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Décisions

Cass. com., 3 avril 2002, n° 99-19.463

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Graindorge

Défendeur :

Besnard

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Dumas

Rapporteur :

Mme Tric

Avocat général :

M. Viricelle

Avocats :

Me Choucroy, SCP Gatineau

T. com. Versailles, du 9 déc. 1992

9 décembre 1992

LA COUR : - Statuant tant sur le pourvoi principal formé par M. Graindorge que sur le pourvoi incident relevé par M. Besnard : - Attendu, selon l'arrêt déféré (Rouen, 8 juin 1999), statuant sur renvoi après cassation (Com. 11 février 1997, bulletin n° 47), qu'après la démission de M. Besnard, agent commercial de M. Graindorge, la cour d'appel a rejeté la demande de dommages-intérêts de M. Graindorge concernant la non-récupération de la TVA, a condamné M. Besnard à lui payer la somme de 50 000 francs à titre de dommages-intérêts pour violation de la clause de non-concurrence et l'a condamné à payer à M. Besnard la même somme à titre de dommages-intérêts pour refus d'exécuter le préavis et retard abusif dans l'établissement du compte des commission restant dues ;

Sur le premier moyen, pris en ses deux branches, du pourvoi principal : - Attendu que M. Graindorge reproche à l'arrêt de l'avoir condamné à payer à M. Besnard la somme de 50 000 francs à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice distinct non compensé par les intérêts moratoires, alors, selon le moyen : 1°) qu'il suffit de se reporter aux écritures d'appel de M. Besnard pour constater que sa demande en paiement de 50 000 francs à titre de dommages-intérêts était uniquement fondée sur le refus délibéré et prolongé de M. Graindorge de lui payer les commissions incontestablement dues et de caractère alimentaire et dont il prétendait qu'il lui avait causé un préjudice distinct du retard que compensent les intérêts moratoires ; que dès lors, en tenant compte de la suppression unilatérale de la période de préavis" par M. Graindorge en sus de sa "morosité prolongée à régulariser les commissions dues" pour le condamner à payer la somme de 50 000 francs à titre de dommages-intérêts à M. Besnard en réparation de son préjudice distinct non compensé par les intérêts moratoires, la cour d'appel a méconnu les termes du litige tels qu'ils résultent des écritures de M. Besnard et violé les articles 4 et 5 du nouveau Code de procédure civile ; 2°) qu'il résulte de la rédaction de l'article 1153, alinéa 4, du Code civil que les juges du fond ne peuvent accorder les dommages-intérêts distincts des intérêts moratoires prévus par l'alinéa 1er que s'ils constatent non seulement que le créancier a subi un préjudice indépendant du retard apporté au paiement de sa créance mais également que ce préjudice a été causé par la mauvaise foi du débiteur en retard, ces deux conditions étant cumulatives ; qu'en se contentant d'affirmer que le préjudice que M. Graindorge a fait subir à son ancien collaborateur par son attitude dilatoire, spécialement dans les mois qui ont suivi la rupture du contrat, ne se trouve pas entièrement réparé par les intérêts de droit courant à compter de la sommation du 4 février 1988 et que la suppression unilatérale de la période de préavis conjuguée avec la morosité prolongée à régulariser les commissions dues ont incontestablement causé à M. Besnard un important préjudice qu'elle était à même de fixer à 50 000 francs au jour où elle statuait, sans constater que ce préjudice était imputable à la mauvaise foi de M. Graindorge, débiteur en retard, la cour d'appel a violé les articles 1153, alinéa 4, du Code civil et 455 et 458 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu quel'arrêt relève que M. Graindorge s'est refusé à apurer le compte des commissions concernant les dernières affaires conclues, ne se décidant qu'après le jugement à fournir les éléments nécessaires à leur calcul et à se reconnaître débiteur de 183.040,34 francs ; qu'il retient que ce comportement dilatoire, tandis qu'il avait feint d'ignorer l'offre d'exécution du préavis en accusant faussement M. Besnard de ne pas l'avoir prévenu trois mois à l'avance et en le sommant de lui restituer immédiatement les clés et le fichier de l'agence, a fait subir à M. Besnard un important préjudice, distinct de celui qui est réparé par les intérêts de retard; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, qui font ressortir la mauvaise foi de M. Graindorge, la cour d'appel, qui n'a pas méconnu les termes du litige, a légalement justifié sa décision; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le second moyen, pris en ses deux branches, du même pourvoi : - Attendu que M. Graindorge reproche encore à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande de dommages-intérêts concernant la non-récupération de la TVA, alors, selon le moyen : 1°) qu'il faisait valoir dans ses écritures d'appel que, pour les commissions lui restant dues mais qui ne pouvaient lui être payées tant que lui-même n'avait pas perçu sa rémunération, la réalisation des affaires prenant toujours plusieurs mois, M. Besnard n'avait établi qu'une seule facture en octobre 1987 et n'avait ensuite, après avoir engagé une procédure, plus émis la moindre facture tandis qu'en sa qualité d'agent commercial, il lui appartenait de suivre les affaires sur lesquelles il était rémunéré et de présenter les factures lorsqu'une vente intervenait ; qu'en rejetant sa demande de dommages-intérêts au motif qu'il avait été négligent en ne remettant pas à M. Besnard les bordereaux nécessaires à l'établissement des factures mais sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si du fait de sa qualité d'agent commercial, il n'appartenait pas à M. Besnard de suivre malgré sa démission les affaires sur lesquelles il était rémunéré, la réalisation des affaires ouvrant droit à commission prenant toujours plusieurs mois, la cour d'appel a violé les articles 455 et 458 du nouveau Code de procédure civile ; 2°) que M. Graindorge relevait également dans ses écritures d'appel que sa demande était d'autant plus fondée que M. Besnard avait perçu la TVA qu'il aurait pour sa part dû reverser à l'administration ; qu'en ne s'expliquant pas sur l'enrichissement sans cause ainsi implicitement mais nécessairement souligné par M. Graindorge dont a bénéficié M. Besnard en percevant plus de 25.000 francs au titre de la TVA sans fournir de factures permettant à son mandant de la récupérer et sans reverser lui-même cette somme à l'administration fiscale, la cour d'appel a violé les articles 1376 du Code civil et 455 et 458 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu que l'arrêt relève que M. Besnard ne pouvait établir de facture sans les bordereaux préalablement remis par M. Graindorge et que les acomptes reçus de l'huissier en exécution des décisions de condamnation ne pouvaient donner lieu à facturation sans que soit précisée par M. Graindorge l'affectation de ses règlements et sans les bordereaux que M. Besnard lui avait demandé en vain d'établir; que la cour d'appel, qui a ainsi répondu aux conclusions prétendument délaissées, a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;

Et sur le moyen unique, pris en ses deux branches, du pourvoi incident : - Attendu que M. Besnard reproche à l'arrêt de l'avoir condamné à payer à M. Graindorge la somme de 50 000 francs pour non-respect de la clause de non-concurrence, alors, selon le moyen : 1°) que l'inexécution par une partie de son obligation contractuelle autorise l'autre partie à ne pas exécuter sa propre obligation, sauf à ce que l'inexécution initiale ne présente aucun caractère de gravité ; qu'en l'espèce, M. Besnard soutenait qu'aucune violation de l'obligation de non concurrence prévue au contrat ne pouvait lui être légitimement reprochée dès lors qu'elle n'était que la conséquence des manquements subits et illégitimes de M. Graindorge à ses propres obligations, que celui-ci ne lui ayant en effet payé ni son préavis, ni ses commissions, de sorte qu'il s'était rapidement trouvé privé de tout moyen de subsistance, il était fondé à opposer l'exception d'inexécution à son ancien employeur ; qu'en se bornant à relever que nonobstant l'impossibilité où il s'était trouvé d'effectuer son préavis et les difficultés qu'il avait rencontrées pour obtenir le paiement de ses commissions, M. Besnard se devait de respecter une clause qui ne présentait aucun caractère excessif, sans préciser en quoi les manquements de M. Graindorge à ses obligations contractuelles, qui avaient privé M. Besnard de toute ressource, ne présentaient pas un caractère de gravité suffisant justifiant que M. Besnard puisse légitiment exciper de l'exception d'inexécution, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du Code civil ; 2°) qu'en se bornant à relever, pour refuser de réduire le montant de la clause pénale stipulée au contrat, qu'il ne présentait pas un caractère excessif, dès lors qu'il correspondait à une somme que M. Besnard pouvait avoir perçue en une seule vente, la cour d'appel, qui ne s'est ainsi pas interrogée sur l'importance du préjudice effectivement subi par M. Graindorge et, partant, sur la proportion ou la disproportion entre l'importance de ce préjudice et le montant conventionnellement fixé, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1152 du Code civil ;

Mais attendu, d'une part, que l'arrêt relève que la clause de non-concurrence est limitée à deux ans et à un rayon de 50 kilomètres; qu'il relève encore que M. Besnard a démissionné et a renoncé à faire reconnaître que cette démission aurait été provoquée par son mandant ; qu'il retient dès lors que nonobstant l'impossibilité où il se trouvait d'exécuter son préavis et les difficultés qu'il a rencontrées pour obtenir le paiement de ses commissions, il était tenu de respecter une clause qui ne présentait aucun caractère excessif; qu'ainsi, la cour d'appel a légalement justifié sa décision;

Attendu, d'autre part, qu'après avoir relevé que l'agent commercial avait été embauché moins de six mois après sa démission par une entreprise concurrente situé à moins de 50 kilomètres puis qu'il s'était établi à son compte, un an plus tard, à moins de 50 kilomètres, l'arrêt retient que le montant de la clause pénale fixé par la convention à 50 000 francs n'est pas excessif dès lors que pareille somme correspond au montant d'une seule commission pouvant être due à un agent immobilier à l'occasion de la vente d'un immeuble effectuée avec son concours ; qu'ainsi, la cour d'appel, qui s'est fondée sur la proportion entre l'importance du préjudice effectivement subi par l'agent immobilier mandant et le montant conventionnellement fixé, a légalement justifié sa décision ; d'où il résulte que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Par ces motifs : Rejette tant le pourvoi principal que le pourvoi incident.