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Décisions

CA Paris, 5e ch. A, 20 mars 2002, n° 2000-01095

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Fiat Auto France (SA)

Défendeur :

Axautos Raspail Saint-Germain (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Renard-Payen

Conseillers :

Mmes Jaubert, Percheron

Avoués :

SCP Bernabe-Chardin-Chevilier, SCP Fisselier-Chiloux-Boulay

Avocats :

Mes Cocchiello, Bourgeon.

CA Paris n° 2000-01095

20 mars 2002

A l'occasion de la réorganisation de son réseau de distribution sur la région parisienne, la société Fiat Auto France (la société Fiat) a résilié le 27 septembre 1995 avec un préavis d'un an, le contrat de concession qui la liait à la société Axautos Raspail Saint-Germain. Celle-ci soutenant que cette résiliation était abusive et de mauvaise foi, a saisi, le 19 septembre 1997, par une assignation à bref délai le tribunal de commerce de Paris pour voir condamner la société Fiat à lui payer la somme de 11.700.000 F à titre de dommages et intérêts, ainsi que diverses sommes au titre des primes dont elle aurait dû bénéficier en 1995 et en 1996.

La société Fiat s'est opposée à cette action, prétendant avoir respecté les stipulations contractuelles relatives au préavis d'un an et n'avoir été l'objet d'aucune réclamation afférente aux primes, se réservant de verser une prime pour le dernier exercice dans le respect de l'octroi de celle-ci.

Par jugement du 29 novembre 1999, le tribunal a condamné la société Fiat à verser à la société Axautos la somme de 482.762,08 euros (3.166.111,78 F), toutes causes de préjudice confondues, la déboutant du surplus de ses prétentions, celle de 20.000 au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et a mis les dépens à la charge de la société Fiat.

La société Fiat a interjeté appel de cette décision.

Vu les écritures en date du 28 septembre 2001 par lesquelles la société Fiat, poursuivant l'annulation de cette décision sur le fondement de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile, demande à la Cour :

- de constater:

* qu'en droit, il n'existe aucune obligation d'information préalable au préavis,

* qu'Axautos a bénéficié du délai contractuellement prévu et conforme aux textes en vigueur,

* qu'il résulte des circonstances de l'espèce que la résiliation du contrat de concession n'est ni brutale, ni intempestive, ni abusive,

* qu'il ne résulte d'aucune pièce du dossier que Fiat aurait souscrit un engagement de maintenir Axautos dans le réseau à l'issue du préavis d'un an et que la preuve du comportement fautif de Fiat n'est pas rapportée,

- d'infirmer en conséquence le jugement déféré en ce qu'il a retenu que la résiliation du contrat de concession était intervenue dans des conditions abusives et en ce qu'il a indemnisé Axautos à ce titre,

- de considérer que celle-ci ne rapporte pas la preuve qu'un quelconque reliquat de prime MOS lui serait dû,

- de réformer le jugement entrepris en ce qu'il a alloué les sommes de 116.711,18 F HT et de 50.000 F à titre respectivement de complément de paiement des primes MOS 1994 et 1995,

- de lui donner acte de qu'elle a versé le montant de la prime dû au titre de l'année 1996 dans le respect des règles d'octroi de celle-ci,

- de débouter Axautos de l'ensemble de ses prétentions et de la condamner au paiement de la somme de 100.000 F HT au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Vu les écritures en date du 2 octobre 2001 par lesquelles la société Axautos demande à la Cour de confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a jugé que la société Fiat avait exercé de façon déloyale et abusive son droit de résilier le contrat de concession à durée indéterminée qui la liait à la société Axautos et l'émendant pour le surplus, de condamner la société Fiat à lui payer, à titre de dommages et intérêts, les sommes de :

- 3.750.000 F, en réparation de l'anéantissement de la valeur de son fonds de commerce,

- 3.865.000 F, en réparation des pertes enregistrées par la société Axautos de 1997 à 1999,

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société Fiat à lui payer la somme de 116.711.18 F en principal à titre de dommages et intérêts, en compensation de la différence entre le montant de la prime MOS payée pour 1994 et le montant de la prime "Grand Centre" perçue en 1993, sauf à condamner la société Fiat, à titre de dommages et intérêts complémentaires, aux intérêts de ladite somme à compter du 1er janvier 1996,

- condamner la société Fiat à lui payer la somme de 196.236,16 F avec intérêts au taux légal à compter de cette même date, à titre de dommages et intérêts, en compensation de la prime MOS 1995, indûment refusée,

- condamner la société Fiat à lui payer la somme complémentaire de 50.000 F sur le fondement des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Sur ce,

Sur la demande tendant à la nullité du jugement :

Considérant que la société Fiat qui reproche au tribunal d'avoir emprunté la motivation adoptée dans l'instance Sofisud pour asseoir sa condamnation s'agissant de la résiliation du contrat de concession et de ne pas avoir répondu aux conclusions et aux moyens qu'elle avait développés devant lui, poursuit l'annulation du jugement faute de motivation;

Mais considérant que le tribunal après avoir rappelé l'essentiel des moyens développés par les parties a brièvement, mais suffisamment motivé sa décision s'agissant de la résiliation du contrat de concession, qu'il a en effet retenu que :

" Fiat a manqué vis-à-vis de son concessionnaire Axautos, à ses devoirs de loyauté, tels que consacrés par la jurisprudence :

* en omettant d'informer le concessionnaire de ses intentions, dont Axautos n'a pris connaissance qu'au vu des publicités dans la presse spécialisée,

* en entretenant pendant la durée du préavis, une ambiguïté sur le sort que le constructeur entendait donner, avec ou sans l'entremise de la société CAR, à la concession " ;

Qu'il importe peu qu'il ait fait référence à de précédentes décisions pour conforter sa propre décision, qu'ainsi, il n'y a pas lieu de prononcer l'annulation du jugement pour défaut de motivation ;

Sur le fond :

Considérant qu'au soutien de son recours, la société Fiat prétend pour l'essentiel, d'une part, qu'elle n'est nullement obligée d'indemniser son concessionnaire des conséquences de la résiliation, que sa seule obligation réside à ce titre dans le respect du préavis contractuel de nature à permettre à son concessionnaire d'organiser sa reconversion et, d'autre part, qu'elle n'est tenue à aucune information préalable à l'envoi de la lettre de résiliation et qu'en l'espèce, elle ne pouvait être tenue avant que soient arrêtées les modalités de réorganisation de la zone Sud-Est de son réseau parisien à en informer Axautos ; qu'elle soutient enfin qu'elle ne lui a donné aucune assurance quant à la reprise par M. Guerreiro de son fonds de commerce à ses propres conditions, mais qu'elle l'a mis en relation avec ce dernier pour faciliter leurs discussions;

Que la société Axautos fait, de son côté, valoir que la société Fiat ne pouvait exercer son droit de résiliation que dans les conditions compatibles avec l'obligation générale de loyauté requise à l'article 1134 alinéa 3 du Code civil et dans le respect du principe d'équité exigé par l'article 1135 dudit Code. Or la société Fiat s'est affranchie de ces obligations d'une part, en lui dissimulant ses propres desseins, alors que ceux-ci avaient manifestement été arrêtés bien avant l'annonce publique, par voie de presse, du plan Paris en mai 1995, et alors précisément qu'en 1993, elle l'avait incitée à lui rester fidèle et, d'autre part, en lui notifiant la résiliation dans des conditions la plaçant sciemment dans une position d'infériorité vis-à-vis du nouvel opérateur susceptible de racheter son fonds;

Considérant, à titre liminaire, qu'il convient de relever qu'il n'est nullement démontré qu'Axautos, liée à Fiat par un contrat de concession en date du 1er janvier 1988 ou Accautos, avant elle, qui était précédemment liée à Fiat par un contrat de concession pour un fonds situé boulevard de l'Hôpital à Paris de janvier 1986 jusqu'en 1992, aient connu des difficultés à l'occasion de l'exécution de ces contrats, que les allégations de Fiat à ce sujet tendant à mettre en doute la loyauté de son cocontractant à son égard ne sauraient donc être retenues ;

