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Décisions

CA Poitiers, ch. civ. sect. 1, 25 novembre 1998, n° 9603474

POITIERS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Freuslon, Pigeon, Sauvage (époux)

Défendeur :

Coco Paradise (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Egal

Conseillers :

Mme Lafon, M. Barthélémy

Avoués :

SCP Gallet, SCP Musereau-Drouineau Rosaz

Avocats :

Mes Lacaze, Denat.

T. com. Marennes, du 6 sept. 1996

6 septembre 1996

Faits et procédure

Aux termes d'un acte sous seing privé en date du 30 mai 1995, la SARL Coco Paradise, représentée par sa gérante Mademoiselle Isabelle Musset, a donné en location gérance à Monsieur Jacques Freuslon et à Mademoiselle Patricia Pigeon un fonds de commerce de glacier-limonadier dénommé Coco-Paradise, situé à Les Mathes, 8 rue de la Coubre La Palmyre, comprenant l'enseigne, le nom commercial et la clientèle qui s'y rattachent le droit au bail des locaux dans lequel il est exploité, le matériel, le mobilier commercial servant à l'exploitation du fonds ;

Ce contrat a été consenti et accepté pour une durée de six mois à compter du 1er juin 1995 sans possibilité de reconduction ;

A titre d'indemnité d'occupation, Monsieur Freuslon et Mademoiselle Pigeon se sont engagés à verser à la SARL Coco-Paradise une somme de 100 000 Francs ;

En garantie du paiement de cette indemnité et aux termes d'un acte authentique en date du 16 juin 1995, Madame Jacqueline Clabault épouse Sauvage et Monsieur Gabriel Sauvage se sont portés caution solidaire du règlement de cette indemnité d'occupation ;

Arguant du fait que l'acte de contrat de gérance était nul de nullité absolue ainsi que tous les actes consécutifs et notamment celui de cautionnement, les consorts Freuslon, Pigeon, Sauvage ont fait assigner la SARL Coco-Paradise devant le Tribunal de Commerce de Marennes par acte du 04 décembre 1995 afin de voir prononcer la nullité de ces actes ;

Par jugement en date du 6 septembre 1996, le Tribunal de Commerce de Marennes a :

* requalifié le contrat de gérance en contrat de bail-précaire,

* rejeté l'ensemble des demandes des consorts Freuslon, Pigeon, Sauvage,

* condamné solidairement Monsieur Freuslon et Mademoiselle Pigeon à verser à la SARL Coco-Paradise la somme de 100 000 Francs hors taxes à titre d'indemnité d'occupation,

* dit que le contrat de caution du 16 juin 1995 doit recevoir pleine et entière application et qu'en conséquence les époux Sauvage sont tenus conjointement et solidairement au paiement de la somme de 100 000 Francs précitée,

* condamné conjointement et solidairement Monsieur Freuslon et Mademoiselle Pigeon à payer à la SARL Coco-Paradise une somme de 15 000 Francs à titre de dommages et intérêts, outre 8 000 Francs en application de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile ;

Les consorts Freuslon, Pigeon, Sauvage ont régulièrement relevé appel de ce jugement ;

A l'appui de leur appel, ils soutiennent :

* que le contrat de location gérance que leur a consenti la Société Coco-Paradise est nul de nullité absolue,

* que Monsieur Freuslon n'a jamais pu s'immatriculer au registre du commerce car le propriétaire des locaux dans lesquels était exploité le fonds ne lui a jamais transmis 1'autorisation nécessaire,

* que les publications légales de l'inscription de gérant au BODAC et du contrat de location gérance dans un journal habilité n'ont pas été réalisées,

* que la SARL Coco-Paradise qui n'avait pas été commerçant pendant sept ans antérieurement à la location gérance et qui n'avait pas exploité le fonds pendant une période de deux années ne pouvait consentir un contrat de location gérance sans autorisation judiciaire,

* que le contrat de location gérance est nul en application de l'article 4 de la loi du 20 mars 1956,

* qu'en vertu du texte d'ordre public qui régit le contrat de location gérance, le Tribunal ne pouvait interpréter la convention comme un bail précaire,

* qu'en tout état de cause, le contrat est nul en raison du dol commis par Madame Musset et Monsieur Bigot exploitants du fonds de commerce mis en location gérance au travers de la SARL Coco-Paradise,

* que la somme de 100 000 Francs réclamée au titre de redevance est parfaitement abusive, dès lors qu'elle a été fixée sans justifier du chiffre d'affaires de l'année 1994,

* que le contrat principal étant annulé, le contrat de cautionnement qui en est l'accessoire doit être également annulé en application de l'article 2012 du Code civil,

* qu'en tout état de cause, en l'espèce, les cautions ne présentaient pas une capacité de remboursement suffisante et qu'en conséquence leur engagement doit être déclaré nul,

* qu'enfin, il convient de faire droit à leur demande d'incident de communication de pièces qu'il y a lieu de joindre au fond, dès lors que la SARL Coco-Paradise se refuse à fournir des documents (chiffres d'affaires année 1994, preuve que l'établissement est exploité depuis le 1er septembre 1995 par Madame Musset, justificatifs de l'inscription au registre du commerce de Madame Musset), qui sont indispensables à l'appréciation du comportement dolosif dont ils ont été les victimes ;

Ils sollicitent

* au principal, la jonction de l'incident de communication de pièces au fond,

* le renvoi à la mise en état avec injonction délivrée à la SARL Coco-Paradise de communiquer les pièces précitées sous astreinte,

* en tout état de cause, la réformation du jugement entrepris,

* le prononcé de la nullité absolue du contrat de location gérance en date du 30 mai 1995 et tous les actes consécutifs et accessoires, notamment l'acte notarié de caution consenti par les époux Sauvage,

* le rejet des demandes de la SARL Coco-Paradise,

* l'allocation à chacun d'entre eux d'une somme de 10 000 Francs à titre de dommages et intérêts, outre 2 000 Francs en application de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile,

* le remboursement des frais d'établissement de l'acte de caution pour un montant de 2 800 Francs ;

La SARL Coco-Paradise rétorque :

* que la gérante de la SARL Coco-Paradise enceinte s'est trouvée dans l'impossibilité d'assurer la saison estivale 1995,

* qu'en aucun cas la SARL Coco-Paradise n'a souhaité consentir une location gérance ainsi que l'a parfaitement compris le premier juge,

* que les premiers juges ont parfaitement qualifié le contrat litigieux de contrat de bai précaire, dès lors que sont réunis en l'espèce tous les critères permettant de qualifier cette convention (caractère temporaire de la convention sans possibilité de reconduction, possibilité pour le propriétaire de reprendre lui-même l'exploitation, redevance ne présentant pas de caractère spéculatif),

* que, d'ailleurs, Monsieur Freuslon et Madame Pigeon ont bénéficié de la jouissance des lieux pendant tout l'été sans verser le moindre centime et n'ont rendu les clefs que fin septembre 1995 après avoir exercé leur activité dans des conditions désastreuses ayant conduit à la fermeture administrative de l'établissement,

* qu'en dépit des allégations des appelants, Mademoiselle Musset, ès-qualité de gérante de la SCI La Digue, propriétaire des murs des locaux loués, a donné son accord à la convention d'occupation précaire, objet du présent litige,

* que le fait que l'inscription du gérant et le contrat lui-même n'aient pas fait l'objet des publicités légales est sans incidence sur la validité des contrats, dès lors que lesdites publicités ne sont prévues que pour assurer l'information des tiers,

* que, dès lors que le contrat litigieux doit être qualifié de location précaire, il importe peu que le bailleur n'ait pas été commerçant pendant 7 ans et n'ait pas exploité le fonds pendant deux années,

* qu'en toute hypothèse, une indemnité d'occupation est due pour la jouissance des locaux pendant la saison à hauteur de 100 000 Francs, montant amplement justifié compte tenu de la valeur des locaux et équipements mis à disposition,

* que l'acte de cautionnement signé par les époux Sauvage ne saurait davantage être remis en cause, dès lors que le cautionnement qu'ils ont consenti ne portait pas sur la location gérance proprement dite mais uniquement sur le paiement de l'indemnité d'occupation à concurrence de la somme de 100 000 Francs qui, en tout état de cause, quelle que soit la qualification retenue, demeure due,

* que les époux Sauvage ne justifient nullement des circonstances ayant, selon eux, vicié leur consentement,

* la confirmation du jugement entrepris,

* la condamnation in solidum des appelants à lui payer la somme de 10 000 Francs à titre de dommages et intérêts supplémentaires, outre 5 000 Francs en application de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile ;

L'ordonnance de clôture de la procédure est intervenue le 08 octobre 1998 ;

Motifs :

Attendu que comme l'a retenu à bon droit le Tribunal aux termes du jugement entrepris, la SARL Coco-Paradise ne présentait pas les conditions requises au regard de la loi du 20 mars 1956, pour procéder à la mise en location gérance du fonds de commerce qu'elle exploitait, dès lors qu'elle ne justifiait pas de l'exercice de l'activité de commerçant pendant sept années et de l'exploitation personnelle du fonds pendant deux années ; qu'en conséquence, puisqu'au surplus elle ne justifiait pas davantage d'une autorisation judiciaire susceptible de pallier l'absence des conditions précitées, le Tribunal était tenu d'estimer ainsi qu'il l'a fait, que la convention intervenue entre les parties ne pouvait recevoir la qualification juridique de location gérance de fonds de commerce ;

Attendu également que, compte tenu des caractéristiques définies dans le cadre de la convention intervenue le 30 mai 1995 entre la SARL Coco-Paradise et Monsieur Freuslon et Mademoiselle Pigeon, c'est à bon droit que le Tribunal a usé de son pouvoir de requalification d'un contrat improprement dénommé ; que toutefois, dès lors que la convention confère aux consorts Freuslon - Pigeon la jouissance à titre précaire non seulement des locaux dans lesquels était exploité le fonds de commerce mais également de tous les éléments corporels ou incorporels constituant ledit fonds, la qualification nouvelle du contrat impose de retenir celle non pas de bail précaire, mais de convention d'exploitation précaire d'un fonds de commerce ; que ce choix s'impose sans que puisse être opposé le grief de volonté de mise en échec, du statut de la location gérance d'un fonds de commerce défini par la loi du 20 mars 1996, dès lors que le propriétaire ne confère à ses cocontractants qu'un droit à une exploitation précaire du fonds de commerce pour une durée limitée à six mois sans possibilité de reconduction, moyennant le versement d'une redevance d'un montant plus que raisonnable si l'on tient compte du fait que le fonds de commerce est mis à disposition dans des locaux neufs, pendant la seule période estivale, dans une station balnéaire très fréquentée et dans une zone de chalandise recherchée ; qu'en outre, du fait de la nature de la convention intervenue, les consorts Freuslon-Pigeon ne justifient nullement du fait qu'ils ont été dans l'impossibilité de s'inscrire au registre du commerce en qualité de commerçants en raison de manquements imputables à la SARL Coco-Paradise ;

Attendu, par ailleurs, que les consorts Freuslon-Pigeon, ne peuvent davantage arguer de manœuvres dolosives imputables à la SARL Coco-Paradise ayant favorisé la signature du contrat puisqu'ils ont accepté d'exploiter - pour une période très brève - un fonds de commerce créé depuis à peine une année, activité qui impliquait nécessairement une rigueur et un professionnalisme dont ils ne peuvent se prévaloir, dès lors qu'il admettent avoir fait l'objet de graves remontrances au titre de leur gestion du fonds litigieux de la part du maire de la commune, usant de son pouvoir de police, même s'ils tentent sans preuve d'en minimiser l'origine ; que cette appréciation s'impose sans qu'il soit nécessaire de faire droit à la demande de communication de pièces dès lors que les consorts Freuslon, Pigeon, Sauvage n'ignoraient pas la création très récente du fonds de commerce ;

Attendu que, sauf à modifier la qualification juridique nouvelle du contrat retenue, il y a donc lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a constaté la validité de la convention intervenue entre la SARL Coco-Paradise, d'une part, et Monsieur Freuslon et Mademoiselle Pigeon, d'autre part;

Attendu que le jugement entrepris sera donc également confirmé compte tenu de ce qui précède en ce qu'il a condamné Monsieur Freuslon et Mademoiselle Pigeon au paiement de la redevance conventionnellement arrêtée à la somme de 100 000 Francs hors taxes ;

Attendu, également, que les époux Sauvage, dès lors que la convention qu'ils se sont engagés à cautionner n'est pas annulée, ne peuvent se dégager des engagements qu'ils ont souscrits aux termes de l'acte authentique du 16 juin 1995, étant souligné par ailleurs qu'en dépit de leurs allégations, ils ne justifient nullement d'une absence de solvabilité suffisante pour répondre de l'obligation cautionnée puisqu'ils n'apportent aucun élément de preuve relatif à leur situation pécuniaire ;

Attendu que c'est donc à bon droit que le Tribunal a condamné les époux Sauvage solidairement avec les consorts Freuslon-Pigeon ;

Attendu que le jugement entrepris, sous la réserve du choix de la qualification nouvelle du contrat du 30 mai 1995 précité, sera confirmé en toutes ses dispositions ;

Attendu, néanmoins, que la SARL Coco-Paradise ne justifie d'aucun préjudice lié à l'introduction de la présente procédure d'appel qui ne constitue qu'un simple usage d'une voie de recours ne revêtant pas de caractère abusif ;

Attendu que c'est donc à bon droit que le Tribunal a condamné les époux Sauvage solidairement avec les consorts Freuslon-Pigeon ;

Attendu que le jugement entrepris, sous la réserve du choix de la qualification nouvelle du contrat du 30 mai 1995 précité, sera confirmé en toutes ses dispositions ;

Attendu néanmoins que la SARL Coco-Paradise ne justifie d'aucun préjudice lié à l'introduction de la présente procédure d'appel qui ne constitue qu'un simple usage d'une voie de recours ne revêtant pas de caractère abusif ; qu'il y a lieu de la débouter de sa demande de dommages et intérêts ;

Attendu, en revanche, qu'il y a lieu d'allouer à la Société Coco-Paradise la somme de 5 000 Francs en application de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile ;

Par ces motifs : LA COUR : Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions sous réserve que soit retenue la qualification de convention d'exploitation précaire de fonds de commerce et non de bail précaire à l'égard du contrat signé le 30 mai 1995 entre la SARL Coco-Paradise, d'une part, et Monsieur Jacques Freuslon et Mademoiselle Patricia Pigeon, d'autre part ; Y ajoutant ; Condamne solidairement Monsieur Jacques Freuslon, Mademoiselle Patricia Pigeon, Monsieur Gabriel Sauvage, Madame Jacqueline Clabault épouse Sauvage à payer à la SARL Coco-Paradise la somme de 5 000 Francs en application de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile ; Rejette toutes demandes plus amples ou contraires, notamment d'incident de communication de pièces ; Condamne solidairement Monsieur Freuslon, Mademoiselle Pigeon, les époux Sauvage aux dépens d'appel et autorise la SCP Musereau-Drouineau-Rosaz à recouvrer ceux dont elle aura fait l'avance sans avoir reçu provision.