Cass. com., 6 avril 1999, n° 96-20.048
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Odyssée 20 Limited (Sté), Dreyer
Défendeur :
Laboratoire de Prothèses Occulaires (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Leclercq (conseiller le plus ancien faisant fonctions)
Rapporteur :
Mme Garnier
Avocat général :
M. Lafortune
Avocats :
SCP Boré, Xavier, SCP Defrenois, Levis.
LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 27 juin 1996), que, par contrat de franchisage conclu le 4 septembre 1986, la société Laboratoire de prothèses oculaires (société LPO), a confié à Mme Dreyer la distribution de lentilles de contact et de produits associés ; que celle-ci n'ayant pas réglé, malgré mise en demeure, certaines échéances, la société LPO l'a assignée en résiliation de la convention, et en paiement de diverses sommes dont des dommages-intérêts pour violation de la clause de non-concurrence ; que Mme Dreyer qui avait poursuivi, après résiliation du contrat, son activité sous la marque LOCM a cédé à la société de droit britannique Odyssée 20, créée à cet effet par elle et M. Delassise, le droit au bail de ses locaux commerciaux et le droit d'exploiter la marque LOCM ; que la société LPO a assigné en intervention forcée cette société ; que la cour d'appel a accueilli les demandes de la société LPO ;
Sur le premier moyen, pris en ses deux branches : - Attendu que la société Odyssée 20 fait grief à l'arrêt d'avoir déclaré recevable l'assignation en intervention forcée que lui a délivrée la société LPO, et de l'avoir déclarée bien-fondée en ce qu'elle tendait à déclarer les condamnations prononcées opposables à cette société, alors selon le pourvoi, d'une part, qu'elle avait fait valoir dans ses conclusions que l'avis de passage l'avisant de la signification de l'assignation ne satisfaisait pas aux exigences de l'article 656 du nouveau Code de procédure civile, en ce qu'il ne comportait pas la nature de l'acte et le nom du requérant ; qu'en déclarant recevable cette assignation dirigée contre elle sans répondre à ce moyen, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; alors, d'autre part, que le juge ne peut fonder sa décision sur des faits qui ne sont pas dans le débat et dont les parties n'ont pu débattre contradictoirement ; que la société LPO n'a jamais invoqué, ni fait mention, dans ses conclusions, de prétendues relations de concubinage qui auraient existé entre Mme Dreyer et M. Delassise ; qu'en retenant néanmoins un tel fait, dont les parties n'avaient pu débattre contradictoirement, à l'appui de sa décision, la cour d'appel a violé l'article 7 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu que la nullité pour vice de forme de la signification d'une assignation ne peut être prononcée qu'à charge pour la partie qui l'invoque de prouver le grief que lui cause l'irrégularité alléguée, même dans le cas d'inobservation d'une formalité substantielle ou d'ordre public ; que l'arrêt retient que la société Odyssée 20, assignée en intervention forcée quatre semaines avant la clôture de la mise en état, repoussée deux fois à la demande de son avoué, a été capable de conclure par deux fois, de soulever des moyens multiples de recevabilité et de fond et n'a allégué aucune insuffisance de communication de pièces ; que la cour d'appel a ainsi répondu aux conclusions prétendument délaissées, tandis qu'en faisant état des relations existant entre Mme Dreyer et M. Delassise, elle n'a fait que référence aux écritures d'appel de la société LPO ; d'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Sur le deuxième moyen, pris en ses deux branches : - Attendu que la société Odyssée 20 fait grief à l'arrêt, d'avoir déclaré son assignation en intervention forcée recevable et bien-fondée en ce qu'elle tendait à déclarer les condamnations prononcées opposables à cette société, alors, selon le pourvoi, d'une part, qu'elle a une personnalité morale distincte de celle de M. Delassise et de Mme Dreyer ; qu'en déclarant que par suite de la mise en scène frauduleuse entre M. Delassise et Mme Dreyer, alors qu'aucun fait constitutif de fraude ne lui était imputé, elle pouvait être poursuivie sur son patrimoine pour le recouvrement des créances reconnues par la cour d'appel au profit de la société LPO contre Mme Dreyer, l'arrêt attaqué a violé les articles 1167 et 1321 du Code civil ; alors, d'autre part, que le prétendu créancier qui n'a pas pris de mesures conservatoires sur les biens de son débiteur, n'a pas d'action contre les tiers acquéreurs quand même, ce dernier aurait acquis des biens du chef du débiteur ; qu'en la condamnant à supporter sur son patrimoine les dettes qui incombaient à Mme Dreyer au profit de la société LPO, la cour d'appel a violé les articles 2092 et suivants du Code civil ;
