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Décisions

CA Orléans, ch. com., économique et financière, 5 mars 1998, n° 96000096

ORLÉANS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

SNCF

Défendeur :

Darblay (SNC), Saulnier (ès qual.)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Lardennois

Conseillers :

Mmes Bureau, Puechmaille

Avoués :

SCP Duthoit-Desplanques, SCP Laval-Lueger

Avocats :

Mes Pacreau, Meresse.

T. com. Orléans, du 15 nov. 1995

15 novembre 1995

Statuant sur les appels principal et incident régulièrement formés respectivement par la Société Nationale des Chemins de Fer Français (SNCF) d'une part, la SNC Darblay et Maître Saulnier es-qualité de représentant des créanciers contre un jugement rendu le 15 novembre 1995 par le Tribunal de Commerce d'Orléans qui a :

- qualifié de contrat de mandat les relations ayant existé entre les parties depuis 1957 jusqu'à l'ouverture de la procédure,

- dit que l'état définitif des créances à l'exclusion des frais de procédure représente la perte de gestion constatée dans l'exercice de son mandat par la Société Darblay,

- condamné la SNCF au paiement de cette perte en vertu des dispositions de l'article 2000 du Code civil,

- dit n'y avoir lieu à paiement de dommages-intérêts ni à indemnité au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Depuis 1957, la SNC Darblay s'est vue confier par la SNCF un service consistant notamment en l'acheminement et la distribution de marchandises

- soit prises en charge dans certaines gares de marchandises pour être livrées aux clients,

- soit enlevées chez les expéditeurs pour remise en gare aux fins d'expédition.

Par jugement du 27 janvier 1993, la SNC Darblay a été mise en redressement judiciaire. Suivant actes des 30 mai et 6 juin 1994, ladite société et Maître Saulnier son représentant des créanciers ont fait assigner la SNCF (et la SERNAM) en paiement de :

- la somme de 3.898.726 F au titre des pertes constatées pour les exercices 1990, 1991 et 1992 en application de l'article 2000 du Code civil, la SNC Darblay se prétendant mandataire de la SNCF,

- la somme de 6.000.000 F à titre d'indemnité forfaitaire pour rupture fautive du mandat d'intérêt commun et en réparation de la perte des actifs commerciaux de l'entreprise contrainte de vendre ses actifs à vil prix avant de déposer le bilan,

- l'insuffisance d'actif constatée par la différence entre le prix de cession du plan et le passif résiduel non couvert par la cession, le tout avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation et capitalisation des intérêts.

Sur quoi a été rendue la décision déférée.

Devant la cour, la SNCF conclut à l'infirmation de ce jugement, au rejet des prétentions de la SNC Darblay et de Maître Saulnier. A titre subsidiaire, si la Cour reconnaissait la qualification de mandat, elle sollicite une mesure d'expertise aux fins de déterminer les pertes essuyées par la Société Darblay dans le cadre et du fait de ce prétendu mandat et de déterminer la part susceptible de lui être imputée en application de l'article 2000 du Code civil. En tout état de cause, elle réclame 50.000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et 50.000 F pour procédure abusive et en réparation de son préjudice moral et commercial.

La SNCF conteste en premier lieu la qualification de mandat retenue par les premiers Juges et prétend qu'elle agit en qualité de commissionnaire de transport ou de transporteur, la Société Darblay en qualité de transporteur routier et que le contrat les liant et un contrat d'entreprise ou de prestation de services (transport ou sous-traitance de transport) par lequel elle confie l'exécution prestations de services de transports de marchandises selon des conditions contractuelles aménagées et définies.

Elle se réfère à cet égard à la loi d'orientation des transports extérieurs du 30 décembre 1982 dite Loti, au cahier des charges du 13 septembre 1983, aux conditions générales d'exécution des services terminaux, au Code de commerce et aux différents contrats intervenus entre les parties soutenant que ceux-ci ont toujours eu pour objet la fourniture d'une prestation de service de transport, la notion de mandataire de la SNCF ne s'entendant que vis à vis de la clientèle et notamment les règles de responsabilité édictées excluant la qualité de mandat dans les rapports entre elle et la SNC.

Par application de la loi dite Loti, elle soutient qu'en toute hypothèse la qualification juridique du contrat de transport public s'impose légalement à toute prestation de transport de marchandises exécutée en France, sauf convention écrite contraire conclue valablement dans la limite de l'ordre public et ce, depuis le décret d'application du 4 mai 1988 (Contrat Type Messageries).

La SNCF en déduit donc que l'article 2000 du Code civil n'a pas vocation à s'appliquer en l'espèce.

