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Décisions

CA Angers, 3e ch., 6 novembre 1998, n° 9702676

ANGERS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Lacquemant

Défendeur :

Kompass France (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Thevenot

Conseillers :

MM. Guillemin, Midy, Mme Tocqueville

Avocats :

Mes Fretin-Bathily, Laherre.

Cons. prud'h. Saint-Nazaire, sect. encad…

2 février 1993

Alain Lacquemant a été embauché le 19 novembre 1971 par la société Kompass France comme VRP.

Sa rémunération était composée de commissions au taux de 25 % et d'une prime dite de création de clientèle, calculée à raison de 25 % au-delà d'un quota de 105 % du chiffre d'affaires départ.

Son salaire annuel brut a été de 406.781 F pour l'année 1991.

A la suite d'événements internes à l'entreprise, la société Kompass France, à compter de 1985, a engagé ses nouveaux VRP sur des bases de rémunérations différentes de celles accordées aux anciens VRP.

En 1991, la société Kompass France a demandé au Cabinet Arthur Andersen un audit sur la rémunération dans ses services commerciaux. Elle en tirait la conclusion qu'elle devait modifier les structures de rémunération tant des anciens VRP que des nouveaux.

Elle proposait a l'ensemble des VRP une rémunération composée d'un fixe mensuel de 5.500 F, d'une commission de 7 %, sur le chiffre d'affaires clients nouveaux et renouvellement, une prime de 5 % sur réalisation d'objectif clients nouveaux, d'une prime à l'atteinte du seuil de développement (3 % de ce dernier), d'une rémunération variable de 10% sur le chiffre d'affaires réalisé sur les ventes de librairies parues ou souscrites seules, une rémunération spéciale de 18 % sur apport de clients nouveaux, et une prime de développement de clientèle de 18 % sur le chiffre d'affaires hors taxe réalisé au-delà du seuil de développement.

Les nouveaux contrats de travail étaient proposés à l'ensemble du personnel commercial. Les anciens VRP parmi lesquels Alain Lacquemant, refusaient la modification de leur mode de rémunération. La société Kompass France procédait alors à un licenciement collectif pour motif économique. Dans le cadre de cette procédure le comité d'entreprise demandait l'organisation d'une expertise comptable pour déterminer la situation économique de l'entreprise.

La société Kompass France a licencié Alain Lacquemant par lettre recommandée avec accusé de réception du 19 novembre 1991 énonçant que :

- le système de rémunération des anciens contrats date de plus de 20 ans et n'est plus du tout adapté au contexte économique actuel ; il est fortement inflationniste puisqu'un franc de chiffre d'affaires réalisé au-delà du chiffre d'affaires départ actualisé engendre 0,80 F de coût commercial ; il n'est pas lié à l'atteinte des objectifs et est de ce fait peu compatible avec une logique de développement commercial ;

- alors que les performances moyennes des anciens contrats, en termes de progression de chiffre d'affaires sont nettement inférieures à celles des nouveaux, la rémunération moyenne des anciens contrats est supérieure de 80 % à celle des nouveaux, ce qui engendre un malaise au sein de la force de vente, l'inégalité des systèmes de rémunération pour un travail identique engendrant un turn-over élevé des nouveaux contrats ;

- une campagne de vente avait échoué, le chiffre d'affaires n'a augmenté que de 1,6 %, les dernières prévisions d'exploitation portent un résultat courant 91 inférieur à celui de 1990.

- il faut dégager des possibilités d'investissement pour l'avenir si nous voulons stopper le déclin d'activité constaté lors de cette campagne, assurer le développement de l'entreprise, et continuer à assurer à l'ensemble du personnel un emploi fixe, une évolution normale de sa rémunération et la participation des salariés aux fruits de l'expansion.

Alain Lacquemant contestant le caractère réel et sérieux du motif économique invoqué, a fait convoquer son employeur devant le Conseil de Prud'hommes de Saint-Nazaire pour obtenir sa condamnation à divers titres, dont l'un constitué par une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse d'un montant de 180.042 F, outre réparation de son préjudice moral et financier 540.126 F.

Cette juridiction a rendu le 2 février 1993 un jugement par lequel elle rejetait la demande d'indemnisation de Alain Lacquemant sur ces points.

