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Décisions

CA Pau, 1re ch., 6 octobre 1999, n° 97-03805

PAU

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Murs et Toit (SARL), Demeures de la Haute Lande (SARL)

Défendeur :

Bedin

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Simonin

Conseillers :

Mme Massieu, M. Petriat

Avoués :

SCP Piault-Carraze, SCP Longin

Avocats :

Mes Junières-Caunegre, De Brisis.

T. com. Mont-de-Marsan, du 11 sept. 1997

11 septembre 1997

Mme Josiane Brisseau était agent commercial des sociétés Demeures de la Haute Lande, dite DHL, et Murs et Toit pour le département des Landes et des départements limitrophes, suivant contrats rédigés en termes identiques du 28 juillet 1992. Sa mission consistait à vendre des contrats de construction et tous travaux relatifs à la construction et à l'aménagement des immeubles et des terrains.

Le 14 janvier 1997 elle a assigné ces deux sociétés devant le Tribunal de grande Instance de Mont-de-Marsan en se plaignant de ce que son mandant, en fait le dirigeant commun de ces deux sociétés, ne respectait pas la clause d'exclusivité, lui interdisait l'accès au local mis jusque là à sa disposition pour recevoir la clientèle et l'accusait d'avoir détourné des documents pour justifier la liste sur laquelle elle établissait sa réclamation.

Par lettres recommandées avec accusé de réception du 21 avril 1997 DHL et Murs et Toit notifiaient à Mme Bedin la résiliation de ses mandats en lui reprochant notamment d'avoir fouillé dans leurs archives à des fins personnelles et de détourner de la clientèle.

Par jugement du 11 septembre 1997 le Tribunal :

- a dit que la rupture des contrats d'agent commercial incombait à DHL et Murs et Toit,

- a condamné à payer à Mme Brisseau à titre d'indemnité compensatrice :

* DHL : 314.368,00 F,

* Murs et Toit : 135.458,00 F,

- s'est déclaré incompétent pour statuer sur la demande de mainlevée des saisies conservatoires pratiquées à leur préjudice par Mme Brisseau,

- ordonné une expertise pour chiffrer les commissions dues par les sociétés mandantes sur les contrats passés directement par elles à l'insu de l'agent, et commis pour y procéder M. Claude Lartigue de Mont-de-Marsan.

DHL et Murs et Toit ont interjeté appel le 22 octobre 1997 dans des conditions qui n'apparaissent pas contestables.

Moyens et prétentions des parties :

DHL et Murs et Toit exposent que :

- si Mme Bedin a signé deux contrats d'agent exclusifs le 28 juillet 1992, le 22 juillet 1992 deux contrats identiques avaient aussi été signés par un autre agent commercial, M. Dupont-Roy pour le même secteur, si bien qu'aucune exclusivité ne pouvait exister; de fait aucune exclusivité n'a jamais fonctionné : un autre agent commercial, M. Lemoign, exerçait ses fonctions en Gironde, M. Pires lui-même, gérant de DHL et associé de Murs et Toit, a toujours prospecté de nouveaux clients; Mme Bedin le savait et n'a jamais émis aucune demande, tant pour les clients ramenés par M. Pires ou M. Lemoign, et ne réclame rien sur les contrats de M. Dupont-Roy,

- ces contrats comportent l'anomalie économique de calculer les commissions sur le montant TTC des ventes,

- les sociétés ont voulu conclure des mandats non exclusifs d'agent commercial, et ont commis une erreur sur la substance, entraînant la nullité des contrats,

- les contrats sont nuls par application de l'article 1131 du Code civil,

- la liste précise des contrats sur lesquels elle prétend à une commission n'a pu être dressée qu'en fouillant les archives des sociétés, ce qui constitue une faute grave,

- par lettre du 08 janvier 1997 les sociétés lui avaient prescrit des marges minima dans les contrats à passer, mais elle a proposé des contrats à des prix inférieurs,

- elle a adressé des ordres aux sociétés,

- elle a détourné de la clientèle, agissant en maître de l'ouvrage,

- elle a fait travailler, pour le compte de ses propres clients, les sous-traitants de Murs et Toit et de DHL,

- compte tenu des commissions réellement encaissées par Mme Bedin durant la période de référence, les indemnités allouées par le Tribunal sont excessives.

