CA Paris, 5e ch. B, 6 décembre 2001, n° 1999-14673
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Sobrivia (SA)
Défendeur :
Rover France (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Main
Conseillers :
M. Faucher, Mme Percheron
Avoués :
SCP Fisselier-Chiloux-Boulay, SCP Arnaudy-Baechlin
Avocats :
Mes Bourgeon, Lacroix.
LA COUR est saisie de l'appel interjeté par la SA Sobrivia du jugement contradictoirement rendu le 21 mai 1999 par le Tribunal de commerce de Paris qui, dans le litige l'opposant à la SA Rover France à l'occasion de la dénonciation par l'appelante d'un contrat de concession exclusive le 24 octobre 1997, a condamné la société Rover France, outre au règlement d'une indemnité de 10.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, à payer à sa cocontractante la somme de 200.000 F à titre de dommages-intérêts, les parties étant déboutées de toutes autres demandes.
Au soutien de son recours l'appelante fait valoir en substance dans ses dernières écritures du 15 juin 2001 :
- que, tant avant qu'après l'opération "Hiver 96", l'intimée, arguant d'une clause d'intuitu personae, ne peut reprocher à son dirigeant de n'avoir pas personnellement assisté aux réunions organisées par le concédant, alors que, sauf exception, il y était représenté et qu'il était en droit de se prévaloir du rétablissement des conditions normales d'exécution du contrat,
- que la société Rover France:
* lui a fautivement retiré l'initiative de ses commandes par minitel pour n'avoir pas souscrit à la commande d'un stock de 42 véhicules pour l'opération "Hiver 96",
* a abusé de la faculté de l'obliger à obtenir un stock minimum,
* a fautivement cessé de l'approvisionner à l'automne 1997,
- que la mauvaise exécution du contrat par l'intimée qui, au surplus, est responsable de la rupture des relations contractuelles lui a causé un préjudice d'exécution évalué à 710.000 F et un préjudice de rupture évalué à 4.000.000 F pour privation du délai de préavis de deux ans,
- que la demande reconventionnelle de la société Rover France n'est pas justifiée.
En conséquence la société Sobrivia prie la Cour de débouter la société Rover France de ses demandes et de la condamner à lui payer, outre 50.000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, la somme de 4.710.000 F à titre de dommages-intérêts.
Dans ses ultimes écritures du 19 septembre 2001 la société Rover France soutient en substance pour sa part:
- que l'attitude, au demeurant inexplicable, de la société Sobrivia qui s'est refusée à recevoir ou rencontrer un représentant de la société Rover France démontre son intention de rompre le contrat,
- que l'absence d'accès au minitel prévu sur tout le réseau pendant l'opération "Hiver 96" n'affectait en rien l'approvisionnement en véhicules neufs des concessionnaires qui pouvaient toujours les commander par l'intermédiaire d'un autre concessionnaire,
- que s'il n'y avait pas obligation pour l'appelante de commander 42 véhicules neufs lors de l'opération "Hiver 96", celle-ci se devait, pour respecter l'esprit du contrat de concession, participer à cette opération,
- que, refusant de suivre la procédure établie pour les commandes de stock et de s'entretenir avec la concédante, il ne restait à la société Sobrivia que la procédure de commandes de dépannage par nature complémentaire aux commandes de stock,
- que la société Sobrivia, qui n'avait pas atteint ses objectifs pour 1996, n'a pas respecté ses obligations contractuelles en refusant, en dépit des tentatives de la concédante, de recevoir le représentant de celle-ci,
- que la société Sobrivia n'a pas respecté la lettre du contrat de concession prévoyant que "... chaque partie est libre de mettre fin au contrat à tout moment et sans avoir à justifier de sa décision sous réserve d'un préavis de vingt-quatre mois",
- qu'en raison de cette faute la société Sobrivia lui a causé un préjudice évalué à la somme de 950.000 F,
- que les préjudices invoqués par sa cocontractante ne sont pas justifiés.
La société Rover France prie dès lors la Cour d'infirmer la décision du Tribunal, de dire que la société Sobrivia est seule responsable de la rupture du contrat de concession, de débouter la société Sobrivia de ses demandes et de la condamner à lui payer 950.000 F de dommages-intérêts pour rupture abusive du contrat de concession et 50.000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
SUR CE :
Considérant que la société Sobrivia, représentée par son dirigeant, Monsieur Bernard Leroyer, a, pour une durée indéterminée, conclu avec la société Rover France les 3 novembre 1989 et 14 avril 1997 deux contrats de concession exclusive pour la vente, en Bretagne, dans un certain secteur, de véhicules de marque Rover;
Qu'elle a, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 24 octobre 1997, dénoncé avec effet immédiat le contrat la liant à l'intimée après lui avoir en particulier écrit : "... depuis plusieurs mois maintenant, vous m'avez interdit de procéder aux commandes de stock indispensables à la bonne marche de la concession";
Considérant à cet égard que la société Rover a, au mois de novembre 1996, en raison d'une fin d'année difficile, lancé une opération de déstockage, la campagne "Hiver 96", au cours de laquelle elle a proposé l'acquisition d'un certain nombre de véhicules à ses concessionnaires, dont la société Sobrivia qui a reçu le 26 novembre 1996 un bon de commande pour un total de 42 véhicules neufs et a de suite sollicité, par télécopie du même jour, des précisions sur les "modèles, options, couleurs" de ces véhicules et les conditions financières de leur achat;
Considérant que, après un échange de télécopies les 27 et 29 novembre 1996 et motif pris de ce qu'elle n'avait pas reçu de réponses à ses questions et de ce que son stock physique de 17 véhicules était "amplement suffisant", l'appelante a informé la société Rover France le 30 novembre 1996 de ce qu'elle ne passait pas commande de véhicules au titre de la campagne "Hiver 96";
Considérant que, en dépit du fait que la société Sobrivia avait la maîtrise de son stock et n'était pas contractuellement tenue de passer commande des véhicules proposés par l'intimée, celle-ci lui en a néanmoins tenu rigueur;
Considérant en effet qu'après la commande pour son "stock vitrine" le 21 mars 1997 de 13 véhicules neufs avec paiement à 120 jours selon la règle en usage, la société Sobrivia, qui n'avait alors en stock que deux véhicules, s'est vue répondre par la société Rover France le 24 mars 1997 "... Je vous rappelle que vous avez strictement refusé de commander des voitures neuves suite à ma proposition écrite du 26.11.96 dans les conditions de l'opération Hiver 96 qui préparait les stocks disponibles en concession pour le début de l'année 1997. Bien entendu vous pouvez commander aujourd'hui des voitures neuves disponibles sur le Parc de Rover France en commandes de dépannage, le stock étant limité pour l'instant";
Que l'intimée a réitéré sa position au cours de l'année 1997 à tel point que sa cocontractante lui a vainement adressé une mise en demeure de s'exécuter le 8 septembre 1997;
Considérant que l'attitude de la société Rover France, qui avait pour conséquence de restreindre dangereusement le stock de la société Sobrivia contrainte d'acquérir des véhicules à des conditions nettement plus onéreuses (paiement à vingt jours pour les commandes de dépannage), était injustifiée en fait et en droit dans la mesure où, d'une part, comme le prouve le concessionnaire, l'intimée avait des voitures disponibles pour répondre à la demande avec paiement à 120 jours, d'autre part l'appelante n'a commis aucune faute en refusant de participer à l'opération "Hiver 96" pour laquelle, d'ailleurs, elle n'avait pas obtenu toutes les précisions utiles;
Considérant que si la société Rover France se plaint, pour sa part, de n'avoir pas, en dépit de ses multiples demandes, rencontré le représentant de la société Sobrivia qui, en tout état de cause, pouvait se faire représenter au cours des réunions de concessionnaires, force est de constater qu'elle n'a jamais jugé utile de s'impliquer pour dénouer le conflit existant de fait entre son attaché commercial et Monsieur Bernard Leroyer, que par son attitude fautive elle a détruit tout espoir de coopération nécessaire, en particulier pour atteinte des objectifset que, responsable de la rupture dont l'appelante a pris l'initiative, elle doit supporter les conséquences pécuniaires en découlant;
Considérant que le préjudice subi par la société Sobrivia s'analyse en un manque à gagner consécutif d'une part à la non-réalisation de ventes en raison de l'attitude fautive de la société Rover France, d'autre part au non-accomplissement du préavis;
Considérant que, sur le premier point, c'est à juste titre que, retenant une marge nette non contestée de 8.063,13 F par véhicule vendu en 1996, le Tribunal a décidé pour évaluer le dommage de l'appelante, de ne pas s'en tenir à la simple différence entre le nombre de voitures vendues en 1996 et le nombre de voitures vendues en 1997 (175 - 87), la diminution des ventes n'ayant pas pour seule cause une insuffisance des stocks mais aussi, en particulier, la baisse du marché de l'automobile; qu'en tenant compte du fléchissement des ventes de la société Sobrivia entre 1995 et 1996, seul élément pouvant être raisonnablement retenu, il y a lieu d'évaluer le manque à gagner à 225.767 F ou 34.417,96 euros (88 - 60 = 28 x 8.063 F);
Considérant que, sur le second point, l'appelante ne peut, sans explication aucune, sérieusement soutenir que son préjudice, sur deux ans, est d'une année de marge brute (3.500.000 F) et d'une année de marge nette (500.000 F); que seule la marge nette moyenne peut être retenue; que celle-ci n'étant pas contestée en son montant, il y a lieu d'allouer à la société Sobrivia la somme de 1.000.000 F ou 152.449,01 euros;
Considérant qu'il est équitable d'allouer à la société Sobrivia une indemnité complémentaire de 15.000 F ou 2.286,74 euros en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
Par ces motifs : Réforme le jugement déféré et, statuant à nouveau, condamne la société Rover France à payer à la société Sobrivia 1.225.767 F ou 186.866,97 euros avec intérêts au taux légal compter du jugement sur 200.000 F ou 30.489,80 euros et à compter du présent arrêt pour le surplus ainsi qu'une indemnité complémentaire de 15.000 F ou 2.286,74 euros en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Déboute les parties de toutes autres demandes, Condamne la société Rover France aux dépens de première instance et d'appel; admet la SCP Fisselier, Chiloux & Boulay, Avoué, au bénéfice des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.