CA Lyon, 3e ch., 21 janvier 1999, n° 1996-04963
LYON
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Piscines JP Fabre (SARL)
Défendeur :
Forez Piscines (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bailly
Conseillers :
Mme Martin, M. Santelli
Avoués :
SCP Junillon-Wicky, SCP Aguiraud
Avocats :
Mes de Sentenac, Rocher.
FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES
Le 17 décembre 1988 un contrat de concession a été conclu entre la société Forez Piscines et la société Piscines Jean-Paul Fabre, concédant exclusivement à cette dernière la vente des piscines et filtrations de la marque Jean Desjoyaux, ainsi que de produits et accessoires énumérés dans une annexe, sur le secteur du département du Tarn-et-Garonne et pour une durée d'une année à compter du 1er janvier suivant, renouvelable par tacite reconduction et par année entière, sauf dénonciation trois mois à l'avance. Ce contrat, qui interdisait à la fois à la concèdent [au concédant] de confier la vente de ses produits à une autre personne et au concessionnaire de représenter ou vendre sur son secteur des produits concurrents, imposait notamment à ce dernier d'acheter au mois 15 piscines complètes en 1989, 20 en 1990 et 25 les années suivantes. Par la suite, la société Forez Piscines a communiqué à son concédant des objectifs en chiffres d'affaires, le 27 novembre 1992 (objectif global de 750 000 F, dont 585 000 pour les piscines et 165 000 pour le négoce), et le 25 novembre 1993 (objectif de 1 100 000 F, de septembre 1993 à août 1994).
Après plusieurs échanges de correspondances, la société Forez Piscines a notifié à la société Piscines Jean-Paul Fabre, par lettre recommandée du 6 juin 1994, sa décision de dénoncer le contrat, en raison de la violation de l'obligation d'exclusivité pesant sur le concessionnaire et de la non-réalisation des objectifs convenus, malgré des mises en garde, en précisant que cette résiliation prendrait effet 30 jours après et en invitant la société Piscines Jean-Paul Fabre à restituer les documents et panneaux en sa possession.
Contestant ces reproches et prétendant que cette rupture présentait un caractère abusif, la société Piscines Jean-Paul Fabre a alors saisi le tribunal de commerce de Saint-Étienne, le 11 octobre 1994, en paiement de dommages et intérêts. Par un jugement rendu le 6 juin 1996, elle a été déboutée de cette prétention, aux motifs que la dénonciation du contrat était régulière et qu'elle reposait à la fois sur la non-réalisation des objectifs et sur la vente de produits concurrents par le concessionnaire.
La société Piscines Jean-Paul Fabre a relevé appel du jugement le 8 juillet 1996. Elle soutient, en premier lieu, que le contrat s'étant renouvelé pour toute l'année 1994, sans dénonciation antérieure, la société Forez Piscines ne pouvait prétendre justifier sa décision par des faits remontant à 1993. Elle prétend ensuite que cette décision ne pouvait être justifiée par la non-réalisation d'objectifs, alors qu'il ne s'agissait que d'une obligation de moyens, que les objectifs convenus n'étaient pas déterminables, que le quota en chiffre d'affaires unilatéralement imposé en 1993 avait été atteint et qu'au jour de la rupture, il n'était pas possible de réaliser l'objectif prévu pour l'année en cours. Elle affirme ensuite qu'elle n'a pas violé son obligation d'exclusivité en vendant sur son secteur des produits Big Mat, ce fait étant connu de la concèdent [du concédant] dès l'origine et n'entraînant aucun détournement de clientèle ; que la société Forez Piscines avait en revanche violé son obligation d'approvisionnement exclusif en proposant la vente de ses produits, sur le secteur, par l'intermédiaire de la société Camif ; et qu'enfin, la soudaineté de la rupture, sans respect du bref préavis donné, était également fautive. Considérant ainsi que la rupture du contrat est imputable à la société Forez Piscines, elle demande en conséquence réparation du préjudice causé par cette résiliation, par le paiement de 500 000 F de dommages et intérêts, outre une indemnité de 20 000 F.
