Cass. com., 27 février 2001, n° 98-15599
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
CMER (SNC)
Défendeur :
Jacob, Jacob (és qual.), ITM entreprise
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Dumas
Rapporteur :
M. Métivet
Avocat général :
M. Viricelle
Avocats :
Me Blondel, SCP Waquet, Farge, Hazan, SCP Delaporte, Briard.
LA COUR: - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Rennes, 4 mars 1998), que par acte du 9 juin 1995, les consorts Jacob ont cédé à la société Comptoirs économiques modernes (CMER) les 3999 actions qu'ils détenaient sur les 4000 composant le capital de la société Socanal, sous la condition suspensive de la résiliation de toutes les conventions liant cette société à la société ITM Entreprises (ITM) et au "groupe Intermarché", la réalisation définitive de la cession devant intervenir avant le 20 mars 1996 ; que la société ITM, qui était liée avec M. Jacob par un contrat dit d'adhésion du 20 mars 1984 et avec la société Socanal par un contrat de franchisage du 11 mars 1986, a, invoquant la clause de préemption prévue à son bénéfice dans le premier contrat pour le cas où "l'adhérent" viendrait à envisager de céder ses actions dans le capital social de la société bénéficiaire du second contrat, par courrier du 16 février 1996, signifié le 23 février à la société CMER, notifié à la société Socanal et à M. Jacob qu'elle entendait exercer son droit de préemption ; que la société CMER a assigné la société ITM et les consorts Jacob pour voir juger qu'elle était devenue propriétaire des actions ;
Sur le premier moyen, pris en ses deux branches : - Attendu que la société CMER reproche à l'arrêt d'avoir dit que la cession des actions de la société Socanal faite le 11 mars 1996 par les consorts Jacob en faveur de la société ITM était régulière et que le protocole de cession d'actions du 9 juin 1995 en sa faveur était de nul effet à leur égard alors, selon le moyen :
1 / qu'en statuant comme elle a fait, sans rechercher si, en l'état d'une condition suspensive affectant l'existence même du protocole de cession d'actions du 9 juin 1995, tenant à la rupture définitive de tout lien de fait ou de droit pouvant lier la société Socanal au groupement Intermarché, le droit de préemption conventionnel prévu dans le contrat d'adhésion du 20 mars 1984 n'était pas ouvert au profit du bénéficiaire désigné, la cour d'appel ne justifie pas légalement sa décision au regard des articles 1134 et 1168 du Code civil ; 2 / alors que dans ses conclusions, elle faisait valoir que "par application des principes élémentaires du droit civil français, l'acte soumis à condition suspensive n'a pas d'existence jusqu'à la réalisation de ladite condition, et par contre il prend son existence avec la réalisation de la condition avec effet rétroactif à la date de la passation de l'acte ; qu'ainsi par l'effet du mécanisme juridique choisi,(au demeurant pas spécifiquement par la CMER, mais par les deux parties), aucun acte n'existait pendant la durée du préavis, ce qui dispensait les consorts Jacob et plus spécialement Pierre Jacob, d'aviser ITM de la situation, par contre l'acte rétroagissait, après l'expiration des conventions passées entre Pierre Jacob et ITM, ou Socanal et ITM, à la date de sa conclusion ; que par ce système, Pierre Jacob était alors dispensé, puisque l'acte n'existait pas, d'une quelconque notification au groupe ITM des accords conclus avec la CMER. Les obligations de Pierre Jacob ne se justifiaient que dans le cadre d'une convention existant avec la société CMER et pendant la durée de son contrat d'adhésion qui expirait en même temps que son contrat de franchise" ; qu'ainsi elle mettait l'accent sur la nature particulière du contrat et sur l'incidence de la condition suspensive sur l'exercice du droit de préemption conventionnel issu du contrat d'adhésion ; qu'en ne répondant pas à ce moyen de nature à exclure le jeu de la préemption conventionnelle, la cour d'appel ne satisfait pas aux exigences de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu que l'arrêt retient qu'il ne peut être reproché à M. Jacob d'avoir avisé la société ITM de la cession à venir de ses actions car, aux termes du contrat d'adhésion signé bien avant le protocole du 9 juin 1995, il avait l'obligation d'avertir la société ITM dès lors qu'il envisageait une cession d'actions ; que répondant ainsi aux conclusions prétendument délaissées, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Sur le deuxième moyen : - Attendu que la société CMER fait le même reproche à l'arrêt alors, selon le moyen, que nul ne peut se constituer un titre à soi-même ;
que pour décider que Mme Jacob était partie au contrat d'adhésion du 20 mars 1984, la cour d'appel après avoir constaté qu'elle ne figurait pas comme partie sur ce contrat qu'elle avait néanmoins signé, se borne à déclarer qu'elle avait déclaré dans le contrat postérieur signé avec elle, auquel la société ITM, partie au contrat du 20 mars 1984, était tiers, qu'elle était liée par le contrat d'adhésion ; d'où il suit qu'elle ne justifie pas légalement sa décision au regard de l'article 1134 du Code civil ;
