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Décisions

CA Versailles, 3e ch., 27 février 1998, n° 96-00000614

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

SEFI (Sté)

Défendeur :

Michel

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Falcone

Conseillers :

Mmes Simonot, Prager-Bouyala

Avoués :

SCP Jupin-Algrin, Me Robert

Avocats :

Mes Skornicki, Paris.

TGI Nanterre, 6e ch., du 30 oct. 1995

30 octobre 1995

Faits et procédure

Alain Michel, qui avait signé le 21 janvier 1990 avec la SEFI un contrat d'agent commercial, résilié pour faute lourde le 24 mai 1994, a saisi le Tribunal de Grande Instance de Nanterre d'une demande en paiement d'un solde de commissions dues sur l'année 1993, d'une indemnité correspondant à deux années de commissions et de dommages et intérêts complémentaires.

Par jugement du 30 octobre 1995, le Tribunal a écarté la faute lourde que lui opposait la SEFI et sursis à statuer sur les demandes, tout en désignant un expert aux fins de faire les comptes entre les parties.

La SEFI a interjeté appel de cette décision.

Elle rappelle qu'elle a pour fonctions, dans le cadre d'activités d'assurances concernant la vie, l'épargne et la retraite, de collecter des fonds dont la gestion est confiée par la Compagnie "La Pérennité" à la Compagnie Financière Edmond de Rotschild Banque ;

Que, par plusieurs contrats successifs, Monsieur Michel s'était engagé à la représenter auprès de la clientèle, sans aucune exclusivité territoriale et devait en contrepartie respecter les obligations suivantes :

- sauvegarde des intérêts de la société,

- absence d'équivoque dans les contrats diffusés sur le rôle de la Compagnie Financière Edmond de Rotschild,

- usage exclusif des documents, brochures et matériels fournis par la société,

- libellé des chèques et ordres de virement à l'ordre de la SEFI,

- interdiction d'encaisser les primes.

Elle indique qu'après avoir adressé à Monsieur Michel plusieurs avertissements, elle a résilié son contrat le 24 mai 1994 pour faute grave, en ayant découvert qu'il avait fabriqué par photocopie un papier à en-tête de la SEFI, portant la fausse qualité de Directeur Régional et le sigle de la Compagnie Financière Rotschild.

Elle conteste que la rupture sans indemnité d'un contrat d'agent commercial soit subordonnée à la preuve d'une faute lourde, ou même d'une faute grave.

Elle considère toutefois que la preuve de celle-ci est suffisamment rapportée, du fait de la fabrication d'un faux document, contrevenant, en outre, à plusieurs obligations contractuelles, et comportant des mentions erronées destinées à générer une commission supérieure.

Elle rappelle, en outre, l'existence de violations contractuelles antérieures, relatives à des encaissements directs, à l'usage d'une carte de visite sans mention de la SEFI et à la souscription de contrats dont le taux d'instabilité s'est avéré anormalement élevé.

Elle conclut à l'infirmation du jugement, au débouté de Monsieur Michel de ses demandes et à sa condamnation à lui verser des dommages et intérêts pour procédure abusive et une indemnité sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Après dépôt du rapport d'expertise, elle demande, en outre, la restitution par Monsieur Michel d'une somme de 232.414,15 francs au titre de commissions indûment perçues.

Alain Michel soutient que la SEFI lui a progressivement imposé des modifications de son mode de fonctionnement défavorable à la poursuite de son activité et a, à partir de juin 1993, pratiqué des détournements de clientèle en démarchant directement ses propres clients.

Il relève que son contrat a été résilié le 24 mai 1994, après qu'il ait réclamé par lettre du 3 mai, un solde de commissions impayées pour l'année 1993.

Il conteste être l'auteur du document fabriqué qui a servi de fondement à l'allégation de faute grave.

Il soutient que l'usage de cartes de visite personnelles ne pouvait, eu égard à son indépendance de statut, être constitutif d'une telle faute.

Il nie avoir encaissé personnellement des primes.

Il conteste que l'instabilité des contrats, conclus par la SEFI, sur les propositions qu'il lui adressait, lui soit imputable.

Il conclut à la confirmation du jugement entrepris et, formant appel incident, sollicite après dépôt du rapport d'expertise :

- deux années de commissions, soit la somme de 1.938.338 francs à titre d'indemnité de résiliation,

- 39.229,85 francs au titre d'un arriéré de commissions,

- 150.000 francs de dommages et intérêts pour préjudice moral, ainsi qu'une indemnité sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 29 janvier 1998.

