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Décisions

Cass. com., 6 mars 2001, n° 98-12.266

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Elicis (SA)

Défendeur :

Riffier (ès qual.), Adam (ès qual)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Dumas

Rapporteur :

M. Badi

Avocat général :

M. Feuillard

Avocats :

SCP Masse-Dessen, Geoges, Thouvenin, Me Le Prado.

T. com. Nanterre, du 27 sept. 1995

27 septembre 1995

LA COUR : Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles, 18 décembre 1997), que la société Elicis, après avoir été autorisée à pratiquer une saisie conservatoire au préjudice des sociétés Buflor et Emfleur (les sociétés), a assigné celles-ci en paiement de soldes de commissions et d'une indemnité pour rupture du contrat d'agence commerciale dont elle se prétendait titulaire ; que la société Emfleur a obtenu "la mainlevée" de la saisie moyennant remise d'une certaine somme à un séquestre et qu'en cours d'instance les sociétés ont été mises en redressement puis liquidation judiciaires;

Sur le premier moyen, pris en ses trois branches après avis de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation: - Attendu que la société Elicis fait grief à l'arrêt, après avoir fixé sa créance au passif de la liquidation judiciaire des sociétés à la somme de 745 840,12 francs, d'avoir rejeté sa demande tendant à ce que lui fût attribuée une somme de 181 709,90 francs versée entre les mains d'un séquestre en exécution d'une ordonnance de référé du 21 décembre 1994, antérieure à l'ouverture de la procédure collective, et d'avoir dit que le séquestre devait se dessaisir de cette somme entre les mains du liquidateur, alors, selon le moyen : 1°) que la mesure "propre à sauvegarder les intérêts des parties" ordonnée par le juge de l'exécution, à la demande du débiteur et dans le seul intérêt de celui-ci, en contrepartie de la "mainlevée" de la mesure conservatoire initialement prise confère au créancier un droit définitivement acquis à bénéficier de la garantie judiciaire ainsi constituée à son profit, et dès la date de sa constitution, à la seule condition qu'ultérieurement sa créance soit constatée par le juge du principal ; qu'ayant consacré la réalité de la créance revendiquée au titre des commissions impayées, l'arrêt ne pouvait refuser d'ordonner la remise au créancier de la somme ayant fait l'objet du séquestre judiciaire substitué à la saisie conservatoire initialement diligentée; qu'en statuant comme elle a fait, la cour d'appel a violé l'article 72, alinéa 2, de la loi du 9 juillet 1991 ; 2°) que la règle de la suspension des poursuites, qui interdit seulement de condamner un débiteur en liquidation judiciaire à des restitutions, est sans application lorsqu'il s'agit de savoir à qui doit être remise une somme qui a été déposée entre les mains d'un séquestre, contrat dont le propre est précisément de réserver ce qui en fait l'objet à la partie qui sera jugée devoir l'obtenir; qu'ayant fixé la créance de la société Elicis à la somme de 730 840,12 francs en principal, et en décidant néanmoins que la somme séquestrée de 181 709,90 francs devrait être remise entre les mains du liquidateur, la cour d'appel a violé, par fausse application, les articles 47, 48 et 33 de la loi du 25 janvier 1985, ainsi que, par refus d'application, les articles 1956, 1963 et 2075-1 du Code civil; 3°) que le dépôt, tel le séquestre, ordonné judiciairement emporte affectation spéciale et privilège du créancier gagiste et est opposable à la procédure collective de celui qui l'a fait ou au préjudice duquel il a été fait dès lors qu'il l'a été en vertu d'une décision de justice ayant acquis force de chose jugée avant la date de cessation des paiements; qu'en érigeant en principe que le droit de la société Elicis, dont elle a constaté la créance contre les sociétés, de demander l'attribution à son profit des sommes séquestrées n'était pas fondé à partir du moment où sa créance n'avait pas été judiciairement reconnue avant l'ouverture de la procédure collective, en sorte quelle ne pouvait se prévaloir d'un droit acquis avant le prononcé de celle-ci, tandis qu'il convenait seulement de vérifier si l'ordonnance de référé ayant ordonné le séquestre était passée en force de chose jugée avant la date de cessation des paiements, la cour d'appel a violé les articles 33, 47, 48 et 107-5 de la loi du 25 janvier 1985;

Mais attendu que la substitution d'un séquestre judiciaire à une saisie conservatoire n'a pas pour conséquence de faire échapper sa créance séquestrée au régime juridique de la saisie conservatoire dont les effets sont maintenus ; qu'il résulte de la combinaison des articles 47 de la loi du 25 janvier 1985 et 240 à 242 du décret n° 92-755 du 31 juillet 1992, instituant de nouvelles règles relatives aux procédures civiles d'exécution pour l'application de la loi n° 91 -650 du 9 juillet 1991, que le jugement d'ouverture de la procédure collective arrête toute voie d'exécution, tant sur les meubles que les immeubles, de la part des créanciers dont la créance a son origine antérieurement audit jugement, et qu'une saisie conservatoire qui n'a pas été convertie en saisie-attribution avant le jugement d'ouverture, ou toute autre mesure que le juge peut lui substituer en application de l'article 72 de la loi précitée, n'emporte plus, dès lors, affectation spéciale et privilège au profit du créancier saisissant ; que, par ce motif de pur droit, substitué à ceux critiqués, la décision déférée, qui a relevé que la saisie conservatoire au préjudice de la société Emfleur, mise en redressement judiciaire le 1er février 1995, avait été effectuée le 13 décembre 1994, se trouve légalement justifiée; que le moyen ne peut être accueilli ;

Et sur le second moyen, pris en ses trois branches : - Attendu que la société Elicis reproche aussi à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande tendant à voir juger qu'elle était liée aux sociétés par un contrat d'agence commerciale ou, à titre subsidiaire, par un contrat d'intérêt commun, et, par conséquent, à voir condamner son mandant à lui verser une indemnité ensuite de la rupture unilatérale de leurs relations, alors, selon le moyen : 1°) que l'agent commercial est un mandataire chargé de façon permanente de négocier et, éventuellement, de conclure des contrats de vente, d'achat, de location ou de prestations de services au nom et pour le compte de producteurs, d'industriels, de commerçants ou d'autres agents commerciaux, en sorte que répond à cette définition celui qui négocie des contrats, quand bien même il n'aurait pas reçu mandat de les conclure; qu'en déniant à la société Elicis cette qualité au prétexte que les pièces versées aux débats n'étaient pas susceptibles de caractériser l'existence du mandat allégué, en l'absence de production, notamment, de conclusion de contrats au nom et pour le compte des sociétés, considérant ainsi que la qualification d'agent commercial supposait nécessairement que le mandataire eût reçu mission de conclure les contrats, la cour d'appel a violé l'article 1er de la loi du 25 juin 1991 ; 2°) que, tenus de motiver leur décision, les juges doivent indiquer les éléments de preuve versés aux débats contradictoires et par eux analysés au vu desquels ils ont formé leur conviction ; qu'en retenant que les éléments fournis par la société Elicis, notamment divers courriers et attestations, démontraient certes son intervention pour mettre les sociétés en contact avec des acheteurs potentiels pour faciliter des ventes ultérieures, mais n'étaient pas susceptibles de caractériser l'existence du mandat allégué, en l'absence de productions de toutes prises d'ordres ou de commandes ou de conclusion de contrats au nom et pour leur compte, sans donner aucune précision de nature à permettre d'identifier les documents sur lesquels elle se serait fondée pour se déterminer ainsi, ni en faire l'analyse, la cour d'appel a privé sa décision de tout motif en méconnaissance de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile; 3°) que le mandataire agit au nom et pour le compte de son mandant, tandis que le courtier le fait en son nom propre ; qu'en écartant le mandat pour retenir le courtage, sans fournir aucune explication de nature à justifier la qualification retenue après avoir pourtant constaté l'activité exercée par la société Elicis, ayant consisté à mettre les sociétés en contact avec des acheteurs potentiels, ainsi que sa rémunération mensuelle, effectuée sous forme de commissions en fonction du chiffre d'affaires réalisé, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1984 et suivants du Code civil ainsi que 74 et 77 du Code de commerce;

Mais attendu que la cour d'appel, après avoir relevé que la société Elicis intervenait pour mettre les sociétés en contact avec des acheteurs potentiels, retient, par une décision motivée, que les factures, relevés de chiffre d'affaires, courriers et attestations versés aux débats ne sont de nature à établir non l'existence du mandat allégué, en l'absence notamment de production de toutes prises d'ordre ou de commandes ou de conclusion de contrats au nom et pour le compte des deux sociétés, mais celle d'opérations de courtage; qu'ainsi, en l'état du litige qui lui tait soumis, elle a légalement justifié sa décision d'écarter l'existence d'un contrat d'agence commerciale ou d'un mandat d'intérêt commun pour retenir l'existence d'un courtage; que le moyen n'est pas fondé;

Par ces motifs: rejette le pourvoi.