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Décisions

CA Bourges, 1re ch. civ., 30 novembre 1999, n° 98-00654

BOURGES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Rivière

Défendeur :

Moulinier (Epoux), Natalys (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Baudron

Conseillers :

M. Gautier, Mme Gaudet

Avoués :

Mes Rahon, Tracol, Guillaumin

Avocats :

Mes Saliembien, Peninon-Jault, Beurnaux.

TGI Châteauroux, du 24 févr. 1998

24 février 1998

Vu le jugement rendu le 24 février 1998 par le Tribunal de Grande Instance de Châteauroux qui statuant sur la demande des époux Moulinier de fixation de l'indemnité d'éviction à leur revenir suite au congé avec refus de renouvellement du bail commercial que leur avait fait délivré leur bailleresse, Mme Rivière, le 22 août 1989, ainsi que sur la revendication du montant de ladite indemnité par la société Natalys avec laquelle Mme Moulinier avait conclu les 18 et 26 novembre 1980 un contrat de gérance libre, a condamné Mme Rivière à payer tant aux époux Moulinier qu'à la société Natalys diverses indemnités,

Vu la déclaration d'appel remise au greffe de la Cour le 2 avril 1998 à la requête de Mme Rivière,

Vu les dernières conclusions récapitulatives signifiées le 28 septembre 1999 par l'appelante et tendant à voir la Cour par réformation :

- constater la résiliation du bail aux torts et griefs de M. et Mme Moulinier pour l'un ou l'autre des motifs invoqués,

- dire et juger qu'en conséquence M. et Mme Jean Moulinier ne peuvent prétendre à une indemnité d'éviction et les en débouter,

- subsidiairement, dire que cette indemnité ne peut consister qu'en une indemnité de déplacement du fonds égale à la valeur marchande du bail perdu et que celle-ci est nulle,

- dire et juger que la société Natalys n'a aucun droit propre sur tout ou partie de l'indemnité d'éviction,

- dire et juger que la société Natalys ne peut prétendre à tout ou partie de l'indemnité d'éviction qui serait due au locataire, n'étant ni subrogée dans les droits de celui-ci, ni ne pouvant se fonder sur les dispositions de l'article 1166 du Code Civil,

- débouter en conséquence la société Natalys de l'intégralité de ses demandes,

- subsidiairement, dire que la société Natalys ne peut prétendre à une quelconque quote-part de l'indemnité d'éviction, supplémentaire à celle qui serait allouée à M. et Mme Jean Moulinier, ne pouvant détenir plus de droits à indemnité que le locataire lui-même,

- par conséquent, déclarer la société Natalys irrecevable et mal fondée et la débouter de ses demandes de condamnations de Mme Rivière au paiement des indemnités dites accessoires,

- condamner les époux Moulinier et la société Natalys à payer à Mme Michèle Rivière la somme de 40 000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ainsi qu'aux dépens.

Vu les conclusions récapitulatives signifiées le 5 octobre 1999 par les époux Moulinier tendant à la confirmation du jugement sauf à assortir la somme de 210 000 F qui leur a été accordée des intérêts légaux à compter de la remise des clés ou à tort le moins du jugement et à obtenir l'indemnisation de nouveaux frais irrépétibles.

Vu les dernières écritures de la société Natalys signifiées le 5 octobre 1999 tendant à la confirmation du jugement en ce qu'il a retenu le principe que Mme Rivière était bien débitrice d'une indemnité d'éviction mais par voie d'appel incident constater que la société Natalys est seule en droit de revendiquer le montant de cette indemnité tant en vertu d'une clause figurant au contrat de location gérance qu'en vertu des dispositions de l'article 1166 du Code Civil.

Sur quoi, LA COUR

1 - Sur le droit du locataire à une indemnité d'éviction

Attendu qu'il est soutenu en premier lieu par Mme Rivière qu'en 1980 le fonds de commerce avait disparu du fait de la gestion désastreuse de Mme Moulinier et qu'ainsi les époux Moulinier n'étaient plus propriétaires dudit fonds ;

Mais attendu que si le chiffre d'affaires de Mme Moulinier était effectivement en baisse, il n'en existait pas moins ce qui traduit l'existence d'une clientèle ayant permis à Natalys de poursuivre la même activité en tant que locataire gérante ; que le fonds de commerce a donc pu être donné en location gérance et que la notion de sous location prohibée qui est également invoquée ne peut être retenue ;

Qu'en outre cette argumentation de la bailleresse se fonde sur une situation ancienne très antérieure à la décision de refuser le renouvellement et apparait paradoxale puisqu'en délivrant congé Mme Rivière admettait elle-même que le fonds n'avait pas disparu dès lors qu'elle offrait le paiement d'une indemnité ;

Attendu qu'en second lieu, il est soutenu qu'en donnant leur fonds en location gérance, les époux Moulinier ont perdu le bénéfice de l'exclusivité de vente consentie par Natalys ;

