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Décisions

CA Aix-en-Provence, 9e ch. soc., 13 janvier 1997, n° 94-15048

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Intexal (SA)

Défendeur :

Tirroloni

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Labignette

Conseillers :

MM. Blanc, Grand

Avocats :

Mes Trouve, Carlini.

Cons. prud'h. Marseille, sect. encadr., …

1 juillet 1994

FAITS ET PROCEDURE

Lucien Tirroloni engagé à compter du 27 septembre 1963, en qualité de VRP, par la société Cogema a été licencié par lettre du 6 avril 1993.

Lucien Tirroloni a saisi le Conseil de Prud'hommes de Marseille d'une demande tendant à la condamnation de la société Cogema à lui verser diverses sommes à titre de solde d'indemnité conventionnelle de rupture, de rappel de préavis, d'incidence de congés payés, de contrepartie pécuniaire de la clause de non-concurrence, de rappel de prime, de dommages et intérêts pour licenciement abusif et sans cause réelle, ni sérieuse et d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Le Conseil de Prud'hommes, suivant jugement en date du 1er juillet 1994, a condamné la SA Intexal à verser les sommes suivantes :

- indemnité pour clause de non-concurrence : 288 600 F ;

- indemnité conventionnelle de rupture : 261 895 F ;

- indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 144 300 F.

Le 12 juillet 1994 l'employeur a régulièrement relevé appel de cette décision, appel limité à l'indemnité conventionnelle de rupture.

Le 13 juillet 1994 le salarié a relevé appel le limitant au quantum des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et abusif et à l'indemnité fondée sur l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES

La SA Intexal, qui vient aux droits de la société Cogema, a développé des conclusions transmises à la Cour le 2 octobre 1996, faisant valoir que le salarié ne pouvait prétendre à un complément d'indemnité conventionnelle de licenciement calculée en référence aux dispositions de la Convention Collective de l'Industrie Textile.

Elle critique le salarié en qu'il conclut que soit écartée la qualité de VRP, alors qu'il remplissait les critères pour bénéficier du statut par l'exercice d'une activité de prospection auprès de clients en vue de prendre des ordres. Elle souligne que, la Convention Collective de l'Industrie Textile précisant que les parties signataires confirment leur adhésion à l'accord national interprofessionnel du 3 octobre 1975, c'est ce dernier texte qui s'applique à la situation de Lucien Tirroloni.

Elle ajoute que la Convention Collective Nationale des VRP, à dater de l'arrêté d'extension la rendant applicable s'imposait aux parties, en se substituant à la Convention Collective nationale de la branche. Elle relève que pour réclamer la contrepartie pécuniaire de la clause de non-concurrence Lucien Tirroloni s'est fondé sur la Convention Collective Nationale des VRP.

La SA Intexal conclut à la réformation du jugement entrepris en ce qui concerne le solde de l'indemnité conventionnelle de licenciement et l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, au rejet des demandes de Lucien Tirroloni et à ce qu'il lui soit donné acte de ce qu'elle a versé au salarié la somme de 288 600 F à titre d'indemnité pour clause de non-concurrence.

L'intimé affirme que ses bulletins de salaires mentionnent comme convention collective applicable celle de l'industrie textile et le coefficient 400 qui est spécifique à cette convention collective. Lucien Tirroloni relève qu'il était affilié à la Cartex, caisse de retraite complémentaire propre à l'industrie textile. Il estime que la Convention Collective de l'Industrie Textile a été appliquée de l'accord exprès des parties. De plus cette convention collective régissait l'ensemble des représentants à titre d'usage d'entreprise puisque les indemnités de rupture des représentants licenciés l'ont été en référence aux dispositions de la Convention Collective Nationale de l'Industrie Textile.

Il ajoute qu'il n'avait pas la qualité de VRP puisqu'il ne jouissait d'aucune indépendance dans son activité professionnelle et que la partie technique de son activité l'emportait très largement sur la partie commerciale qui ne durait que quatre mois de l'année. Il relève que son secteur a été de nombreuses fois remanié alors que l'un des éléments essentiels du statut de VRP est la fixité du secteur. Il en tire comme conséquence que ne peut être retenue la Convention Collective Nationale des VRP.

