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Décisions

CA Paris, 16e ch. A, 1 juillet 1998, n° 96-00135

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Fray (SARL)

Défendeur :

Fina France (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Duclaud

Conseillers :

Mmes Guérin, Collot

Avoués :

Me Ribaut, SCP Dauthy-Naboudet

Avocats :

Mes Jourdan, Regnault.

T. com. Paris, 8e ch., du 13 sept. 1995

13 septembre 1995

LA COUR statue sur l'appel interjeté par la SARL Fray d'un jugement du tribunal de commerce de Paris du 13 septembre 1995 qui :

- l'a condamnée à payer à la société Fina France la somme de : 642 163,61 francs augmentée des intérêts au taux légal à compter de son prononcé,

- ordonné l'éxécution provisoire sans consitution de garantie,

- l'a condamnée à verser à la société Fina France la somme de 1 000 francs au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Les faits et la procédure peuvent être résumés ainsi qu'il suit.

Par acte sous seing privé en date du 30 septembre 1994, la société Fina France a consenti à la société Fray la location gérance d'un fonds de commerce de station-service, situé 42 rue Paul Bert, à Angers (Maine-et-Loire), - ledit fonds appartenant jusqu'à cette date à la société Mobil dont la société Fray était mandataire chargée de vendre ses carburants.

D'après la société Fina, il y a eu des réunions et rencontres entre les représentants de la société Mobil, de la société Fina France et de la société Fray afin d'examiner les modalités de ce changement.

Le contrat de location dont il s'agit a prévu une redevance annuelle de 81 000 francs par an.

Pendant toute la durée du contrat, le preneur s'était engagé à réserver à la société Fina l'exclusivité de ses achats de :

a) carburant,

b) lubrifiants ou produits pétroliers connexes.

Le prix d'achat des carburants par le preneur devait être au minimum inférieur de 0,14 francs HT du prix le plus élevé relevé par le preneur dans chaque catégorie de produit dans quatre stations proches du point de vente expressément énumérés au contrat, ces données devant être communiquées au moins deux fois par semaine à la société Fina.

Quant aux lubrifiants et produits connexes Fina, ils devaient être facturés "au prix du tarif de Fina en vigueur lors de chaque livraison intitulée "lubrifiants et spécialités - tarif revendeur de détail".

Le 10 février 1995, soit quatre mois après l'entrée en vigueur du contrat de location-gérance, le gérant de la société Fray écrit à la société Fina France pour lui faire part de deux griefs :

- l'un afférent à l'achat des lubrifiants à des prix supérieurs à ceux de vente au public dans d'autres points de vente,

- et l'autre relatif au prix d'achat des carburants qui l'aurait obligé à les vendre plus chers que ses concurrents locaux.

Par ailleurs cette missive se terminait par l'invitation faite à la société Fina de reprendre la station-service au 31 mars 1995 soit au bout de six mois de location-gérance.

Par acte du 13 juillet 1995, la société Fina France a assigné la société Fray aux fins de la voir condamner à lui payer la somme principale de 642 163,61 francs composée pour l'essentiel de 405 989,77 francs à titre de carburants et d'une reconnaissance de dette de 240 000 francs.

C'est dans ces conditions qu'est intervenu le jugement déféré, réputé contradictoire.

La SARL Fray, appelante, demande à la Cour d'infirmer le jugement déféré et de :

- juger nul le contrat passé entre la société Fray et la société Fina, par application des dispositions des articles 1591 du Code Civil, 1129 et 7, 8 et 9 de l'ordonnance du 1er décembre 1986,

- ordonner que les parties seront remises au même et semblable état où elles se trouvaient avant la conclusion de ce contrat nul,

- désigner un expert aux frais avancés de la société Fina avec mission de dresser un compte de restitution de crédit auquel sera porté pour la société Fray :

1) la marge indûment perçue par la société Fina sur les produits versés en exécution du contrat annulé,

2) la légitime rémunération de la société Fray, pour le service qu'elle a rendu à Fina, par comparaison avec ce que celle-ci aurait dû supporter pour une exploitation directe, en appliquant la convention collective CNPA au personnel nécessaire,

3) chiffrer les volumes de carburants, dont la société Fray est redevable à Fina, à partir des instruments électroniques, de vente à la clientèle imposé par la compagnie Fina,

subsidiairement,

- constater que la société Fina a été d'une particulière mauvaise foi dans la conclusion et le fonctionnement du contrat litigieux,

- accorder les mêmes conséquences aux frais de Fina, sur la base de l'article 1134 du Code Civil et, l'exécution de bonne foi que doit présenter toute relation contractuelle,

- condamner la société Fina à payer une somme de 50 000 francs par application de l'article 700 du Nouveau code de Procédure Civile,

- condamner enfin celle-ci aux dépens de première instance et d'appel.

