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Décisions

CA Paris, 18e ch. A, 12 mai 1998, n° 96-37435

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Best France (SA)

Défendeur :

Boursier

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Quenson

Conseillers :

Mmes Dujardin, Boitaud

Avocats :

Mes Trunzer, Duhalde, Besson.

Cons. prud'h. Longjumeau, sect. encadr.,…

2 mai 1996

LA COUR est saisie de l'appel interjeté par la société Best France d'un jugement rendu le 2 mai 1996 par le Conseil de prud'hommes de Longjumeau qui l'a condamnée à payer à M. Henri François Boursier les sommes suivantes :

- 22 178 F à titre d'indemnité de préavis ;

- 2 217 F à titre de congés payés sur préavis ;

- 62 393 F à titre d'indemnité spéciale de rupture ;

- 64 434 F à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- 120 274 F au titre de la contrepartie financière de la clause de non-concurrence ;

- 2 000 F au titre de l'article 700 du NCPC ;

Les faits et les demandes des parties

M. Henri Boursier a été engagé le 26 janvier 1981 par la société Winkler France en qualité de VRP monocarte. Il était rémunéré exclusivement à la commission.

La société qui emploie plus de onze salariés a pour objet la fabrication et la commercialisation d'articles mouchoirs, foulards, carrés en coton, soie.

La société Winkler France a été reprise le 4 octobre 1993 par M. Borens sous le nouveau nom de Best France ;

La moyenne des trois derniers mois de salaire de M. Boursier s'est élevée à la somme de 10 739 F ;

M. Boursier a été licencié pour fautes graves par lettre en date du 25 août 1994 ;

Contestant le bien fondé de son licenciement M. Boursier a saisi le Conseil de prud'hommes de Paris de diverses demandes en paiement auxquelles il a été fait droit pour partie.

Devant la cour, la société appelante demande l'infirmation de cette décision.

Elle conclut au débouté des demandes de M. Boursier et sollicite sa condamnation à lui rembourser la somme de 24 375 F représentant l'indemnité compensatrice de préavis et de congés payés sur préavis, versée au titre de l'exécution provisoire de droit avec intérêt de droit à compter de l'arrêt à intervenir.

Elle demande le versement d'une somme de 15 000 F par application de l'article 700 du NCPC

L'intimé demande la confirmation du jugement en ce qu'il a condamné la société à lui verser :

- la somme de 62 393 F à titre d'indemnité spéciale de rupture avec intérêt de droit à compter du 23 février 1995,

- la somme de 64 434 F à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse avec intérêts de droit à compter du 2 mai 1996,

- la somme de 120 274 F au titre de contrepartie de la clause de non-concurrence avec intérêt de droit à compter du 23 février 1995,

- la somme de 2 000 F au titre de l'article 700 du NCPC.

Il conclut à l'infirmation du jugement sur le quantum de l'indemnité de préavis et des congés payés afférents et formant appel incident sollicite le versement d'une somme de 22 978 F à titre d'indemnité de préavis, 2 297 F à titre de congés payés afférents avec intérêt de droit à compter du 23 février 1995 ;

Il sollicite le versement d'une somme de 15 000 F au titre de l'article 700 du NCPC.

A - Sur le licenciement

La chronologie des faits ayant conduit à la rupture est la suivante :

- Par lettre du 21 octobre 1993, la société Best France a attribué en prospection à M. Boursier les départements 75, 77, 78, 91, 92, 93, 94 et 95, supprimant ses départements de province.

- Elle a par ailleurs modifié ses taux de commissionnement de 2 à 9 %.

- Par lettre du 10 février 1994, M. Boursier a souhaité devenir VRP multicartes, ce qui n'a pas été accepté immédiatement par l'employeur.

- Par lettre du 10 mai 1994 la société a proposé à M. Boursier une extension de son secteur aux départements 50, 14 et 61, tout en notant que ses performances étaient en baisse.

- M. Boursier a répondu le 20 mai 1994 qu'il n'était pas responsable de la baisse de son chiffre d'affaires.

- Par note du 6 juin 1994 l'employeur lui demandait de mieux préparer ses visites et de rendre compte de son travail de façon plus précise.

- M. Boursier répondait à nouveau le 7 juillet 1994 que la situation difficile ne lui était pas imputable.

- Il a été licencié pour fautes graves par lettre du 25 août 1994.

Les motifs du licenciement étaient les suivants : insuffisance d'activité et de résultats, refus délibéré de satisfaire à ses obligations professionnelles.

Le Conseil de prud'hommes a considéré que le licenciement n'était justifié par aucune cause réelle et sérieuse.

La société conteste cette décision, elle fait valoir que le chiffre d'affaires de M. Boursier a connu au cours de l'année 1994 une baisse de 27 % par rapport à la même période de l'année précédente.

Elle considère que cette baisse de résultats qui n'a jamais été contestée par M. Boursier lui est imputable : elle rappelle lui avoir adressé des mises en garde et estime lui avoir donné sa chance en étendant son secteur géographique de prospection, chance dont il n'a pas tiré parti.

Elle ajoute que M. Boursier a adopté une attitude délibérée de ne pas satisfaire aux instructions données faisant preuve de carences dans l'établissement de ses rapports d'activité : manque de rigueur, transmissions tardives.

Elle lui reproche enfin d'avoir manqué de professionnalisme dans l'accomplissement de son travail et d'avoir manifesté à travers ses correspondances une mauvaise foi qui ne permettait plus de lui faire confiance.

M. Boursier conteste le bien fondé des griefs qui sont formulés à son encontre.

Il fait observer qu'il n'a jamais reçu la moindre observation pendant ses douze années d'exercice au profit de la société Winkler.

Il considère que la dégradation de l'entreprise qui a aboutit à une liquidation judiciaire n'était pas de son fait et que la chute du chiffre d'affaires de la clientèle de la région parisienne a commencé en 1991 et ne lui est pas imputable.

Il indique rendre compte régulièrement de son activité par des rapports réguliers et s'étonne que la société Best France ait pu lui proposer une extension de son secteur et lui reprocher en même temps de mal exécuter ses fonctions.

Il conteste donc la réalité des fautes graves invoquées.

Motifs de la décision

Le licenciement de M. Boursier est intervenu dans un contexte particulier qu'il convient de préciser :

- le 6 juillet 1993 était prononcé le redressement judiciaire de la société Winkler France pour laquelle M. Boursier travaillait depuis douze ans.

La société était mise en liquidation judiciaire le 10 août suivant et le Président Directeur Général était incarcéré pour banqueroute et abus de confiance.

Cette situation faisait l'objet d'une large publicité dans la presse locale (cf. articles produits aux débats par M. Boursier).

- le 4 octobre 1993 le fonds de commerce est vendu à un repreneur M. Borens qui crée la société Best France.

- M. Boursier reste en place, sans modification de son contrat de travail mais avec un changement de secteur de clientèle, centrée sur Paris et la Région Parisienne et non plus en province.

Le témoignage de M. Durand, représentant pour la société Winkler, puis pour la société Best France pendant quelques mois, est éclairant sur la situation de la société juste avant la reprise : rupture constante de stock, perte de différents éléments de la collection, baisse très importante du chiffre d'affaires.

Il précisait avoir accepté de continuer à travailler avec le repreneur sous certaines conditions qui n'ont pas été respectées ce qui l'a conduit à partir. Il indiquait ainsi que les échantillons étaient faits en dépit du bon sens, que la direction ne faisait preuve d'aucun sens commercial, qu'il n'y avait aucun contact avec le service de clientèle usine.

Il terminait son témoignage par cette phrase : " ... l'on peut demander à un représentant un chiffre d'affaires, mais il faut lui donner les moyens de réussir, ce qui n'était pas le cas ".

Ce témoignage doit être rapproché des résultats de la société Winkler : chiffre d'affaires en 1992 en baisse de 21 % par rapport à 1991 et en baisse de 63 % au 1er trimestre 1993 par rapport à la même période de l'année précédente.

M. Boursier a donc continué ses activités dans un contexte particulièrement difficile.

A sa demande formulée le 10 février 1994 de devenir VRP multicartes, la société lui opposait le 10 mai 1994 un refus en l'état de son chiffre d'affaires mais lui proposait une extension de son secteur.

Elle lui manifestait par cette proposition sa confiance, consciente des difficultés qu'il devait affronter : il n'était pas sanctionné pour la baisse de chiffre d'affaires invoquée.

Néanmoins le 9 juin 1994 un mois plus tard, elle exigeait de lui un rétablissement très rapide de ses résultats.

M. Boursier répondait le 7 juillet 1994 : il ne contestait pas la baisse de ses résultats mais évoquait les difficultés rencontrées.

Il demandait dans ce courrier des précisions sur les nouveaux départements qui lui avaient été confiés avec la liste des clients.

La société lui répondait partiellement et terminait son courrier du 19 juillet 1994 par la phrase suivante " concernant les autres points, nous pourrons en discuter au cours de la réunion du 28 juillet 1994 à notre siège ".

Elle le convoquait à un entretien préalable à un licenciement le lendemain de cette réunion.

La chronologie des faits et les échanges de correspondance font apparaître une divergence de point de vue entre M. Boursier et le nouveau repreneur.

L'employeur ne pouvait sérieusement reprocher à M. Boursier une insuffisance de résultats quelques mois seulement après lui avoir changé son secteur géographique de prospection (province - à la région parisienne), compte tenu du contexte particulier de la reprise décrit ci-dessus.

Aucun fait précis de défaillance professionnelle n'est établi comme l'ont justement estimé les premiers juges.

L'attitude désobligeante de M. Boursier n'est pas prouvée.

Le licenciement est intervenu sans cause réelle et sérieuse.

Sur les demandes en paiement consécutives à ce licenciement

- indemnité de préavis :

M. Boursier qui avait treize ans d'ancienneté est fondé en sa demande d'une indemnité de préavis de trois mois.

La somme due à ce titre s'élève d'après les éléments fournis par M. Boursier et non discutés à la somme de 22 551 F.

A cela s'ajoute l'indemnité de congés payés, soit la somme de 2 255 F.

- indemnité spéciale de rupture :

Le montant sollicité par M. Boursier retenu par les premiers juges n'est pas discuté à titre subsidiaire par l'appelante.

Il est dû à ce titre la somme de 62 393 F.

Ces sommes porteront intérêts de droit à compter du 27 février 1995.

- dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse :

La cour dispose d'éléments suffisants pour évaluer le préjudice subi par M. Boursier à la suite de ce licenciement à la somme de 64 434 F. Les intérêts courront sur cette somme à compter du 2 mai 1996.

B. Sur la clause de non-concurrence :

L'article 17 du contrat de travail de M. Boursier prévoyait qu'en cas de rupture du contrat, la société se réservait le droit d'interdire à celui-ci, pendant les deux années qui suivront la cessation de ses services, de s'intéresser à des affaires concernant des articles similaires.

Il était précisé que la société ferait connaître son intention dans les délais prévus à l'article 17 de la convention collective soit le délai de quinze jours.

En l'espèce la société Best France n'a pas fait connaître à M. Boursier son intention de voir appliquer cette clause de non-concurrence.

Celui-ci était donc libre de tout engagement dès la fin de son contrat.

Il ne peut exiger la contrepartie financière d'une clause qui n'a pas été mise en œuvre.

Il sera débouté de sa demande sur ce point.

La société sera déboutée de ses demandes qui ne sont pas justifiées.

Il serait inéquitable de laisser à la charge de M. Boursier les frais non compris dans les dépens, soit la somme de 6 000 F pour la procédure d'appel.

Les premiers juges lui ont par ailleurs justement alloué une somme de 2 000 F pour ces mêmes frais.

La société Best France sera déboutée de sa demande de ce chef.

Par ces motifs : Confirme le jugement déféré dans sa partie allouant à M. Boursier une indemnité spéciale de rupture, des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et une indemnité au titre de l'article 700 du NCPC ; Le Réforme pour le surplus ; Condamne la société Best France à payer à M. Boursier : la somme de 22 551 F (vingt deux mille cinq cent cinquante et un francs) à titre d'indemnité de préavis ; la somme de 2 255 F (deux mille deux cent cinquante cinq francs) à titre d'indemnité de congés payés afférents ; Dit que les sommes allouées à titre d'indemnité de préavis, de congés payés afférents et d'indemnité spéciale de rupture porteront intérêts de droit à compter du 27 février 1995 ; Déboute M. Boursier de sa demande au titre de la contrepartie financière de la clause de non concurrence ; Condamne la société Best France à lui payer la somme de 6 000 F (six mille francs) au titre de l'article 700 du NCPC ; Déboute la société Best France de ses demandes ; La condamne aux dépens.