Mais attendu, en premier lieu, que l'arrêt, après avoir constaté que Mme Dreyer avait développé son activité de vendeur de lentilles de contact sous contrat de franchise LPO de 1984 à 1991, puis sous la marque LOCM, déposée conjointement par les consorts Dreyer Delassise, relève, qu'après le prononcé du jugement ayant déclaré valable la clause de non-concurrence du contrat, elle a mis fin à son activité de commerçante, puis a transféré le droit au bail et le droit d'exploiter la marque LOCM à la société Odyssée 20 nouvellement créée à Londres, censée être administrée par des juristes londoniens, mais dont le seul établissement était géré, en France, par les consorts Dreyer-Delassise ; que la cour d'appel, qui a retenu que les consorts Dreyer-Delassise s'étaient livrés à une mise en scène frauduleuse tendant à rendre Mme Dreyer apparemment insolvable, les actifs de la société Odyssée 20 étant en réalité ceux de Mme Dreyer, a pu statuer comme elle a fait ;
Attendu, en second lieu, que l'action dirigée contre le tiers acquéreur des biens d'un débiteur, n'est pas subordonnée à la constitution de sûretés antérieures à l'acte d'appauvrissement du débiteur ; d'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Sur le troisième moyen, pris en ses trois branches : - Attendu que Mme Dreyer fait grief à l'arrêt d'avoir écarté la demande en nullité du contrat de franchise, d'avoir constaté sa résiliation à ses torts exclusifs et de l'avoir condamnée au paiement de diverses sommes, alors, selon le pourvoi, d'une part, que les établissements commerciaux dont l'objet principal est l'optique-lunetterie, leurs succursales et les rayons d'optique-lunetterie des magasins ne peuvent être dirigés et gérés que par une personne remplissant les conditions requises pour l'exercice de la profession d'opticien-lunetier ; qu'en affirmant que le contrat de franchisage conclu entre elle et la société LPO, qui n'avait pas pour objet de lui confier la gestion et l'exploitation personnelle d'une activité de distribution de lentilles de contact sur prescription médicale, et des produits qui y sont associés, et, partant la gestion et la direction d'une activité optique, n'était pas nul, la cour d'appel a violé l'article 6 du Code civil, ensemble les dispositions des articles L. 508 et L. 509 du Code de la santé publique ; alors, d'autre part, que le franchiseur est tenu d'informer de manière claire et complète le franchisé sur les conditions d'exercice de l'activité concédée ; qu'il résulte des propres constatations de l'arrêt que l'obligation de s'assurer le concours d'un opticien-lunetier, afin d'exercer l'activité concédée au franchisé n'était mentionnée, qu'en annexe et par voie de référence aux dispositions du Code de la santé publique, aucune précision n'étant apportée quant aux conséquences de cette obligation légale ; qu'il est également établi que le franchiseur s'est abstenu de renseigner son franchisé sur l'existence et la portée des instances relatives aux conséquences et à la validité des dispositions légales précitées ; qu'en affirmant néanmoins, qu'il appartenait au franchisé de se renseigner sur ces dispositions et que le franchiseur n'avait pas manqué à son obligation de renseignement, la cour d'appel a violé les articles 1134 et 1135 du Code civil ; et alors, enfin, qu'elle avait fait valoir dans ses conclusions, qu'elle s'était acquittée des redevances mises à sa charge dans le délai de huit jours contractuellement prévu, après la réception de la lettre de mise en demeure reçue le 4 octobre 1991 ; qu'en affirmant que les redevances avaient été payées au cours du mois d'octobre 1991, sans préciser si le paiement