Et elles demandent à la Cour :

- de rejeter les demandes de Mme Bedin,

- de la condamner à leur payer à chacune :

* 15.000,00 F de dommages-intérêts pour procédure abusive,

* 8.000,00 F pour frais irrépétibles,

- subsidiairement, de réduire les indemnités à des montants correspondant aux factures effectivement réglées,

- de rejeter, en tout cas, les demandes de commissions sur les ventes réalisées directement ou indirectement par DHL et Murs et Toit.

Mme Bedin répond que :

- la référence au montant des contrats TTC a été souverainement déterminée par les parties,

-la clause d'exclusivité est claire et ne peut prêter à erreur,

- en l'absence d'erreur sur la substance, il ne peut y avoir de fausse cause,

- les sociétés mandantes devaient mettre à sa disposition les locaux nécessaires à l'exécution de son mandat; la suppression de l'accès à ces locaux est caractéristique de la rupture du contrat; le défaut de mise à disposition de la documentation utile contenue dans ces locaux est manifestement une cause de rupture du contrat,

- un certain nombre de commissions lui ont échappé dans la mesure où les sociétés mandantes se sont permis de violer les dispositions essentielles du contrat, de nombreuses ventes ayant été réalisées à son insu, à déterminer par expertise.

Et elle demande à la Cour :

- de confirmer le jugement attaqué,

- de condamner Murs et Toit et DHL conjointement et solidairement à lui payer :

* 20.000,00 F de dommages-intérêts pour résistance abusive,

* 10.000,00 F pour frais irrépétibles.

Discussion :

Sur la régularité des contrats d'agent commercial :

L' article 7 b) du contrat stipule qu' "en raison de l'exclusivité accordée à l'agent et de la représentation permanente qu'il assure dans son secteur la commission est due à l'agent sur l'ensemble des ventes effectuées dans son secteur, que les commandes aient été transmises par lui ou soient parvenues autrement au mandant".

La rédaction claire et ne prêtant, par elle-même, à aucune interprétation, de cette clause ne permet pas aux sociétés mandantes de prétendre qu'elles n'avaient pas compris sa portée de principe.

Aucune erreur n'étant possible, aucune nullité n'est encourue, et les sociétés mandantes ne peuvent donc invoquer une absence de cause ou une fausse cause à cet égard.

Le fait que les commissions soient stipulées calculées sur le montant TTC des factures des sociétés ne recèle aucune irrégularité et n'est que l'expression de la libre volonté des contractants.

Sur les commissions indirectes :

Depuis le départ deux agents commerciaux oeuvraient dans le même secteur, Mme Bedin et M. Dupont-Roy, dont les contrats sont conclus en des termes identiques, M. Dupont-Roy depuis le 22 juillet 1992, Mme Bedin depuis le 28 juillet 1992. Mme Bedin ne l'ignorait pas, puisque selon les écritures des sociétés mandantes non contestées sur ce point par Mme Bedin, l'un et l'autre occupaient des locaux mis à leur disposition à Biscarrosse.

D'autre part Mme Bedin, qui invoque la clause d'exclusivité, ne sollicite aucune commission sur les ventes passées par M. Dupont-Roy.

Il en ressort que les parties se sont accordées dès l'origine pour laisser cette clause sans application, lorsque les contrats étaient obtenus par l'un des deux agents, mais aucun élément ne vient attester de ce que ceux-ci aient entendu renoncer à cette clause quand les contrats étaient obtenus par quelqu'un d'autre. Il convient donc de confirmer le jugement en ce qu'il a ordonné une expertise pour chiffrer les commissions dues sur les contrats qui n'avaient pas été passés par Mme Bedin ou par M. Dupont-Roy du 28 juillet 1992 au 21 avril 1997.

Il y a lieu de modifier la formulation de la mission de l'expert en conséquence, et de prévoir que l'expert déposera son rapport au greffe de la Cour.

La Cour étant saisie de la demande de paiement des commissions par l'effet dévolutif de l'appel, il convient de surseoir à statuer sur le montant à revenir à Mme Bedin.

