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Décisions

CA Aix-en-Provence, 9e ch. soc., 16 décembre 1999, n° 97-02605

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Pouplard

Défendeur :

Mondin (Epoux)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Labignette

Conseillers :

Mme Vidal, M. Bourdy

Avocats :

Mes Gils, Debeaurain.

Cons. prud'h. Aix-en-Provence, du 4 juil…

4 juillet 1996

FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES

Les consorts Mondin, propriétaires d'un fonds de commerce de café restaurant à Puyricard, ont conclu, le 3 juin 1994, avec M. Siciliano un contrat de location-gérance de ce fonds pour une durée de trois années commençant à courir le 1er juillet 1994. Il était précisé au contrat que le bailleur était lié par un contrat de travail avec une salariée, Mme Le Bohec, entrée dans l'entreprise en qualité de serveuse le 10 janvier 1994 et rémunérée au SMIC.

Le 30 novembre 1994, les bailleurs ont donné congé au locataire pour le 30 juin 1995, sauf si le loyer mensuel passait de 10.000 à 13.500 F HT.

Par ordonnance en date du 19 septembre 1995, le Juge des Référés du Tribunal de Grande Instance d'Aix-en-Provence a constaté que le locataire avait accepté à deux reprises de quitter les lieux à la date impartie et ordonné l'expulsion de M. Siciliano des lieux loués.

Mme Pouplard, engagée par M. Siciliano à effet du 1er décembre 1994 en qualité de responsable du bar et de l'approvisionnement, responsable de la caisse et du personnel, a saisi le Conseil de Prud'hommes d'Aix-en-Provence pour se plaindre du fait que les époux Mondin auraient refusé de continuer son contrat de travail et formuler contre eux une demande en paiement de diverses indemnités de rupture, calculées conformément aux termes de son contrat de travail - soit une indemnité contractuelle de licenciement de 12 mois de salaire et une indemnité de préavis de 3 mois, outre des dommages et intérêts pour rupture abusive à hauteur de 6 mois de salaire - ainsi qu'une indemnité sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Le Conseil de Prud'hommes, suivant jugement en date du 4 juillet 1996, a débouté Mme Pouplard de toutes ses demandes et l'a condamnée aux dépens de l'instance.

Le 30 juillet 1996, Mme Pouplard a régulièrement relevé appel de cette décision qui lui avait été notifiée le 13 juillet précédent.

Mme Pouplard conclut à la réformation du jugement entrepris et, agissant uniquement à l'encontre de M. et Mme Mondin, à l'exclusion de M. Surian, propriétaire indivis du fonds de commerce, elle sollicite leur condamnation à lui payer au titre de son licenciement abusif, les sommes suivantes :

- indemnité de préavis (3 mois de salaire) : 49.705,50 F, - indemnité contractuelle de licenciement (1 an de salaire) : 198.822 F, - dommages et intérêts pour rupture abusive : 99.411 F, - indemnité en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile : 5.000 F.

Elle demande en outre que les époux Mondin soient condamnés à lui remettre l'attestation Assedic et le certificat de travail.

Elle souligne à l'appui de ses réclamations que le contrat de travail à durée indéterminée qu'elle avait conclu avec M. Siciliano aurait dû être repris par les bailleurs à l'issue du contrat de location-gérance du bar dans lequel elle était employée et que le refus des bailleurs de reprendre son contrat de travail équivaut à un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Les époux Mondin concluent à la confirmation de la décision déférée et réclament le rejet de l'ensemble des prétentions de Mme Pouplard et sa condamnation à leur verser la somme de 5.000 F en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Ils font valoir que le contrat de travail de Mme Pouplard n'était que de pure façade, Mme Pouplard étant la concubine de M. Siciliano et son contrat ayant été conclu dans des conditions suspectes et avec des avantages particulièrement disproportionnés en faveur de la salariée, après que le locataire ait eu connaissance du congé qui lui avait été donné par les bailleurs. Ils ajoutent qu'en tout état de cause, le contrat de travail de Mme Pouplard n'était plus en cours au moment de la cessation du contrat de location gérance.

MOTIFS DE LA DECISION

Attendu qu'aux termes de l'article L. 122-12 du Code du travail, s'il survient une modification juridique dans la situation de l'employeur, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l'entreprise;

Que ces dispositions sont applicables en cas de conclusion d'un contrat de location-gérance et, en sens inverse, en cas de résiliation de ce contrat, à l'égard des salariés du fonds de commerce;

Que c'est en application de ces dispositions, que Mme Pouplard soutient que son contrat de travail aurait dû être repris par les bailleurs après constatation de la résiliation du contrat de location-gérance consenti à M. Siciliano et au moment de la reprise effective du fonds ;

Attendu que les époux Mondin opposent à l'encontre des prétentions de Mme Pouplard que son contrat de travail aurait été conclu dans des conditions de concertation frauduleuse entre son ancien employeur et elle rendant ce contrat nul ;

Que c'est l'argumentation qu'a retenue le Conseil de Prud'hommes pour débouter la salariée de l'intégralité de ses demandes ;

Attendu que les époux Mondin ajoutent dans leur argumentation devant la Cour que le contrat de travail en cause ne serait que de pure façade ;