Mais attendu qu'il est constant que le contrat d'exclusivité a été maintenu tant que Natalys n'a pas pris l'initiative d'exploiter directement sa marque le 1er septembre 1992 ; que l'éventualité d'une location gérance était d'ailleurs prévue et autorisée par le contrat d'agent exclusif de Mme Moulinier ; que c'est à juste titre que le Tribunal a retenu que par l'effet du contrat de location gérance, d'une part la société Natalys s'était engagée à exploiter elle-même le fonds de commerce, à le faire prospérer et lui conserver sa clientèle et l'achalandage et à ne rien faire qui puisse avoir pour conséquence une dévalorisation du fonds ou son arrêt d'exploitation et d'autre part, le bailleur et le locataire s'étaient engagés à ne pas ouvrir un nouveau fonds ou d'exercer directement ou indirectement une activité concurrentielle dans un rayon de 5 000 mètres à vol d'oiseau par rapport au local ; que le Tribunal en a justement conclu que le contrat de location-gérance garantissait donc l'exclusivité de la vente des articles Natalys dans les lieux loués, conformément à la clause du bail commercial et n'a donc pas entraîné la rupture du contrat d'agent exclusif ;

Attendu que la bailleresse qui n'a pas fait état de ce grief à l'occasion de la délivrance du congé pour s'opposer le cas échéant au paiement d'une indemnité d'éviction, ne saurait en conséquence se plaindre d'une situation qui garantissait le maintien de l'exclusivité Natalys dans sa boutique ;

Attendu qu'en troisième lieu, il est mis en avant que le contrat d'exclusivité aurait pris fin avec la décision de Natalys de mettre un terme au contrat de location gérance et d'exploiter à proximité son propre commerce ;

Mais attendu que le congé avec refus de renouvellement a été donné le 22 août 1989 pour le 1er mars 1990 et qu'il est vain d'invoquer une cessation d'activité postérieure à la date d'effet du congé intervenue alors que l'instance en fixation de l'indemnité d'éviction était en cours et que la bailleresse n'était plus en droit d'exiger le maintien de l'exclusivité Natalys ;

Attendu qu'il est enfin fait grief à la locataire de s'être maintenue dans les lieux du 21 août 1992 au 19 octobre 1992 sans y avoir exercé une activité commerciale ;

Mais attendu ici encore que cette situation ne saurait être imputée à faute à la locataire qui avait tout loisir après le congé qui lui avait été délivré de cesser toute exploitation et de quitter les lieux, sans que le commandement du 30 septembre 1992 puisse modifier quoi que ce soit de ce point de vue ;

2 - Sur le bénéficiaire de l'indemnité d'éviction et le montant de celle-ci :

Attendu qu'il est de principe que c'est le locataire, propriétaire du fonds exploité dans les lieux qui est créancier de l'indemnité d'éviction car c'est lui seul qui est titulaire du droit au renouvellement ;

Attendu que la société Natalys se fonde sur une clause du contrat de location gérance pour revendiquer le bénéfice de cette indemnité ;

Attendu que la location gérance ne constitue qu'un mode d'exploitation du fonds qui ne prive pas le propriétaire du fonds du droit au renouvellement et en cas de refus, de celui-ci à une indemnité d'éviction ; que si les parties peuvent convenir d'autres modalités, il apparait que celles-ci ne sauraient en l'espèce résulter de la clause invoquée par Natalys ; que Natalys prétend donner un sens à ladite clause en se référant aux circonstances dans lesquelles a été conclu le contrat de location gérance qu'outre que ces circonstances sont contestées, il apparaît surtout que la clause litigieuse ne peut être tenue comme emportant par avance renonciation des époux Moulinier à une éventuelle indemnité d'éviction, ce qui équivaudrait en réalité à un abandon de leur fonds à Natalys ;

Que l'analyse du Tribunal sera confirmée en ce qu'elle a opéré une répartition des diverses indemnités entre le propriétaire du fonds et le locataire gérant dont Mme Rivière ne peut sérieusement soutenir qu'elle ignorait l'existence ;

Attendu que les époux Moulinier sollicitent la confirmation de la disposition du jugement qui leur a accordé une somme de 210 000 F à titre d'indemnité principale ; que Natalys entend, indépendamment de cette indemnité principale à laquelle elle ne peut prétendre, voir réévaluer certaines indemnités accessoires ; que les observations formulées par le Tribunal à l'appui de ses appréciations ne sont pas sérieusement contredites ; qu'en particulier les frais de remplois doivent toujours être calculés sur 210 000 F et non sur 400 000 F ; que l'indemnité de licenciement n'est pas à rattacher directement au congé donné par Mme Rivière ;

Attendu qu'en vertu des dispositions de l'article 1153-1 du Code Civil l'indemnité allouée aux époux Moulinier portera de plein droit intérêts au taux légal à compter du jugement ; qu'il n'est donc pas besoin de prévoir de disposition spéciale à cet égard, cette indemnité portant ainsi intérêts à compter du jour où elle a été juridiquement fixée ;

Attendu que l'équité commande d'indemniser les intimés des frais irrépétibles qu'ils ont dû à nouveau exposer devant la Cour.

Par ces motifs, et ceux des premiers juges, Déclare les appels tant principal qu'incident recevables ; Les dit injustifiés ; Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ; Ajoutant, Condamne l'appelante à payer à chacun des deux intimés une nouvelle indemnité de 15 000 F en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ; Condamne l'appelante aux dépens d'appel ; alloue à Maîtres Tracol et Guillaumin, Avoués, le bénéfice de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.