Elle prétend par ailleurs n'avoir commis aucune faute qui puisse être susceptible de fonder autrement sa condamnation à dommages- intérêts ni au comblement de passif de la Société Darblay.

Elle conteste les allégations de l'intimée telles qu'énoncées dans l'assignation et la gestion de fait que lui a imputée le Tribunal.

Elle soutient aussi que les prestations de la SNC Darblay ont été payées régulièrement à un niveau généralement très supérieur, d'une part au prix du marché, d'autre part aux seuils à partir desquels on pourrait considérer qu'il s'agit de "prix anormalement bas".

Elle fait valoir que le niveau des prix a évolué périodiquement en concertation étroite avec la SERNAM et les syndicats professionnels de transporteurs, des négociations pouvant en pratique avoir lieu tous les 6 mois. Elle indique aussi que les critères de discussion ou d'appréciation ont fait l'objet d'une définition précise, exhaustive et transparente entre les parties, la Société Darblay ayant ratifié le résultat des négociations. Elle relève en outre n'avoir nullement abusé d'une position dominante sur le marché ni de l'état de dépendance économique dans lequel se serait trouvée la Société Darblay.

Au cas oû la Cour requalifierait le contrat en mandat, la SNCF prétend qu'en toute hypothèse, l'application de l'article 2000 du Code civil devrait être exclue en raison de l'absence de faute de sa part.

A titre subsidiaire, elle soutient que les premiers Juges ne pouvaient allouer sur ce fondement une somme supérieure à celle de 3.898.726 F réclamée en première instance en observant que cette somme résulte exclusivement d'éléments produits unilatéralement, ne faisant pas apparaître la part relative à la SNCF et en alléguant que les pertes proviendraient de raisons propres à l'intimée et à son environnement économique général.

La SNCF prétend aussi que toute indemnité de "fin de contrat" est exclue par les dispositions contractuelles convenues entre les parties et l'article 6 du CGEST et observe que le passif ne peut pas être mis à sa charge s'agissant non d'une perte essuyée par la SNC Darblay mais par ses créanciers, une telle condamnation ne pouvant être prononcée à son encontre en toute hypothèse que sur le fondement d'une faute quasi-délictuelle.

La SNC Darblay et Maître Saulnier es-qualité de représentant des créanciers, concluent à la confirmation du jugement en ce qu'il a dit que la SNC Darblay et la SNCF étaient liées par un mandat d'intérêt commun et en ce qu'il aurait condamné la SNCF sur le fondement de l'art Code civil à payer entre les mains de Maître Saulnier es-qualité la somme de 8.041.115,63 F montant du passif produit.

Ils prétendent à l'infirmation pour le surplus et à la condamnation de la SNCF à payer à la SNC Darblay, la somme de 3.898.726 F au titre des pertes subies sur les exercices 1990 à 1992 inclus.

Ils demandent aussi de juger que la SNCF porte la responsabilité du dépôt de bilan et de la rupture du mandat d'intérêt commun et sollicitent en conséquence sa condamnation au paiement de 6.000.000 F à titre de dommages-intérêts compte-tenu de l'ancienneté des relations entre les parties et de la faute "particulièrement soulignée" de la SNCF.

Ils prétendent enfin aux intérêts au taux légal à compter de l'assignation avec capitalisation des intérêts échus par application de l'article 1154 du Code civil et à l'allocation de 50.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Affirmant que la SNC Darblay a toujours travaillé exclusivement pour la SNCF depuis plusieurs dizaines d'années, les intimés prétendent que le contrat doit être qualifié de mandat en relevant que :

- la SNC Darblay travaillait sous les directives de l'Agence SERNAM d'Orléans,

- la SERNAM fixait les prix, établissait des documents comptables intitulés "rémunération du mandataire".

Ils s'appuient aussi sur les conditions générales d'exécution des services terminaux ou CGEST et la définition issue du Correspondant Officiel de Chemins de Fer.

Ils font valoir que les arguments de la SNCF ont varié au fil du temps ajoutant que les termes de transporteur routier décrivent une catégorie professionnelle mais ne définissent pas un statut juridique. Ils prétendent que la qualité de mandataire s'induirait des écritures mêmes de la SNCF (laquelle le conteste).

Les intimés en déduisent que l'article 2000 du Code civil doit s'appliquer,

l'obligation d'indemniser du mandataire étant de nature légale et l'absence de faute étant sans intérêt. Au surplus, ils prétendent que celle-ci serait de toute façon responsable de la situation qu'elle a imposée à son mandataire en diminuant ses ressources consciemment à partir de 1990 et ils en veulent pour preuve l'analyse financière du Cabinet Orex expert comptable.