Dans des conclusions ultérieures des 28 octobre 1997, 5 novembre 1997 et 30 mars 1998, la SARL Fray invoque le non respect par la société Fina de la loi 89-1008 du 31 décembre 1984 relative au développement des entreprises commerciales et artisanales (dite loi Doubin) et prie la Cour de dire :

- que ce texte est inapplicable en l'espèce,

à titre subsidiaire, constater que la société Fray ne formule aucune demande sur le fondement de ce texte,

- juger encore qu'elle n'a commis aucun abus dans la fixation des prix,

- juger que le contrat de location-gérance est régulier et que la société Fina France a respecté les dispositions de l'ordonnance du 1er décembre 1986,

- juger que la société Fina France apporte la preuve du respect des AIP.

- constater que l'exploitation de la station-service litigieuse a généré une perte d'exploitation de 509 874,39 francs dont Fina est redevable au titre de la rémunération minimale prévue par les Accords lnterprofessionnels dont elle ne conteste pas l'application,

- en conséquence désigner un expert pour vérifier comment la société Fina a calculé et versé cette rémunération à la société Fray.

La société Fina France, intimée, demande à la Cour de:

- débouter la société Fray de l'ensemble de ses demandes,

- juger que la loi du 31 décembre 1989 n'est pas applicable en l'espèce,

à titre subsidiaire,

- juger que la société Fray n'apporte pas la preuve d'un vice du consentement.

Elle invite aussi la Cour à :

- juger que la société Fray ne peut demander cumulativement que soit prononcé la nullité du contrat de location-gérance et la condamnation de la société Fina France sur le fondement des accords interprofessionnels,

- condamner la société Fray à lui payer une somme de 10 000 francs au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile,

- condamné la société Fina aux dépens.

Ceci étant exposé, LA COUR :

I - Sur le non respect des prescriptions de la loi 89-1008 du 31 décembre 1989

Considérant qu'il est de principe que cette loi relative au développement des entreprises commerciales et artisanales et à l'amélioration de leur environnement économique juridique et sociale est applicable en cas de location-gérance ; que cependant, il ne suffit pas de constater qu'il n'y a pas eu communication de l'avant projet de contrat de location-gérance en cause pour que la nullité de celui-ci soit prononcée; qu'il faut que le défaut d'information prévue à ce texte ait eu pour effet de vicier le consentement du locataire-gérant ;

Que tel n'est pas le cas en l'espèce ; qu'en effet, dans le contrat de location-gérance dont il s'agit, la société dans sa "section VIII dispositions diverses - 1 - déclaration des parties", il est indiqué :

"1-1 la société Fina

1-1-1 qu'elle n'a cessé, depuis sa constitution en 1891, sous le nom de Raffineries du Pétrole du Nord, d'exercer le commerce de vente et distribution d'hydrocarbure et dérivés,

1-1-2 qu'elle est immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Nanterre sous le numéro B 542 040 464 et que le fonds de commerce donné en location-gérance fait l'objet d'une immatriculation secondaire sous le même numéro, au registre du commerce et des sociétés du ressort dont dépend l'établissement" ;

Qu'il s'agit là d'informations prévues à l'article 1 de la loi précitée concernant l'ancienneté et l'expérience de l'entreprise ; que par ailleurs, il était inutile de rappeler les perspectives du marché pétrolier à un co-contractant qui était un professionnel de la distribution des carburants ; que quant aux stipulations du contrat de location-gérance, elles étaient claires et ne faisaient nullement référence comme c'est souvent le cas dans les contrats voisins de mandat de distribution à l'application de formule mathématique; que la société Fray ne saurait donc soutenir que le consentement de son gérant a été vicié lors de la conclusion du contrat de location-gérance dont il s'agit;

II - Sur la nullité des ventes tirées des articles 1129 et 1591 du Code Civil

Considérant qu'il est de principe que lorsqu'une convention prévoit la conclusion de contrats ultérieurs, l'indétermination du prix de ces contrats dans la convention initiale n'affecte pas, sauf dispositions légales particulières, la validité de celle-ci, sauf à démontrer qu'il y a abus dans la fixation du prix, lequel est alors sanctionnable par la résiliation et l'indemnisation ;

Considérant que la société Fray n'apporte nullement la preuve de cet abus dans la fixation du prix du carburant ou des lubrifiants et autres produits dérivés;

Que le prix de chaque type de carburants était fixé selon des modalités précises (rapportées plus haut dans l'exposé des faits) qui en toute hypothèse laissaient une marge de 14 centimes par litres (soit 16,60 centimes TTC);

