Cass. com., 19 mai 1998, n° 95-21.950
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Victor (Epoux)
Défendeur :
Centre Ouest énergies (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bézard
Rapporteur :
M. Vigneron
Avocat général :
M. Lafortune
Avocats :
SCP Boré, Xavier, Me Choucroy.
LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Toulouse, 20 juillet 1995), que les époux Victor, propriétaires d'un fonds de commerce de fourniture de carburants, l'ont remis en location-gérance le 20 décembre 1984 pour une durée de neuf années à une entreprise aux droits de laquelle se trouve la société Centre-Ouest énergies (société COE), laquelle en confia la gérance à un tiers, ultérieurement soumis à une procédure collective, ce qui entraîna la fermeture temporaire du fonds ; que la société COE a en conséquence notifié la résiliation du contrat, à effet au 31 décembre 1992, aux époux Victor ; que ces derniers lui ont réclamé diverses sommes, et notamment 296 253 francs, correspondant aux redevances qui auraient été dues si le contrat avait été mené à son terme ;
Sur le premier moyen, pris en ses trois branches : - Attendu que les époux Victor reprochent à l'arrêt d'avoir rejeté cette demande, alors, selon le pourvoi, d'une part, qu'ils formaient une demande en résiliation de plein droit du contrat de location-gérance à défaut pour la locataire-gérante d'avoir satisfait à son obligation de rouvrir le fonds dans le délai d'un mois imparti au commandement visant la clause résolutoire et sollicitaient accessoirement le paiement de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant de la résiliation du contrat avant sa date d'échéance normale ; qu'en énonçant qu'ils poursuivaient le paiement de "loyers", la cour d'appel a méconnu les termes du litige en violation de l'article 4 du nouveau Code de procédure civile ; alors, d'autre part, que l'exercice de la faculté contractuelle de résiliation unilatérale d'un contrat à exécution successive ne peut être ouvert qu'à la partie qui exécute normalement ses obligations ; qu'en énonçant que la locataire-gérante avait régulièrement exercé la faculté de résiliation biennale ouverte par le contrat sans constater si celle-ci avait exécuté normalement les obligations contractuelles auxquelles elle prétendait mettre fin et notamment si, contrairement à ce que soutenaient les loueurs, elle avait maintenu la station-service ouverte, la cour d'appel a violé par fausse application l'article 1134 du Code civil ; et alors, enfin, qu'une ordonnance de référé n'a pas autorité de chose jugée au principal ; qu'en ajoutant que leur prétention ne pouvait excéder la condamnation prononcée à leur profit par une ordonnance de référé antérieure, la cour d'appel a violé l'article 488 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu qu'il ne résulte pas des énonciations de l'arrêt que le contrat de location-gérance eût subordonné la faculté de résiliation unilatérale de l'une des parties à d'autres conditions que celle d'un préavis ; que, saisis par les époux Victor d'une demande de dommages-intérêts correspondant exactement au montant des redevances qui auraient été dues si le contrat s'était poursuivi jusqu'à son terme prévu, à savoir l'année 1993, les juges d'appel n'ont, malgré l'impropriété du mot "loyers" par eux utilisé, ni méconnu les termes du litige qui leur était soumis, ni accordé une autorité de chose jugée à l'ordonnance de référé qui avait pris acte de l'engagement de la société COE de payer les redevances du quatrième trimestre 1992, renvoyant le surplus de la demande d'indemnité aux juges du fond ; qu'ainsi, le moyen n'est fondé en aucune de ses trois branches ;
Sur le second moyen, pris en ses trois branches : - Attendu que les époux Victor reprochent aussi à l'arrêt d'avoir rejeté leur demande de paiement de 2 142 121 francs en réparation du préjudice résultant de la perte de valeur du fonds de commerce, alors, selon le pourvoi, d'une part, que le locataire-gérant est tenu de restituer le fonds au loueur en tous ses éléments dans l'état où ils se trouvaient lors de la conclusion du contrat ; qu'en énonçant le contraire, la cour d'appel a violé les dispositions combinées des articles 1134 du Code civil et 10 de la loi du 20 mars 1956 ; alors, d'autre part, qu'il incombe au locataire-gérant d'établir que la perte de valeur du fonds n'est pas due à sa faute ; qu'en énonçant le contraire, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve en violation de l'article 1315 du Code civil ; et alors, enfin, qu'ils soutenaient dans leurs conclusions d'appel que M. Le Floch, cessionnaire ultérieur du fonds moyennant le prix de 200 000 francs - moins une annuité de redevance de location-gérance - avait réalisé dès la première année un volume de ventes supérieur à celui réalisé dix ans auparavant par les loueurs ; qu'en attribuant la perte de valeur du fonds restitué à l'environnement concurrentiel sans répondre à ce moyen déterminant, démontrant que les difficultés nées de la concurrence nouvelle n'étaient pas insurmontables, de sorte que la perte de valeur du fonds restitué ne pouvait lui être attribuée, la cour d'appel a entaché sa décision d'une violation de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu, d'une part, qu'après avoir relevé justement que l'obligation pesant sur le locataire-gérant de restituer le fonds en tous ses éléments en l'état où il se trouvait lors de la conclusion du contrat n'impliquait pas celle de rendre un fonds ayant nécessairement la même valeur marchande qu'en début de contrat, l'arrêt n'a pas inversé la charge de la preuve en énonçant qu'il appartenait aux époux Victor, demandeurs faisant état d'une diminution de la valeur de leur fonds résultant des agissements du locataire-gérant, de justifier cette prétention ;
Attendu, d'autre part, que les juges d'appel, qui ont attribué la perte de valeur du fonds à la conjoncture économique, n'étaient pas tenus de répondre expressément à la simple argumentation contenue dans la troisième branche du moyen ; que ce moyen n'est donc pas fondé ;
Par ces motifs : rejette le pourvoi.