CA Paris, 3e ch. B, 25 avril 1986, n° 02936
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Krouchi (Époux)
Défendeur :
Entrepôts Jean Perrier (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Girard
Conseillers :
M. Edin, Mme Montanier
Avoués :
SCP Laurent Taze Bernard, Me Olivier
Avocats :
Mes Dayras, Kalfon.
LA COUR statue sur :
- l'appel principal interjeté par les époux Krouchi du jugement rendu le 29 octobre 1984 par le Tribunal de commerce de Paria (10e chambre);
- l'appel incident et la demande additionnelle de la Société Entrepôts Jean Perrier
Les éléments du litige peuvent être ainsi résumés :
En vue de financer, partiellement l'acquisition d'un fonds de commerce de "limonadier, liquoriste, buffet froid, brasserie", exploité à Paris, 11, rue Monge, à l'enseigne "Le Victoria", les époux Krouchi, par acte du 22 décembre 1980, ont contracté un emprunt bancaire de 260.000 F, remboursable en 70 mensualités jusqu'au 22 décembre 1986 ;
La Société Brasserie Motte-Cordonnier s'est porté caution du remboursement de ce prêt;
En contre partie de cette garantie, les époux Krouchi se sont engagés par le même acte à se fournir exclusivement en bières distribuées ou désignées par Motte-Cordonnier, pendant la durée prévue pour l'amortissement du prêt, augmentée de deux années, et au delà jusqu'à ce qu'un minimum de vente, absolu de 2.400 hectolitres de bière ait été atteint;
Il était stipulé que les époux Krouchi devaient se fournir, soit auprès de Motte-Cordonnier, soit auprès de l'entrepositaire désigné par cette société, à savoir la Société Entrepôts Jean Perrier;
En cas de non-respect des engagements pris par les époux Krouchi, la convention prévoyait le paiement par ceux-ci d'une indemnité fixe, sous réserve de tous autres dommages et intérêts auxquels Motte-Cordonnier pourrait prétendre;
Selon un acte distinct du même jour, la société Entrepôt Jean Perrier a garanti à Motte-Cordonnier " la bonne fin de l'opération de cautionnement " contractée envers la banque, et s'est engagée à rembourser à Motte-Cordonnier " toutes pertes qu'elle pourrait subir dans cette opération jusqu'à concurrence de 50 % ";
À la fin de 1982, les époux Krouchi ont cessé leurs relations avec Entrepôts Jean Perrier et se sont adressés à un autre fournisseur de bières;
Le 8 décembre 1983, Entrepôts Jean Perrier les a fait assigner en paiement de la somme de 32.500 F à titre de dommages et intérêts ;
Le jugement entrepris a retenu qu'Entrepôts Jean Perrier pouvait se prévaloir d'une stipulation pour autrui lui permettant d'agir contre les époux Krouchi mais non pas de demander le bénéfice de la clause pénale insérée au contrat. Il a fixé à 15.000 F le montant des dommages et intérêts dus par les époux Krouchi à Entrepôts Jean Perrier, avec intérêts au taux légal à compter de la signification du jugement. Il a en outre alloué à la société la somme de 3.000 F par application de l'article 700 du NCPC.
Les époux Krouchi demandent l'infirmation de cette décision en toutes ses dispositions;
Ils soutiennent qu'Entrepôts Jean Perrier qui n'était pas partie au contrat, ne peut se prévaloir des stipulations de celui-ci; que la société ne prouve pas de faute quasi-délictuelle et n'établit aucun préjudice. Ils ajoutent que le contrat lui-même est nul pour absence de prix fixé librement, et pour méconnaissance des dispositions de l'Ordonnance du 30 juin 1945.
Réitérant leur demande reconventionnelle de première instance ils sollicitent la condamnation d'Entrepôts Jean-Perrier à leur payer 10.000 F de dommages-intérêts pour procédure abusive et 5.000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC.
Entrepôts Jean-Perrier conclut au débouté de l'appel principal. Par voie d'appel incident et de demande additionnelle, la société prie la Cour de dire :
- que, par l'effet de la stipulation pour autrui, elle est en droit de bénéficier de la clause pénale, à hauteur de la moitié du montant prévu, soit de 32.500 F;
- qu'à supposer la clause pénale inapplicable en sa faveur, le manquement des époux Krouchi à leur obligation d'approvisionnement exclusif a causé à Entrepôts Jean Perrier un préjudice "non inférieur à 58.000 F". Elle demande l'allocation de cette somme, ou de "celle "qui sera arbitrée par la Cour", avec intérêts légaux à compter du jugement, ainsi que d'une somme de 5.000 F en sus de celle, déjà fixée par le Tribunal, sur le fondement de l'article 700 du NCPC.
Cela étant exposé, La Cour,
Considérant que le contrat du 22 décembre 1980 énonce :
"(les époux Krouchi) autorise(nt) (Mote-Cordonnier) à faire constater par mandataire la bonne exécution (des) engagements (des époux Krouchi). En cas de non-respect, partiel ou total de ces engagements, (Motte-Cordonnier) pourra provoquer l'exigibilité du prêt. En outre, (les époux Krouchi) lui (seront) redevable(s) d'une indemnité correspondant à vingt-cinq pour cent du montant initial du prêt sous réserve de tous autres dommages et intérêts auxquels (Motte- Cordonnier) pourrait prétendre. Pour garantir le paiement de cette indemnité, (les époux Krouchi) affecte(nt) à titre de nantissement le fonds de commerce qu'(ils) exploite(nt) à concurrence de vingt cinq pour cent du montant initial du prêt, au rang suivant celui du prêteur" ;
Considérant que la seule réparation prévue par la convention des parties pour le cas de manquement des époux Krouchi à leur obligation de fourniture exclusive, est celle stipulée par les clauses précitées en faveur de Motte-Cordonnier; que si le contrat, auquel Entrepôts Jean Perrier n'a pas été partie et sur lequel cette société s'appuie pour fonder sa demande, impose à son profit une obligation aux époux Krouchi, il ne lui ouvre pas droit à l'indemnité forfaitaire ni à des dommages et intérêts, la stipulation pour autrui contenue dans l'acte ne pouvant être étendue au-delà de ses termes;
Considérant que les époux Krouchi font donc valoir à juste titre qu'Entrepôts Jean-Perrier est sans qualité pour agir à leur encontre;
Considérant que l'action de cette société, qui a pu se méprendre sur l'étendue de ses droits, n'est pas abusive, et ne justifie pas les dommages et intérêts réclamés par les époux Krouchi ; qu'Entrepôts Jean-Perrier, qui succombe et doit supporter les dépens, ne peut prétendre à l'application de l'article 700 du NCPC.
Considérant que l'équité ne commande pas la mise en œuvre de ce texte au profit des époux Krouchi;
Par ces motifs, Infirme le jugement entrepris et, statuant à nouveau : Déboute la Société Entrepôts Jean-Perrier de toutes ses prétentions à l'encontre des époux Krouchi ; Déboute les époux Krouchi de leur demande reconventionnelle ; Condamne; la Société Entrepôts Jean-Perrier aux dépens de première instance et d'appel ; Admet la SCP Laurent-Taze-Bernard, titulaire d'un office d'avoué au bénéfice des dispositions de l'article 699 du NCPC.