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Décisions

Cass. com., 6 mai 2002, n° 99-20.130

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

Resto Le Mans (SARL), BB'S (SA)

Défendeur :

Société de franchisage des restaurants La Boucherie (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Dumas

Rapporteur :

Mme Champalaune

Avocat général :

M. Feuillard

T. com. Angers, du 22 août 1997

22 août 1997

LA COUR - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Angers, 6 juillet 1999), que la Société de franchisage des restaurants La Boucherie (société La Boucherie), qui exploite un concept de restaurants axés sur la commercialisation de viande bovine, a, par contrat du 28 septembre 1995, accordé à la société BB'S, dont le président du conseil d'administration était M. Bertin, la concession du concept " La Boucherie " et l'usage accessoire de la marque " La Boucherie " pour un établissement de restauration que cette société a créé à Rennes ; que, par contrat de concession séparé du même jour, la société La Boucherie a consenti les mêmes droits à la société Resto Le Mans (société RLM), dont le gérant était M. Bertin, pour l'exploitation d'un établissement de restauration situé au Mans ; que, se prévalant de ce que M. Bertin et les sociétés dirigées par lui ne respectaient pas les termes de ces contrats, la société La Boucherie a assigné la société BB'S et la société RLM aux fins de résiliation à leurs torts exclusifs de ces contrats et en indemnisation du préjudice subi ; qu'il était également demandé au tribunal de constater que M. Bertin et la société BB'S avaient faussé l'image de marque de " La Boucherie ", notamment en l'associant à un restaurant à l'enseigne " Le Boeuf gaulois ", ne faisant pas partie du réseau exploité par la société La Boucherie, et de réparer le préjudice causé par cette faute de concurrence déloyale ;

Sur le premier moyen : - Attendu que la société BB'S et la société RLM font grief à l'arrêt d'avoir résilié les contrats de concession conclus avec la société La Boucherie et de les avoir condamnées à retirer tous les signes distinctifs du concept "La Boucherie", alors, selon le moyen, que l'inexécution partielle d'un contrat à durée déterminée n'entraîne pas sa résiliation, à moins qu'elle ne porte sur une clause que les parties tiennent pour essentielle à la poursuite de leurs relations jusqu'au terme prévu et si l'inexécution a causé un préjudice à l'une d'entre elles ; qu'en l'espèce, les sociétés BB'S et RLM qui ont obtenu une franchise à durée déterminée de la part de la société La Boucherie ont fait l'objet de condamnations pénales pour quatre infractions instantanées, caractérisant seulement une inexécution partielle des contrats à durée déterminée de franchise ; que faute d'avoir constaté que ces fautes portaient sur une ou des clauses jugées essentielles par les parties, et que ces fautes avaient causé un préjudice soit à la société La Boucherie, soit au réseau La Boucherie, la cour d'appel ne pouvait prononcer la résiliation desdits contrats de franchise sans priver sa décision de base légale au regard de l'article 1184 du Code civil ;

