Livv
Décisions

CA Riom, ch. civ. et com., 30 avril 1997, n° 228-97

RIOM

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Martin

Défendeur :

Etablissements Lagarde (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bardel

Conseillers :

MM. Despierres, Legras

Avoués :

Mes Lecocq, Tixier.

Avocats :

Mes Lecatre, Vidal

T. com. Cusset, du 21 mai 1996

21 mai 1996

Exposé du litige

Par jugement du 21 mai 1996, auquel la Cour se reporte en ce qui concerne l'exposé des faits, la procédure antérieure et les prétentions et moyens des parties en première instance, le Tribunal de Commerce de Cusset :

- a dit Martin mal fondé en ses prétentions et l'en a débouté;

- a autorisé la SA Ets Lagarde à procéder à l'enlèvement de l'auvent et des cuves avec les limiteurs de remplissage lui appartenant;

- a ordonné à la SA Ets Lagarde la remise en état et le nivellement du terrain après l'exécution des travaux;

- a débouté la SA Ets Lagarde de ses demandes en dommages-intérêts et au titre de l'article 700 du NCPC;

- a condamné solidairement Martin et la SA Ets Lagarde aux dépens.

Roger Martin a interjeté appel le 21 juin 1996 de ce jugement dont il demande la réformation. Rappelant l'historique de l'affaire et notamment l'économie des contrats successivement passés entre la SA Lagarde et la SARL Garage de la Guillotière le 31-07-80 et le 6-07-81 et de celui du 3-01-86 auquel il participait personnellement, il en déduit que cette société ne peut se prétendre propriétaire des installations dont le contrat initial prévoyait que la propriété passerait à la société distributrice après qu'elle ait réalisé l'achat de 66 000 hl de carburants dans la mesure ou cette quantité a bien été vendue soit par la SARL soit par lui. Il estime que ne peut être exclue de cette quantité celle distribuée pour rembourser l'arriéré accumulé par la SARL, comme l'a fait l'expert, dès lors qu'à défaut il y aurait eu relations contractuelles léonines et un profit inadmissible de situation pour la SA Lagarde qui aurait écoulé 66 000 hl de carburants, aurait été réglée par lui de la dette de la SARL et conserverait la propriété des installations. Il observe :

- que le règlement fait par lui en dehors de la procédure collective de la SARL est anormal;

- que la SA Lagarde ne justifie pas du montant de sa déclaration de créance au passif de la SARL;

- que les installations n'ont plus aujourd'hui aucune valeur marchande;

- qu'il s'agit d'un abus de position dominante;

- que l'intervention de la SA Lagarde en janvier 1994 pour enlever les installations qui lui appartiennent désormais constitue une voie de fait.

Il précise que les sommes de 54 118,36 F et de 57 380,58 F représentent le coût de la remise en état des lieux chiffré par des entreprises et que les dommages-intérêts correspondent aux conséquences de la voie de fait soit : impossibilité d'exploiter son fonds de commerce.

Il conclut donc à la condamnation de la SA Lagarde à lui payer la somme de 54 118,36 F indexée sur l'indice du coût de la construction à compter de la demande et celle de 57 380,58 F, celle de 200 000 F de dommages-intérêts et celle de 10 000 F au titre de l'article 700 du NCPC. Il suggère également que soit ordonné une expertise portant tant sur la quantité de carburant distribué que sur la perte d'exploitation subie.

La SA Lagarde, intimée et incidemment appelante, conclut à la confirmation du jugement en ce qu'il a débouté Martin de toutes ses demandes et a partiellement fait droit aux siennes et à la condamnation de l'appelant à 50 000 F de dommages-intérêts et 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC. Elle répond :

- que l'exécution du contrat initial s'est traduite par d'importants déficits (en fait des détournements de Martin) que Martin a du rembourser, l'amortissement des équipements étant pendant ce temps gelé;

- que le litrage réalisé hors périodes de suspension des effets du premier contrat étant bien inférieur à celui conventionnellement prévu, Martin ne peut prétendre à la propriété des équipements;

- qu'en résistant à sa volonté de les récupérer il lui a occasionné un véritable préjudice justifiant sa demande de dommages-intérêts.

Martin répond à son tour:

- que les déficits qu'ont connu la SARL puis lui-même ne sont dus qu'à la politique tarifaire imposée par la SA Lagarde;

- que, contenant des clauses léonines, les contrats sont nuls : obligation d'approvisionnement exclusif, tarif imposé unilatéralement;

- que la clause imposant la vente d'une quantité minimum de carburant est nulle par application des articles 1129, 1179 et 1591 du Code Civil;

- qu'à tout le moins le gel des ventes de carburant effectuées jusqu'à l'apurement de la dette doit être non avenu;

- que l'expert s'est inscrit dans la logique de la SA Lagarde en ne prenant en considération que la période de juillet 1980 à janvier 1986 au lieu de toute celle couvrant leurs relations commerciales jusqu'à janvier 1994;

- que le véritable souci de celle-ci est de l'empêcher d'utiliser les équipements en les louant à un concurrent.

La SA Lagarde rappelle qu'ayant lui-même mis fin au contrat en le résiliant fin 1993 Martin ne peut invoquer une perte d'exploitation. Elle qualifie d'irrecevable comme nouvelle la demande relative à la somme de 57 380,36 F.

Motifs et décision

Attendu que le litige trouve son origine dans trois contrats :

- celui du 31 juillet 1980 d'une durée de 10 ans passé entre la SA Lagarde et la SARL Garage de la Guillotière, représentée par son gérant Bernard Martin, prévoyant la mise à disposition de celle-ci du matériel nécessaire à la distribution des carburants, contenant un engagement d'approvisionnement exclusif en carburants et d'achat minimum de 66 000 hl, une prévision de prix et stipulant qu'à l'issue de la période nécessaire à l'achat de cette quantité la pleine propriété des installations de distribution reviendrait à la SARL Garage de la Guillotière; y était joint l'engagement de Roger Martin, en qualité de propriétaire de la station-service, de renouveler le bail commercial de la SARL Garage de la Guillotière afin de lui permettre d'assumer ses propres engagements;

- celui du 6 juin 1981 passé entre les mêmes parties plus Roger Martin, se référant au contrat précédent et, prenant acte d'une dette globale de la SARL Garage de la Guillotière à l'égard de la SA Lagarde de 108 268 F et de son insolvabilité immédiate, prévoyait la suspension des effets du contrat du 31-07-80 pendant une durée indéterminée et jusqu'à extinction de la dette, la poursuite de l'activité de distribution de carburants sous forme d'un contrat d'agent mandataire, le remboursement mensuel par la SARL d'une somme minimum et l'engagement de Roger Martin d'affecter au remboursement de la dette une hypothèque sur ses biens immobiliers; il était stipulé qu'il serait tenu compte, pour la réalisation du contrat du 31-07-80, du litrage vendu pendant la période de mandataire; le 1-11-83 les parties constataient l'extinction de la dette et les accords du 31-07-80 reprenaient leur exécution normale;

- celui du 3 janvier 1986 passé entre les mêmes parties constatant l'existence d'une nouvelle dette de 182 940 F de la SARL et d'une dette de 184 206 F de Martin et à nouveau l'insolvabilité immédiate de la SARL et prévoyant en conséquence la suspension pour une durée indéterminée des effets du contrat du 31-07-80, la poursuite de l'activité de distribution sous forme d'un contrat d'agent mandataire avec Roger Martin, le remboursement mensuel d'une somme minimum par la SARL et par Martin, l'engagement de Martin de renouveler le bail commercial et d'affecter au remboursement de la dette globale une hypothèque sur ses biens;

attendu qu'aucune des stipulations de ces contrats ne peut aboutir à un quelconque transfert de propriété des équipements de distribution de carburants fournis par la SA Lagarde à Roger Martin personnellement;

que celui-ci n'est pas intervenu au premier contrat et n'est intervenu aux suivants qu'en tant que propriétaire des murs, associé de la SARL, locataire-gérant de la station-service et exploitant du fonds de commerce de fuel domestique;

que les deux derniers contrats ont prévu la suspension des effets du premier sans modifier les dispositions relatives au transfert de propriété;

qu'il est vrai qu'il ressort de ses écritures mêmes que la SA Lagarde semble partager la lecture particulière que fait Martin desdites conventions en considérant qu'ayant "poursuivi en son nom personnel le bénéfice des contrats après la faillite de la société" celui-ci aurait pu bénéficier du transfert de propriété des équipements pour autant que la condition initialement prévue ait été réalisée;

que l'expert désigné par les premiers juges a d'ailleurs partagé cette vision des choses;

qu'il convient dès lors de s'en remettre à son rapport aux termes duquel, Martin n'ayant pas atteint les 66 000 hl imposés pour en devenir propriétaire, les matériels devaient revenir à la SA Lagarde;

que l'expert se référait précisément aux conventions des parties en retenant qu'à compter de janvier 1986 la constitution d'une nouvelle dette de 367 146 F les amenait à suspendre à nouveau les effets du contrat initial de sorte que la période à prendre en considération pour la réalisation de la vente des 66.000 hl était celle s'étendant de juillet 1980 à janvier 1986;

que, de fait, il n'est pas justifié qu'un règlement total de ce nouvel arriéré ait par la suite permis au contrat du 18-07-80 de reprendre tous ses effets;

qu'à cet égard Martin cite la date de juillet 1993 comme celle à laquelle il aurait fini de régler la SA Lagarde;

que, pour parvenir à un chiffre supérieur aux 28 942 hl vendus entre juillet 1980 et janvier 1986, il faut prendre en considération le litrage débité au titre du remboursement de ce second arriéré, ce qui est manifestement contraire aux conventions des parties;

attendu que, revendiquant pour lui les dispositions contractuelles s'appliquant à la SARL Garage de la Guillotière, Martin ne peut en prétendre à une application sélective conforme à son seul intérêt;

attendu qu'il apparaît que les parties ont ensemble et très rapidement opéré une complète confusion entre la SARL Garage de la Guillotière et Martin, ce alors même que celui-ci n'en était pas encore le gérant;

que cette confusion s'est poursuivie après l'ouverture de la procédure collective à l'égard de la SARL, Martin remboursant personnellement les dettes de la société;

que, s'étant allégrement affranchi des règles légales élémentaires en matière de procédure collective, Martin ne peut prétendre aujourd'hui faire reproche au créancier d'avoir accepté ses paiements;

que la question de la déclaration de la créance de la SA Lagarde au passif de la SARL n'a pas de conséquences sur l'issue du litige, s'agissant de l'exécution de dispositions contractuelles;

qu'en admettant que Martin puisse se substituer à la SARL Garage de la Guillotière, qu'il ne peut en tout état de cause plus représenter après la liquidation judiciaire, que les conventions présentent un quelconque caractère léonin ou que la clause imposant la vente d'une quantité minimum de carburant puisse être déclarée nulle, on ne voit pas ce qui, à titre de conséquence, rendrait Martin propriétaire des équipements;

qu'il lui resterait à établir le lien de causalité entre les sommes de 108 268 F et de 182 940 F, qualifiées par lui de déficits et par la SA Lagarde de détournements, et les clauses abusives supposées;

que tout juste pourrait-il éventuellement demander réparation du préjudice causé, dans son exploitation, par l'application de clauses iniques, ce qui n'est pas l'objet de son action tendant d'une part à se voir reconnaître la propriété des équipements, d'autre part, à réparer le préjudice occasionné par leur enlèvement;

que le même raisonnement peut être appliqué à son évocation d'un "abus de position dominante";

attendu que, dans le strict cadre du préjudice invoqué par l'appelant, tenant à la récupération par la SA Lagarde du matériel lui appartenant, il convient de rappeler que celle-ci n'a agi qu'après que Martin lui-même ait résilié le contrat le liant à elle (celui du 3-01-86) et ait, en fait, mis fin à leurs relations contractuelles largement entendues;

qu'aucune perte d'exploitation ne peut naturellement être invoquée quant à la privation du matériel;

qu'en ce qui concerne l'état des lieux occasionné par l'intervention de la SA Lagarde il apparaît résulter au moins partiellement de l'attitude d'opposition active de Martin, ainsi que le relevait l'expert;

que le problème se trouve à priori réglé par la disposition du jugement déféré prévoyant la remise en état et le nivellement du terrain par la SA Lagarde;

attendu qu'il est constant que, retraité, Martin ne peut plus exploiter lui-même;

qu'il n'établit pas qu'ait existé ne serait-ce qu'un projet de mise en location de son établissement;

qu'aucune perte d'exploitation ne peut donc être invoquée comme résultant de l'intervention de la SA Lagarde;

attendu en conséquence que Martin sera débouté de toutes ses demandes, le jugement étant confirmé sur ce point;

attendu qu'à l'appui de sa demande en dommages-intérêts l'intimée ne justifie pas de l'existence d'un préjudice ayant résulté pour elle du comportement de Martin;

qu'elle ne le contredit pas lorsqu'il affirme que le matériel récupéré n'avait plus aucune valeur marchande;

qu'elle doit être déboutée de sa demande à ce titre, le jugement étant là encore confirmé sur ce point;

attendu qu'il paraît équitable de faire droit à la demande de l'intimée sur le fondement de l'article 700 du NCPC tout en limitant à 3 000 F le montant de l'indemnité accordée à ce titre;

attendu que, défaillant totalement, Martin doit être condamné aux entiers dépens tant de première instance que d'appel, le jugement étant réformé à cet égard.

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement : Réforme le jugement en ce qu'il a statué sur les dépens; Le confirme pour le surplus; Déboute Roger Martin de toutes ses demandes, fins et conclusions; Déboute la SA Lagarde de sa demande en dommages-intérêts; Condamne Roger Martin à payer et porter à la SA Lagarde la somme de 3 000 F (trois mille francs) sur le fondement de l'article 700 du NCPC; Condamne Roger Martin aux dépens de première instance et d'appel et autorise Maitre Tixier Avoué à recouvrer directement ceux dont il a pu faire l'avance sans avoir reçu provision suffisante.