Que ce n'est qu'au bout de quatre mois et demi d'entrée en vigueur du contrat de location-gérance qu'elle a fait connaître à la société Fina un grief fort vague quant au prix des carburants :

"La même critique peut être faite à l'égard des carburants puisque, malgré les informations que vous recevez de nous par Minitel, nous sommes les plus chers de notre zone de chalandise et plus particulièrement de la station Shell (près de la gare) où la clientèle est encore servie" ; que "la même critique" se réfère à celle que la société Fray a fait quelques lignes plus haut concernant le "produits" que Fina leur aurait comptés à "des prix très supérieurs au prix de revente au public de ses mêmes produits dans d'autres points de vente" ; que le recours à ce grief qui n'est nullement applicable à la fixation contractuelle des prix des carburants montre l'inanité de l'argument avancé ; que quant à la fixation du prix des lubrifiants aucun commencement de preuve n'est avancé pour justifier le bien fondé du grief ;

Qu'en réalité, les critiques quant au prix des produits livrés par la société Fina formulées dans la lettre du 10 février 1995 n'ont servi que de prétextes à la résiliation du contrat de location-gérance annoncé à la fin de cette missive ; que le document établi par le Cabinet Jourdan qui tendrait à prouver que la société Fina a réalisé un bénéfice de 892 728,60 francs grâce aux ventes de la société Fray alors que celle-ci aurait enregistré au titre de ces ventes une perte de 509 874,39 francs ne démontre rien ; qu'il prend pour base le prix du baril à Rotterdam alors que rien n'indique que la société Fina s'approvisionne sur ce marché ; que les prix théoriques d'achat par la société Fina ne comprennent pas toutes les charges qui incombent à un pétrolier (raffinage, transport) ; qu'il n'apparaît nulle part que la marge de 0,14 F HT par litre n'ait pas été respectée par la société Fina ;

Qu'il n'y a donc pas lieu à ordonner une expertise ;

III - Sur la violation de l'ordonnance du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence

Considérant que la société Fray vise l'article 8 qui prohibe l'exploitation par une entreprise de l'état de dépendance économique dans lequel se trouve à son égard une entreprise cliente qui ne dispose pas de solution équivalente, abus pouvant consister notamment en des conditions de vente discriminatoires ;

Mais considérant que la société Fray n'apporte nullement la preuve qu'elle aurait eu à supporter des conditions de vente discriminatoires; que s'agissant des lubrifiants, elle se borne à le prétendre ;

Que ce moyen sera rejeté ;

IV - Sur la validité du contrat de location-gérance

Considérant qu'il s'ensuit de ce qui précède que le contrat de location-gérance n'est entaché d'aucune cause de nullité ;

V - Sur les comptes entre les parties

Considérant que celles-ci, qui jusqu'à présent, se sont attachées à discuter des moyens de droit échangés, et n'ont pas attaché l'attention qu'il convient aux comptes entre les parties ;

Considérant qu'il faut rappeler que la société Fina réclame à la société Fray le paiement de la somme de 642 163,61 francs ;

Que la société Fray, qui n'a pas discuté du montant de cette somme, demande à la Cour de condamner la société Fina à lui verser la somme de 509 874,39 francs "au titre de la rémunération minimale prévue par les Accords Interprofessionnels, dont elle ne conteste pas l'application ;

Considérant que la Cour n'a pas les éléments suffisants pour apprécier ces demandes de condamnation en paiement réciproque ; qu'elle ordonnera une expertise sur ce point ;

Par ces motifs : Déclare valable le contrat de location-gérance conclu entre la société Fina et la SARL Fray le 30 septembre 1994 ; Déboute donc la SARL Fray de sa demande en nullité de cette convention ; Avant dire droit sur les comptes entre les parties, Ordonne une mesure d'expertise, commet à cet effet : Monsieur Xavier Fruchaud, demeurant 41 rue Vivienne à Paris 2ème, avec la mission suivante : 1°) vérifier la créance invoquée par la société Fina à l'encontre de la SARL Fray, 2°) rechercher si en vertu des accords professionnels, la Société Fina doit des redevances à la SARL Fray ; Entendre les parties en leurs dires et explications ; Y répondre et du tout dresser rapport qui sera déposé au greffe de la Cour au plus tard dans les cinq mois de la saisine de l'expert ; Fixe la provision à valoir sur la rémunération de l'expert à la somme de 10 000 francs qui sera consignée au greffe de la Cour par moitié à la charge de chacune des parties dans les trois mois du prononcé du présent arrêt, faute de quoi la désignation de l'expert deviendra caduque ; Dit que cette somme doit être versée au régisseur d'avances et de recettes de la Cour d'Appel de Paris, 34 quai des Orfèvres à Paris Louvre SP (75055) ; Réserve les dépens.