Motifs

- Sur la résiliation du contrat et la preuve de la faute :

Attendu que la SEFI, dans sa lettre du 24 mai 1994, par laquelle elle a mis fin au contrat qui la liait à Monsieur Michel, fonde exclusivement la résiliation sur l'allégation de l'utilisation par son agent d'un courrier réalisé par celui-ci à partir d'un papier à son en- tête ;

Qu'elle ne reprend en particulier aucun des griefs avancés lors de lettres d'avertissement précédemment adressées à Monsieur Michel ;

Que le bien-fondé de la résiliation sera en conséquence exclusivement examiné au regard de la faute alléguée dans la lettre du 24 mai ;

Attendu qu'il ne peut être sérieusement contesté que l'usage, par un agent commercial, d'un document falsifié, faisant apparaître, d'une part, une qualité de "Directeur commercial" qui n'était pas la sienne et, d'autre part, le cachet de la Compagnie Financière Edmond De Rotschild, alors qu'un avenant au contrat en date du 4 janvier 1993 lui interdisait de présenter la SEFI comme ayant des liens juridiques avec cet établissement bancaire, constitue un manquement grave à une obligation contractuelle précise et à l'obligation générale de loyauté inhérente à l'exécution de tout contrat ;

Que ce manquement, si sa réalité est établie, est constitutif d'une faute grave, justifiant la résiliation sans indemnité du contrat d'agent commercial ;

Attendu que le document qui a servi de base à la rupture du contrat se présente comme une note d'information sur les placements "Capital" à versements libres ;

Qu'il est établi sur un papier à en-tête de la SEFI et porte en deuxième page la signature "Alain Michel, Directeur Régional" ainsi que le cachet de la Compagnie Financière Edmond de Rotschild ;

Attendu que la SEFI soutient avoir eu communication de ce document par Monsieur Charpentier ;

Qu'elle produit à l'appui de cette allégation une lettre du 14 juin 1994, accompagnant l'envoi en retour du document à Monsieur Charpentier et signé par celui-ci ;

Attendu que Alain Michel conteste avoir été en relations avec Monsieur Charpentier et soutient que le document a en réalité été établi par Monsieur Jeansolin, responsable régional, à partir d'un document d'information qu'il avait lui-même établi ;

Attendu que les deux documents apparaissent rigoureusement identiques, jusqu'au point posé en bas à droite de l'extrémité du paraphe de la signature de Alain Michel ;

Que les seules différences, ajoutées sur le document :

- l'en-tête SEFI, manifestement photocopiée sur le véritable papier de celle-ci,

- le cachet de la Compagnie Financière Edmond de Rotschild,

- la mention "Directeur Régional" sous le nom Alain Michel.

Attendu qu'il est en conséquence manifeste que le document litigieux a été fabriqué à partir de celui que Alain Michel reconnaît avoir utilisé;

Que ceci ne suffit toutefois pas à démontrer qu'il soit l'auteur du montage;

Attendu, par ailleurs, que seule la contre-signature apposée par Monsieur Charpentier sur une lettre adressée par la SEFI tend à démontrer que Alain Michel aurait été l'utilisateur du document falsifié ;

Que Alain Michel soutient toutefois ne pas avoir été en relations avec Monsieur Charpentier ;

Attendu que l'identité et la signature de Monsieur Charpentier ne sont pas confirmées par une attestation conforme aux dispositions du Code de Procédure Civile et une photocopie de pièce d'identité ;

Que la liste de contrats apportés par Monsieur Michel que verse aux débats la SEFI ne fait apparaître aucun souscripteur du nom de Charpentier ;

Attendu que la SEFI ne démontre donc pas que la fabrication et l'utilisation de la seule pièce établissant l'existence de la faute qu'elle alléguait pour résilier le contrat sans indemnité doive être attribuée à Alain Michel;

Attendu que la lettre de résiliation peut, en outre, être considérée comme faisant implicitement grief à Alain Michel d'avoir utilisé un matériel de documentation non fourni par la SEFI ;

Qu'il ne conteste pas, en effet, avoir été l'auteur d'une note d'information qui a précisément servi de support à la fabrication du document incriminé ;

Attendu que son contrat, dans sa version initiale, prévoyait que tout le matériel d'information et de documentation lui était fourni par la SEFI et qu'il devait solliciter l'accord écrit de celle-ci pour l'utilisation de tout matériel relevant de son initiative ;

Mais attendu que cette disposition n'a pas été reprise dans la dernière version du contrat de mandat signé le 4 janvier 1993 ;

Attendu qu'aucun grief allégué n'est donc établi ;

Attendu, enfin, que la SEFI ne démontre pas que le document intitulé "Les placements "Capital" à versements libres" concerne, en réalité, un autre type d'investissement ;

Que ce reproche n'est, en outre, pas mentionné dans la lettre de résiliation ;

Que Alain Michel est, en conséquence, en droit de prétendre à l'indemnité prévue par la loi, les usages et les dispositions contractuelles ;

- Sur les conséquences de la résiliation :