Sur l'indemnité compensatrice :

Par une lettre commune du 29 août 1996 Mme Bedin et M. Dupont-Roy ont fait observer aux sociétés mandantes qu'elles ne respectaient pas la clause d'exclusivité et leur ont rappelé que des commissions leur étaient dues sur l'ensemble des ventes effectuées dans leur secteur.

Par une lettre du 14 novembre 1996, M. Dupont-Roy transmettait aux sociétés mandantes une liste de 29 contrats passés de 1992 à 1996 par d'autres personnes qu'eux-mêmes.

Cette liste, comme le soutiennent les sociétés mandantes, ne pouvait avoir été dressée que par la fouille des archives.

Par une lettre recommandée avec accusé de réception expédiée le 19 novembre 1996 M. Pires rappelait à Mme Bedin les termes d'un entretien du jour même à l'occasion duquel elle avait repris à son compte les termes de la lettre de M. Dupont-Roy comprenant la liste des contrats litigieux, et lui reprochait d'avoir commis une faute grave en fouillant avec M. Dupont-Roy dans ses archives. L'attitude de Mme Bedin, qui n'a exprimé aucune contestation à cet égard après avoir reçu ce courrier, fait présumer qu'elle a effectivement participé à la fouille des archives.

D'autre part selon diverses attestations et sommations interpellatives Mme Bedin, à plusieurs reprises, a sollicité des entrepreneurs qui travaillaient comme sous-traitants des sociétés mandantes pour qu'ils réalisent des chantiers qui n'étaient pas pour le compte des sociétés mandantes. Elle a aussi indiqué à des clients les coordonnées d'un entrepreneur concurrent des sociétés mandantes.

Bien que, selon les entrepreneurs intéressés, elle n'ait touché aucune commission, il s'agissait de sa part d'actes de concurrence manquant gravement à la loyauté qu'elle devait à ses mandantes.

La même déloyauté s'attache à la fouille des archives.

Elle a ainsi commis des fautes graves lui faisant perdre le bénéfice de l'indemnité compensatrice, et sa demande de ce chef doit être rejetée.

Par ces motifs : La Cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Reçoit l'appel en la forme; Au fond, Rejette la demande d'indemnité compensatrice de Mme Bedin; Dit et juge que Mme Bedin a droit à des commissions sur les contrats passés par les sociétés DHL et Murs et Toit sans son intervention ou celle de M. Dupont-Roy du 28 juillet 1992 au 21 avril 1997; Sursoit à statuer pour le surplus; Ordonne une expertise; Commet pour y procéder M. Claude Lartigue, 980 avenue Eloi Ducom, BP 169, 40 000 Mont-de-Marsan, avec mission, en présence des parties ou celles-ci dûment convoquées par lettre recommandée avec avis de réception et leurs conseils avisés : - de chiffrer les commissions dues par DHL et Murs et Toit à Mme Bedin sur les contrats passés par les sociétés DHL et Murs et Toit en dehors de son entremise ou de celle de M. Dupont-Roy du 28 juillet 1992 au 21 avril 1997, - d'entendre les parties en leurs dires, écrits et explications ainsi que tous sachants et d'une manière générale, de fournir à la Cour tous renseignements lui permettant de statuer sur le litige qui lui est soumis; Fixe à la somme de 4.000,00 F le montant de la provision à valoir sur la rémunération de l'expert et à consigner au greffe de la Cour par Mme Bedin dans le délai maximum de 3 mois du présent arrêt à peine de caducité de la désignation de l'expert; Dit que l'expert devra dresser un rapport écrit de ses travaux comprenant toutes annexes explicatives utiles à déposer au greffe dans un délai maximum de 3 mois à compter de la date figurant sur l'avis de consignation de la provision, sauf prorogation demandée au magistrat de la mise en état; Dit qu'en cas de refus ou d'empêchement de l'expert commis, il sera pourvu à son remplacement, d'office ou sur simple requête de la partie la plus diligente par ordonnance du magistrat de la mise en état; Ordonne le renvoi de la procédure à la mise en état; Réserve les dépens.