CA Paris, 25e ch. A, 31 octobre 1989, n° 88-1343
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Société de Véhicules Industriels de Montargis (SA)
Défendeur :
Total France CRD (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Lescure
Conseillers :
M. Rostagno, Mme Renard-Payen
Avoués :
SCP Roblin, Chaix de Lavarène, SCP Fisselier, Chiloux, Boulay
Avocats :
Bourgeon, Poudeux.
La Cour Statuant sur l'appel interjeté par la société de Véhicules Industriels de Montargis (SVIM) du jugement rendu le 6 novembre 1987 par le tribunal de commerce de Paris (5ème chambre) qui l'a condamnée à restituer à la société Total France CRD l'intégralité de son matériel et à procéder pour ce faire aux travaux d'ouverture des fosses, sous astreinte de 2000 francs par jour de retard à compter du trentième jour suivant la signification du jugement, l'a condamnée à payer à la société Total France CRD la somme de 1000 francs de dommages-intérêts par mois à compter du 11 décembre 1984 et jusqu'à la restitution du matériel, qui l'a condamnée à payer à la société Total la somme de 166.492,50 francs augmentée des intérêts au taux de 8 % à compter du 1er novembre 1972 au 11 décembre 1984 et des intérêts légaux à compter du 11 décembre 1984, ainsi que celle de 112.508,24 francs augmentée des intérêts au taux de 8 % à compter du 1er avril 1972 jusqu'au 10 décembre 1984, et des intérêts légaux à compter du 11 décembre 1984, l'a condamnée au paiement de la somme de 6000 francs sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile et a mis les dépens à sa charge;
Considérant qu'il suffit de rappeler les éléments suivants :
Les sociétés Total et SVIM ont conclu le 28 juillet 1972 un contrat RH 6 d'approvisionnement exclusif en carburant pour une durée de dix ans prenant effet le 15 Novembre 1972, étant précisé que si à l'expiration de ce délai la société SVIM n'avait pas acheté et payé 96.000 HL de carburants, la durée du contrat serait prolongée pendant le temps nécessaire pour parfaire le contrat;
En contrepartie de cet engagement la société Total a mis à la disposition de sa co-contractante une installation pétrolière complète dont le détail figure dans le procès-verbal de l'installation signé le 15 Novembre 1972;
La société Total a également consenti à la société SVIM, le 28 juillet 1972, un prêt financier de 191.200 francs amortissable sur les quantités de carburants à écouler;
Ces deux sociétés ont encore conclu le 27 mars 1972 un contrat E 7 d'approvisionnement exclusif en lubrifiants, en considération duquel la société Total a consenti à la société SVIM un prêt financier de type PN RH G2 d'un montant de 300.000 francs amortissables sur les quantités de lubrifiants vendus;
Ce contrat était également conclu pour une durée de 10 ans à compter du 1er avril 1972 avec prolongation jusqu'à ce que soit atteinte la quantité minimum prévue de 400.000 Kgs;
Par avenant "à nos conventions" du 28 juillet 1972, il était enfin convenu, qu'au cas où, pour une raison quelconque, les accords viendraient à prendre f in avant l'épuisement des litrages fixés, la société SVIM s'engageait à rembourser sans délai les soldes non amortis des prêts, majorés d'un intérêt de 8 % à compter de la date de versement des fonds;
Le 9 novembre 1982, la société SVIM a indiqué à la société Total qu'elle entendait se libérer des conventions en cours à moins que ne lui soient proposées de nouvelles conditions commerciales;
Malgré de nombreuses discussions, les parties n'ont pu aboutir à la conclusion de nouveaux contrats;
Le 16 avril 1984, la société Total a alors informé sa co-contractante de ce qu'elle prenait acte de la rupture des relations commerciales et l'a informée de ce qu'elle procéderait à la récupération de son matériel en septembre;
Les parties n'ayant pu trouvé un terrain d'entente sur les conditions dans lesquelles la société Total pourrait récupérer son matériel, notamment les cuves intégrées dans le béton, le juge des référés du tribunal de commerce Montargis saisi par la société Total a ordonné à la société SVIM de restituer l'intégralité du matériel pétrolier tel que défini au procès-verbal du 15 novembre 1972;
Cette décision a été infirmée par la Cour d'Appel d'Orléans, aux motifs qu'il existait en l'espèce une contestation sérieuse;
Le 19 août 1986, la société Total a assigné la société SVIM en restitution sous astreinte dudit matériel, en dommages-intérêts, en paiement des soldes non amortis des prêts à elle consentis, augmentés des intérêts au taux conventionnel de 8 % de la date de versement des fonds à l'assignation et du taux légal à compter de l'assignation, ainsi qu'en indemnisation de ses frais irrépétibles;
La société SVIM a résisté à ces prétentions faisant valoir à titre principal, concernant la restitution du matériel, l'absence de fondement contractuel de la demande et, offrant de racheter ledit matériel à sa valeur résiduelle à déterminer par expertise;
Elle a soulevé, concernant les demandes en paiement, la nullité du contrat lubrifiants pour indétermination de prix, nullité entraînant celle du contrat RM 6, indissociable du premier;
C'est dans ces conditions que le tribunal a rendu le jugement précité, retenant que le mode de détermination du prix n'était pas de nature à vicier le contrat lubrifiants et admettant la validité des clauses contractuelles prévoyant la restitution du matériel;
La société SVIM invoque en premier lieu au soutien de son appel la nullité d'ordre public de la clause contractuelle invoquée par la société Total tendant à la restitution en nature par le détaillant des réservoirs et de leurs accessoires, faisant valoir que celle-ci serait contraire aux dispositions de l'article 50 de l'ordonnance du 30 juin 1945 et 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, ainsi que de l'article 85-2 du traité de Rome;
Elle prétend, sur les demandes en paiement, que du solde non amorti des prêts carburant et lubrifiant doit être déduit les achats par elle effectués entre le 15 novembre 1982 et le mois de décembre 1984 ; elle soutient que la société Total ne peut lui réclamer l'intérêt de 8 % stipulé à l'avenant du 28 juillet 1982 sur les soldes non amortis, faute d'indication du taux effectif global et par application des articles 1172 et 1174 du Code Civil;
Elle conclut à l'infirmation du jugement attaqué en toutes ses dispositions;
Elle prie la Cour de lui donner acte de ce qu'elle réitère l'offre qu'elle avait faite à la société Total dès le mois de décembre 1984 de lui laisser reprendre possession des cuves sous réserve que l'intimée supportera l'intégralité des frais d'ouverture des fosses et de remise en état des lieux après enlèvement des cuves à ses frais;
Elle prie également la Cour de lui donner acte de ce qu'elle offre de rembourser à la société Total les sommes principales suivantes :
- 92.568,44 francs au titre du solde non amorti du prêt qui lui a été consenti accessoirement au contrat RH 6 du 28 juillet 1972
- au titre du solde non amorti du prêt consenti accessoirement au contrat E 7 du 1er avril 1972;
- à titre principal 117.138,00 francs
- à titre subsidiaire 141.643,00 francs;
Elle conclut au rejet des prétentions de la société Total relative au paiement d'un intérêt de 8 % sur les soldes non amortis des prêts et sollicite l'allocation de la somme de 10.000 francs sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile;
La société Total prie la Cour de lui donner acte de ce qu'elle renonce à sa demande de restitution des cuves sollicitée dans son assignation et qu'en conséquence elle renonce à la partie du jugement déféré relatif à la condamnation de la SVIM à procéder aux travaux d'ouverture des fosses, sous astreinte de 2000 francs par jour de retard à compter du 30ème jour suivant la signification du jugement;
Elle demande également qui lui soit donné acte de ce qu'elle est disposée à céder ses installations de stockage à la société SVIM selon les modalités qui lui seront précisées ultérieurement;
Elle sollicite la confirmation du jugement en ses dispositions relatives à la condamnation de la société SVIM à lui payer la somme de 166.492,50 francs plus intérêts au taux de 8 % du 1er novembre 1972 au 10 décembre 1984 et intérêts légaux à compter du 11 décembre 1984, ainsi que celle de 112.508,24 francs plus intérêts de 8 % à compter du 1er avril 1972 jusqu'au 10 décembre 1984 et intérêts légaux à compter du 11 décembre 1984;
Elle sollicite enfin la somme de 10.000 francs en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile;
La société SVIM, dans ses dernières écritures, donne acte à la société Total de ce qu'elle reconnait expressément la nullité de la clause du contrat RM 6 du 28 juillet 1972 prévoyant l'obligation par le détaillant de restituer en nature les cuves et leurs accessoires mis à sa disposition par la société Total;
Se référant aux énonciations du jugement attaqué et aux écritures de la cause pour un plus ample informé des faits, de la procédure, des prétentions et moyens des parties;
Sur la restitution du matériel
Considérant qu'il convient de donner à la société CRD Total les actes par elle requis relatifs tant à l'abandon de ses réclamations initiales concernant la restitution des cuves qu'à ses propositions faites à sa co-contractante afférentes aux dites cuves;
Qu'il y a lieu également de donner à la société SVIM les actes par elle requis concernant les stockages;
Considérant qu'il appartiendra aux parties de régler entre elles le sort desdits stockages;
Sur les demandes en paiements des soldes non amortis des prêts
Considérant que c'est à juste titre que l'intimée prétend que les conventions d'exclusivité E 7 et RM6 sont devenues caduques en application des dispositions de la loi du 14 octobre 1943, res-pectivement le 1er avril et le 15 Novembre 1982;
Considérant toutefois qu'il n'est pas contesté que la société Total a continué à approvisionner la société SVIM postérieurement à ces dates ; qu'elle ne peut prétendre que les quantités livrées postérieurement à l'expiration des conventions ne peuvent pas être prises en compte pour l'amortissement des prêts;
Considérant, en effet, que la loi précitée du 14 octobre 1943 ne prévoit pas la nullité des actes contraires, que, de plus, la société Total a, elle-même, informé la société SVIM dans sa lettre du 16 avril 1984 du montant des soldes non amortis au 31 janvier 1984 (prêt carburant 113.198,64 francs prêt lubrifiants 172.677,00 francs) en lui précisant "les décomptes définitifs que nous vous adresserons prochainement laisseront bien entendu apparaître des montants bien inférieurs à ceux précités puisqu'ils tiendront compte des amortissements réalisés après le 31 janvier 1984" ; qu'elle n'a d'ailleurs réclamé que la somme de 112.508,24 francs correspondant au solde non amorti du prêt carburant arrêté à fin octobre 1984 ainsi que celle de 166.492,50 francs au titre du solde non amorti du prêt lubrifiant-arrêté fin mars 1984 (ces sommes paraissant d'ailleurs avoir été par erreur, inversées);
Considérant qu'il s'ensuit que l'appelant peut prétendre à l'imputation supplémentaire des quantités à elle livrées jusqu'au 11 décembre 1984, date à laquelle la société Total avait accepté de repousser la reprise de son matériel et de continuer ses livraisons (lettre de la société Total du 27 septembre 1984);
Considérant qu'en l'absence d'éléments chiffrés sur les sommes restant à s'imputer sur les soldes non amortis des prêts, il convient de désigner un constatant avec mission d'établir le montant de l'amortissement assuré par le sachats effectués par la société SVIM à la société Total à compter respectivement du 1er avril et 1er novembre jusqu'au 11 décembre 1984, et ce eu égard aux factures versées aux débats par l'appelante et conformément aux conditions des contrats RM6 et E7, et à rétablir, éventuellement, le solde exact correspondant à chacun des prêts litigieux;
Considérant, en revanche, que la société SVIM ne peut prétendre à l'imputation sur le solde du prêt lubrifiants de l'avoir de 49.354,50 francs à elle offert par la société Total dans sa lettre du 13 mars 1984, cette proposition étant subordonnée à la conclusion d'un nouveau contrat et au remboursement du solde des prêts, conditions non réalisées;
Sur les intérêts
Considérant qu'aux termes de l'avenant du 28 juillet 1972, il était convenu "qu'au cas où, pour une raison quelconque, nos accords viendraient à prendre fin avant le puisement du litrage fixés entre nous, je (la société SVIM) rembourserais sans délai les soldes restant à amortir des prêts que vous auriez été amenés à me consentir, majorés des intérêts, calculés au taux hors frais et taxes de 8% à compter de la date de versement des fonds";
Considérant que les stipulations de cet avenant constituent une clause pénale sanctionnant la non exécution par la société SVIM de ses engagements de s'approvisionner en une certaine quantité de produits en contre partie des prêts sans intérêts à elle consentis par la société Total ; que cette clause n'est dès lors pas soumises aux dispositions de la loi du 28 décembre 1966 réprimant l'usure;
Considérant que la clause litigieuse prévoyant une pénalité contractuelle dans le cas où, pour "une raison quelconque" les accords viendraient à prendre fin, avant l'épuisement des litrages prévus" n'est pas contraire aux dispositions des articles 1172 et 1174 du Code Civil;
Considérant, en effet, que cette clause n'imposait pas la continuation du contrat au delà de la durée de dix ans, prévue par la loi précitée de 1943 ; qu'en outre, la cessation des relations "pour une cause quelconque" excluait le caractère purement potestatif de la résiliation par la société Total;
Considérant ainsi que c'est à juste titre que les premiers juges ont assorti le paiement des soldes non amortis des prêts de l'intérêt au taux de 8 % de la date de versement des sommes au 11 décembre 1984;
Considérant que la société SVIM qui succombe en son recours sera condamnée aux dépens d'appel et ne peut prétendre par conséquent à bénéficier des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile;
Considérant qu'il n'est pas inéquitable de laisser à la charge de la société Total les débours non taxables par elle exposés en cause d'appel;
Par ces motifs
Donne les actes requis par les parties relatifs à la restitution des stockages et constate la renonciation par la société Total à la partie du jugement attaqué qui a condamné la société SVIM à procéder sous astreinte aux travaux d'ouverture des fosses; Avant dire droit sur le montant des soldes non amortis des prêts dus par la société SVIM; Désigne Me Isidore Lachkar, 109 boulevard Voltaire-75011 Paris (téléphone 43.79.00.42) avec mission d'établir les amortissements assurés par les quantités de lubrifiants et de carburants livrées par la société Total à la société SVIM respectivement du 1er avril et du 1er novembre 1984 jusqu'au 11 décembre 1984 eu égard aux factures versées aux débats par la société SVIM et aux conditions des contrats E 7 et RH 6, et à rétablir, éventuellement, les montants respectifs du soldes de chacun des prêts restant dû; Fixe à 5000 francs le montant de la provision que la société Total devra verser au constatant en avance sur sa rémunération avant le 1er janvier 1990; Dit que le constatant devra déposer son rapport au greffe de cette Cour avant le 1er avril 1990; Confirme le jugement attaqué pour le surplus, Condamne la société SVIM aux dépens d'appel jusqu'ici exposés, lesquels pourront être recouvrés par la SCP Fisselier-Chiloux et Boulay, avoué, conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau code de procédure civile; Déboute les parties de leurs demandes respectives au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.