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Décisions

CA Orléans, ch. soc., 1 juillet 1999, n° 99-00051

ORLÉANS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Dalval

Défendeur :

France Acheminement (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Chollet

Conseillers :

MM. Zanghellini, Lebrun

Avocats :

Mes Meresse, Zerbib.

Cons. prud'h. Blois, du 17 déc. 1998

17 décembre 1998

Monsieur Jean Dalval a saisi le Conseil de Prud'Hommes de Blois des demandes suivantes à l'encontre de la SA France Acheminement :

- 263.016 francs d'heures supplémentaires ;

- 45.861 francs de congés payés ;

- 4.800,90 francs d'indemnité de licenciement ;

- remise de document ;

- 30.000 francs en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La société a soulevé l'incompétence au profit du Tribunal de Commerce de Toulouse, sollicitant également 50.000 francs de dommages et intérêts et 30.000 francs en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Un jugement du 17 décembre 1998, à la lecture duquel il est renvoyé pour l'exposé des faits et de moyens initiaux des parties, s'est déclaré incompétent au profit du Tribunal de Commerce de Toulouse, Monsieur Dalval étant condamné à payer à la société 10.000 francs en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Par deux lettres recommandées avec accusé de réception des 22 et 23 décembre 1998, Monsieur Dalval a formé contredit.

Une décision a ordonné la jonction des affaires inscrites au rôle sous les numéros 51 et 52/99.

Monsieur Dalval demande l'infirmation du jugement, le Conseil des Prud'Hommes de Blois étant compétent, et l'évocation de l'affaire, en conséquence, il sollicite la condamnation de la société à lui payer :

- 263.016 francs d'heures supplémentaires ;

- 45.861 francs d'indemnité de congés payés ;

- 50.406 francs d'indemnité de licenciement ;

- des intérêts depuis la saisine du Conseil des Prud'Hommes, avec capitalisation ;

- un certificat de travail, des documents pour s'inscrire aux Assedic et à la Sécurité Sociale, et des bulletins de paie de novembre 1993 à décembre 1996 ;

- 50.000 francs en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Il estime en premier lieu que son contredit est recevable, étant motivé et signé, bien qu'une telle signature ne soit pas exigée par l'article 82 du nouveau Code de procédure civile.

Il expose que le 23 novembre 1993, il a signé avec la société France Acheminement un contrat de franchise, moyennant un droit d'entrée de 106.730 francs, pour trois ans.

Il considère que le Conseil de Prud'Hommes est compétent du fait que les trois conditions prévues par l'article L. 781-1 alinéa 2 du Code du travail sont applicables.

Il faut en premier lieu que son activité se rattache exclusivement ou quasi exclusivement à une seule entreprise, ce qui était le cas, car il ne travaillait que pour France Acheminement, laquelle considérait que les clients étaient les siens.

Il doit ensuite exercer son activité dans un local fourni ou agrée par la société, alors qu'il résulte du contrat qu'elle se réservait d'agréer ses locaux.

Enfin, il doit exercer aux conditions et prix fixés par la société, ce qui était le cas, les horaires lui étant imposés, et la société s'attribuant le droit d'établir sa comptabilité et de gérer son activité.

Il invoque un arrêt rendu par la cour d'Appel de Grenoble et confirmé par la Cour de Cassation, dans une affaire strictement similaire.

La clause attribuant compétence au Tribunal de Commerce de Toulouse est nulle, dès lors que l'article L. 781-2 du Code du travail, d'ordre public, donne compétence aux Conseils de Prud'Hommes ; de même, au-delà des termes du contrat, intitulé "contrat de franchise", il convient de rechercher l'exacte qualification du contrat et les conditions dans lesquelles il exerçait son activité.

Son inscription au registre du Commerce n'est pas incompatible avec l'application de l'article L. 781-2 du Code du travail, sa rémunération dépendait de la société, et il ne pouvait céder sa clientèle.

Enfin, il n'a saisi le Tribunal de Commerce de Toulouse que sur les aspects purement commerciaux de ses relations avec la société.

Il justifie sa réclamation au titre des heures supplémentaires par le fait qu'il travaillait 65 heures par semaine.

La société demande la confirmation du jugement et la condamnation de Monsieur Dalval à lui payer :

- 50.000 francs de dommages et intérêts ;

- 30.000 francs en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Elle expose qu'elle a signé avec Monsieur Dalval un contrat de franchise parfaitement régulier, qu'il n'a jamais contesté avant son expiration, lequel donne compétence du Tribunal de Commerce de Toulouse, cette clause étant valable au regard de l'article 48 du nouveau Code de procédure civile, le contrat étant conclu entre deux commerçants et Monsieur Dalval l'ayant lui même reconnu en saisissant ce tribunal.

Elle fait observer que le contredit, non motivé et non signé, est irrecevable.

Elle expose que l'activité n'est pas fournie par une seule entreprise, la clientèle appartenant à Monsieur Dalval, franchisé.

Elle ajoute que, si elle loue des locaux au nom de certains de ses franchisés, elle ne se réserve pas pour autant le droit d'agréer leurs locaux.

Elle précise également que, si les franchisés doivent adresser les éléments, et notamment les prix, de leur activité du mois à son mandataire, France Acheminement Exploitation, elle ne fixe pas pour autant ces prix, qui n'étaient que conseillés ; en outre, elle ne tenait aucunement la comptabilité de Monsieur Dalval.

Elle en conclut que les conditions posées par l'article L. 781-1 du Code du travail ne sont pas remplies et estime que la décision rendue dans l'affaire l'opposant à Monsieur Robert ne lui est pas transposable, le contrat conclu avec celui-ci étant tout à fait particulier.

Sur la recevabilité du contredit

Attendu que, selon l'article 82 du nouveau Code de procédure civile, le contredit doit, à peine d'irrecevabilité, être motivé et remis au secrétariat de la juridiction qui a rendu la décision dans les quinze jours de celle-ci ;

Que le jugement d'incompétence est du 17 décembre 1998 ;

Que, par lettre recommandée adressée le 23 décembre 1998 et reçue au greffe du Conseil des Prud'Hommes le 28 décembre 1998, Monsieur Dalval, par l'intermédiaire de son avocat Maître Threard, a fait parvenir un contredit motivé ;

Que le contredit adressé au greffe par lettre recommandée est recevable, qu'en l'espèce il a été reçu dans le délai de 15 jours ;

Que la lettre de transmission du contredit étant signée par Maître Threard, le moyen d'irrecevabilité sera écarté ;

Sur la compétence

Que, le 23 novembre 1993, la société France Acheminement et Monsieur Dalval ont signé un contrat de franchise par lequel la société apportait à Monsieur Dalval le bénéfice de son savoir faire dans le domaine de la distribution de colis, plis et objets au moyen de véhicule utilitaires légers ;

Que Monsieur Dalval a réglé un droit d'entrée de 106. 740 francs ;

Que le contrat de franchise se définit par une méthode de collaboration entre une entreprise et des commerçants indépendants, la première apportant à ceux-ci, moyennant le paiement de redevances, son savoir faire et son assistance dans un domaine particulier ;

Que l'article 8 du contrat rappelle qu'il s'agit d'un contrat de franchise et qu'il ne peut être interprété dans le sens d'un contrat de travail ;

Que Monsieur Dalval était inscrit au registre du commerce ;

Que dès lors, il lui appartient de démontrer qu'il remplit les conditions prévues par l'article L. 781-1 alinéa 2 du Code du travail, à savoir :

- Que son activité lui est fournie, exclusivement ou presque exclusivement, par une seule entreprise industrielle ou commerciale, ou pour le compte d'une telle entreprise ;

- Que le local d'exercice est fourni ou agréé par cette entreprise ;

Que les conditions et les prix lui sont imposés par celle-ci ;

Que, sur le premier point, il soutient que les clients pour lesquels il travaillait appartenaient exclusivement à France Acheminement, et qu'il lui était interdit d'en rechercher par lui-même ;

Qu'il résulte en réalité des articles 3 et 5 du contrat que la société apportait à Monsieur Dalval la clientèle existante sur le secteur qui lui était concédé; que cette clientèle devenait donc celle du franchisé ;

Que par ailleurs, selon l'article 66, il appartenait à Monsieur Dalval de rechercher de nouveaux clients ;

Que la clause de non concurrence ne lui interdisait nullement de rechercher ces nouveaux clients, mais seulement d'établir avec la clientèle fournie à l'origine par le franchisseur ou trouvée ultérieurement par lui des liens en dehors du contrat de franchise ;

Que le contredisant pouvait céder son contrat de franchise et donc la clientèle qui y était attachée ;

Qu'il ne peut donc être retenu que son activité lui était fournie, exclusivement ou presque exclusivement, par ou pour le compte d'une seule entreprise, cette activité étant en partie fonction de son dynamisme dans la recherche de nouveaux clients, avec lesquels il contractait directement, peu important que dans les deux courriers France Acheminement aient fait mention de "notre client" ;

Que par ailleurs, si le contrat obligeait Monsieur Dalval a organiser des tournées sur une plage horaire très précise, à assurer les heures de distribution et de ramassage tous les jours ouvrables et à respecter les plages horaires négociées avec les clients, il n'en résulte pas que c'est la société qui déterminait son horaire de travail ;

Qu'il lui était seulement demandé d'établir des tournées avec des horaires précis et de respecter ceux-ci en toutes circonstances, mais que le franchiseur n'intervenait pas dans la détermination de ces tournées et de leurs horaires ;

Que, si la société établissait les factures au nom de Monsieur Dalval, au vu des éléments de prix fournis par celui-ci, il ne peut en être déduit qu'elle tenait sa comptabilité ;

Que Monsieur Dalval, sauf pour certains clients (comme par exemple, selon la note du 20 septembre 1996, les Etablissements Chausson Service et Hilti, pour lesquels le tarif était imposé), et pour les clients qui lui avaient été fournis à l'origine et qui avaient un contrat en cours, pendant la durée de celui-ci, déterminait lui même le prix de ses prestations ;

Qu'au vu de ces différents éléments, il apparaît que les conditions prévues par l'article L. 781-1 alinéa 2 du Code du travail, qui sont cumulatives, ne sont pas remplies, et que Monsieur Dalval n'était pas soumis à un lien de subordination ;

Qu'il avait la qualité de commerçant et que c'est à juste titre qu'appliquant la clause prévue à l'article 8 du contrat et ainsi libellée: "tout litige sera soumis à la compétence du Tribunal de Commerce de Toulouse", valablement conclue entre deux parties ayant contracté en qualité de commerçant (article 48 du nouveau Code de procédure civile), le Conseil des Prud'Hommes a renvoyé la connaissance de l'affaire au Tribunal de Commerce de Toulouse, que Monsieur Dalval avait, au surplus, déjà saisi par une assignation du 25 avril 1997 dans laquelle il ne contestait pas sa qualité de franchise ;

Que le contredit de Monsieur Dalval, bien que mal fondé, ne révèle pas pour autant la mauvaise foi de celui-ci, et que la demande de dommages et intérêts sera rejetée ;

Qu'il est cependant inéquitable que la société supporte en totalité les frais irrépétibles exposés devant la Cour; qu'il convient de lui allouer une somme supplémentaire de 5.000 francs en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Que Monsieur Dalval supportera les dépens de l'instance sur le contredit ;

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, Déclare le contredit recevable ; Confirme le jugement du 17 décembre 1998 ; Déboute la société France Acheminement de sa demande de dommages et intérêts ; Condamne Monsieur Jean Dalval à payer à la société France Acheminement cinq mille francs (5.000 francs) supplémentaires en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Condamne Monsieur Jean Dalval aux dépens de l'instance sur le contredit.