Attendu que les parties ont conclu au vu du rapport de l'expertise ordonnée par les premiers juges ;

Qu'il y a donc lieu d'évoquer sur les sommes revenant à Alain Michel ;

Arriéré de commissions :

Attendu que Alain Michel sollicite à ce titre la somme de 39.229,85 francs ;

Que la SEFI, après dépôt du rapport d'expertise, n'a pas modifié la demande reconventionnelle qu'elle avait formée devant le Tribunal de Grande Instance, tendant à la restitution d'une somme de 232.414,15 francs perçue indûment par Monsieur Michel à l'occasion de contrats consentis à Madame de Baillencourt et transformés ensuite ;

Attendu que la demande principale tendant au versement d'un arriéré de commission a été admise par l'expert pour une somme arrondie à 39.230 francs et n'est pas sérieusement contesté ;

Que cette somme sera donc allouée à Alain Michel ;

Attendu, sur la demande reconventionnelle, que Alain Michel a fait souscrire à Madame de Baillencourt quatre contrats, dits "Capital 6" à primes périodiques annuelles de 600.000 francs pendant 22 ans ;

Que dès la seconde échéance prévue, ces contrats ont été transformés en contrats à prime unique ;

Que les courriers échangés entre les parties démontrent qu'il n'était ni de l'intention, ni dans les possibilités de Madame de Baillencourt, d'investir une somme annuelle de 600.000 francs pendant 22 ans ;

Attendu que la SEFI est donc bien fondée à réclamer la restitution de la différence entre la prime qu'elle a versée à Alain Michel au titre d'un contrat à primes périodiques et celle à laquelle il aurait pu prétendre au titre d'un contrat à prime unique ;

Attendu que l'expert a évalué cette différence à 283.450 francs ;

Que cette somme constitue un trop perçu dont Alain Michel doit le remboursement ;

Que le solde des sommes dues au titre des commission s'établit donc à :

283.450 francs - 39.230 francs = 244.220 francs en faveur de la SEFI.

Indemnité de résiliation :

Attendu que l'agent commercial a droit, en cas de cessation de ses relations avec le mandant, lorsque la cessation, à l'initiative du mandant, n'est pas provoquée par une faute grave, à une indemnité compensatrice de son préjudice ;

Que les usages en vigueur fixent à deux années de commissions le montant de cette indemnité compensatrice ;

Qu'eu égard à la durée des relations contractuelles, il n'y a pas lieu de déroger à cet usage ;

Attendu que l'expert a calculé le montant de l'indemnité revenant à Alain Michel selon que la demande de restitution de la SEFI était ou non acceptée ;

Attendu qu'il a été démontré que Alain Michel devait restituer un trop perçu sur les commissions encaissées au titre des contrats consentis à Madame de Baillencourt ;

Que son indemnité compensatrice de résiliation doit donc être calculée sur le montant de ses commissions, diminué du trop perçu :

Attendu que l'expert a retenu la seule année 1993 comme année de référence ;

Qu'il apparait, en effet, que les premiers mois de l'année 1994 n'ont généré, du fait du délai de versement et de la cessation en mai des relations contractuelles, presque aucune commission ;

Que l'année 1993 apparait, par contre, eu égard à l'historique du compte retracé par l'expert, comme une année normale ;

Que c'est donc à juste titre que le montant des commissions perçues au cours de l'année 1993 a été retenue comme base par l'expert ;

Attendu que, déduction faite du trop perçu relatif aux contrats Baillencourt, Alain Michel a perçu en 1993 une somme de 423.000 francs ;

Que lui sera, en conséquence, alloué une indemnité de résiliation de :

423.000 francs x 2 = 846.000 francs

- Sur les demandes complémentaires :

Attendu que Alain Michel ne justifie pas du préjudice moral il sollicite des dommages et intérêts complémentaire ;

Attendu que la SEFI, qui est déboutée de son appel principal, ne peut prétendre à l'allocation de dommages et intérêts pour procédure abusive et d'une indemnité sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

Attendu qu'il n'apparait pas équitable que Alain Michel conserve la charge des frais irrépétibles qu'il a du exposer ;

Par ces motifs : Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ; Confirme le jugement entrepris ; Y ajoutant, évoque sur les demandes ; Condamne Alain Michel à rembourser à la SEFI la somme de 244.220 francs au titre du solde sur ses commissions ; Condamne la SEFI à verser à Alain Michel la somme de 846.000 francs à titre d'indemnité de résiliation ; Ordonne la compensation entre ces sommes et dit qu'elles produiront intérêt au taux légal à compter de l'exploit introductif d'instance ; Rejette les demandes de dommages et intérêts complémentaires ; Condamne la SEFI à verser à Alain Michel la somme de 10.000 francs sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ; La condamne aux dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés en priorité au profit de Maître Robert, Avoué, conformément aux dispositions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.