Cass. crim., 27 février 2002, n° 01-81.504
COUR DE CASSATION
Arrêt
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Pibouleau (faisant fonction)
Rapporteur :
Mme Thin
Avocat général :
M. Davenas
Avocat :
Me Blondel.
LA COUR : - Statuant sur le pourvoi formé par X Michel, contre l'arrêt de la cour d'appel de Rennes, 3e chambre, en date du 11 janvier 2001, qui, pour abus de confiance, tromperie, usage de faux certificat, travail dissimulé, et banqueroute, l'a condamné à 3 ans d'emprisonnement dont 2 avec sursis et mise à l'épreuve, à 5 ans de faillite personnelle, à 5 ans d'exclusion des marchés publics et a prononcé sur les intérêts civils ; - Vu le mémoire produit ; - Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 213- 1, L. 216-2 et L. 216-3 du Code de la consommation, de l'article 121- 3 du Code pénal, et des articles 591 et 593 du Code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Michel X coupable du délit de tromperie à l'égard de certains de ses clients, les véhicules ne pouvant faire l'objet d'une immatriculation définitive en France en l'absence de documents douaniers, certificats du vendeur étranger ou attestations du service des Mines indispensables pour obtenir une carte grise ;
"aux motifs que Michel X, s'il faisait commander les véhicules sur un formulaire de contrat de mandat, d'une part, désignait de façon très précise le véhicule en cause : marque, type, millésime, motorisation, couleur de carrosserie, d'autre part, facturait ledit véhicule au client ; qu'il s'agissait pour lui plus de vendre une automobile que de fournir une prestation de mandataire ; qu'un véhicule devant, pour pouvoir circuler en France mais aussi dans la plupart des États, être régulièrement immatriculé, cette formalité constitue un des éléments substantiels de la chose et en tout cas un élément essentiel de l'aptitude à l'emploi de l'objet commandé et livré ; qu'en fournissant des véhicules non immatriculables alors que les contrats de mandat (ou bons de commande) stipulaient expressément aux "conditions générales" que la société mandataire devait pour le compte du mandant acquitter tous les frais afférents à la mise en circulation du véhicule en France, la société Y et son gérant, Michel X, ont trompé leurs co-contractants sur ce point ; que quelle que soit la prestation fournie, il appartenait à Michel X de résoudre ses problèmes financiers ou autres et de vérifier qu'il pouvait livrer à ses clients des véhicules administrativement en règle ; que le délit de tromperie est donc établi de ces chefs ;
"alors, de première part, que la Cour ne pouvait déclarer Michel X coupable du délit de tromperie sur les qualités substantielles d'aptitudes à l'emploi des véhicules livrés à ses clients en l'absence de documents douaniers, certificat du vendeur étranger ou attestation du service des Mines, sans constater que celui-ci, en sa simple qualité de mandataire, s'était effectivement engagé à fournir ces documents, ce d'autant qu'il résultait du mandat qu'il signait avec ses clients que "les frais d'établissement de la carte grise française et du timbre des Mines" sont à la charge dudit client ;
"alors, de seconde part, que le délit de tromperie suppose que soit caractérisée l'intention coupable ; que la Cour ne pouvait déclarer Michel X coupable du délit de tromperie pour n'avoir pas livré des véhicules automobiles assortis du certificat du vendeur étranger ou de l'attestation du service des Mines sans constater expressément qu'il avait eu l'intention de tromper ses clients" ;
Attendu que pour déclarer Michel X coupable de tromperie sur les qualités substantielles ou les aptitudes à l'emploi des véhicules livrés aux clients de l'EURL Y, la cour d'appel prononce par les motifs reproduits au moyen;
Qu'elle ajoute que l'impossibilité de faire immatriculer les véhicules résultait tant de leur origine étrangère que de la rétention par certains fournisseurs des documents administratifs, à raison des impayés de la société Y à leur égard;
Attendu qu'en statuant ainsi, les juges ont caractérisé en tous ses éléments, tant matériels qu'intentionnel le délit de tromperie, la circonstance que le client devait supporter la charge des frais de mise en circulation étant sans influence sur l'existence de celui-ci; d'où il suit que le moyen ne peut être accueilli;
Sur le deuxième moyen de cassation, tiré de la violation des articles 121-3, 314-1, 314-10, 131-26, 13 1-27, 131-35 du Code pénal, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Michel X coupable d'abus de confiance au préjudice de Mme Le Galludec, d'Armand Goif, de Stéphane Laigot, d'Yvon Lamour, de Didier Jalu, de François Paillaud, de Paul Kervroedan, des époux Laranthec et des époux Bastard ;
"aux motifs que les clients ayant payé un acompte et plus encore ceux ayant réglé l'intégralité du véhicule commandé étaient en droit d'exiger la livraison de celui-ci ou, en cas d'impossibilité, la restitution des fonds ; qu'il n'est pas contesté que, "prenant l'argent de Paul pour rembourser Jacques", Michel X a utilisé ces fonds à d'autres fins que celles pour lesquelles ils avaient été remis ; qu'il a d'ailleurs reconnu avoir "fait ça sans arrêt" ; que, si une comptabilité et des dossiers par client avaient été régulièrement tenus, la situation financière n'aurait pas été aussi confuse, mais il apparaît que Michel X, à raison de chèques impayés notamment, s'est trouvé en difficulté avec certains fournisseurs "sérieux" et s'est alors adressé notamment à un sieur W, négociant dans le sud-est de la France ; que bien que sachant pertinemment que ses difficultés allaient croissantes, il a sollicité des clients le paiement de l'intégralité du prix des véhicules bien que la livraison de ceux-ci était des plus aléatoires depuis les premiers jours d'avril 1994, si bien que quelle que soit la possible et partielle responsabilité du sieur W, les faits d'abus de confiance sont constitués à l'égard de Michel X pour une somme totale de 689 720 francs ;
"alors, de première part, que ne satisfait pas aux conditions de son existence légale le jugement qui se prononce par voie de simple affirmation ; que la Cour ne pouvait, pour déclarer Michel X coupable d'abus de confiance affirmer, comme cela, qu'il n'était pas contesté qu'il prenait "l'argent de Paul pour rembourser Jacques" ; qu'il avait utilisé les fonds qu'il avait reçu à d'autres fins que celles pour lesquelles ils avaient été remis, et qu'il avait "reconnu avoir fait ça sans arrêt" ;
"alors, de seconde part, que l'abus de confiance suppose un élément intentionnel ; que la Cour ne pouvait déclarer Michel X coupable du délit d'abus de confiance sans se prononcer sur la bonne foi de celui-ci qui invoquait notamment les indélicatesses à son égard de M. W auprès duquel il avait passé commande de véhicules pour ses clients et que ce dernier n'avait pas livrés" ;
Attendu qu'en l'état des motifs repris au moyen, procédant de son appréciation souveraine des faits et dont se déduit la mauvaise foi du prévenu, la cour d'appel a justifié sa décision ; d'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;
Sur le troisième moyen, pris de la violation des articles 121-3, 121-4, 441-7, 441-10, 131-6 et 131-7 du Code pénal, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Michel X coupable d'usage d'un certificat ou d'attestation falsifiée, en l'espèce une carte grise sur laquelle à la rubrique nombre de places le chiffre 7 a été substitué au chiffre 5, après grattage de ce dernier ;
"aux motifs qu'il n'est pas contesté que c'est l'EURL Y qui a procédé aux demandes relatives à la "carte grise" du fourgon Mercédès 5 places vendu pour 7 places ; que c'est dans cette entreprise que quelqu'un a gratté le chiffre 5 sur le document officiel et l'a remplacé par un 7 ; que de même, la demande de nouveau certificat d'immatriculation a été rédigée au garage pour être en accord avec cette falsification ; que l'intérêt de ce faux et de son usage était évident puisque cela évitait à la société Y des tracas pour le client et les frais relatifs au passage au service des Mines ; que Maurice Blanchard, le client, a indiqué que le vendeur avait fait état d'une "combine" et a précisé avoir été relancé à son domicile par Michel X lui-même pour qu'il se décide et signe le bon de commande d'un véhicule de 7 places ; que Michel X était donc parfaitement informé de la difficulté et des réticences du client et a pour le moins supervisé la "combine" perpétrée dans son établissement ; qu'il est donc co-auteur de cet usage de faux quand bien même il n'a pu être déterminé qui était l'auteur du faux lui-même ;
"alors, de première part, que la Cour ne pouvait déclarer Michel X coupable d'avoir fait usage d'une carte grise falsifiée, sans constater aucun fait matériel précis duquel il résulterait que Michel X s'est prévalu de la carte grise en cause ;
"alors, de seconde part, en toute hypothèse, que la Cour ne pouvait déclarer Michel X coupable d'usage d'une carte grise falsifiée, sans constater la connaissance par ce dernier de ce que le chiffre 5 avait été gratté sur le document officiel et remplacé par le chiffre 7" ;
Attendu que, pour déclarer Michel X coupable d'usage de certificat falsifié, la cour d'appel prononce par les motifs reproduits au moyen ;
Attendu qu'en l'état de ces motifs, d'où il résulte que Michel X, dirigeant de l'EURL Y, était informé de la falsification du certificat, et a participé à l'usage qui en a été fait, pour solliciter l'immatriculation d'un véhicule, la cour d'appel a justifié sa décision ; d'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Sur le quatrième moyen, pris de la violation des articles L. 324-9, L. 324-10 (dans sa rédaction issue de la loi du 13 janvier 1989), L. 324-11, L. 143-3, L. 143-5, L. 620-3, L. 362-3, L. 362-4, L. 362-5, et L. 362-6, du Code du travail, ensemble les articles 591 et 593 du Code de procédure pénale ;
"en ce que la Cour a déclaré Michel X coupable de l'infraction de travail clandestin s'agissant d'un emploi de Bernard Briot et Alain Pinson ;
"aux motifs que l'inspection du Travail a constaté le 25 janvier 1994 qu'outre les quatre salariés déclarés, se trouvaient dans l'entreprise X Briot et Alain Pinson, y travaillant comme les autres employés ; que Michel X déclarait alors que les statuts de ces deux personnes n'étaient pas fixés, Bernard Briot participant à l'activité de l'entreprise depuis septembre 1993 "sans que le contrat ait été rédigé" et Alain Pinson étant "en observation en vue d'un emploi de vente de véhicules d'occasion depuis le début du mois de janvier" ; que le 1er février 1994, Bernard Briot a expliqué être employé de Michel X depuis septembre 1993, n'a voir jamais signé de contrat d'agent commercial alors qu'un contrat de type "représentant-salarié" était prévu ; qu'il percevait des commissions sur les contrats Y/clients, contrats identiques à ceux utilisés par les salariés officiels ; que Bernard Briot précisait encore suivre les horaires de travail fixés par Michel X du lundi au samedi de 8 heures 45 à 12 heures et de 14 heures à 19 heures et n'avoir en aucun cas travaillé "en indépendant" ; qu'Alain Pinson, pour sa part, déclarait ce 1er février 1994 être en attente d'un contrat de travail, comme vendeur de véhicules d'occasion, promis par Michel X depuis le 10 janvier précédent ; qu'il contestait être "agent commercial" disant "il n'a jamais été question d'un tel statut" ; que ces deux personnes travaillaient dans les locaux de l'entreprise, suivant les directives données et utilisant les moyens mis à leur disposition ; qu'en l'absence de contrats écrits, elles n'avaient pas le statut d'agent commercial et Michel X devait respecter les formalités d'embauches pour l'emploi de salariés ; que les faits sont donc constitués de ce chef ;
"alors, de première part, lorsqu'il est saisi de poursuites exercées du chef de travail clandestin, le juge du fond est tenu de s'expliquer sur tous les éléments constitutifs de l'infraction ; que, selon l'article 324-10 du Code du travail, dans sa rédaction applicable à l'espèce, est réputé clandestin l'exercice à but lucratif d'une activité de production, de transformation, de réparation, de prestations de service ou l'accomplissement d'actes de commerce par toute personne physique ou morale qui s'est soustraite intentionnellement, en cas d'emploi de salariés, à au moins deux des formalités prévues aux articles L. 143-3, L. 143-5 et L. 620-3 du Code du travail ; que la Cour ne pouvait donc déclarer Michel X coupable du délit de travail clandestin sans constater que celui-ci s'était abstenu de procéder à, au moins, deux des formalités prévues aux articles L. 143-3, L. 143-5 et L. 620-3 du Code du travail ;
"alors, de seconde part, subsidiairement, que les juges du fond, lorsqu'ils sont saisis de poursuites exercées contre un prévenu du chef de travail clandestin, sont tenus de s'expliquer sur les éléments constitutifs de l'infraction ; que seule l'inobservation intentionnelle des formalités énumérées à l'article L. 324-10 du Code du travail caractérise le délit de travail clandestin prévu par l'article L. 324-9 du même Code ; que la Cour ne pouvait donc condamner Michel X pour délit de travail clandestin à l'égard de Bernard Briot et Alain Pinson sans préciser s'il avait intentionnellement omis de procéder à l'une ou l'autre des formalités visées à la prévention" ;
Attendu que, pour déclarer Michel X coupable de travail clandestin, la cour d'appel énonce que Bernard Briot et Alain Pinson, travaillaient dans les locaux de l'entreprise Y, suivant les directives données, en utilisant les moyens mis à leur disposition, sans statut défini, et sans être "officiellement salariés", et que les formalités d'embauche des salariés auraient dû être respectées ; qu'elle ajoute que Michel X avait reconnu l'absence de statut défini de ces employés, alors que l'un d'entre eux participait à l'activité de l'entreprise depuis plusieurs mois, et le second, depuis un mois, et que deux autres salariés avaient déclaré avoir eux-mêmes travaillé clandestinement pendant plusieurs mois avant leur embauche officielle ;
Attendu qu'en l'état de ces motifs, d'où il résulte que Michel X a eu sciemment recours, pour le compte de la société, aux services de travailleurs salariés, sans respecter aucune des formalités visées à l'article L. 324-10 du Code du travail, dans sa rédaction issue de la loi du 13 janvier 1989, applicable à l'époque des faits, la cour d'appel a justifié sa décision ; d'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Sur le cinquième moyen, tiré de la violation des articles 190, 192, 196, 197, 198, 200 et 201 de la loi du 25 janvier 1985, dans leur rédaction applicable à l'espèce, et des articles 131-26 et 131-35 du Code pénal, ensemble les articles 591 et 593 du Code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Michel X coupable du délit de banqueroute ;
"aux motifs que la comptabilité régulière de l'EURL Y ayant cessé d'être tenue au 30 septembre 1993, Michel X ne peut contester l'absence de comptabilité pour la période ultérieure ; que de plus, il a été constaté qu'il n'y avait pas de journal de caisse après décembre 1992 et de grand livre après février 1993 ; que malgré de multiples rappels en cours d'instruction, le mis en examen n'a jamais fourni les documents qu'il prétendait pouvoir retrouver ; qu'à l'audience de la Cour, il a été remis par son conseil :
- un cahier des ventes de septembre 1991 à juillet 1994, pour partie tenu au crayon et pour partie, semble-t-il, reconstitué ;
- un registre de police ouvert le 4 novembre 1991 ;
- un registre des appointements et salaires tenu de février 1992 à août 1994 ;
- un registre du personnel ouvert le 11 septembre 1991 ;
"que ces documents ne peuvent en aucun cas justifier d'une comptabilité régulière et les faits de banqueroute sont donc constitués ;
"alors, de première part, que la Cour ne pouvait déclarer Michel X coupable du délit de banqueroute sans caractériser la date de cessation des paiements de la société Y, puisque seuls des faits du dirigeant constatés postérieurement à cette date sont susceptibles d'être pris en compte ;
"alors, de seconde part, en toute hypothèse, que la Cour ne pouvait déclarer Michel X coupable du délit de banqueroute sans constater expressément qu'il s'était volontairement abstenu de tenir toute comptabilité" ;
Attendu que, pour déclarer Michel X coupable de banqueroute par omission de tenue de comptabilité de l'EURL Y, déclarée en liquidation judiciaire par jugement du 26 octobre 1994, les juges relèvent que la comptabilité a cessé d'être tenue le 30 septembre 1993, et que pour la période postérieure à cette date, le seul document comptable produit consiste en un cahier des ventes, de septembre 1991 à juillet 1994, pour partie tenu au crayon et pour partie, reconstitué ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, dont se déduit la mauvaise foi de l'intéressé et dès lors que la seule condition préalable à l'exercice des poursuites pour banqueroute est l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire, la cour d'appel a justifié sa décision ; d'où il suit que le moyen ne peut qu'être rejeté ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
Rejette le pourvoi.