Sur appel de Alain Lacquemant, la Cour d'appel de Rennes a rendu un arrêt du 24 novembre 1994, confirmatif sur ces points, en estimant que la modification substantielle des conditions de rémunération des VRP a été dictée par des impératifs de bonne gestion de l'entreprise, avait pour but de rétablir l'égalité entre les salariés, et d'assurer une meilleure organisation de l'entreprise, et que par conséquent le licenciement en cause avait bien une cause réelle et sérieuse.

Par arrêt du 14 octobre 1997, la Cour de Cassation a cassé cet arrêt en décidant, après avoir examiné la motivation sus exposée, qu'en statuant ainsi sans préciser si la modification du contrat de travail était consécutive à des difficultés économiques, à des mutations technologiques ou à une réorganisation effectuée pour sauvegarde la compétitivité de l'entreprise, la Cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

Alain Lacquemant sollicite l'infirmation du jugement dont appel pour voir condamner la société Kompass France à lui payer les sommes suivantes :

- 814.000 F à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 30.000 F par application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Il soutient que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse puisqu'il résulte d'une modification substantielle du contrat de travail imposée par l'employeur hors toute circonstance de difficulté économique, de mutation technologique ou de réorganisation de l'entreprise rendue nécessaire pour sauvegarder sa compétitivité : qu'une modification substantielle du contrat de travail ne peut être imposée au personnel ni lorsqu'elle procède de la volonté de réaliser des économies, ni lorsque la situation de l'entreprise lui permet de supporter sans dommage des exceptions à l'unité de rémunération des salariés ; qu'en l'espèce la situation de la société Kompass France était parfaitement saine ; que la juridiction administrative saisie de la contestation du licenciement des salariés protégés a estimé qu'il n'y avait pas de motif économique au licenciement collectif ; qu'aucune nécessité de sauvegarder la compétitivité de l'entreprise n'est établie ; qu'il est ainsi en droit de réclamer le paiement d'une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ; qu'il se trouve au chômage depuis 7 ans ; qu'il éprouve un préjudice considérable.

La société Kompass France conclut à la confirmation du jugement dont appel. Elle fait valoir que la rémunération des VRP n'était plus adaptée à la situation de l'entreprise ; que le fait résulte aussi bien du rapport d'audit de la société Arthur Andersen que de l'expertise comptable commandée par le comité d'entreprise ; que l'entreprise a connu en 1991 une diminution de son chiffre d'affaires en francs constants sur sa marchandise principale ; que le résultat d'exploitation a diminué par rapport à l'année précédente ; que ces phénomènes étaient plus marqués dans les ventes dans le secteur d'activité des VRP ; que l'employeur pouvait donc légitimement rechercher une structure de rémunération de ses salariés commerciaux qui soit plus incitative ; que l'harmonisation des modes de rémunération du personnel commercial constitue encore un motif admissible de modification substantielle du contrat de travail ; que le nouveau mode de rémunération a atteint ses objectifs sans d'ailleurs que les trois salariés anciens ayant accepté la modification de leur contrat de travail aient eu à subir une diminution de leur revenu.

Aux termes de l'article 321-1 du Code du Travail, constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification substantielle du contrat de travail, consécutive notamment, à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques. Lorsqu'elle n'est pas liée à des difficultés économiques, ou à des mutations technologiques, une réorganisation ne peut constituer un motif économique que si elle est effectuée pour sauvegarder la compétitivité de l'entreprise. Ne constitue donc pas un licenciement pour motif économique celui qui ne serait pas prononcé dans un tel cadre, pour des motifs étrangers à l'intérêt de l'entreprise, dans un seul souci d'économie ou d'accroissement des profits.

En l'espèce, il n'est pas contesté que la situation de la société Kompass France, qui a connu des difficultés en 1984, 1985 et 1986, était saine en 1991 et avait atteint un bon niveau de rentabilité. Le service commercial était composé d'environ 70 VRP dont moins de moitié sous le régime des anciens contrats de représentation. L'activité de la société Kompass France se situe dans un domaine intermédiaire entre la production et les services, le service commercial étant évidemment essentiel tant pour la réalisation des éditions d'annuaires que pour leur vente.

Le cadre économique du litige est précisément connu par le rapport d'audit du cabinet Arthur Andersen et par celui de l'expert comptable désigné par le comité d'entreprise.

