CA Paris, 5e ch. B, 31 janvier 2002, n° 1999-07773
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Arije (SA)
Défendeur :
Rolex France (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Main
Président de chambre :
Mme Pezard
Conseiller :
M. Faucher
Avoués :
SCP Bommart-Forster, SCP Duboscq-Pellerin
Avocats :
Mes Jourde, Paquet.
LA COUR est saisie de l'appel interjeté par la SA Arije du jugement contradictoirement rendu le 11 mars 1999 par le Tribunal de commerce de Paris qui, dans le litige l'opposant à la SA Rolex France, anciennement dénommée SAF des Montres Rolex, l'a déboutée de ses demandes et l'a condamnée, outre aux dépens, à payer 35 000 F à l'intimée sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, la société Rolex France étant déclarée mal fondée en sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive.
Dans ses dernières conclusions du 23 novembre 2001 l'appelante fait valoir en substance :
- que, exploitant une boutique de luxe, accessoires de parure féminine et masculine, articles de joaillerie, horlogerie, maroquinerie et accessoirement parfum de luxe, elle a vu ses relations contractuelles rompues abusivement par la société Rolex France qui, à la suite d'une mise en demeure du 29 mai 1989, lui a imposé des clauses de distribution jugées illicites au regard du traité de Rome et de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 par le Conseil de la concurrence et la Cour de Paris,
- que, répondant aux critères du nouveau contrat modifié par la société Rolex France, elle doit être agréée par celle-ci,
- que c'est à tort que les juges consulaires ont décidé qu'elle avait eu l'initiative de la rupture du contrat alors que celle-ci est imputable à la société Rolex France,
- qu'il y a lieu aujourd'hui de l'agréer puisqu'il n'existe plus de texte sanctionnant spécifiquement le refus de vente, le fait pour un fournisseur, dans un système de distribution sélective, de ne pas livrer une entreprise qui remplit, comme en l'espèce, les critères de sélection constituant une pratique discriminatoire au sens de l'article 36 modifié de l'ordonnance de 1986,
- qu'elle a subi un important préjudice du fait de la rupture des relations contractuelles.
En conséquence la société Arije prie la cour d'infirmer la décision du tribunal, d'ordonner à la société Rolex France d'honorer ses commandes, de reprendre les relations contractuelles et de condamner la société Rolex à lui payer trois millions de francs de dommages-intérêts pour rupture abusive des relations contractuelles et 200 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Dans ses ultimes écritures du 16 novembre 2001 la société Rolex France soutient en substance pour sa part :
- que, ayant proposé le 29 mai 1989 à la société Arije, à qui elle fournissait des montres depuis le début de l'année 1982, d'intégrer son réseau de distribution, l'appelante, après avoir notifié son refus, lui a fait part de son accord à la fin du mois de septembre 1989 puis est revenue sur son engagement en refusant d'aménager son point de vente, de sorte que la rupture des relations contractuelles lui est imputable,
- que la décision du Conseil de la concurrence, confirmée par la Cour de Paris, n'a aucune incidence sur la solution du litige dans la mesure où, comme cela est prouvé, elle n'a jamais voulu contraindre la société Arije à limiter son activité à la vente d'articles d'horlogerie-bijouterie,
- que la demande de "reprise des relations contractuelles" et de "reprise des livraisons" n'est pas fondée, aucun texte n'autorisant un commerçant à obliger un autre à contracter, le refus de vente entre professionnels "ne constitu(ant) plus en soi une faute civile", et la violation des articles 7 et 8 ou 36-1 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 n'étant pas justifiée,
- que la société Arije ne peut la contraindre à lui livrer des montres en dehors de son système de distribution sélective et à voir légitimé par avance des commandes quels qu'en soient la nature et le montant,
- que la société Arije n'a jamais prouvé que son magasin pouvait satisfaire aux critères de sélection Rolex,
- que l'appelante disposant aujourd'hui seulement des éléments lui permettant de constituer un dossier de candidature à l'obtention de l'agrément pour son point de vente du 50 rue Pierre Charron à Paris, elle examinera son éventuelle candidature,
- que l'argumentation de la société Arije concernant son préjudice est dépourvu de sérieux.
Dès lors l'intimée conclut à la confirmation du jugement en ce qu'il a débouté la société Arije de ses demandes et, à titre incident, à la condamnation de l'appelante à lui payer 250 000 F à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et une indemnité de 100 000 F au titre de ses frais irrépétibles.
Sur ce :
Considérant que les documents versés aux débats établissent qu'après une mise en demeure à elle adressée par la société Arije le 20 octobre 1981 d'avoir à lui "accorder (sa) marque dans les 10 jours", la SAF des Montres Rolex a répondu à l'appelante le 30 octobre 1981: "Il est vrai que si nous sommes en droit de ne pas vous accorder la concession de notre marque, nous ne pouvons, en l'état de la réglementation, nous refuser à vous vendre nos montres.
En conséquence, nous vous faisons savoir que nous sommes disposés à satisfaire à vos commandes, dans la mesure de nos possibilités de livraisons, et bien entendu sous condition expresse que la commercialisation que vous ferez de nos montres ne porte pas atteinte à notre marque ..." ;
Que la SAF des Montres Rolex a informé le 29 mai 1989 la société Arije, à qui elle fournissait ses produits en application de son engagement du 30 octobre 1981, que la distribution de ceux-ci était organisée "sous la forme d'une distribution sélective qui réserve aux seuls points de vente agréés ayant signé les accords de distribution Rolex, l'exclusivité de la vente de (ses) produits" ;
Que, après avoir manifesté son mécontentement devant l'exigence de son fournisseur, le représentant de la société Arije lui écrivait le 28 septembre 1989 : "... je suis tout à fait disposé à intégrer votre réseau de distribution agréée. Néanmoins vous m'imposez un certain nombre de restrictions et notamment l'obligation pour moi d'exercer exclusivement l'activité de bijoutier-horloger. Je considère cette restriction comme tout à fait abusive..." ;
Que, suite à un échange de correspondances entre les parties, la SAF des Montres Rolex écrivait à la société Arije le 14 mai 1990 : "... comme déjà expliqué à maintes reprises, par écrit ou de vive voix, notre volonté est de vous intégrer à notre réseau de distributeurs agréés selon les "accords de distribution Rolex pour le commerce de détail spécialisé dans le marché commun" et qu'il n'entre nullement dans nos intentions de vous contraindre d'exercer la profession d'horloger-bijoutier. "Nous constatons simplement l'impossibilité de vous intégrer à notre réseau de concessionnaires officiels, en l'état actuel de votre affaire, celle-ci ne répondant pas à nos critères de distribution sélective : chapitre III -critères du commerce spécialisé (paragraphes 1 et 2)" ;
Considérant que la société Arije soutient tout d'abord que la rupture des relations contractuelles par l'intimée est abusive dans la mesure où, saisi par ses soins, le Conseil de la concurrence a, dans une décision n° 96-D-72 du 19 novembre 1996, confirmée par un arrêt de la Cour d'appel de Paris du 9 décembre 1997 :
- d'une part enjoint à la SAF des Montres Rolex de modifier en particulier dans les accords de distribution la clause III - 1 - a) de manière à ce qu'elle ne limite pas le champ de sélection des distributeurs aux seuls établissements spécialisés en horlogerie-bijouterie,
- d'autre part qu'elle avait, à l'égard notamment de l'appelante, appliqué de façon discriminatoire la clause relative à l'installation d'un atelier de réparation et à la présence d'un personnel ayant reçu une formation d'horloger-spécialiste ;
Considérant qu'en l'espèce il ne peut être reproché à la société Rolex France de n'avoir pas admis la poursuite des relations contractuelles ayant leur origine dans l'engagement par elle souscrit le 30 octobre 1981 puisqu'il n'est guère contesté que le refus de vente est justifié par le non agrément à un réseau de distribution sélective ; que celui-ci, toutefois, peut-être abusif comme le soutient la société Arije pour les motifs sus-énoncés ;
Mais considérant que, hormis les conditions incriminées, il était en outre prévu que "pour la vente des produits Rolex, la qualité de commerçant spécialisé suppos(ait) ... "des possibilités suffisantes d'exposition représentative et de présentation des produits Rolex dans des emplacements de vente et des vitrines bien tenus - un personnel de vente ayant reçu une formation, possédant des connaissances techniques suffisantes pour conseiller le client et lui fournir un service approprié" ;
Considérant que ces conditions non contestées et non invalidées par le Conseil de la concurrence et stipulées dans le paragraphe 1 du chapitre III "Critères du commerce spécialisé - sélection", n'ont pas été jugées réunies par la société Rolex dans sa lettre précitée du 14 mai 1990, laquelle se réfère expressément à ce paragraphe ;
Que les travaux de mise en conformité envisagés par la société Arije elle-même n'ont pas été réalisés, comme le souligne la société Rolex dans ses écritures, et ne sont pas justifiés par un constat dressé par un Huissier de justice le 2 octobre 2000, donc bien après le refus d'agrément à elle opposé par la société Rolex ;
Que rien ne prouve que, au regard de ces critères de sélection, le refus de la société Rolex France était injustifié ;
Que de la sorte il n'est pas prouvé que la rupture des relations contractuelles par l'intimée en raison de son refus d'agrément est abusive ;
Considérant que, motif pris de ce qu'elle réunit aujourd'hui les nouveaux critères d'agrément, la société Arije demande ensuite à la Cour d'ordonner à la société Rolex France d'honorer les commandes qui lui seront passées et de reprendre les relations contractuelles;
Mais considérant qu'il ne peut être fait droit à cette prétention,
- alors d'une part, comme l'a jugé le tribunal, que les relations commerciales existant entre les parties n'ont pas été suspendues mais rompues et qu'il ne peut dès lors être envisagé de les "reprendre",
- alors d'autre part que rien ne démontre que la société Rolex France, qui le dément, a refusé une nouvelle demande d'agrément et qu'il appartient donc à la société Arije d'en former une, préalable nécessaire à la conclusion d'un contrat de distribution sélective;
Considérant en outre que, en l'absence de tout refus illégitime d'agrément, l'appelante ne peut affirmer qu'il y a concurrence déloyale dans le fait pour la société Rolex France de livrer la société Dubail qui serait sa concurrente directe, alors que, selon ses propres dires, cette société a été agréée par l'intimée ;
Considérant que la société Rolex France, qui ne justifie pas d'une faute de la société Arije dans son droit d'agir en justice, doit être déboutée de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive ;
Considérant qu'en revanche il est équitable d'allouer à la société Rolex France une indemnité complémentaire de 4 600 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Considérant que la société Arije, partie perdante, ne peut obtenir le remboursement de ses frais irrépétibles ;
Par ces motifs : Confirme le jugement déféré et, y ajoutant, condamne la société Arije à payer à la société Rolex France une indemnité complémentaire de 4 600 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Déboute la société Arije de ses demandes et la condamne aux dépens de première instance et d'appel ; admet la SCP Duboscq et Pellerin, Avoué, au bénéfice des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.