n'était pas intervenu dans le délai de huit jours, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu, en premier lieu, que l'arrêt constate que le contrat imposait à Mme Dreyer de faire en sorte que "la gestion et la direction de l'établissement soient assurées par une personne remplissant les conditions de qualification professionnelles requises", et que l'annexe 4, paraphée par les parties, faisait expressément référence aux articles L. 505 à L. 509 du Code de la santé publique ;qu'il retient que Mme Dreyer ne pouvait ignorer cette exigence, qu'elle a commis une faute en ne s'assurant pas le concours d'un opticien-lunetier pour l'activité spécifique de distribution de lentilles de contact, ce qui ne l'empêchait pas d'être titulaire de la franchise, et que d'ailleurs elle a régularisé sa situation par ce procédé ;que la cour d'appel, qui a relevé, en outre, que Mme Dreyer ne rapportait la preuve ni de l'absence alléguée de savoir-faire, ni d'une entrave à l'exercice de son activité, ni d'un quelconque grief autre que l'illicéité alléguée de l'activité, a pu, abstraction faite de motifs surabondants critiqués à la deuxième branche, statuer comme elle a fait ;
Attendu, en second lieu, que la cour d'appel, en retenant, par motifs propres et adoptés, que Mme Dreyer n'avait pas payé les arriérés de redevances dans les huit jours, ayant suivi la mise en demeure du 16 septembre 1991, prévue à l'article VIII du contrat, a satisfait aux exigences de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;d'où il suit que le moyen, inopérant dans sa troisième branche, doit être rejeté ;
Sur le quatrième moyen, pris en ses deux branches : - Attendu que Mme Dreyer reproche enfin à l'arrêt, de l'avoir condamnée à une certaine somme en réparation d'une prétendue violation de la clause de non-concurrence, alors, selon le pourvoi, d'une part, que l'article 85, alinéa 1er, du Traité de l'Union européenne s'applique à tout accord d'entreprise affectant le commerce entre états membres ; que la cour d'appel a refusé d'apprécier si la clause de non-concurrence imposée au franchisé pour une durée de trois ans, après la rupture du contrat était raisonnable et ne constituait pas une restriction de concurrence, en relevant qu'il n'était pas prouvé que le contrat de franchise concernait d'autres parties que françaises exerçant leur activité en France ; qu'en s'abstenant ainsi, de rechercher si l'ensemble des contrats de franchise conclus par le franchiseur ne renforçait pas un cloisonnement de caractère national et n'affectait pas le commerce entre Etats membres, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 85, alinéa 1er, du Traité de l'Union européenne ; alors, d'autre part, qu'est prohibée toute entente ayant pour objet ou pour effet de fausser le jeu de la concurrence ; que produit un tel effet, la clause de non-concurrence imposée par le franchiseur au franchisé, postérieurement à la rupture du contrat, pour une durée non raisonnable ; qu'en s'abstenant de rechercher si la clause de non-concurrence imposée par la société LPO à Mme Dreyer pour une durée de trois ans après la rupture du contrat, n'excédait pas une durée raisonnable et ne constituait pas une restriction à la concurrence, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;
Mais attendu que l'arrêt relève que Mme Dreyer a poursuivi son activité de distributeur de produits de même marque sous une enseigne différente dans la zone d'exclusivité après rupture du contrat ; qu'il retient que l'obligation de non-concurrence dans la zone concernée pour une durée de trois ans était suffisamment limitée dans le temps, l'espace, la nature des produits et leur marque, et qu'il n'est pas établi que le contrat de franchisage concernait d'autres parties que françaises exerçant leur activité en France ; que c'est sans méconnaître les dispositions du Traité instituant l'Union européenne, que la cour d'appel, qui n'était pas saisie d'une demande fondée sur la violation des dispositions de l'ordonnance du 1er décembre 1986, a pu considérer que la clause de non-concurrence de trois ans ne constituait pas une restriction de concurrence au sens de l'article 85, alinéa 1, dudit Traité ;
Par ces motifs : Rejette le pourvoi.