Pour conclure à la confirmation du jugement, sauf à y ajouter une indemnité de 5 000 F, l'intimée réplique que des avertissements avaient été vainement donnés au concessionnaire, avant la rupture du contrat ; que les objectifs en nombre des années 1992 et 1993 n'avaient pas été atteints ; que la société Piscines Jean- Paul Fabre avait manqué à ses engagements en mettant en vente des accessoires et produits de piscine concurrents ; et que les offres de vente faites dans le catalogue Camif n'avaient pas eu de conséquence dommageable.
MOTIFS ET DECISION
Attendu que, s'il est vrai que le contrat de concession était renouvelable par périodes d'une année, sauf dénonciation dans le délai de préavis convenu, son article 21 accordait toutefois au concédant une faculté de résiliation à tout moment et sans indemnité, notamment en cas d'inexécution des clauses contractuelles, dont celles relatives aux engagements d'achat ;
Attendu qu'il est établi que la société Piscines Jean-Paul Fabre n'avait pas réalisé, en 1992 et 1993, le nombre d'achats de piscines prévu comme objectif contractuel;
qu'en effet, alors qu'elle s'était engagée à acheter à son fournisseur 25 piscines complètes, elle n'en a commandé que 13 en 1992 et 15 en 1993, malgré les mises en garde notifiées par le concédant, notamment le 8 novembre 1993 ;
que, contrairement à ce prétend l'appelante, les objectifs en chiffre d'affaires indiqués dans les lettres des 27 novembre 1992 et 14 septembre 1993 ne résultaient pas d'une modification du mode d'évaluation des objectifs et constituaient en réalité une condition à remplir pour bénéficier d'une remise de fin d'année ;
Attendu que le seul fait que la société Forez Piscines n'ait pas dénoncé le contrat avant le 30 septembre 1993, pour non-respect des objectifs, ne la privait pas du droit d'y mettre fin au mois de juin 1994, dès lors, d'une part, que cette faculté lui était spécialement accordée par le contrat, en cours d'année, d'autre part, que la persistance des mauvais résultats du concessionnaire, en nombre d'achats, l'autorisait à interrompre sa collaboration, faute de réalisation des objectifs convenus;
Attendu qu'ainsi, la société Piscines Jean-Paul Fabre n'est pas fondée à prétendre que la société Forez Piscines a manqué à ses engagements et commis un abus, en résiliant le contrat qui les liait, sans qu'il soit utile d'examiner le second motif énoncé dans la lettre de rupture ;
Mais attendu qu'il est par ailleurs prouvé qu'en 1994, la société Forez Piscines a proposé à la vente des piscines (modèle Calypso Desjoyaux) sur le secteur attribué à la société Piscines Jean-Paul Fabre et par l'intermédiaire de la mutuelle Camif, violant ainsi de façon manifeste l'engagement d'exclusivité pris dans le contrat;
qu'elle ne justifie aucunement avoir tenu la société Piscines Jean-Paul Fabre informée de ces ventes et lui avoir alors proposé, ainsi qu'elle le soutient, de lui consentir des commissions à ce titre, ses affirmations n'étant suivies d'aucune démonstration ;
qu'elle ne peut davantage soutenir, sérieusement et de bonne foi, qu'aucune vente n'a suivi ces offres, sans produire aucune justification à cet égard, et que cette publicité a profité au distributeur exclusif de ses produits, quoique ses références ne fussent pas précisées dans ce catalogue de vente directe ;
Attendu que ce grave manquement aux obligations contractuelles, qui rend en partie la rupture du contrat imputable à l'intimée, justifie que cette dernière soit condamnée à payer à l'appelante la somme de 150 000 F, à titre de dommages et intérêts, en réparation du préjudice causé par sa faute;
qu'il est aussi équitable d'allouer à l'appelante une indemnité de 10 000 F ;
Par ces motifs, LA COUR, statuant contradictoirement, et réformant le jugement entrepris, Condamne la société Forez Piscines à payer à la société Piscines Jean-Paul Fabre : - la somme de 150 000 F, à titre de dommages et intérêts; - la somme de 10 000 F, en vertu de l'article 700 du nouveau code de procédure civile; La condamne en outre aux dépens, avec distraction, s'il y a lieu, au profit de la société Junillon & Wicky, pour la part dont cet avoué aurait fait l'avance, sans provision préalable et suffisante.