Qu'il est effectif que le contrat de travail entre M. Siciliano et Mme Pouplard a été conclu dans des conditions tout à fait suspectes, étant précisé en préambule que Mme Pouplard est la concubine de M. Siciliano ;

Que la Cour relève, en ce qui concerne la date et les conditions d'engagement de Mme Pouplard :

1°) que M. Siciliano a reçu, le 30 novembre 1994, notification du congé délivré par les consorts Mondin à effet du 30 juin 1995 et qu'il n'a jamais tenté de se maintenir dans les lieux pour continuer son exploitation au delà de la date prévue ; que, dès le 15 mars 1995, il faisait connaître à ses bailleurs qu'il acceptait de quitter les lieux ; qu'il écrivait ainsi : " Il m'est pénible de vous informer que je n'ai pas l'intention d'accepter une telle augmentation (de loyer) et par voie de conséquence à quitter les lieux à la date prévue " ; que, bien que le contrat de travail écrit de Mme Pouplard soit daté du 12 novembre 1994, et que l'embauche y soit indiquée comme effective à partir du 1er décembre 1994, le livre de paie de l'entreprise ne mentionne aucun salaire versé à Mme Pouplard au titre de l'année 1994, les premiers salaires versés à Mme Pouplard portés sur ce livre de paie étant de janvier 1995 seulement ; que le tableau récapitulatif Urssaf des salaires versés en 1994 par M. Siciliano à ses employés fait état d'un total de 29.201 F (correspondant exactement au total des salaires 1994 mentionnés dans le livre de paie et excluant toute rémunération de Mme Pouplard) ; que dès lors, il est établi que l'engagement de Mme Pouplard est postérieur à la connaissance qu'avait M. Siciliano de la fin prochaine de son contrat de location-gérance ;

2°) que Mme Pouplard a été engagée en qualité de responsable du bar et de la salle / responsable du personnel et de l'approvisionnement en matières premières - sur des fonctions très mal définies compte tenu de l'importance minime du bar et de son personnel puisque le bar comptait seulement 7 tables et la salle 9 tables et que le fonds employait, en 1994, seulement deux serveuses à temps partiel ; que l'effectivité du travail de Mme Pouplard dans le bar n'est pas établie, et ce d'autant que, dans la même période de temps où elle était embauchée par M. Siciliano, cette dernière procédait à l'acquisition de 248 parts d'une SARL La Bastide (les 252 autres parts étant acquises simultanément par M. Siciliano et Mlle Siciliano) en vue de l'exploitation d'un fonds de commerce de restauration rapide sis à Velaux (13) ;

3°) que le contrat de travail de Mme Pouplard comportait des conditions financières exagérément avantageuses, à savoir le paiement d'un salaire mensuel de 7 800 F outre un pourcentage de 10 % sur le chiffre d'affaires et le versement, en cas de licenciement hors faute grave, d'indemnités de rupture calculées sur la base de 3 mois de salaires pour le préavis et d'un an de salaires pour l'indemnité de licenciement ;

4°) que, parallèlement, officiellement le 1er mars 1995, M. Siciliano embauchait sa fille en qualité de cuisinière / responsable de l'approvisionnement en matière premières (fonctions se chevauchant avec celles prétendument confiées à Mme Pouplard) moyennant un salaire de 7 200 F par mois ; qu'ainsi, la masse salariale de l'entreprise, qui était respectivement pour les troisième et quatrième trimestres 1994 de 15 411,41 F et 13 789,58 F, passait subitement, après notification du congé, à 80 487,41 F au premier trimestre 1995 et à 87 653,80 F au deuxième trimestre 1995, en raison de l'embauche de Mme Pouplard et de Mlle Siciliano, alors même que M. Siciliano se plaignait, dans sa lettre du 15 mars 1995 du déficit du bar dans ses six premiers mois d'activité ;

Attendu qu'au vu de l'ensemble de ces éléments, la Cour constate que le contrat conclu par M. Siciliano au profit de sa concubine était de pure façade et ne correspondait, ni à la réalité d'un emploi subordonné, ni à un besoin économique démontré de l'exploitation du bar;

Que c'est donc à bon droit que les consorts Mondin ont refusé de prendre Mme Pouplard à leur service, à l'issue de la location-gérance, son contrat de travail étant totalement fictif;

Que la décision du Conseil de Prud'hommes sera donc confirmée, sur ces motifs qui se substituent aux motifs de nullité du contrat retenus par les prem1ers juges, et que Mme Pouplard sera déboutée de la totalité de ses prétentions ;

Attendu qu'il serait inéquitable de laisser aux époux Mondin la charge des frais irrépétibles de procédure engagés pour soutenir leur défense tant en première instance que devant la Cour d'Appel et qu'il convient en conséquence de condamner Mme Pouplard à leur payer la somme de 5 000 F de ce chef sur le fondement des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Vu l'article 696 du nouveau Code de procédure civile,

Par ces motifs : Statuant publiquement, contradictoirement, en matière prud'homale ; Confirme la décision du Conseil de Prud'hommes d'Aix-en-Provence en date du 4 Juillet 1996 et déboute Mme Pouplard de l'intégralité de ses demandes à l'encontre de M. et Mme Mondin ; Condamne Mme Pouplard à payer à M. et Mme Mondin la somme de 5 000 F en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et à supporter les entiers dépens de l'instance.