CA Paris, 18e ch. A, 28 avril 1998, n° 96-35789
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Zeline
Défendeur :
Abeille Vie (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Quenson
Conseillers :
Mmes Dujardin, Boitaud
Avocats :
Mes Barkat, Maraninchi.
LA COUR est saisie de l'appel interjeté par M. Thierry Zeline d'un jugement rendu le 7 mai 1996 par le Conseil de prud'hommes de Paris, section commerce, chambre 7 qui :
- l'a débouté de ses demandes à l'encontre de la société Abeille Vie,
- qui a débouté cette société de sa demande.
I - LES FAITS ET LES DEMANDES DES PARTIES
M. Thierry Zeline a été engagé le 3 octobre 1994 par la société Abeille Vie en qualité de conseiller financier, au sein de son organisation de vente dénommée ICAV ; une période d'essai de 6 mois était prévue ; elle a été renouvelée le 27 mars 1995 ;
Le montant du dernier salaire mensuel de M. Zeline s'est élevé à la somme de 4.154 F ;
Il a été licencié par lettre du 17 août 1995 en cours de période d'essai, pour absence de production ;
Estimant ne pas avoir été rempli de ses droits à l'occasion de l'exécution de son contrat de travail et avoir été l'objet d'un licenciement abusif, il a saisi le Conseil de prud'hommes de Paris de diverses demandes en paiement dont il a été débouté ;
Devant la Cour, il demande l'infirmation de cette décision ; il conclut à la condamnation de la société Abeille Vie à lui verser les sommes suivantes :
- 25.000 F à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive,
- 89.376 F à titre d'indemnité pour clause de non-concurrence non dénoncée,
- 5.585 F à titre d'indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement,
- 12.000 F au titre de l'article 700 du NCPC.
Il sollicite à titre subsidiaire le versement d'une somme de 13.588,32 F à titre de rappel de salaire.
La société intimée conclut à la confirmation du jugement, au débouté des demandes de M. Zeline ; elle sollicite le versement d'une somme de 10.000 F au titre de l'article 700 du NCPC.
II - LA POSITION DES PARTIES
A) POSITION DE M. ZELINE
M. Zeline soutient qu'il remplissait les conditions d'application du statut de VRP :
- il avait pour mission de prospecter et de visiter la clientèle potentielle à l'extérieur de l'entreprise dans le but de provoquer des ordres,
- il exerçait de façon exclusive et constante la profession de représentant, son secteur géographique était Paris et la Région parisienne et les produits à la vente étant précisément définis dans son contrat de travail,
- il n'était payé que par des avances sur commissions que l'employeur imputait sur le versement des commissions suivantes,
- il disposait de la carte de VRP.
Il en déduit :
- que la période d'essai visée à son contrat de travail ne pouvait excéder 3 mois et que la rupture de son contrat de travail est intervenue en cours d'exécution d'un contrat à durée indéterminée et devait suivre les règles légales du licenciement,
- qu'il a droit au versement d'une indemnité en contrepartie de la clause de non-concurrence à laquelle son employeur n'a pas renoncé dans les délais prescrits par le statut de VRP.
A titre subsidiaire, si le statut de VRP ne lui était pas reconnu, il considère que la période d'essai de 6 mois renouvelable une fois, visée dans son contrat présentait une durée excessive :
- cette durée qui pouvait atteindre 12 mois en cas de renouvellement, même si elle était conforme aux dispositions de la Convention Collective, violant le principe d'ordre public de protection des droits des salariés visé à l'article 120-2 du Code du travail,
- cette durée était anormalement longue pour un salarié de base et présentait une disproportion manifeste entre l'emploi et les compétences qu'il requérait,
- cette durée n'était pas proportionnelle à la durée du délai de préavis qui n'était que d'un mois.
Il en conclut que la rupture intervenue au cours du dixième mois d'exercice est intervenue hors période d'essai et s'analyse comme un licenciement sans respect de la procédure légale.
Il conteste les motifs du licenciement visés dans la lettre du 13 juillet 1995 à savoir l'absence de production pendant les mois de mars, avril, mai et juin 1995 :
- ses collègues comme lui même avaient des difficultés à remplir leurs quotas,
- des négociations qui ont abouti après son départ n'ont pas été prises en compte.
Il en déduit qu'il y a eu rupture abusive de son contrat de travail.
Il sollicite par ailleurs un rappel de salaire sur la base du SMIC, estimant ne pas avoir perçu au cours de l'exécution de son contrat le minimum légal.