Ils imputent par ailleurs à faute à la SNCF la rupture du mandat d'intérêt commun en alléguant que celle-ci aurait su dès 1990 que les nouvelles conditions financières imposées ne lui permettaient pas de rentabiliser son activité.

Ils lui reprochent en outre d'avoir refusé toute solution alternative et de ne pas avoir apporté, à son déséquilibre financier, les corrections promises.

Dans ses dernières écritures, les intimés prétendent au rejet des conclusions de la SNCF en date du 30 octobre 1997.

A titre subsidiaire, à supposer que la "Loti soit applicable", ils font valoir qu'une juste rémunération devait être versée au transporteur, ce qui n'aurait pas été le cas et justifierait leurs demandes.

Ils ajoutent aussi que la Loti n'exclut pas l'application du droit commun et que l'article 2000 n'est pas écarté par celle-ci ni par le contrat-type auquel se réfère la SNCF.

Ils justifient ensuite leurs demandes en indiquant que l'indemnisation doit être complète et préserver l'intérêt des tiers.

Sur ce en la forme :

Attendu que l'ordonnance de clôture a été signée le 19 novembre 1997 ; qu'il s'ensuit que la SNC Darblay et Maître Saulnier es-qualité, ont disposé d'un temps suffisant pour répliquer aux conclusions de la SNCF en date du 29 octobre 1997 ; qu'ils l'ont d'ailleurs fait par des écritures du 18 novembre 1997 ; que le principe de la contradiction ayant été respecté, il n'y a pas lieu de faire droit à la demande des intimés tendant à voir écarter des débats les conclusions du 29 octobre 1997 de l'appelante ;

Au fond

Attendu que la mission d'un mandataire consiste à accomplir des actes juridiques pour le compte du mandant par représentation et non pas à exécuter de simples actes matériels ;

Que ce critère permet de distinguer le contrat de mandat d'autres contrats tels que le louage d'ouvrage ou de chose ;

Attendu que la loi d'orientation des transports intérieurs dite LOTI en date du 30 décembre 1982 a réglementé les conditions d'exécution des transports intérieurs ; qu'elle a posé le principe de la liberté contractuelle des parties à condition que la volonté de celles-ci s'exprime par écrit, le transport se trouvant régi dans le cas contraire automatiquement par un contrat type applicable de plein droit lequel a été mis en place, s'agissant des transports terrestres d'envois de moins de 3 tonnes par un Décret du 4 mai 1988 applicable au SERNAM ;

Attendu par ailleurs que, aux termes de son cahier des charges approuvé par Décret du 13 septembre 1983, la SNCF participe au système des transports de marchandises, ces services pouvant dans des cas particuliers être réalisés par des moyens de transport routiers ;

Qu'elle peut, aux termes de l'article 22 dudit cahier, exercer les activités de commissionnaire de transport et assurer soit elle- même soit par un intermédiaire dont elle répond des prestations complémentaires comme l'enlèvement, la livraison, l'entreposage ou le conditionnement des marchandises et toute autre opération annexe au transport principal ;

Attendu que, en l'espèce, il est constant que depuis 1986, 1987, 1988, les accords conclus entre la SNCF et la Société Darblay ont eu pour objet de définir le service confié à celle-ci (qualifiée d'entrepreneur) lequel consistait par exemple (contrats des 16 janvier 1986 et 2 juin 1987) :

- à assurer le transfert de marchandises et de documents divers remis par la SERNAM,

- l'enlèvement et la livraison de marchandises au domicile de certains clients ;

Qu'au chapitre responsabilité de ces contrats, il a par exemple été indiqué :

- "L'entrepreneur est responsable de l'inobservation des lois.

Les conséquences pécuniaires des accidents et dommages de toute nature hormis ceux concernant la marchandise qui pourraient survenir du fait ou à l'occasion de l'exécution du service défini au présent accord seront réglées conformément au droit commun, chacune des parties étant responsable des accidents ou dommages qui lui sont imputables par sa faute, celle de ses préposés ou du matériel qu'elle utilise.

En ce qui concerne la marchandise, la SERNAM est au regard de sa clientèle responsable de la bonne exécution du contrat de transport des marchandises chargées dans les véhicules fournis. L'entrepreneur agit en qualité de prestataire de service" ;

Que ces diverses conventions prévoyaient que la Société Darblay était rémunérée sur la base d'un prix fixé à l'avance et non à la commission et comportaient en annexe la mise à disposition de véhicules ;

Que le 19 octobre 1989, la SERNAM a par ailleurs, semble-t-il, résilié un seul contrat dit d'affrètement n° 097 en indiquant que cette décision purement formelle découlait de modification réglementaire et ne remettait pas en cause le souhait de continuer à utiliser la SNC Darblay comme partenaire privilégié dans les mêmes conditions d'utilisation ;

Que cette résiliation a donc donné lieu à application du contrat- type défini par le Décret du 4 mai 1988 à tout le moins pour l'activité concernée ;

Attendu qu'il résulte à l'évidence tant de ces clauses que des textes législatifs et réglementaires applicables postérieurement à la loi LOTI que le contrat liant la SNCF à la SNC Darblay ne peut être qualifié de mandat dès lors que la première n'a jamais entendu confier à celle-ci la possibilité d'exécuter des actes juridiques pour son compte mais uniquement les actes matériels que sont l'enlèvement, le transport et la livraison des marchandises ;

Qu'il importe peu pour la qualification dudit contrat que la SERNAM ait cru devoir intituler ses décomptes de rémunération "Rémunération du Mandataire" ou qu'il ait été par ailleurs prévu que le personnel de conduite doive se conformer pour l'exécution du service aux instructions du SERNAM ou encore que le prix ait été fixé par celui-ci ;

Que le document intitulé "Maître de postes et correspondants de chemin de fer " est sans intérêt en la présente instance, car n'ayant qu'une valeur historique ;

Que s'il est vrai que dans les conditions générales des services terminaux de la SNCF du 1er juillet 1982 et dans des contrats datant de cette période, l'entrepreneur est qualifié de mandataire, cet élément n'est pas suffisant pour permettre de retenir la qualification de mandat alors que tous les textes législatifs et réglementaires ainsi que les accords conclus postérieurement ne font pas référence à un mandat et que, en toute hypothèse, comme il a été dit ci-dessus, la SNCF n'a jamais entendu confier de pouvoir de représentation pour conclure des actes juridiques à la SNC Darblay.

Que le contrat unissant les deux parties doit être qualifié de contrat de louage d'ouvrage et de choses et il s'ensuit nécessairement que contrairement à ce qu'à décidé le Tribunal, l'article 2000 du Code civil n'a pas vocation à s'appliquer;

Que la décision déférée doit être infirmée et la SNC Darblay et Maître Saulnier es-qualité déboutés de leurs prétentions qu'ils fondent en cause d'appel sur ledit article 2000 à savoir le paiement des sommes de 8.041.112,63 F et 3.898.726 F ;

Attendu par ailleurs, que les intimés ne peuvent pas non plus prétendre à indemnité du fait de la rupture du contrat dès lors que la qualification de mandat d'intérêt commun n'a pas été retenue ;

Qu'il faut aussi observer que les relations contractuelles se sont poursuivies à tout le moins jusqu'au dépôt de bilan sans que l'on sache d'ailleurs ensuite dans quelles conditions elles ont cessé ;

Attendu enfin que s'agissant de l'éventuelle responsabilité de la SNCF dans le dépôt de bilan de la Société Darblay, intimés n'en tirent aucune conséquence juridique autre que celle liée à la rupture des relations contractuelles examinées ci-dessus ;

Qu'en toute hypothèse, ils se contentent d'affirmer sans l'établir que la rémunération de la SNCF n'aurait pas été juste ;

Qu'à cet égard, il convient de remarquer que ladite rémunération a été périodiquement revalorisée ;

Qu'aussi, les intimés doivent être déboutés de leur demande en paiement de la somme de 6.000.000 F ;

Attendu que la SNCF n'établit pas la faute qui ferait dégénérer en abus le droit de plaider ni son préjudice ; qu'elle doit être déboutée de sa demande en dommages-intérêts ;

Qu'en revanche, l'équité commande de faire application en sa faveur des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, les intimés succombant en la présente instance étant déboutés de leurs prétentions sur le même fondement ;

Par ces motifs : LA COUR ; Dit n'y avoir lieu à écarter des débats les conclusions signifiées par la SNCF le 29 octobre 1997 ; Infirmant la décision déférée ; Déboute la SNC Darblay et Maître Saulnier es-qualité de représentant des créanciers de la dite SNC de toutes leurs prétentions ; Les condamne à payer à la SNCF la somme de quinze mille francs (15.000 F) en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Déboute la SNCF du surplus de ses prétentions ; Condamne la SNC Darblay et Maître Saulnier es-qualité de représentant des créanciers, aux dépens de première instance et d'appel ; Accorde à la SCP Duthoit- Desplanques, Avoués associés, le droit prévu à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile ;