre 2001, M. Lensel s'est constituée avoué en lieu et place de M. Normand pour M. Soinne, ès qualités, agissant comme liquidateur judiciaire d'une part de la société Bruaysienne de Bricolage, et d'autre part d'une société Artesienne Malo.
La clôture de l'instruction a été ordonnée le 9 janvier 2002.
Les prétentions de l'appelant
Dans ses conclusions en date du 14 novembre 2001, la société ANPF demande à voir :
- infirmer la décision entreprise en ce qu' il a condamné la société ANPF à payer à M. Soinne, ès qualités, la somme de 600.000 francs en réparation des préjudices subis par les créanciers et 10.000 francs au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile,
- confirmer cette décision en ce qu'elle a débouté les consorts Malo de leurs demandes à l'encontre de la société ANPF, et rejeté le surplus des demandes de M. Soinne, ès qualités, présentées tant comme liquidateur judiciaire de la société Bruaysienne de Bricolage, comme liquidateur judiciaire d'autre part d'une société Artesienne Malo,
- statuant à nouveau constater que le statut de coopérative de commerçant détaillant ne peut conférer à la société ANPF la qualité de franchiseur, qu'au demeurant elle a rempli toutes les obligations d'information précontractuelle imposée par la loi du 31 décembre 1989,
- constater en outre l'absence d'immixtion dans la société Bruaysienne de Bricolage,
- condamner solidairement M. Soinne, ès qualités, et les consorts Malo à lui payer la somme de 100.000 francs au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Les prétentions de l'intimé
M. Soinne, ès qualités, par conclusions du 25 janvier 2000, demande à voir :
- prononcer la jonction des 2 procédures,
- réformer la décision entreprise,
- constater les immixtions répétées de la société ANPF dans la gestion de la société Bruaysienne de Bricolage et de la société Artesienne Malo,
- constater la part active de la société ANPF dans l'origine des deux sociétés précitées,
- condamner la société ANPF à payer à M. Soinne, ès qualités, la somme de 1.000.000 francs en réparation des préjudices subis par les créanciers de la société Bruaysienne de Bricolage,
- condamner la société ANPF à payer à M. Soinne, ès qualités, la somme de 200.000 francs à titre provisionnel pour les préjudices subis par les créanciers de la société Artesienne Malo, et désigner tel expert qu'il plaira pour fixer le quantum des indemnités dues, aucun élément contractuel ne permettant de les liquider,
- condamner la société ANPF à lui payer la somme de 10.000 francs au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Les prétentions des consorts Malo
Les consorts Malo, par conclusions du 11 janvier 2001, demandent à voir :
- réformer la décision entreprise,
- dire que la société ANPF a commis des fautes engageant sa responsabilité quasi délictuelle à l'égard de M. Bernard et Pierre Malo et de Mme Joëlle Malo née Nys,
- condamner la société ANPF à payer à M. Bernard et Pierre Malo et de Mme Joëlle Malo née Nys, la somme de 1.700.000 francs avec les intérêts au taux légal au titre des engagements de caution souscrits par eux pour garantir l'emprunt des sociétés Bruaysienne de Bricolage et Artesienne Malo auprès de la Banque Populaire du Nord,
- condamner la société ANPF à payer à M. Bernard et Pierre Malo la somme de 2.110.565 francs à titre de dommages intérêts pour leur perte en capital et manque à gagner,
- condamner la société ANPF à payer à M. Bernard et Pierre Malo la somme de 3.136.085,10 francs à titre de dommages intérêts pour leur condamnation en tant que caution pour les emprunts contractés par la société Bruaysienne de Bricolage et la société Artesienne Malo auprès du Crédit Mutuel d'Auchel, de UCB Auxicomi et d'Actea Bail, avec les intérêts au taux légal,
- condamner la société ANPF à payer à M. Bernard et Pierre Malo la somme de 412.687,33 francs avec les intérêts au taux légal pour le règlement effectué le 7 novembre 1996 par ceux ci au Crédit Mutuel de Doullens,
- condamner la société ANPF à payer à M. Bernard et Pierre Malo la somme de 200.000 francs à titre de dommages intérêts en réparation des préjudices morales et matériels résultant des poursuites engagées par les créanciers
- condamner la société ANPF à leur payer pour chacun d'eux la somme de 100.000 francs au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
2. Argumentation de la Cour
Sur la jonction des procédures
Les deux instances n° RG 99/2160 et RG 99/3325 portent sur l'appel d'une même décision statuant sur le même litige entre les mêmes parties. Il y a donc lieu d'ordonner la jonction des deux instances.
Sur les circonstances du litige
Il convient de se référer à la décision entreprise pour un exposé des faits détaillés, étant simplement rappelé que les consorts Malo, dirigeants de la société Bruaysienne de Bricolage, ont envisagé l'implantation d'un commerce sous l'enseigne " Monsieur Bricolage " dans le courant de l'année 1991, la société ANPF réalisant les études économiques de faisabilité d'une telle opération, qu'au vu de ces études la société Bruaysienne de Bricolage et la société Artesienne Malo ont été constituées en avril 1992, que les chiffres d'affaire prévus n'ont jamais été réalisés, que les deux sociétés ont déposé leur bilan début 1993.
Sur l'application de la loi Doubin
La société ANPF soutient que son statut de société coopérative rend inapplicable à son encontre les règles de la franchise, qui nécessite un contrat bilatéral entre des entreprises totalement indépendantes, ce que ne sont pas une coopérative et un adhérent de son réseau de détaillants indépendants, lui-même un associé de la coopérative, ce qui exclut la nécessaire indépendance caractéristique de la franchise.
Attendu qu'il suffit que des parties soient liées par des stipulations contractuelles prévoyant d'un côté la mise à disposition de l'enseigne, du nom commercial ou de la marque et d'un autre coté un engagement d'exclusivité pour l'exercice d'une activité pour que s'appliquent les dispositions de l'article L. 330-3 du code de commerce, ceci sans considération quant à la forme sociale qu'ont entendu adopter l'une et l'autre des parties pour exercer leur activité,
Attendu qu'il ressort du règlement intérieur annexé aux statuts de la société ANPF que celle-ci sélectionne ses adhérents après enquête financière et étude de marché faite à sa diligence sur la viabilité du projet de création d'établissement présenté par le postulant à l'adhésion à son réseau,
Attendu que l'admission dans la coopérative donne à l'adhérent un droit d'utilisation des marques et des enseignes dont la société ANPF est propriétaire, et que c'est la société ANPF qui détermine pour chaque point de vente la zone potentielle d'activité,
Attendu que ce même document précise que la société ANPF assure le référencement des fournisseurs ainsi que les campagnes nationales publicitaires,
Attendu que, s'il souscrit effectivement lors de son adhésion au capital de la société ANPF, l'adhérent doit des cotisations annuelles comportant un fixe mensuel et une part variable assises sur le montant des achats hors taxes, outre le règlement d'un droit d'enseigne lors de son entrée dans le réseau,
Attendu que la société ANPF précise en page 16 d'un document intitulé " Disclosure " qu'elle dispose d'un magasin pilote, qu'en tant que moteur du groupement elle assure " le suivi quotidien à tous les niveaux..., définit les rayons, la structure des gammes, le merchandising..., assume les achats..., la comptabilité et la gestion des magasins..., le conseil et l'assistance aux adhérents ",
Que ces seules considérations sont en soi suffisantes pour caractériser un contrat de franchise convenu entre la société Bruaysienne de Bricolage et la société ANPF.
Sur les manquements aux obligations d'information pré-contractuelle,
Attendu que, si la société ANPF a bien remis aux consorts Malo un document intitulé " Disclosure ", comprenant les informations relatives à l'animateur du réseau, l'ancienneté et l'expérience de l'entreprise et les perspectives de développement du marché, ce document ne précise pas la nature et le montant des dépenses et investissements à réaliser,
Attendu que la société ANPF ne peut se réfugier sur le fait que trois autres études avaient été réalisées par des sociétés indépendantes Proscop, Ken 7 et Cible, faute d'établir que ces études auraient été commandées directement par les consorts Malo indépendamment de la société ANPF,
Attendu bien au contraire qu'un courrier du 30 septembre 1991 de la société ANPF à la société Proscop demande à cette dernière de prendre contact avec les consorts Malo pour une étude de marché,
Attendu qu'un courrier du même jour de la société Cible informe la société ANPF de ce qu'elle a soumis aux consorts Malo un protocole d'accord pour " réaliser l'étude d'implantation d'un M. Bricolage. "
Attendu que le 13 avril 1992 la société Proscop fait parvenir directement à la société ANPF le résultat de son étude,
Attendu qu'il est donc acquis que ces études ne constituaient pas des démarches indépendantes mais étaient initiées par la société ANPF,
Qu'ainsi, pour ces motifs et ceux non contraires du premier juge, la responsabilité de la société ANPF envers la société Bruaysienne de Bricolage pour des études prévisionnelles erronées est engagée,
Attendu que l'immixtion de la société ANPF dans la gestion de la société Bruaysienne de Bricolage ne peut résulter du seul fait qu'elle ait eu une part active dans les travaux d'agencement du magasin, puisque justement la conception des linéaires dans la distribution moderne concourt à l'homogénéité de l'image commerciale de l'enseigne et se trouve donc liée à la nature même du concept franchisé, qu'il en est de même du recours à des gammes de produits référencés auprès de fournisseurs préalablement choisis par l'enseigne, la responsabilité du commerçant franchisé restant entière dans la définition de ses réapprovisionnements de stocks en terme de quantité, qu'il n'est pas en l'espèce établi que la gestion des stocks se serait opéré à l'insu du détaillant,
Que le premier juge a donc fait exacte appréciation du préjudice subi par la société Bruaysienne de Bricolage du fait des manquements précontractuels de la société ANPF.
Sur la demande de M. Soinne, ès qualités, au titre de la société Artesienne Malo
Attendu que les consorts Malo ont cru bon de dissocier le patrimoine d'exploitation de la société Bruaysienne de Bricolage, ne relevant que de l'exercice commercial du magasin de bricolage, du patrimoine immobilier qu'ils entendaient constituer séparément par le biais d'une société Artesienne Malo, dont l'objet était d'acquérir les murs d'exploitation auprès d'organismes de crédit-bail,
Attendu que ce montage financier relève d'un choix délibéré de leur part et non d'une obligation imposée par la société ANPF ou d'un conseil erroné donné par cette dernière,
Attendu que le passif de cette société Artesienne Malo ne résulte que de cette décision de gestion patrimoniale, que rien n'interdisait à la société Artesienne Malo de rechercher d'autre sous-locataire après la déconfiture de la société Bruaysienne de Bricolage, pour autant que les consorts Malo aient disposé de fonds propres suffisants pour faire face aux échéances du crédit bail, Qu'ainsi la décision entreprise sera confirmée en ce qu'elle a débouté M. Soinne, ès qualités, de ses demandes au titre de la société Artesienne Malo.
Sur la demande des consorts Malo au titre de leurs engagements de caution
Attendu que le premier juge a relevé avec pertinence que les consorts Malo avaient une capacité de jugement et d'analyse qui ne saurait être occultée,
Attendu que les engagements de cautions avaient été librement consentis aux organismes préteurs,
Attendu que la société ANPF, si elle a pu induire un préjudice à la société Bruaysienne de Bricolage par son manquement à ses obligations de conseil, n'a pas incité les consorts Malo à se porter caution de la société Bruaysienne de Bricolage, cet acte ne résultant que du choix des consorts Malo de financer le développement et la croissance de leur société par des concours bancaires de préférence à la mobilisation de fonds propres de ses actionnaires,
Qu'ainsi les consorts Malo seront déboutés de leurs demandes de ce chef.
Sur les frais irrépetibles
M. Soinne, ès qualités, a dû engager des frais irrépetibles en cause d'appel que la Cour fixe à 1.000 Euros.
Il n'est pas inéquitable de laisser aux consorts Malo la charge de leurs frais irrépetibles.
Sur les dépens
La société ANPF supportera les dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.
3. Décision de la Cour
Par ces motifs, LA COUR, joint les instances n° RG 99-2160 et RG 99-3325, confirme le jugement du 3 février 1999, y ajoutant, condamne la société ANPF à payer à M. Soinne, ès qualités, la somme de 1.000 Euros au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, met à la charge de la société ANPF les dépens, dont distraction au profit des avoués de M. Soinne, ès qualités, et des consorts Malo.