CA Agen, 1re ch., 7 septembre 1998, n° 97001108
AGEN
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Ford France (SA)
Défendeur :
Voglimacci-Stephanopoli
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Fourcheraud
Conseillers :
M. Bastier, Mme Thibault
Avoués :
Mes Vimont, Brunet
Avocats :
Me Cocchiello, SCP Delmouly-Gauthier
Attendu que par ordonnance du 8 novembre 1997 le Conseiller de la mise en état a joint les appels relevés par la SA Ford France et Monsieur Pierre Voglimacci-Stephanopoli à l'encontre du jugement rendu le 15 mai 1997 par le Tribunal de Grande instance d'Agen qui saisi par lui de demandes en paiement de diverses sommes en réparation des préjudices qu'il avait subi à la suite de la rupture reconnue abusive par la société Ford France du contrat de concession, a condamné la société Ford France à lui payer la somme de 420.000 F en réparation de son préjudice matériel lié à la perte de son emploi, celle de 1.475.289,30 F au titre des intérêts qu'il avait versé en sa qualité de caution de France Auto ainsi que celle de 10.000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Attendu que la société Ford France demande à la Cour d'infirmer la décision du Tribunal en ce qu'il a condamné la SA Ford France au paiement au profit de Monsieur Voglimacci des sommes de 420.000 F en réparation de son préjudice matériel lié à la perte de son emploi et de 1.475.289,30 F au titre des intérêts versés en sa qualité de caution de France Auto et ce "jusqu'à parfait paiement", de confirmer la décision en ce qu'elle a débouté Monsieur Voglimacci de toutes ses autres demandes et enfin de condamner Monsieur Voglimacci à payer à Ford France la somme de 25.000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Qu'elle soutient en effet que Monsieur Voglimacci a la qualité de créancier et invoque des préjudices qui ne sont pas distincts de ceux subis par la masse alors que Me Guguen a déjà exercé, ès-qualités, l'action collective;
Attendu que contestant avoir la qualité de créancier et soutenant qu'en rompant sans raison valable des relations anciennes la société Ford France avait fait preuve d'une légèreté blâmable toute particulière à son égard Monsieur Voglimacci se porte appelant incident et demande à la Cour de réformer partiellement le jugement et de condamner Ford France à lui verser à titre de dommages et intérêts les sommes suivantes ;
- au titre de la perte de revenus celle de 2.280.000 F,
- au titre de la perte subie sur les comptes courants celle de 647.720 F,
- 206.700 F en réparation de la perte du capital de France Auto,
- 1.000.000 F en réparation du préjudice moral,
- au titre des engagements de caution :
* 612.567,86 F pour la créance BPQA outre les intérêts courus après le 4 mars 1993 et ce jusqu'au parfait paiement,
* 268.507,06 F pour la créance Société Générale outre les intérêts courus après le 15 janvier 1993 et ce jusqu'au parfait paiement.
* 475.216,37 F pour la créance Expanso outre les intérêts courus après le 17 août 1992 et ce jusqu'au parfait paiement.
* 118.998,16 F pour la créance Petite outre les intérêts courus après le 12 septembre 1992 et ce jusqu'au parfait paiement.
* 66.154,46 F pour la créance Crédit Foncier,
Condamner en outre Ford France au paiement de la somme de 50.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Attendu que dans ses dernières conclusions, la société Ford France soutient qu'elle n'a commis aucune faute à l'égard de Monsieur Voglimacci et qu'au surplus il n'existe aucun lien de causalité entre le préjudice invoqué et la prétendue faute qui lui est reprochée ;
Attendu que pour plus ample exposé des faits de la procédure ainsi que des fins et moyens des parties la Cour se réfère aux énonciations du jugement et aux conclusions déposées ;
Sur ce
Attendu que pour une bonne compréhension du litige il sera simplement rappelé que Pierre Voglimacci, PDG de la SA France Auto, concessionnaire de la SA Ford France depuis 1961 à Agen, était avisé de la rupture de son contrat de concession avec effet au 30 octobre 1985 ;
Qu'à la suite, la SA France Auto a déposé son bilan et était mise en liquidation judiciaire le 14 décembre 1985 ;
Que par arrêt du 7 septembre 1988 la Cour d'appel d'Agen, saisie par le mandataire liquidateur, Me Guguen, réformait le jugement du Tribunal de commerce du 13 mars 1987 et déclarait la SA Ford France fautive dans la résiliation abusive du contrat de concession la liant à France Auto pour l'année 1985, et la condamnait à réparer les conséquences de sa faute qu'elle évaluait le 18 avril 1990 à la somme totale de 10.978.430 F.
Que par acte d'huissier du 8 avril 1993, Pierre Voglimacci Stephanopoli assignait la société Ford France pour la voir condamner à lui payer la somme de 2.280.000F en réparation des préjudices consécutifs à la perte des revenus et avantages en nature qu'il retirait de son activité au sein de France Auto, celle de 947.520 F en réparation des pertes enregistrées sur le montant de ses comptes courants, de 15.565.148 F au titre des engagements consécutifs à la mise en jeu de ses engagements de caution, outre les intérêts, de 1.000.000 F en réparation de son préjudice moral et de 10.000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Qu'il soutenait avoir subi un préjudice considérable du fait des agissements fautifs pour lesquels la société Ford France devait être déclarée responsable sur le terrain délictuel ;
Que cette faute avait été relevée par la Cour d'appel qui avait tiré la conclusion que la société France Auto aurait pu se redresser si la concession ne lui avait pas été brusquement retirée, et qu'en raison du caractère "intuitu personae" du contrat de concession, Ford France avait fait preuve d'une légèreté blâmable à son égard ;
Que la société Ford France concluait à l'irrecevabilité de la demande présentée, au motif que lors du dépôt de bilan de France Auto le syndic avait déjà agi et obtenu la condamnation de Ford France au paiement de 11.000.000 F, que Pierre Voglimacci avait perçu la somme de 2.724.735,42 F au titre du solde disponible après clôture des opérations de liquidation, qu'il devait être subsidiairement débouté de son action au titre de l'ensemble des préjudices allégués et demandait reconventionnellement sa condamnation au paiement de la somme de 200.000 F à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive, ainsi que de 50.000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Que c'est dans ces conditions que le jugement critiqué était rendu ;
Attendu que pour déclarer recevable l'action engagée par Monsieur Voglimacci le premier juge a retenu que n'ayant pas la qualité de créancier représenté par Me Guguen lors de la procédure engagée à l'encontre de Ford France, il était recevable à agir à titre personnel en réparation des préjudices distincts de ceux de France Auto;
Attendu cependant qu'il est établi et reconnu par Monsieur Voglimacci dans ses conclusions devant la Cour que durant la procédure collective celui-ci a réglé en sa qualité de caution les créances CGI, Veedol, Piguet, Ozone et BNP ;
Que dès lors par application de l'article 2029 du Code civil celui-ci s'est trouvé subrogé à tous les droits qu'avaient les créanciers contre le débiteur ;
Qu'il s'ensuit que du fait de cette subrogation M. Voglimacci s'est bien trouvé représenté par Me Guguen dans les procédures engagées à l'encontre de Ford France ; qu'il est vainement prétendu par M. Voglimacci que celui-ci aurait renoncé au cours de la procédure collective à la subrogation dont il bénéficiait en qualité de caution pour avoir désintéressé certains créanciers restant en cela fidèle à la ligne de conduite qu'il s'était tracé et au parti qu'il avait pris, en renonçant à déclarer ses propres créances de ne pas contribuer à l'augmentation du passif social alors qu'il justifie d'aucune renonciation expresse à se prévaloir de la subrogation et alors au surplus qu'il a engagé avec d'autres créanciers une action en relevé de forclusion et demandé son admission pour la somme de 779.538,02 F montant de son compte courant ce dont faisait expressément état la société Ford France dans ses conclusions devant la Cour et ce dont elle justifie par la production aux débats du jugement du Tribunal de Commerce d'Agen en date du 10 mars 1989 qui l'a débouté, ainsi que d'autres créanciers, de leur demande en relevé de forclusion ;
Attendu que Monsieur Voglimacci, reprenant l'argumentation déjà développée devant le premier juge, fait valoir que si un créancier ne pouvait agir individuellement en concurrence avec le syndic pour la défense des intérêts collectifs, il pouvait agir individuellement pour l'indemnisation de son préjudice personnel ;
Attendu, cependant, qu'il convient de relever que les préjudices dont Monsieur Voglimacci demandent réparation, perte de revenus, capitalisation des primes d'assurances, cotisations retraite, logement de fonction, intérêts sur perte du compte courant, perte capital social intérêts sur les engagements de caution, intérêts sur prêts du Crédit Foncier et préjudice moral, sont à l'exception du dernier poste la conséquence directe de la liquidation judiciaire de la société France Auto, et de la loi de 1967 en ce qui concerne les intérêts;
Attendu que certes Monsieur Voglimacci soutient que la légèreté avec laquelle la société Ford a rompu le contrat était fautive non seulement à l'égard de France Auto mais aussi à son égard compte tenu de l'intuitu personae particulièrement fort dans le traité de concession, de l'ancienneté et de l'étroitesse de leur relation ainsi que l'importance de son engagement dans la concession, aussi bien en travail qu'en capitaux, dans la promotion de la marque et dans la marche de l'entreprise qu'il assurait ;
Que dès lors en rompant, sans raison valable des relations aussi anciennes la société Ford a selon M. Voglimacci fait preuve d'une légèreté blâmable toute particulière à son égard ;
Attendu, toutefois, que nonobstant l'importance invoquée de l'intuitu personae de M. Voglimacci et sa qualité de PDG de la société France Auto, celui-ci reste un tiers au contrat de concession et il doit établir que le dommage dont il se plaint est dû à une faute de la société Ford détachable ou indépendante du contrat;
Attendu, en l'espèce, que Monsieur Voglimacci qui invoque la rupture sans raison valable de relations anciennes comme preuve d'une légèreté blâmable à son encontre, n'invoque aucune faute délictuelle envisagée en elle-même indépendamment de tout point de vue contractuel;
Attendu, enfin, qu'il n'est nullement démontré par les pièces produites que la société Ford puisse être tenue pour responsable des poursuites engagées contre M. Voglimacci et alors que pour les motifs ci-dessus exposés la société Ford ne peut être tenue pour responsable des conséquences de la liquidation judiciaire de la société France Auto ; qu'il s'ensuit que le jugement sera infirmé et Monsieur Voglimacci débouté de toutes ses demandes ;
Attendu qu'il est par contre inéquitable de laisser à la charge de la société Ford France les frais non compris dans les dépens qu'elle a exposés en appel pour la défense de ses intérêts et en compensation desquels lui sera allouée une somme de 6.000 F.
Par ces motifs : LA COUR, Rejette l'appel de M. Pierre Voglimacci-Stephanopoli ; Accueille l'appel de la SA Ford France ; Infirme le jugement ; Statuant à nouveau, Déboute M. Pierre Voglimacci-Stephanopoli de toutes ses demandes ; Le condamne à payer à la SA Ford France une somme de 6.000 F (six mille francs) par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Le condamne aux dépens qui seront recouvrés par Me Vimont Avoué, selon les modalités de l'article 699 du même Code.