Lucien Tirroloni conclut à la confirmation de la décision déférée en ce qui concerne la somme qui lui a été accordée à titre d'indemnité conventionnelle et faisant appel incident Lucien Tirroloni forme les demandes suivantes :

- dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 1 141 650 F ;

- dommages-intérêts pour licenciement abusif : 100 000 F;

- indemnité, pour les frais irrépétibles de première instance et d'appel, sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile : 50 000 F.

MOTIFS DE LA DECISION

Attendu que l'appelant ne peut, par des conclusions postérieures à l'expiration du délai d'appel, comme c'est le cas en l'espèce, sortir des limites qu'il avait lui-même assignées à son appel dans la lettre d'appel ;

Attendu que dans cette lettre l'employeur déclarait expressément que son appel ne visait que l'indemnité conventionnelle de rupture ;

Attendu que par voie d'appel incident l'intimé ne critique que les chefs du jugement concernant le quantum des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et abusif et l'indemnité accordée pour ses frais de première instance ;

Attendu qu'en conséquence n'est pas déférée à la Cour la partie de la décision des premiers juges concernant l'appréciation des motifs du licenciement et relative à l'indemnité pour clause de non-concurrence ;

Attendu qu'il n'y a pas lieu d'examiner les moyens des parties relatifs à la réalité et au sérieux des griefs invoqués, ne pouvant être critiquée la décision des premiers juges en ce qu'elle a dit que le licenciement du salarié était sans cause réelle et sérieuse ;

SUR LES DOMMAGES-INTERETS

Attendu que Lucien Tirroloni était dans l'entreprise depuis 1963 ; que son salaire moyen brut s'établissait à la somme mensuelle de 21 137 F ; qu'il fournit seulement des relevés d'allocations de chômage pour les années 1993-1994 ;qu'ensuite il a perçu des indemnités journalières de la sécurité sociale ; que son licenciement et la période de privation d'emploi qui en est la conséquence auront une incidence sur le montant de la retraite qu'il percevra ; qu'il a effectué de très nombreuses démarches, de 1993 à 1996 pour retrouver un emploi ainsi que cela est justifié par les multiples lettres, qu'il communique, de réponses à sa candidature ; qu'il ressort du certificat médical établi le 24 juin 1996 par le Docteur Tiran que Lucien Tirroloni est suivi depuis de nombreux mois pour un état pathologique réactionnel à de graves difficultés professionnelles ;

Attendu qu'il résulte de ces éléments qu'il est justifié de réparer le préjudice qu'il a subi à la suite de son licenciement sans cause réelle et sérieuse, par une somme de 800 000 F à titre de dommages-intérêts ;

Attendu que malgré l'ancienneté de Lucien Tirroloni l'employeur l'a dispensé de préavis alors que ce départ brusque de l'entreprise, du fait de l'employeur, était de nature à jeter une suspicion sur les qualités de ce salarié ; qu'au cours de l'entretien préalable M. Petit a déclaré au salarié " vous avez cinquante-trois ans ; la nouvelle politique c'est de mettre en place des gens qui durent au mois dix ans ", traduisant ainsi le peu de considération qu'il avait de l'âge du salarié (compte rendu d'entretien préalable établi par Mme Muller, qui assistait Lucien Tirroloni lors de cet entretien) ; que sont sans portée les déclarations de M. Petit, auteur de ces propos contenus dans une note interne du 21 octobre 1993, ainsi que la correspondance de M. Bouvier, signataire de la lettre de licenciement, du 22 octobre 1993 ;

Attendu que le licenciement de Lucien Tirroloni est survenu dans des conditions vexatoires caractérisant de la part de l'employeur un abus dans l'exercice de sa faculté de résiliation unilatérale du contrat de travail ; que la SA Intexal sera condamnée à payer à Lucien Tirroloni une somme de 30 000 F à titre de dommages intérêts en réparation de ce chef de préjudice distinct ;

SUR L'INDEMNITE DE LICENCIEMENT

Attendu que l'existence d'un secteur fixe de prospection étant un élément essentiel du statut de VRP, l'absence de cette condition exclut que le salarié puisse être soumis aux dispositions de l'article 751-1 du Code du Travail et à celles de la Convention Collective Nationale des VRP ;

Attendu que le secteur initial déterminé par le contrat de travail du 29 janvier 1968, qui prévoyait la possibilité pour l'employeur de modifier le secteur de Lucien Tirroloni, et qui comprenait deux départements (13, 30), a été modifié à de nombreuses reprises:

- avenant du 16 février 1971 : le Vaucluse est ajouté ainsi que la Corse mais le Gard est supprimé ;

- avenant du 18 janvier 1972 : 07-13-20-26-30-43-84 ;

- avenant applicable à compter du 15 février 1972 : 04-05-06-13-20-30-34-48-83-84 ;

- avenant applicable à compter du 15 août 1972 : 04-05-06-13-20-30-34-48-83-84 ;

- avenant applicable à compter du 1er février 1974 : 04-05-06-20-26-83

- avenant applicable à compter du 15 février 1982 : 2A-2B-04-05-06-26-38-83 ;

- avenant applicable à compter du 15 août 1983 : 07-13-26-30-43-48-64 ;

- avenant applicable à compter du 1er juillet 1985 : 31-09-principauté d'Andorre-66-11-34-81-12-15-30 et 13;

- lettre du 28 décembre 1990 avisant Monsieur [sic] qu'intervenait comme nouveau représentant Madame Aussourd à la place de Monsieur Lucien Tirroloni ;

- Courrier du 30 décembre 1992 : 01-04-05-06-07-13-20-26-30-34-38-48-69-74-83-84 ;

Attendu que ces avenants multiples avaient pour conséquence que le salarié n'avait pas de secteur fixe de prospection, ce qui exclut que puisse lui être reconnu le statut de VRP;

Attendu que surabondamment la Cour note que l'employeur, vis-à-vis de la catégorie de salariés à laquelle Lucien Tirroloni appartenait, a manifesté clairement son intention de prendre un engagement de nature collective de verser une indemnité conventionnelle de licenciement calculée selon les dispositions de la Convention Collective Nationale des Industries Textiles ;

Attendu que dans une lettre du 10 décembre 1986 l'employeur écrivait à M. Gay, qui avait la qualification de VRP : " Vous toucherez également une indemnité compensatrice de congés payés et une indemnité conventionnelle de licenciement. Conformément à notre convention collective nationale de l'industrie textile, compte tenu de votre ancienneté, cette dernière indemnité se montera à 5,76 mois calculée sur la moyenne de votre rémunération totale des douze derniers mois payés " ;

Attendu que d'anciens salariés de l'entreprise, qui avaient été qualifiés de VRP, ont attesté qu'ils avaient perçu une indemnité calculée selon les modalités prévues par la convention nationale des industries textiles : M. Thibaud (qui a quitté l'entreprise en 1983), Monsieur Frizot, Monsieur Renaudat (dont les fonctions ont pris fin en 1990), Monsieur Dupont-Franklin (licencié en novembre 1992), Monsieur Parat (dont le contrat a été rompu en 1992) ;

Attendu que dans ses conclusions de première instance Lucien Tirroloni invoquait également la Convention Collective Nationale des Industries Textiles et qu'en ce qui concerne la contrepartie pécuniaire de la clause de non-concurrence il précisait qu'elle était due quelle que soit la convention collective applicable (Textile ou VRP) ; que dans ces conditions le salarié n'invoquait pas à titre principal la convention collective nationale des VRP et ne reconnaissait pas que cette convention lui était applicable à titre principal ;

Attendu que dans ces conditions Lucien Tirroloni peut réclamer l'indemnité conventionnelle prévue par la Convention Collective Nationale des Industries Textiles et qu'il y a lieu de confirmer la décision entreprise ;

Attendu que la Cour n'étant pas saisie du chef de la contrepartie pécuniaire de la clause de non-concurrence il n'y a pas lieu d'accueillir la demande de donné acte formée par la SA Intexal sur ce point ;

Attendu que l'équité en la cause commande de condamner la SA Intexal, en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, à payer à Lucien Tirroloni la somme de 12 000 F au titre des frais exposés en première instance et en appel et non compris dans les dépens ;

Vu l'article 696 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en matière prud'homale ; Confirme le jugement entrepris en ce qui concerne l'indemnité conventionnelle de rupture avec intérêts de droit à compter de la demande en justice ; Réformant sur les dommages-intérêts le jugement déféré ; Condamne la SA Intexal à payer à Lucien Tirroloni les sommes suivantes : 800 000 F à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ; 30 000 F à titre de dommages intérêts pour licenciement abusif intervenu dans des conditions vexatoires ; 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile. Condamne la SA Intexal aux dépens.