Mais attendu que l'arrêt constate que figurent parmi les obligations du concessionnaire celle de " veiller " à la réputation de l'enseigne " La Boucherie " qui lui est confiée et qui doit être pour le public, non seulement une référence de qualité et de bon goût, mais encore de courtoisie et de service irréprochable ", ainsi que celle de " veiller à la bonne tenue du restaurant tant à l'extérieur qu'à l'intérieur " ;que l'arrêt constate encore qu'il est expressément convenu au contrat qu'en cas d'inexécution de l'un quelconque des engagements du concessionnaire tels qu'ils sont définis au contrat ainsi qu'en cas d'agissements provenant de son fait et de nature à porter atteinte à la notoriété de la marque et de l'enseigne " La Boucherie ", le contrat pourra être résilié par le concédant, un mois après une mise en demeure de celui-ci ;que l'arrêt relève que M. Bertin, qui dirige les sociétés concessionnaires, a été pénalement sanctionné pour avoir effectué une publicité comportant des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur en diffusant une publicité faisant référence à de la viande faussement présentée comme qualité 100 % française, et pour avoir trompé les consommateurs sur la composition de produits servis ;que l'arrêt relève encore que le directeur du restaurant La Boucherie du Mans a été condamné pour tromperie, pour avoir contrevenu aux règles d'hygiène et pour avoir méconnu les règles de déclaration de congélation de denrées animales ou d'origine animale qu'ayant déduit de ces constatations que les sociétés BB'S et RLM avaient violé le contrat de concession en n'assurant pas à la clientèle un service de qualité conforme à l'image de "La Boucherie" et en ne veillant pas à la bonne tenue du restaurant du Mans, la cour d'appel, qui relève la gravité de ces manquements aux obligations des concessionnaires, lesquelles étaient assorties d'une clause résolutoire de plein droit marquant leur caractère essentiel pour les parties, a légalement justifié sa décision ;que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le deuxième moyen, pris en ses deux branches : - Attendu que les sociétés BB'S et RLM font grief à l'arrêt de les avoir condamnées chacune à payer à la société La Boucherie la somme de 100 000 francs à titre de dommages-intérêts, alors, selon le moyen : 1. que seul un dommage certain est réparable ; que les sociétés BB'S et Resto Le Mans soutenaient que la publicité donnée aux condamnations pénales de M. Bertin n'avaient eu aucun effet sur leur activité, pas plus que sur le chiffre d'affaires du réseau " La Boucherie " et qu'ainsi le jugement entrepris devait être confirmé en ce qu'il avait débouté la société La Boucherie de ses demandes de réparation à ce titre ; que faute d'avoir constaté un manque à gagner découlant de ces condamnations, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du Code civil ; 2. qu'il n'y a pas d'atteinte à l'image de marque du franchiseur si la faute retenue contre le franchisé n'a eu aucune effet concret sur sa propre activité, sur celle du franchiseur ou encore sur le réseau qu'il exploite ; que les sociétés BB'S et Resto Le Mans soutenaient dans leurs conclusions d'appel, d'une part que postérieurement à la publication des condamnations pénales dont elles ont fait l'objet, leur propre activité avait augmenté et d'autre part que la société La Boucherie ne produisait aucun élément chiffré permettant de constater une baisse de son activité suite à ces publications ; qu'en cet état et sans avoir recherché si les fautes retenues contre les sociétés BB'S et RLM avaient eu une incidence sur la marche du réseau ou avaient causé un préjudice à la société La Boucherie, la cour d'appel ne pouvait décider que le franchiseur avait subi une atteinte à son image de marque sans priver sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du Code civil ;

Mais attendu qu'ayant relevé que la faute commise avait porté atteinte à la notoriété de la marque et de l'enseigne La Boucherie et jeté un discrédit sur l'image du réseau, la cour d'appel, qui a ainsi caractérisé l'existence d'un trouble commercial constitutif d'un préjudice, peu important que ce trouble n'ait pas été traduit par une baisse immédiate du chiffre d'affaires, a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Mais sur le troisième moyen, pris en sa première branche : - Vu l'article 1382 du Code civil : - Attendu que pour décider que la société BBS a commis un acte de concurrence déloyale à l'égard de la société La Boucherie, l'arrêt retient qu'est paru dans un journal un article intitulé "Le restaurant de la viande se diversifie dans le tex-mex La Boucherie reprend " La Station ", que cet article laisse entendre que " La Boucherie " reprend le restaurant " La Station " alors que cette reprise était le fait de la seule société BB'S et que la société BB'S, repreneur du restaurant " La Station ", concurrent de l'établissement de restauration franchisé " La Boucherie " à Rennes, s'est donc servie du nom " La Boucherie " et de son impact pour en faire la publicité et en tirer bénéfice ;que l'erreur alléguée de l'auteur de l'article litigieux n'est pas établie et que la société BB'S n'a rien fait pour la rectifier ;

Attendu qu'en se déterminant par ces seuls motifs, la cour d'appel, qui n'a pas caractérisé l'existence d'un acte fautif imputable à la société BB'S, n'a pas donné de base légale à sa décision ;

Par ces motifs et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs : Casse et Annule, mais seulement en ce qu'il a condamné la société BB'S à payer à la société La Boucherie la somme de 50 000 francs au titre de la concurrence déloyale, l'arrêt rendu le 6 juillet 1999, entre les parties, par la cour d'appel d'Angers ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Poitiers ; Condamne la Société de franchisage des restaurants La Boucherie aux dépens ; Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette la demande de la Société de franchisage des restaurants La Boucherie ; Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé.