Cass. com., 25 avril 2001, n° 99-11.439
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
Grandjean
Défendeur :
Ford France (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Dumas
Rapporteur :
Mme Mouillard
Avocat général :
M. Feuillard
Avocats :
SCP Tiffreau, SCP Delaporte, Briard.
LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles, 10 décembre 1998), que la société Ford France (société Ford) a notifié à la société D. Larat et Cie (société Larat) la résiliation à effet immédiat du contrat de concession à durée indéterminée qui les liait depuis le 30 septembre 1985 ; qu'estimant cette résiliation injustifiée, la société Larat l'a assignée en paiement de dommages et intérêts et de la valeur des stocks et accessoires ;
Sur le premier moyen, pris en ses cinq branches : - Attendu que le liquidateur de la société Larat fait grief à l'arrêt d'avoir déclaré la résiliation justifiée et d'avoir en conséquence rejeté sa demande d'indemnisation, alors, selon le moyen : 1°) que la clause résolutoire doit exprimer, sans équivoque, la commune intention des parties de mettre fin de plein droit à leur convention ; qu'en l'espèce, il résulte des propres constatations de l'arrêt infirmatif attaqué que l'article 26 C (x) du contrat de concession prévoit "dans une rubrique C titrée "Événements Exceptionnels" que "le (concédant) pourra à tout moment, avec effet immédiat et par simple avis notifié au concessionnaire faire résilier le présent contrat dans les cas suivants (x) présentation par le concessionnaire au concédant de toute demande de paiement non fondée ou présentation de tout rapport ou relevé qui s'avérerait faux ou frauduleux" ; qu'il s'évinçait de ces stipulations claires, précises et exclusives d'interprétation, que n'entrait pas dans le champ contractuel le seul fait de remplir et retourner au concédant des questionnaires adressés par celui-ci à la clientèle du concessionnaire ; que dès lors, en déclarant qu'"en falsifiant des rapports d'enquête destinés à la clientèle, comme il est acquis aux débats, la société D. Larat s'est nécessairement approprié lesdits rapports, de sorte que ceux-ci s'analysent en "une présentation de rapports ou relevés" émanant du concessionnaire qui se sont avérés faux ou frauduleux et qui ont entraîné, même s'ils ne comportaient pas expressément une demande en ce sens, des paiements indus, et ce, au sens de l'article 26 Cx", la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis du dit article 26 C (x) et, par suite, a violé l'article 1134 du Code civil ; 2°) qu'au surplus, à supposer par hypothèse que les stipulations de l'article 26 C (x) du contrat de concession fussent insuffisamment claires et précises pour appeler leur application littérale, leur interprétation devait être faite de façon stricte et en faveur du concessionnaire ayant contracté l'obligation ; que dès lors, en élargissant le champ contractuel au fait, non prévu à la clause litigieuse stipulée à la charge du concessionnaire, de remplir et retourner au concédant des questionnaires adressés par celui à la clientèle du concessionnaire, la cour d'appel a violé les articles 1134, 1156, 1162 et 1163 du Code civil ; 3°) que la clause résolutoire ne peut produire effets que lorsqu'elle est invoquée de bonne foi, la mauvaise foi du cocontractant pouvant résulter des circonstances qui ont précédé ou accompagné la résolution ; que, dans un contrat de concession, la mauvaise foi peut, notamment, résulter de la violation de l'obligation de loyauté ; qu'en l'espèce, le concessionnaire faisait valoir qu'en violation notamment de l'article 33 du contrat, le concédant s'était délibérément ingéré dans ses affaires depuis plusieurs années, notamment en ayant passé outre son refus formel et réitéré de voir utiliser abusivement son papier à en-tête et sa signature commerciale dans le cadre de campagnes publicitaires et d'offres commerciales lancées par le seul concédant ; que ces manquements contractuels du concédant à l'indépendance du concessionnaire avaient incité ce dernier à commettre ceux qui lui étaient reprochés et qui avaient servi de prétexte à mettre en œuvre de mauvaise foi la clause résolutoire, pour vaincre la résistance légitime du concessionnaire ; que dès lors, en affirmant par un motif d'ordre général que ces procédés auraient constitué des "pratiques qui relèvent d'un procédé commercial habituel dans le cadre de campagnes nationales, même si ce procédé a été régulièrement dénoncé par M. Dominique Larat (...) et ne saurait justifier" le grief imputé à ce dernier, sans s'expliquer davantage sur ce qui précède, la cour d'appel a violé les articles 1134 et 1184 du Code civil ; 4°) qu'au reste, dans ses conclusions d'appel, s'agissant des questionnaires retournés, le concessionnaire contestait "l'affirmation selon laquelle ces renvois auraient été faits avec une intention frauduleuse ; tout a été fait pour attirer l'attention de Ford France, l'adresse de la concession figure sur tous les questionnaires retournés à Ford France directement par la société Larat, les notes maximums ont été biffées pour toutes les questions, qu'elles déterminent ou non l'allocation d'un avantage, tous les questionnaires ont ainsi été retournés, dans les mêmes conditions, aucun des questionnaires ne comporte de remarque ni ne mentionne d'information personnelle du client dans le cadre réservé à cet effet, le taux de retour des questionnaires a été très largement supérieur à la normale" et concluait que "ce grief est d'autant plus artificiel que Ford France n'a jamais fait part à son concessionnaire de reproche sur la qualité des services offerts à la clientèle, que ce soit en cours d'exécution du contrat ou même dans la lettre de résiliation", en "sachant que cette manière de procéder serait détectée par Ford France et n'aurait strictement aucune influence sur le programme mis en place par elle" ; qu'il en résultait que, loin d'avoir commis une fraude préjudiciable au concédant, au sens de l'article 26 C (x), invoqué par celui-ci au soutien de la mise en œuvre de la clause résolutoire, le concessionnaire, dont la qualité d'exécution de ses obligations contractuelles n'avait jamais été mise en cause durant treize années, ni davantage dans la lettre de rupture, n'avait commis qu'un manquement véniel provoqué par le comportement du concédant, en ayant rempli ab irato et de façon ostensiblement inhabituelle des questionnaires retournés sous son timbre au concédant, pour inciter celui-ci à respecter le contrat ; qu'en omettant de s'en expliquer au regard des stipulations de l'article 26 C (x) précité de la clause résolutoire, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard des articles 1134 et 1184 du Code civil ; 5°) qu'enfin, en omettant de dire concrètement, au regard de ce qui précède, en quoi les agissements reprochés au concessionnaire auraient caractérisé "l'emploi de procédés frauduleux susceptibles de fausser le classement du concessionnaire, de tromper le client et de porter atteinte à la sécurité des véhicules" (p. 12), la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard des articles 1134 et 1184 du Code civil ;
Mais attendu qu'ayant relevé que la société Larat avait remis au concédant 70 questionnaires de satisfaction destinés à la clientèle qu'elle avait falsifiés, l'arrêt retient que de tels agissements, susceptibles de fausser le classement des concessionnaires et de tromper le client, caractérisent de la part du concessionnaire un manquement particulièrement grave à son devoir de loyauté et de probité à l'égard du concédant et entrent dans le champ d'application de l'article 26 C x qui autorise le concédant à résilier immédiatement le contrat "en cas de présentation par le concessionnaire de tout rapport ou relevé qui s'avérerait faux ou frauduleux"; que les juges ajoutent que la société Larat ne saurait prétendre justifier ce comportement frauduleux par les pratiques antérieures de la société Ford qui, si elle a utilisé la signature par "scannérisation" de M. Larat et le nom commercial de sa société pour effectuer des actions publicitaires, n'a fait qu'user de procédés habituels dans les campagnes nationales, même si M. Larat avait revendiqué, ainsi que le contrat l'y autorisait, de mener lui-même des actions publicitaires auprès de sa clientèle propre ; qu'à partir de ces constatations et énonciations déduites de son appréciation souveraine des faits de la cause et justifiant légalement sa décision, la cour d'appel, qui n'a pas dénaturé le contrat de concession, a pu décider que la résiliation notifiée par la société Ford entrait dans les prévisions contractuelles; que le moyen n'est fondé en aucune de ses cinq branches ;
Mais sur le second moyen, pris en ses deux branches : - Vu l'article 4 du nouveau Code de procédure civile : - Attendu que pour condamner la société Ford à payer au liquidateur de la société Larat une somme de 1 107 465,61 francs au titre de la reprise du stock de pièces de rechange, l'arrêt relève que les parties sont d'accord sur le principe de ce rachat puis retient que, par une lettre du 5 mars 1996, le liquidateur avait donné son accord pour ce montant qui représente la valeur du stock déduction faite d'une créance de la société Ford, à ce titre, de 547 263,23 francs ;
Attendu qu'en statuant ainsi alors que, dans ses écritures, M. Grandjean, ès qualités, persistait à réclamer la somme de 2 456 824,60 francs et que la société Ford ne critiquait pas ce montant, la cour d'appel a dénaturé les termes du litige et violé le texte susvisé ;
Par ces motifs : casse et annule, mais seulement en ce qu'il a condamné la société Ford à reprendre le stock de pièces détachées moyennant le versement à M. Grandjean, ès qualités, de la somme de 1 107 465,61 francs, l'arrêt rendu le 10 décembre 1998, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris.