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Décisions

Cass. com., 14 décembre 1999, n° 98-11.320

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

RMJ (EURL)

Défendeur :

Comptoirs Modernes Économiques de Rennes (SAS), Comptoirs Modernes Économiques de Rennes (SA), Docks de l'Ouest (SA), Franchise Comptoirs Modernes (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Dumas

Rapporteur :

Mme Mouillard

Avocat général :

Mme Piniot

Avocats :

SCP Waquet, Farge, Hazan, Me Blondel.

T. com. Nantes, du 13 mai 1996

13 mai 1996

LA COUR : - Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué (Rennes, 19 novembre 1997) que, par acte notarié du 27 novembre 1989, l'EURL RMJ, dont Mme Guibert était la gérante, a acheté à la société Docks de l'ouest, qui lui a simultanément consenti un bail sur les murs, un fonds de commerce d'alimentation générale jusqu'alors exploité en location-gérance par la société anonyme Comptoirs modernes économiques de Rennes (CMER) ; que, le 30 novembre suivant, l'EURL RMJ a signé avec la société Franchise des comptoirs modernes un contrat de franchise afin d'exploiter le fonds sous l'enseigne COMOD et, avec la société CMER, un contrat d'approvisionnement non exclusif ; que des différends ont opposé les parties, en sorte que la société CMER a assigné l'EURL RMJ en paiement de diverses factures cependant que cette dernière demandait reconventionnellement à ses trois cocontractantes, aux droits desquelles vient la SAS Comptoirs modernes économiques de Rennes, l'annulation des contrats, tant de cession que de franchise et d'approvisionnement, ainsi que le paiement de diverses indemnités ;

Sur le premier moyen, pris en ses cinq branches : - Attendu que l'EURL RMJ fait grief à l'arrêt du rejet de sa demande d'annulation des contrats pour dol alors, selon le pourvoi, d'une part, que la "légèreté blâmable" de la victime, celle-ci serait-elle professionnelle, ne constitue pas un fait justificatif du dol ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé l'article 1116 du Code civil ; alors, d'autre part, que l'EURL RMJ reprochait à son vendeur d'avoir indiqué à tort dans l'acte de vente que la comptabilité du fonds de commerce était consultable au siège, alors que cette comptabilité n'existait pas (conclusions récapitulatives, p. 10 et 11) ; qu'en se bornant à énoncer qu'il n'y a pas eu réticence dolosive de la part du vendeur sans s'expliquer sur cette affirmation mensongère qui avait du reste été retenue par le jugement infirmé (p. 35) et sans rechercher si ce mensonge n'avait pas eu pour seul objet de dissuader l'acquéreur de vérifier plus avant l'exactitude des résultats antérieurs annoncés par le vendeur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1116 du Code civil ; alors, en outre, que l'EURL RMJ faisait valoir dans ses conclusions d'appel récapitulatives (p. 11, 16) que son vendeur avait affirmé lors de la vente que les chiffres d'affaires présentés dans le compte d'exploitation prévisionnel résultaient d'une étude de marché "réalisée préalablement à la vente" ; qu'il s'est avéré cependant que le vendeur était incapable de justifier d'une telle étude ; qu'en se bornant à énoncer qu'il n y a pas eu réticence dolosive de la part du vendeur sans s'expliquer sur cette nouvelle affirmation mensongère - qui avait été retenue par le jugement infirmé (p. 36) - concernant la réalisation d'une étude de marché avant la vente, et sans rechercher si cette manœuvre n'avait pas eu pour seul but de dissuader l'acquéreur de vérifier plus avant la fiabilité des résultats prévisionnels avancés par son vendeur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1116 du Code civil ; alors, au surplus, que le tribunal avait retenu, pour caractériser les manœuvres dolosives du vendeur, que celui-ci avait calculé la marge prévisionnelle de 18,5 % sans tenir compte de la majoration de 4 % des conditions d'achat qui serait pratiquée à l'égard de l'acquéreur ; que l'EURL RMJ précisait que cette majoration représentait une charge supplémentaire pour le fonds de 300 000 F par an, ce qui réduisait à néant les prévisions de bénéfices annoncés par le vendeur dans ses comptes prospectifs (p. 23 des conclusions d'appel récapitulatives) ; qu'en se bornant à énoncer qu'il n'y a pas eu réticence dolosive de la part du vendeur sans s'expliquer sur cette manœuvre dolosive du vendeur qui a consisté à présenter en toute connaissance de cause des prévisions nécessairement faussées puisqu'elles ne tenaient pas compte de l'augmentation de prix d'achat des marchandises de 4 % qui serait appliquée à l'acquéreur en sa qualité de franchisé du groupe Comptoirs Modernes, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1116 du Code civil ; et alors, enfin, que le tribunal avait ajouté que, parmi les charges mentionnées dans le compte prévisionnel, le poste salaire était manifestement sous-évalué car manquait notamment le salaire d'un boucher, outre celui du responsable ; que l'EURL RMJ produisait aux débats devant la cour des bulletins de paie établissant que jusqu'en novembre 1989, date de la cession, le cédant avait employé un certain M. Beteau en qualité de "boucher-gérant" ; qu'elle soulignait que ce nom ne figurait pas dans la liste du personnel du fonds cédé annexée à l'acte de vente et ajoutait que le salaire de cet employé pourtant indispensable au bon fonctionnement du fonds d'alimentation générale, "avec rayon boucherie" n'avait pas été compris dans le poste "salaires" du compte prévisionnel remis par le vendeur ; qu'en retenant cependant que la masse salariale avait été mentionnée en tenant compte des projets de Mme Guibert qui excluaient que celle-ci puisse bénéficier d'un contrat de travail, sans s'expliquer sur la manœuvre dolosive du vendeur ayant consisté à minorer délibérément les charges du fonds vendu en occultant le salaire d'un boucher de façon à masquer que l'exploitation du fonds vendu était, du fait de cette charge supplémentaire incompressible, structurellement déficitaire, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1116 du Code civil ;

Mais attendu que, pour estimer qu'aucune manœuvre dolosive ne peut être reprochée à la société CMER, l'arrêt retient que cette dernière a produit les documents dont elle disposait, contenant les chiffres réels, obtenus par des modes de calcul non critiquables, qui faisaient état de résultats bruts déficitaires, et que c'est Mme Guibert qui a fait preuve d'imprudence en ignorant ces résultats négatifs ainsi que les réserves circonstanciées et les conseils prodigués par son notaire, puisqu'elle a repris un magasin d'alimentation générale dans un secteur d'activité très concurrentiel, dans une zone défavorisée et en voie de dépeuplement, et, s'est abstenue de consulter un expert comptable qui aurait transposé en "comptabilité ordinaire les documents analytiques établis par la venderesse dans un cadre succursaliste" et aurait apprécié la vraisemblance du document prévisionnel remis par cette dernière lequel, bien qu'optimiste comme toujours en pareilles circonstances, faisait cependant preuve d'ambitions modestes et prenait en compte la masse salariale selon les projets de Mme Guibert; qu'en l'état de ces motifs déduits de son appréciation souveraine des faits et circonstances de la cause, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de suivre l'EURL RMJ dans le détail de son argumentation, a justifié sa décision; que le moyen n'est fondé en aucune de ses cinq branches ;

Sur les deuxième et troisième moyens, réunis : - Attendu que l'EURL RMJ reproche encore à l'arrêt d'avoir rejeté ses demandes d'annulation des contrats pour dol et de remboursement de la majoration de 4 % des prix des marchandises pratiquées par le groupe alors, selon le pourvoi, d'une part, qu'elle faisait valoir dans ses conclusions d'appel récapitulatives (p. 11) que son vendeur avait déclaré au chapitre "Hygiène Salubrité Sécurité" du contrat de vente n'être sous le coup d'aucune injonction particulière alors que, le 17 novembre 1989, soit quelques jours avant la signature de la vente, il avait fait l'objet d'un rapport du service de la répression des fraudes qui tendait à établir que les installations vendues n'étaient pas conformes à la réglementation en vigueur ; qu'en ne s'expliquant pas sur ce mensonge portant sur une qualité substantielle du fonds vendu, mensonge qui avait été retenu par le jugement infirmé pour conclure à la nullité du contrat pour dol (p. 35 in fine), la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1116 du Code civil ; et alors, d'autre part, que, dans ses conclusions récapitulatives, elle reprochait au groupe Comptoirs modernes de pratiquer des prix discriminatoires entre elle-même et les autres distributeurs intégrés du groupe ; qu'elle produisait à cet égard ses propres cadenciers et ceux d'un autre magasin de la région qui faisaient apparaître une différence dans les conditions d'achat allant de 4 à 6 % ; qu'en retenant que le groupe comptoir moderne était libre de pratiquer ses propres tarifs sans chercher si une telle pratique discriminatoire était justifiée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 36 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Mais attendu que, si l'EURL RMJ relevait dans ses conclusions les faits repris au moyen, elle se bornait à les signaler, le premier, à titre d' "anomalie", le second comme constituant "une infraction pénale" sans en tirer aucune conséquence juridique ; que, dès lors, la cour d'appel n'était pas tenue de lui répondre ; que les moyens ne sont pas fondés ;

Et sur le quatrième moyen : - Attendu que l'EURL RMJ reproche encore à l'arrêt d'avoir infirmé le jugement en ce qu'il a condamné solidairement les sociétés du groupe Comptoirs modernes à lui payer les sommes de 22 882,16 F au titre de la restitution d'emballages consignés par la société CMER et 10 000 F pour non-respect par cette dernière de ses engagements contractuels alors, d'une part, qu'en infirmant le jugement entrepris sur ces points sans motiver sa décision, l'arrêt attaqué a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; et alors, d'autre part, qu'en ne répondant pas à ses conclusions d'appel qui demandaient à voir porter à 20 000 F le montant de la réparation due au titre de non-respect par la société CMER de ses engagements contractuels concernant la réimplantation du magasin, la cour d'appel a derechef violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu que, sous le couvert des griefs de défaut de motifs et défaut de réponse à conclusions, le moyen reproche en réalité à la cour d'appel de ne pas avoir statué sur deux chefs de demandes ; que l'omission de statuer ne pouvant être réparée que dans les conditions prévues à l'article 463 du nouveau Code de procédure civile, le moyen n'est recevable en aucune de ses deux branches ;

Par ces motifs : rejette le pourvoi.