B) POSITION DE LA SOCIETE ABEILLE VIE
La société conteste à M. Zeline la qualité de VRP pour les motifs suivants :
- il ne prenait pas d'ordres puisqu'il transmettait à son employeur les demandes de souscription qu'il faisait signer, celui-ci décidant ou non d'établir un contrat,
- il prospectait la clientèle par téléphone et disposait d'un bureau dans les locaux de la société où il se rendait quotidiennement pour participer aux réunions organisées par ses supérieurs hiérarchiques,
Elle en déduit qu'il ne pouvait revendiquer l'application du statut de VRP ni sur la durée de la période d'essai, ni sur l'indemnisation de la clause de non-concurrence.
Elle fait valoir que la rupture des relations contractuelles est intervenue en cours de période d'essai et que l'essai n'était pas d'une durée excessive :
- elle a été fixée d'un commun accord entre les parties,
- elle n'était pas d'une durée supérieure à ce qui était fixé dans la convention collective,
- elle n'était contraire à aucun texte légal.
Sur le bien fondé du licenciement, elle fait valoir que M. Zeline n'a jamais atteint les objectifs qui lui avaient été fixés ; elle conteste l'affirmation de M. Zeline selon laquelle les autres salariés avaient connu les mêmes difficultés.
Elle soulève enfin l'irrecevabilité de la demande de rappel de salaire s'agissant d'une demande nouvelle formée pour la première fois en cause d'appel ; sur le fond elle estime avoir respecté les clauses du contrat en versant à M. Zeline une rémunération qui n'était pas inférieure à 80 % du minimum prévu par la Convention Collective.
III - MOTIFS DE LA DECISION
A) SUR LE STATUT DE VRP
M. Zeline a été engagé en qualité de conseiller financier avec pour mission de rechercher, solliciter et recueillir des souscriptions aux contrats offerts au public par Abeille Paix, de recevoir de chaque souscripteur le versement initial de souscription ; il devait exercer sa fonction à Paris et dans la Région parisienne sans bénéficier d'exclusivité ; il était rémunéré par une somme mensuelle égale au minimum prévu par la Convention Collective et par un complément calculé dans un premier temps sur le montant des commissions afférentes à sa production puis dans un deuxième temps en fonction du solde créditeur de son compte prix de revient ; il relevait contractuellement du statut des Producteurs salariés de base, régi par la Convention Collective des producteurs salariés de base des Services Extérieurs de production des Sociétés d'Assurance.
Le statut de VRP ne s'applique qu'aux personnes qui ont une activité de prospection : visite d'une clientèle à l'extérieur de l'entreprise dans le but de prendre ou de provoquer des ordres.
M. Zeline en sa qualité de conseiller financier, transmettait à son employeur les demandes de souscription de contrats qu'il faisait signer au client qu'il démarchait, accompagnées du règlement de la première échéance ; la décision d'établir ou non un contrat d'assurance était prise par la société ;
- les pièces produites aux débats font ainsi apparaître que si M. Zeline remplissait et signait avec le client la demande de souscription, l'acceptation du contrat était signée par le directeur général de la société, M. Philippe Tilzoni.
La fonction de M. Zeline se limitait à la visite de clients démarchés et à une action de mise en valeur du produit, en l'espèce des contrats d'assurance vie. Ne concluant pas lui-même de contrats, il n'exerçait pas l'activité essentielle d'un représentant statutaire qui prend et transmet des ordres.
Il ne conteste pas s'être rendu chaque jour dans les locaux de la société ; il réclamait d'ailleurs après la rupture des relations contractuelles à être dédommagé de ses frais de trajet.
Les premiers juges ont justement considéré que M. Zeline, ne démontrait pas disposer d'une clientèle attribuée qui aurait pu le conduire à des déplacements constants et à l'exercice de sa fonction à l'extérieur de l'entreprise dans des secteurs précisément définis.
Il n'est donc pas recevable en sa demande de revendication du statut de VRP.
Il sera débouté de sa demande d'indemnité pour clause de non-concurrence, fondée sur l'application du statut étant précisé que son contrat de travail ne prévoyait pas de contrepartie financière à cette clause.
M. Zeline relevait donc dans ses rapports avec son employeur des clauses de son contrat de travail et des dispositions de la Convention Collective des Producteurs Salariés.
B) SUR LA PERIODE D'ESSAI
La période d'essai est une première phase d'exécution du contrat de travail qui doit permettre à l'employeur d'apprécier la compétence et l'aptitude professionnelle du salarié à accomplir la tâche confiée ; elle a pour seul but de permettre aux parties de vérifier que le poste confié correspond aux exigences et capacités du salarié ; elle ne peut aboutir à empêcher celui-ci de bénéficier des dispositions légales protectrices en matière de licenciement.
En prévoyant une période d'essai de 6 mois renouvelable pour une même durée, le contrat a apporté une restriction au droit de M. Zeline de bénéficier des textes légaux en matière de rupture du contrat de travail, restriction qui n'était pas justifiée par la fonction de salarié de base chargé d'obtenir des souscriptions de contrat préétabli, ni proportionnée au but recherché, son adaptation et sa capacité à remplir le poste.
L'employeur ne peut sérieusement prétendre qu'il avait besoin d'un délai de 6 mois pour vérifier les compétences de M. Zeline alors que les résultats de son travail étaient immédiatement appréciables par l'analyse du nombre de souscriptions.
Cette clause contractuelle bien que conforme aux dispositions conventionnelles était contraire à l'article L. 120-2 du Code du travail qui pose un principe de portée générale applicable en l'espèce d'interdiction de la restriction du droit des salariés non justifiée.
M. Zeline ne pouvait donc être soumis à une période d'essai de 6 mois ; la durée de cette période aurait dû compte tenu de l'usage pour les salariés non cadres et de la durée du préavis, être égale à cette durée d'un mois éventuellement renouvelable.
C) SUR LA RUPTURE DU CONTRAT
La rupture du contrat de travail intervenue 10 mois après son engagement devait respecter les dispositions légales en matière de licenciement.
La lettre de rupture du 17 août 1995 est motivée par une absence de production ; ce grief doit être examiné.
M. Zeline signait le 23 décembre 1994 un avenant à sa lettre d'engagement prévoyant les objectifs suivants : 350.000 F d'engagement d'épargne pour chaque mois civil.
Si M. Zeline a atteint cet objectif en janvier 1995 et en mai 1995, il ne l'a pas atteint en février (187.000 F) en mars (0 F) en avril (210.000 F) en juin (0 F) en juillet (60.000 F).
Il ne démontre pas que cette production insuffisante ne lui était pas imputable.
Le licencement reposait sur une cause réelle et sérieuse.
M. Zeline sera débouté de sa demande de dommages et intérêts pour rupture abusive ; il sera néanmoins fait droit à sa demande de dommages et intérêts pour non-respect de la procédure en l'absence d'entretien préalable (5.585 F).
D. SUR LE RAPPEL DE SALAIRE
Aux termes de l'article R. 516-2 du Code du travail les demandes nouvelles dérivant du même contrat de travail sont recevables en tout état de cause, même en appel, sans que puisse être opposée l'absence de tentative de conciliation.
La demande de M. Zeline en rappel de salaire, non formulée en première instance est recevable.
A la lecture des fiches de paye, il apparaît que M. Zeline a perçu les sommes suivantes (salaire en brut) :
- octobre 1994 : 3.820,69 F - SMIC 6.009,64 F
- novembre 1994 : 4.093,60 F - SMIC 6.009,64 F
- décembre 1994 : 7.782,60 F
- janvier 1995 : 11.863,60 F
- février 1995 : 7.427,60 F
- mars 1995 : 4.303,60 F - SMIC 6.009,64 F
- avril 1995 : 4.093,60 F - SMIC 6.009,64 F
- mai 1995 : 4.093,60 F - SMIC 6.009,64 F
- juin 1995 : 4.154,00 F - SMIC 6.009,64 F
- juillet 1995 : 4.154,00 F - SMIC 6.249,62 F.
Ainsi pour 7 mois M. Zeline a perçu une rémunération mensuelle inférieure au SMIC.
L'employeur qui ne discute pas la réalité de ces chiffres, ne peut se prévaloir des dispositions conventionnelles moins favorables au salarié.
Il devra donc régler à titre de rappel de salaire la somme non discutée subsidiairement en son montant de 13.588,32 F.
Il serait inéquitable de laisser à la charge de M. Zeline les frais non compris dans les dépens soit la somme de 10.000 F.
La société conservera ces mêmes dépens à sa charge.
Par ces motifs : Confirme le jugement en ce qu'il a débouté M. Zeline de sa demande de dommages et intérêts pour rupture abusive et d'indemnité pour clause de non-concurrence non dénoncée ; Le Réforme dans sa partie déboutant M. Zeline de sa demande de dommages et intérêts pour non-respect de la procédure ; Statuant à nouveau sur ce point ; Condamne la société Abeille Vie à payer à M. Zeline la somme de 5.585 F (cinq mille cinq cent quatre vingt cinq francs) ; Déclare recevable la demande de M. Zeline en rappel de salaire ; Condamne la société Abeille Vie à lui verser à ce titre la somme de 13.588,32 F (treize mille cinq cent quatre vingt huit francs trente deux centimes) ; Condamne la société Abeille Vie à payer à M. Zeline la somme de 10.000 F (dix mille francs) au titre de l'article 700 du NCPC ; Déboute les parties du surplus de leur demande ; Condamne la société Abeille Vie aux dépens.