Mais attendu, que par une appréciation souveraine, l'arrêt a décidé que Mme Jacob avait signé le contrat d'adhésion et y avait consenti et qu'elle ne s'était pas bornée à donner, en qualité d'épouse, son accord aux engagements pris par son mari ; qu'ainsi, la cour d'appel, qui ne s'est pas contentée de relever ses déclarations faites dans un contrat postérieur a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le troisième moyen, pris en ses deux branches : - Attendu que la société CMER fait encore le même reproche à l'arrêt alors, selon le moyen :
1 / que dans ses conclusions d'appel, elle faisait valoir que "le contrat d'adhésion tel qu'il est interprété et donc exposé par la société ITM constitue l'abus de domination sanctionné par l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 dans la mesure où l'adhérent qui a effectué l'ensemble des investissements, créé et développé le fonds de commerce se trouve, par l'effet même de la convention telle qu'interprétée par ITM, dans une situation de dépendance économique, puisqu'il ne dispose plus de la possibilité autre que de céder ses actions à la société ITM, n'a même pas la possibilité d'envisager de les commercialiser auprès d'une autre société, sauf à déclarer à celle-ci qu'elles sont soumises à un droit de préemption de ITM qui, compte tenu du marché, l'exercera nécessairement, quitte par le biais de sa clause de préemption à en faire baisser le prix" ; qu'elle ajoutait que "cet abus de dépendance économique a pour effet de fausser le jeu de la concurrence puisqu'il a pour effet d'interdire à un adhérent pourtant propriétaire de son fonds, propriétaire de ses actions, de pouvoir en assurer librement la vente à un tiers et donc même de se dégager de ses actions en les cédant dans des conditions concurrentielles" ; qu'elle en déduisait la nullité de la clause de préemption sur le fondement des dispositions de l'article 8-2 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; qu'en n'examinant dès lors la validité de la clause litigieuse que sous l'angle de l'abus de position dominante visé par le 1 de l'article 8 de ladite ordonnance, la cour d'appel ne justifie pas légalement sa décision au regard du dit article ; 2 / qu'en se bornant à affirmer que la clause litigieuse de préemption n'avait pas pour objet de fausser la concurrence, pour la raison qu'un désaccord sur le prix devait être tranché par expertise, cependant que la simple possibilité d'imposer le cessionnaire pouvait être de nature à fausser le jeu de la concurrence, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision, au regard de l' article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;
Mais attendu que l'arrêt retient que le droit de préemption prévu par le contrat d'adhésion est licite au regard des dispositions de l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, qu'il n'a pas pour effet de fausser la concurrence, un éventuel désaccord sur le prix devant être tranché par expertise et qu'il était légitime, compte tenu de l'existence des liens découlant du contrat de franchisage que la société ITM soit mise en mesure d'acheter, à un prix équitable, les actions éventuellement cédées de la société franchisée ;qu'en l'état de ces constatations et énonciations, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Sur le quatrième moyen, pris en ses deux branches : - Attendu que la société CMER reproche à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande tendant à la condamnation des consorts Jacob à lui payer des dommages-intérêts pour manquement à leur obligation de bonne foi alors, selon le moyen :
1 / que le protocole de cession d'actions stipulait que "les cédants feront leur affaire personnelle de toutes éventuelles formalités afin que la SA Socanal soit libre de tout engagement à cet égard et que rien ne s'oppose à la cession" ; qu'ainsi les cédants garantissaient le cessionnaire de la bonne fin de l'opération de sorte qu'en se bornant à affirmer qu'elle ne démontrait pas l'existence d'une faute des consorts Jacob, la cour d'appel ne justifie pas sa décision au regard de l'article 1147 du Code civil ; 2 / que dans ses conclusions elle faisait valoir qu'elle avait subi un préjudice important du fait du gel du développement des grandes surfaces de distribution décidé par le gouvernement et que le développement des enseignes ne pouvait se réaliser que par l'achat de points de vente existants ; d'où il résultait de la non réalisation du protocole de cession des actions de la société Socanal, un préjudice important pour elle ayant perdu la possibilité de disposer d'un point de vente ; qu'en ne répondant pas à ces conclusions, la cour d'appel ne justifie pas sa décision au regard des exigences de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu, en premier lieu, qu'il ne résulte ni de l'arrêt ni de ses conclusions que la société CMER ait soutenu devant la cour d'appel les prétentions qu'elle fait valoir au soutien de la première branche du moyen ; que celui-ci est donc nouveau ; qu'il est mélangé de fait et de droit ;
Attendu, en second lieu, que la cour d'appel n'était pas tenue de s'expliquer sur le préjudice invoqué par la société CMER, dès lors qu'elle avait dit que celle-ci ne démontrait pas l'existence d'une faute des consorts Jacob ;
D'où il suit que le moyen, irrecevable en sa première branche, n'est pas fondé en sa seconde branche ;
Par ces motifs : Rejette le pourvoi.