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Décisions

CA Paris, 5e ch. A, 7 octobre 1998, n° 1996-11732

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Equipiel (SA)

Défendeur :

Novotechnik Stiftung & Co Messwertaufnehmer Postfach (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Renard-Payen

Conseillers :

Mmes Jaubert, Percheron

Avoué :

SCP Fisselier-Chiloux-Boulay

Avocats :

Mes Valluis, Gruber, Connor.

T. com. Paris, 12e ch., du 26 mars 1996

26 mars 1996

LA COUR statue sur l'appel de la société Equipiel à l'encontre du jugement rendu le 26 mars 1996 par le tribunal de commerce de Paris qui, dans le litige l'opposant à la société Novotechnik, l'a déboutée de ses demandes et a rejeté la demande reconventionnelle de la société Novotechnik.

La société Equipiel rappelle qu'elle a notamment pour objet le négoce de produits à l'intention de l'industrie aéronautique, qu'elle vend des potentiomètres bobinés et fournit par ailleurs pour l'ensemble de l'industrie française des capteurs de mesure de déplacement fabriqués par la société Novotechnik en Allemagne dont celle-ci lui a consenti depuis 43 ans la concession de représentation et de commercialisation exclusive pour la France.

Elle indique qu'en mai 1993, la représentante légale de la société, a fait l'objet d'une convocation en Allemagne de la part de la société Novotechnik, au cours de laquelle les représentants de cette société l'ont informée verbalement de leur intention de cesser leurs relations commerciales au motif de l'impossibilité pour la société Equipiel de commercialiser un nouveau codeur de marque Semulex du fait de l'absence d'ingénieur en son sein.

Elle ajoute que par lettre du 29 juin 1993, la société Novotechnik lui a notifié son intention de transférer au plus tard dans le courant du second semestre 1994, la distribution et la commercialisation de sa gamme de produits traditionnelle et de sa nouvelle gamme Semulex à une autre société, ce à quoi elle a répondu le 3 juillet suivant que la rupture du mandat d'intérêt commun qui les liait devait entraîner une indemnisation.

Au soutien de son recours, elle prétend :

- que la société Novotechnik a abusé de la dépendance économique d'Equipiel à son égard en rompant des relations entretenues depuis 43 ans sur le marché français de l'équipement de mesure aéronautique ;

- qu'en tout état de cause, en mettant un terme brutal à des relations contractuelles qui se sont nouées avec la société Equipiel en 1950 et qui se sont poursuivies pendant 43 ans, ayant consisté en la concession exclusive de la représentation et de la commercialisation de ses produits sur le territoire français, la société Novotechnik a engagé sa responsabilité en abusant de son droit par les manœuvres auxquelles elle a eu recours et la légèreté blâmable dont elle a fait preuve.

Elle demande à la Cour infirmant le jugement déféré de condamner en tout état de cause, la société Novotechnik à lui payer la somme de 12.696.000 F à titre de dommages et intérêts, assortie des intérêts au taux légal à compter du 23 septembre 1993 ainsi que celle de 10.000 F au titre de ses frais.

La société de droit allemand Novotechnik Stiftung et Co rappelle de son côté qu'elle fabrique notamment des instruments de mesure de haute technicité dont la société Equipiel, qui commercialise différents équipements industriels, assure pour partie la distribution en France, que si les parties ont bien entretenu des relations commerciales depuis 1950, les bouleversements intervenus au sein de son distributeur, notamment le départ de son dirigeant, Monsieur Lefebvre, qui s'est retiré des affaires à partir des années 1980, ont entraîné une dégradation de la distribution de ses produits et une baisse de son chiffre d'affaires, que c'est ainsi qu'au moment où elle s'apprêtait à lancer sur le marché un nouveau potentiomètre nécessitant des connaissances techniques accrues pour sa distribution, elle a été contrainte de mettre fin au contrat qui la liait avec la société Equipiel sous réserve d'un préavis d'un an et la possibilité pour celle-ci de commercialiser certains de ses produits.

Elle fait remarquer, d'une part que la société Equipiel ne rapporte pas la preuve de l'existence d'une quelconque dépendance économique avec la société Novotechnik, ni a fortiori d'un abus de domination, d'autre part qu'il n'y a pas eu de rupture abusive des relations contractuelles intervenue dans les conditions précitées, enfin que la société Equipiel ne rapporte pas la preuve des chiffres d'affaires qu'elle prétend avoir perdus, ni des licenciements de personnel auxquels elle aurait dû procéder.

Elle conclut en conséquence à la confirmation du jugement déféré, au rejet de l'ensemble des demandes de la société Eqiupiel et à l'indemnisation de ses frais.

Sur ce, LA COUR

Considérant qu'il ressort de l'ensemble de correspondances versées aux débats pour certaines en langue allemande ou anglaise partiellement traduites, que la société Equipiel a été depuis 1950, le représentant et le distributeur exclusif pour la France des produits fabriqués par la société Novotechnik ;

Considérant qu'à la suite d'une réunion qui s'est tenue en Allemagne le 16 juin 1993, par courrier du 29 juin suivant, la société Novotechnik a informé son distributeur français de la cessation du contrat entre leurs deux sociétés et de son objectif de transférer au plus tard dans le courant du second semestre 1994, la présentation et la commercialisation de sa gamme de produits traditionnelle ainsi que sa nouvelle gamme Semulex à une autre société ; qu'elle était en outre disposée à continuer à lui fournir en direct sa gamme de potentiomètres bobinés et à lui permettre de continuer livrer à sa clientèle existante ses potentiomètres à piste plastique ;

Considérant qu'il apparaît au vu des documents produits que les parties ont poursuivi leurs relations commerciales suivant de nouvelles modalités (courrier du 30 juin 1994 en anglais non traduit émanant du fournisseur allemand), apparemment sans la remise de 15 % consentie auparavant par la société Novotechnik à son distributeur français ;

Considérant que la société Equipiel qui fondait en première instance son action contre la société allemande sur le caractère abusif de la rupture du mandat d'intérêt commun existant entre les parties et sur le caractère discriminatoire de la suppression du rabais de 15 %, fonde en appel sa demande sur l'exploitation abusive d'un état de dépendance économique constituée par la rupture brutale de relations de plus de 40 ans, qui l'a privée du chiffre d'affaires qu'elle réalisait avec elle ;

Mais considérant de l'appelante ne peut se contenter de prétendre que son état de dépendance économique vis-à-vis de la société Novotechnik est avéré, sans en rapporter la preuve ;

Considérant en premier lieu que l'appelante qui ne donne aucune précision sur la nature de son activité hormis celle relative à la distribution des produits Novotechnik, ce qui constituerait quasiment, selon elle, la totalité de son chiffre d'affaires, n'a cependant produit aucun bilan pour permettre à la Cour de vérifier une telle allégation et d'apprécier d'une part un éventuel état de dépendance économique et, d'autre part l'incidence sur son chiffre d'affaires de la rupture du contrat, étant ici observé que les relations commerciales des parties se sont poursuivies depuis le 30 juin 1994 sous une autre forme ;

Considérant sans qu'il y ait lieu d'admettre l'exploitation d'un abus de dépendance économique dont la preuve n'est, en l'espèce, pas rapportée, que, si la société Novotechnik était en droit de mettre fin au contrat à durée indéterminée en respectant un délai de prévenance, ce qu'elle a fait, cependant, dans la mesure où la rupture ne sanctionne pas un manquement caractérisé de la part de la société Equipiel, mais seulement "un chiffre d'affaires en chute rapide et un manque d'action et de présence sur le marché" et en fait, son désir de changer de partenaire pour un partenaire plus techniquement compétent au moment de sa mise sur le marché d'un produit de haute technicité, la société Novotechnik doit indemniser son distributeur exclusif du préjudice qui lui a été ainsi causé à la suite de la rupture de relations contractuelles ayant duré plus de 40 ans;

Considérant sur l'indemnisation du préjudice de la société Equipiel que le chiffrage extravagant proposé par celle-ci ne peut être retenu faute ici encore par elle de produire ses bilans et de justifier du licenciement de ses employés ; que cependant, l'intimée a versé aux débats un courrier en date du 17 octobre 1994 dans lequel figurent les chiffres d'affaires en deutsch marks réalisés par la société Equipiel sur des produits Novotechnik de 1990 aux 10 premiers mois de l'année 1994, soit en 1990 : 1.232.590 DM, en 1991 : 751.841 DM et en 1992 : 715.584 DM ; que compte tenu des chiffres d'affaires non contestés réalisés par l'appelante en produits Novotechnik les trois années précédant la rupture, la Cour a les éléments pour évaluer l'indemnité qui lui est due à la somme de 600.000 F ;

Considérant que la société Novotechnik qui succombe ne peut prétendre être indemnisée de ses frais irrépétibles, tandis qu'il est équitable d'allouer à ce titre à l'appelante la somme ci-dessous précisée ;

Par ces motifs : Réforme le jugement déféré et statuant à nouveau ; Condamne la société Novotechnik à régler à la société Equipiel la somme de 600.000 F à titre de dommages et intérêts ainsi que celle de 10.000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Déboute les parties du surplus de leurs demandes et condamne l'intimée aux dépens de première instance et d'appel, lesquels pourront être recouvrés directement par SCP Fisselier-Chiloux-Boulay, avoués, dans les conditions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.