CA Paris, 5e ch. B, 30 mars 1984, n° 13238
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Oliveira (Consorts), Trivin (Époux)
Défendeur :
Mobil Oil Française (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Sablayrolles
Conseillers :
MM. Schoux, Serre
Avoués :
Mes Roblin, Bollenot
Avocats :
Me Threard, SCP Raffin-Raffin-Courbe-Vovan.
LA COUR statue sur les appels interjetés par Monsieur et Madame Denis Oliveira, Monsieur et Madame César Oliveira et Monsieur et Madame Roland Trivin du jugement prononcé le 7 mai 1982 par le Tribunal de commerce de Paris dans les circonstances de fait suivantes :
Par contrat du 30 octobre 1979, la société Mobil Oil Française (Mobil) a donné en location gérance aux époux Denis Oliveira un fonds dé commerce de distribution de carburants et de lubrifiants, station service, sis à Sucy-en-Brie, étant spécifié que ces derniers réserveraient à la société Mobil l'exclusivité de la fourniture de tous les produits pétroliers et assimilés ;
D'autre part, par acte du 17 décembre 1979, les époux César Oliveira et les époux Roland Trivin, leurs parents respectifs, se sont portés caution des engagements souscrits par eux au profit de la société bailleresse ;
Par lettre du 28 juillet 1980 cette dernière, usant de la faculté que lui réservait l'article 14 des conventions, manifestait son intention de ne pas poursuivre les relations contractuelles au-delà de la période probatoire de un an, expirant le 29 octobre 1980 ;
L'exécution du contrat de location gérance a donné lieu à deux instantes différentes :
- d'une part, la société Mobil, se prétendant créancière de 169.973,85 F pour des fournitures livrées, a assigné les deux locataires gérants et leurs parents qui les avaient cautionnés, en paiement de cette somme devant le Tribunal de Commerce de Paris
- d'autre part, les époux Denis Oliveira, s'estimant de leur coté créanciers de diverses sommes, en application de la loi du 21 mars 1941, ont fait citer la société Mobil devant le Conseil des Prud'hommes de Villeneuve Saint Georges ; cette juridiction s'étant déclarée incompétente, les deux demandeurs ont formé contredit et cette instance était toujours pendante devant la Cour, lorsque le Tribunal de Commerce a statué ;
Par le jugement déféré, les juges consulaires ont rejeté les exceptions d'incompétence soulevées par les cautions au profit des Tribunaux de grande instance de Créteil et de Toulon, selon leur résidence, et les ont condamnées aux dépens de cette partie de l'instance ;
Par ailleurs, ils ont fixé la dette des locataires gérants à la somme qui leur était réclamée soit 169.973,85 F, mais ont estimé que la compensation était possible avec celle qui était susceptible de leur être allouée par la juridiction prud'hommale ; tenant compte que leur demande, devant cette juridiction, tendait à une somme provisionnelle de 50.000 F et qu'ils ne contestaient que partiellement à concurrence de 26.476,60 F les prétentions de la société Mobil, ils ont condamnés les époux Denis Oliveira et les quatre cautions à payer à la société Mobil, la partie de sa réclamation hors de contestation due en toute hypothèse, soit 93.477,25 F, avec les intérêts légaux du 22 mai 1981, et ont sursis à statuer sur le surplus, jusqu'a décision définitive dans l'instance prud'hommale réservant les autres dépens ;
Les époux Denis Oliveira indiquant que, depuis le jugement entrepris, la Cour d'appel de Paris, statuant sur leur contredit par arrêt du 16 décembre 1982, a ordonné une expertise pour compléter son information ;
Ils soutiennent qu'entre les deux créances litigieuses, il existe un lien de connexité suffisant pour leur permettre de demander la compensation à concurrence de la plus faible d'entre elles que ces créances procédant du même contrat, se rapportent à la même période d'exploitation et concernent les mêmes parties ;
Ils concluent, en conséquence, au sursis à statuer sur la totalité de la demande de la société Mobil, jusqu'à fixation de leur créance salariale ;
Subsidiairement, ils font valoir que le relevé de comptes de la société intimée ne fait pas mention, à leur crédit, de certaines sommes qui ont été omises et comportent à leur débit des sommes pour lesquelles il n'est produit aucune justification ;
Ils s'estiment, ainsi, fondés à solliciter une expertise pour faire les comptes entre les parties ;
Les époux César Oliveira reprennent, devant la Cour, l'exception d'incompétence, au profit du Tribunal de Grande Instance de Créteil dans le ressort duquel ils sont domiciliés;
Ils font valoir qu'ils ne sont pas commerçants et qu'ils ne se sont portés cautions de leurs fils et belle fille qu'à titre purement gratuit ; que, par suite, la clause attributive de compétence insérée dans leur acte d'engagement est nulle, en application de l'article 48 du Nouveau Code de Procédure Civile ;
Ils soutiennent, au surplus, que cette clause est également nulle parce que figurant dans un contrat, lui-même nul ; que l'article 2 des conventions, à la rubrique " prix de facturation ", au paragraphe C stipule, pour les lubrifiants un " prix confidentiel en vigueur au jour de la livraison " ; que cette disposition fait dépendre le prix de la seule volonté de la société Mobil, et contrevient aux articles 1129 et 1591 du Code Civil ; qu'elle est donc nulle et que cette nullité entraîne, par contre coup, la nullité de tout le contrat de location gérance qui forme un ensemble indivisible ;
Ils déduisent de cette annulation qu'à défaut de contrat principal valable, leur engagement de caution, qui n'est qu'accessoire, est, à son tour, privé d'efficacité ;
Ils concluent, par suite, à l'infirmation du jugement et au débouté de la société Mobil ;
Les époux Trivin qui se trouvent dans la même situation juridique adoptent la même argumentation, sous la seule réserve qu'ils revendiquent la compétence du Tribunal de grande instance de Toulon dans le ressort duquel ils sont domiciliés ;
La société Mobil, pour sa part, réplique que les cautions ne sont pas fondées dans leur exception d'incompétence, car tant les époux Oliveira que les époux Trivin avaient un intérêt, au moins familial au maintien de l'activité commerciale de leurs descendants ; que, d'ailleurs, à supposer nulle la clause attributive de compétence, ce serait au Tribunal de grande instance dont la Cour est juridiction d'appel, qu'il appartiendrait de connaître du litige ; Qu'en toute hypothèse, l'indivisibilité de la dette justifiait la saisine du même tribunal, à l'égard de toutes les parties ;
Qu'au surplus les quatre cautions ayant conclu au fond, la Cour peut user de son droit d'évocation ;
La société Mobil souligne que l'éventuelle nullité du contrat d'approvisionnement en lubrifiants doit être limitée à ce seul contrat et ne saurait avoir d'incidence ni sur le contrat de location gérance ni sur celui d'approvisionnement en carburants ;
Elle fait valoir que, de toute façon, cette annulation ne peut avoir d'effet rétroactif et que les prestations élémentaires, échelonnées dans le temps, qui ont été exécutées, restent acquises ;
Elle fait remarquer que les quatre cautions ont entendu garantir l'exécution de ces obligations ponctuelles qui restent valables et notamment le paiement des marchandises livrées ;
Elle conclut, en conséquence, à la confirmation du jugement en ce qu'il les a déclarée tenues à garantir les débiteurs principaux;
Elle soutient, d'autre part, que ces derniers, dont la prétendue créance ne possède pas les qualités requises, ne sont pas fondés à invoquer la compensation ;
Elle précise que, en première instance, ils n'avaient pas contesté le montant de leur dette et que leurs objections actuelles sont purement dilatoires ;
Elle conclut à la confirmation du jugement et sollicite la capitalisation des intérêts échus depuis plus d'un an à compter du 16 septembre 1982 ;
Cela étant exposé,
Considérant, en ce qui concerne l'exception d'incompétence que bien que personnellement non commerçants les époux César Oliveira et les époux Trivin sont, comme l'a retenu, à bon droit le tribunal intervenus financièrement dans l'installation de leurs enfants ; qu'en raison de leurs liens familiaux, ils étaient intéressé à l'affaire même s'ils ne retiraient aucun bénéfice ni avantage matériel ;
Qu'ainsi leur exception d'incompétence doit être rejetée ;
Considérant, en ce qui concerne l'exception de nullité tant des conventions du 30 octobre 1979 que des contrats de cautionnement, que l'article 9, paragraphe C du contrat de location-gérance relatif au " prix de facturation des lubrifiants " stipule que cette facturation sera effectuée " selon le prix confidentiel en vigueur au jour de la livraison du Tarif confidentiel et de vente au Détail Mobil, tel qu'il aura été déposé auprès des pouvoirs publics compétents " ;
Que, comme le soutiennent les cautions, cette stipulation comporte, au profit de la société Mobil, un élément potestatif, dans la fixation du prix (qu'elle peut chiffrer unilatéralement) qui contrevient aux dispositions de l'article 1591 du Code Civil ;
Que l'absence de prix déterminé entraîne la nullité des dispositions concernant l'approvisionnement en lubrifiants ;
Que, compte tenu des multiples références aux produits de ce type, contenues dans les clauses relatives tant à l'objet du fonds de commerce et aux obligations d'exclusivité d'approvisionnement qu'aux sanctions prévues en cas de violation de celles ci, l'ensemble de ces stipulations forme un tout indivisible dont, sans dénaturer la commune intention des parties, il n'est pas possible de dissocier, pour en prononcer isolement la nullité, les seules clauses se rapportant aux lubrifiants;
Que les époux César Oilveira et les époux Trivin doivent être déclarés fondés en leur exception de nullité tant des conventions du 30 octobre 1979, que de leur engagement de caution qui n'en constitue que l'accessoire, ne pouvant être tenus de garantir les effets d'un contrat annulé;
Que, sans doute, ces annulations ne sauraient priver, rétroactivement, de toute efficacité, les livraisons ponctuelles de produits qui ont été effectuées par la société Mobil, à un prix qui a été admis par les locataires gérants; que ces ventes élémentaires successives, à des conditions acceptées par ceux qui les ont conclues, sont parfaites dans leurs rapports réciproques ;
Que cependant, les cautions n'ont pas été parties à ces diverses opérations ; qu'à leur égard, il ne peut être soutenu qu'elles ont accepté le moment venu, de garantir le paiement du prix " confidentiel " qui s'est trouvé en vigueur au jour de la livraison ; que la seule convention qui leur soit opposable est le contrat de cautionnement du 17 décembre 1979, dont la nullité a déjà été constatée ; qu'elles doivent donc être mises hors de cause ;
Considérant, en ce qui concerne la demande formée par la société Mobil contre les époux Denis Oliveira que celle ci se prétend créancière de 169 973,85 F ;
Que cette somme n'est contestée par les premiers que pour partie la discussion portant seulement sur divers éléments de compte représentant, au total, 51.954,13 F ;
Qu'il est donc, d'ores et déjà, acquis que la société intimée est créancière, à tout le moins, de la différence, soit 118 019,72 F ;
Qu'en ce qu'elle a demandé la confirmation du jugement celle ci a admis qu'il soit sursis à statuer à hauteur de 50.000 F, sur la partie certaine de sa créance, jusqu'à décision de la Juridiction prud'hommale en vue d'une compensation ;
Que la Cour, ne disposant pas des moyens de se prononcer sur la partie de la créance de la société Mobil qui est controversée doit recourir à une mesure d'instruction pour faire le compte entre les parties,
Qu'en cet état, la condamnation prononcée, au profit de la société intimée, sera donc ramenée à (118.019,72 - 50.000) 68.019,72 F ;
Par ces motifs et ceux non contraires des premiers juges, Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté l'exception d'incompétence soulevée par Monsieur et Madame César Oliveira et par Monsieur et Madame Roland Trivin et en ce qu'il a sursis à statuer sur la demande de la société Mobil Oil Française à concurrence d'une somme de 50.000 F jusqu'à décision définitive de la juridiction prud'hommale ; Réformant pour le surplus, Déclare nul, à l'égard de Monsieur et Madame César Oliveira et de Monsieur et Madame Roland Trivin les conventions du 30 octobre 1979 et les contrats de cautionnement du 17 décembre 1979 ; Les met hors de cause et déboute la société Mobil Oil Française de ses demandes à leur encontre ; Constate que le surplus de la créance de cette dernière est incontesté à hauteur de 68.019, 72 F et condamne d'ores et déjà Monsieur et Madame Denis Oliveira à payer cette somme à la société intimée, avec les intérêts au taux légal à compter du 22 mai 1981 ; Avant dire droit sur le montant total de cette créance et sur le complément de condamnations qui interviendra au profit de la société intimée, commet Monsieur Maurice Paumier, expert comptable, 79-81 rue des Chênes à Suresnes 92150, avec mission de vérifier le relevé de comptes présenté par cette dernière et de faire les comptes entre les parties ; Dit que les époux Denis Oliveira consigneront au Secrétariat Greffe de la Cour la somme de 4 000 F dans les deux mois à compter de ce jour ; Dit que l'expert dressera un rapport de ses opérations et le déposera au Secrétariat Greffe de la Cour dans les trois mois du jour où il aura été saisi de sa mission ; Condamne la société Mobil Oil Française aux dépens de première instance et d'appel entraînés par la mise en cause des cautions et admet Maître Roblin à en poursuivre directement le paiement dans les conditions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile ; Réserve le surplus des dépens.