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Décisions

Cass. 3e civ., 31 janvier 2001, n° 98-12.895

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Brasserie et Développement (SA), Brasserie et Développement Patrimoine (EURL), Interbrew France (SA)

Défendeur :

Vieren (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Beauvois

Rapporteur :

M. Betoulle

Avocat général :

M. Baechlin

Avocats :

SCP de Chaisemartin, Courjon, SCP Peignot, Garreau.

TGI Lille, du 5 janv. 1995

5 janvier 1995

LA COUR : - Sur le premier moyen : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Douai, 11 décembre 1997), que la société Jupiler, aux droits de laquelle se sont successivement trouvés les sociétés Motte Cordonnier, Interbrew, Brasserie et Développement et finalement l'EURL Brasserie et Développement Patrimoine, a donné à bail aux époux Salembier, aux droits desquels se trouve la société Vieren, un immeuble à usage de débit de boissons, ce bail étant assorti d'une clause de fourniture exclusive de boissons auprès de la société Jupiler ; que par acte extra-judiciaire du 22 décembre 1989, la société Vieren a formé une demande de renouvellement auprès de la société Motte Cordonnier alors bailleresse qui n'a pas répondu mais a délivré le 4 septembre 1991 un congé à effet du 30 mars 1992, portant refus de renouvellement sans indemnité d'éviction, puis a assigné la locataire pour faire déclarer le congé valable et ordonner son expulsion ; que la société Brasserie et Développement et l'EURL sont intervenues à l'instance pour reprendre cette demande et subsidiairement demander la résiliation du bail ou en cas de nullité de la clause de fourniture exclusive, l'annulation du bail ;

Attendu que la société Brasserie et Développement fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande de résiliation, alors, selon le moyen : 1°) qu'aux termes de l'article 21, alinéa 1, du décret du 30 septembre 1953, sauf stipulation contraire du bail ou accord du bailleur, toute sous-location totale ou partielle est interdite ; qu'en l'espèce, le bail du 6 septembre 1978 ne comportait aucune stipulation contraire, l'article 1 du bail disposant seulement que la preneuse déclarait avoir connaissance des sous-locations existantes tant au point de vue de l'occupation des lieux que des conditions de celles-ci et l'article 10 du bail prévoyant expressément que "la preneuse ne pourra sous-louer les lieux qui font l'objet du présent bail, ni donner en location le fonds de commerce exploité dans lesdits lieux" ; que dès lors, en estimant que les dispositions du bail pouvaient notamment signifier que la sous-location était autorisée pour la partie habitation et interdite pour la partie commerciale et que l'interprétation que requéraient ces dispositions interdisait de considérer comme fautives les sous-locations pratiquées, la cour d'appel a violé les articles 1134 du Code civil et 21 du décret du 30 septembre 1953 ; 2°) qu'il résulte des dispositions des alinéas 2 et 4, de l'article 21, du décret du 21 septembre 1953 que, même en cas de sous-location autorisée, le propriétaire doit être appelé à concourir à l'acte et que le locataire doit faire connaître au propriétaire son intention de sous-louer par acte extrajudiciaire ou par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ; que dès lors en l'espèce, en omettant de rechercher, comme il le lui était demandé, si la société Vieren avait respecté ces prescriptions impératives lorsqu'elle avait consenti des sous-locations, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des dispositions de l'article susvisé et de l'article 1184 du Code civil ;

Mais attendu qu'ayant relevé, sans dénaturation, que les clauses 1 et 10 du bail étaient contradictoires quant à la faculté de sous-location, la cour d'appel, sans être tenue de procéder à une recherche non demandée, a pu en déduire que l'interprétation que ces dispositions requéraient, interdisait de considérer comme fautives les sous-locations reprochées à la société Vieren ; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le deuxième moyen : - Attendu que la société Brasserie et Développement fait grief à l'arrêt de déclarer nulle à compter du 4 juillet 1995 la clause de fourniture exclusive stipulée au bail, alors, selon le moyen : 1°) que l'article 1er de la loi du 14 octobre 1943 selon lequel "est limitée à dix ans la durée maximale de validité de toute clause d'exclusivité, par laquelle l'acheteur, cessionnaire ou locataire de biens meubles s'engage vis-à-vis de son vendeur, cédant ou bailleur, à ne pas faire usage d'objets semblables et complémentaires en provenance d'un autre fournisseur" n'est pas applicable à la clause d'exclusivité stipulée dans un contrat de location portant sur un immeuble ; que dès lors en l'espèce, en retenant que le fait que la clause de fourniture exclusive de bière ait été insérée dans un contrat de bail portant sur un immeuble ne pouvait avoir pour effet de la faire échapper aux dispositions de l'article 1er de la loi du 14 octobre 1943 et qu'il y avait lieu d'annuler cette clause en ce qu'elle dépassait la durée maximale de 10 ans autorisée par cet article, la cour d'appel a violé, par fausse application, ledit article ; 2°) que l'article 8, paragraphe 2 du règlement n° 1984-83 du 22 juin 1983 de la Commission des Communautés européennes prévoit que lorsque l'accord de fourniture de bière concerne un débit de boissons que le fournisseur a donné en location au revendeur ou dont il lui a conféré la jouissance en droit ou en fait, des obligations d'achat exclusif peuvent être imposées au revendeur pendant toute la période durant laquelle il exploite effectivement le débit de boissons que le fournisseur, la société Jupiler France, aux droits de laquelle se trouvent la société Brasserie et Développement et l'EURL Brasserie et Développement Patrimoine, avait donné en location au revendeur ; que dès lors, en retenant que la durée de la clause de fourniture exclusive de bière ne pouvait excéder dix ans, la cour d'appel a violé l'article susvisé ;

Mais attendu qu'ayant exactement relevé que l'insertion de la clause de fourniture exclusive dans un contrat de bail d'immeuble ne pouvait avoir pour effet de la faire échapper aux dispositions d'ordre public de la loi du 14 octobre 1943, la cour d'appel, qui a constaté que la clause dont se prévalait la société Brasserie et Développement concernait d'autres boissons que les bières et était stipulée sans indication de durée, a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision de ce chef ;

Sur le troisième moyen : - Attendu que la société Brasserie et Développement fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande en nullité du bail, alors, selon le moyen, que lorsqu'une clause de fourniture exclusive de bière est une condition déterminante du bail commercial, sa nullité entraîne celle du bail tout entier ; que, dès lors en l'espèce, en estimant, après avoir constaté que la clause de fourniture exclusive de bière était une condition essentielle du bail sans laquelle les parties n'auraient point contracté, que l'annulation de cette clause ne pouvait avoir pour conséquence l'annulation du bail tout entier, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations au regard des dispositions de l'article 1172 du Code civil ;

Mais attendu qu'ayant relevé que la clause de fourniture exclusive, générale et absolue, portait atteinte au droit au renouvellement en assurant au bailleur, en raison de la menace d'annulation du bail tout entier, la pérennité d'une stipulation interdite par une disposition d'ordre public, la cour d'appel a décidé, à bon droit, nonobstant le fait que les parties étaient convenues que cette clause était essentielle, que son annulation ne devait pas entraîner celle du bail; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Par ces motifs : rejette le pourvoi.