Considérant que le fait qu'un constructeur automobile veuille réorganiser son réseau de distribution sur un territoire donné, en l'espèce Paris et sa région, en raison de la régression de ses parts de marché, est parfaitement légitime; qu'il n'en dévoile pas la teneur avant que son plan ne soit arrêté, ne saurait non plus lui être reproché du fait de la confidentialité s'attachant à ce type de réorganisation, mais que les intéressés, c'est-à-dire les concessionnaires du secteur en cause, apprennent par voie de presse le 12 mai 1995 leur disparition envisagée par le concédant auquel ils étaient liés par des contrats de distribution exclusive, ne saurait caractériser une gestion loyale de son réseau de distribution de la part de la société Fiat;

Considérant qu'en l'espèce, le fait pour Fiat d'avoir résilié le contrat de concession qui la liait à Axautos avant de lui avoir permis de céder son fonds dans des conditions normales, alors qu'elle connaissait depuis mars 1992, le souhait de son dirigeant, M. Biscaye, de se retirer et de vendre son entreprise et ce, après lui avoir donné des assurances sur la pérennité de celle-ci en annonçant à ses concessionnaires, le 5 mai 1993, la sortie de 18 nouveaux modèles d'ici 1995, s'apparente à une résiliation abusive du contrat, le concédant ayant ainsi manqué à son obligation de loyauté vis-à-vis de la société Axautos;

Considérant qu'il ne peut être contesté que cette dernière qui ne bénéficiait plus à terme de la concession Fiat, élément important de son patrimoine, s'est retrouvée en situation de faiblesse pour négocier avec le repreneur choisi par le concédant sans l'intervention effective de ce dernier dans la négociation; que M. Guerreiro ait ou non accepté le prix de 4.000.000 F que souhaitait obtenir M. Biscaye de son affaire, est ici sans intérêt puisqu'il est constant qu'après une prorogation de quelques mois de son préavis, la cession n'a pu se faire, étant ici observé que Fiat, actionnaire certes minoritaire mais influent de la société CAR, repreneur du secteur d'Issy-les-Moulineaux, par l'intermédiaire d'une société Intermap, n'a rien fait pour aboutir à une solution équitable vis-à-vis de son ancien concessionnaire;

Considérant que le préjudice subi du fait de cette résiliation intervenue dans des conditions abusives à l'initiative du concédant consiste pour la société Axautos en la perte de la valeur de son fonds qui a été évalué par le cabinet France Automobile Conseils à la somme de 3.750.000 F, étude qui n'a pas été utilement contestée par Fiat ; que toutefois, la société Axautos ayant depuis cédé son droit au bail pour 3.000.000 F, il convient de diminuer la valeur du fonds du coefficient de 1,7 % retenu pour sa situation à Paris 7e, boulevard Raspail ; que la valeur à prendre en compte s'élève donc à la somme de 2.300.672 F au titre des éléments incorporels et corporels, arrondie à 2.300.700 F soit 350.739,45 euros ;

Considérant, concernant les compléments de primes sollicités par Axautos, qu'elle réclame à ce titre la différence entre la somme de 145.163,16 F HT qu'elle a perçue en 1994, au titre de la prime MOS, et la somme de 241.938,60 F HT qu'elle a perçue en 1993, au titre de la prime " Grand Centre ", en prétendant que Fiat s'était engagée auprès de l'amicale des concessionnaires à ce que le montant des primes distribuées en 1994 soit au moins égal par rapport au chiffre d'affaires à celui de 1993 ; qu'à ce titre, le tribunal a donc accordé à Axautos la somme de 96.755,44 F soit 116.711,18 F TTC, soit 17.792,50 euros ;

Considérant que l'appelante qui conteste qu'elle ait pu s'engager par l'intermédiaire de cette amicale à maintenir à chaque concessionnaire un montant égal au moins au montant des primes qu'il aurait perçu en 1993, soutient que la société Axautos a perçu les primes lui revenant pour 1994, le montant de la prime " Grand Centre " ayant été ramené en 1994 de 2,5 % à 1,5 %, mais concomitamment une nouvelle prime, dite MOS, avait été mise en place;

Considérant qu'il est constant que ni lors de la résiliation, ni antérieurement, Axautos n'avait réclamé à Fiat un complément de prime au titre de l'année 1994; que l'engagement de Fiat tel que relaté par le courrier du 30 décembre 1993, émanant de l'amicale des concessionnaires, selon lequel "Monsieur Raspino s'est engagé à ce que le montant des primes distribuées en 1994 soit au moins égal en pourcentage par rapport au chiffre d'affaires à celui de 1993", ne saurait justifier par le caractère ambigu de ce prétendu engagement la demande formulée à ce titre pour la première fois dans son assignation par la société Axautos qui ne verse aucun élément susceptible d'apprécier le bien fondé de sa demande; qu'elle en sera donc déboutée;

Considérant que la société Axautos réclame également une somme de 191.236,16 F TTC à titre de dommages et intérêts équivalent à la différence entre le montant de la prime qui lui a été effectivement versée pour 1995 sur la base d'éléments totalement injustifiés et le montant maximum de cette même prime ; qu'elle fait valoir pour justifier de sa demande que pour 1995, Fiat avait annoncé par une circulaire du 27 décembre 1994 la reconduction de la prime MOS variant de 0,5 % à 2,5 % du chiffre d'affaires véhicules neufs des concessionnaires, sur des bases identiques à celle appliquée en 1994, toutefois, par une nouvelle circulaire du 26 juin 1995, Fiat a prétendu subordonner l'octroi de cette nouvelle prime à des critères supplémentaires par rapport à ceux qui avaient été appliqués en 1994, au rang desquels figuraient des engagements restrictifs de concurrence, mais qu'en dépit des protestations du réseau, Fiat n'a pas annulé ces nouveaux critères avant sa circulaire du 16 février 1996, et a liquidé la prime MOS début 1996 sans préciser les principes qu'elle a finalement appliqués;

Mais considérant que contrairement aux allégations d'Axautos, il ressort des pièces versées aux débats que si Fiat avait effectivement tenté d'introduire de nouveaux critères dans l'octroi de la prime MOS 1995 par une circulaire du 26 juin 1995, dès le 12 juillet 1995, l'amicale des concessionnaires a informé ses membres qu'elle refusait ces critères et précisait que les règles de l'année 1994 devaient servir de base aux concessionnaires pour leur budget 1995, ce que Fiat a accepté, les règles utilisées en 1994, étant reconduites pour 1995, comme cela ressort de procès-verbal de réunion du réseau du 13 septembre 1995 diffusé aux concessionnaires le 29 septembre suivant, ce qui leur a été rappelé à nouveau dans la circulaire du 16 février 1996;

Considérant qu'Axautos sera en conséquence déboutée de cette demande et le jugement réformé de ce chef:

Considérant qu'il convient d'allouer à la société Axautos la somme complémentaire précisée au dispositif au titre de ses frais irrépétibles d'appel ; qu'il y a lieu de rejeter la demande formée de ce chef par la société Fiat;

Par ces motifs : Confirme le jugement déféré en ses dispositions non contraires au présent arrêt, le réforme en ce qu'il a fait droit aux demandes de la société Axautos au titre des compléments de primes et l'émendant sur le montant des dommages et intérêts alloués, condamne la société Fiat Auto France à payer à la société Axautos Raspail Saint-Germain la somme de 350.739,45 euros, La condamne à payer à la société Axautos la somme complémentaire de 3.800 euros au titre de ses frais irrépétibles d'appel et à supporter les dépens ; Admet l'avoué concerné an bénéfice des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.