Il résulte du premier que les modalités de rémunération des commerciaux sont en inadéquation avec la maîtrise et la recherche des objectifs commerciaux, et que celles des anciens commerciaux sont fortement inflationnistes et peu compatibles à moyen terme pour la société avec une logique économique de développement commercial.

Du second, il ressort que la société Kompass France ne connaît en 1991 aucune rupture majeure et aucun déséquilibre qui puisse mettre en danger la pérennité de l'entreprise et ses performances toutefois, il apparaît évident que son portefeuille d'activité se recompose en fonction de la demande et de l'évolution des techniques ; d'un point de vue stratégique, le produit phare de l'entreprise (les annuaires) est arrivé à un stade de maturité et qu'il a besoin d'être renouvelé progressivement ; l'unification des modes de rémunération des VRP apporte des transformations très sensibles dans la politique d'animation commerciale, dans les salaires des représentants et dans la structure des coûts de l'entreprise ; faute d'être consensuelle cette unification expose l'entreprise à des risques financiers et commerciaux importants.

Il apparaît à la lecture de ces documents que l'unification des modes de rémunération des représentants de la société Kompass France, qui entraînait pour Alain Lacquemant une modification d'un élément essentiel de son contrat de travail, constituait bien une réorganisation de l'entreprise en ce que :

- elle mettait fin à une dualité de statut au sein du groupe des représentants, et touchait ainsi à la structure du personnel,

- elle visait à des effets sur la production,

- elle était le moyen d'orienter une activité globalement fondée sur l'action des commerciaux.

Ils permettent de conclure que la modification du contrat de travail était bien faite dans l'intérêt de l'entreprise.Il est en effet justifié d'une stagnation des résultats de la société Kompass France, en 1991, à laquelle il devait être prêté attention, après un épisode difficile cinq ans auparavant ; dans le même temps, il est constaté une modification de la demande, qui tend à se porter sur des supports (CD-Rom et Minitel) distincts du support traditionnel, et dont il était prévisible qu'elle s'étendrait à Internet ; une telle conjoncture imposait une anticipation des évolutions en cours pour permettre des investissements sur les secteurs en développement et l'acquisition de clientèle pour ces nouveaux supports ; une telle action était nécessaire à la pérennité de l'entreprise sur le moyen terme et au maintien de sa compétitivité dans des domaines étrangers à son activité traditionnelle.La teneur des deux rapports autorise à conclure que la réorganisation du service commercial était un moyen mis en œuvre pour parvenir à ces fins.

Il doit encore être examiné si l'unification des statuts des commerciaux était nécessaire, et si la situation de l'entreprise ne lui permettait pas de supporter un mode de rémunération très avantageux pour des VRP anciens et appelés à être de plus en plus minoritaires dans l'équipe commerciale. Il est indéniable que dans sa situation de résultats de 1991, la société Kompass France pouvait supporter les rémunérations élevées de ses représentants anciens et le mode de fonctionnement qu'elles induisaient si l'on raisonne exclusivement en termes financiers, sans projection dans l'évolution prévisible de l'activité commerciale. Mais en premier lieu, ce maintien se faisait au détriment de la cohésion de l'équipe, le rapport du cabinet Arthur Andersen indiquant que la dualité de traitement au sein de l'équipe commerciale était génératrice de malaise, et d'un turn-over relativement important en second lieu, la modification de la rémunération des représentants anciens permettait de parvenir à une maîtrise dans la poursuite des objectifs commerciaux qui ne pouvait être obtenue autrement. Une analyse de la situation uniquement dans les termes de l'acquis conduisait donc à négliger l'objectif de maintien et sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise. L'unification des modes de rémunération pouvait donc être considérée comme nécessaire.

Dans ces conditions, la modification substantielle du contrat de travail de Alain Lacquemant doit être considérée comme fondée sur un motif économique.Alain Lacquemant ne peut prétendre au paiement d'une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Le jugement du Conseil de Prud'hommes de Saint- Nazaire doit être confirmé.

Il n'apparaît pas équitable de faire application en l'espèce de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile les demandes à ce titre doivent être rejetées.

Par ces motifs, LA COUR, Vu l'arrêt rendu le 14 octobre 1997 par la Cour de Cassation, en la forme, déclare l'appel recevable ; au fond, statuant dans la limite de la saisine, confirme le jugement déféré ; dit n'y avoir lieu à faire application en l'espèce de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ; Condamne Alain Lacquemant aux dépens.