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Décisions

CA Paris, 25e ch. A, 30 avril 1998, n° 96-17698

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Auto Sprint (Sté), Courrèges (ès qual.), Banque Nationale de Paris (SA)

Défendeur :

Fiat Auto France (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Briottet

Conseillers :

M. Faucher, Mme Deurbergue

Avoués :

SCP Roblin-Chaix de Lavarenne, SCP Bernabe-Ricard, SCP d'Autrac-Guizard

Avocats :

Mes Michilou, Goussu, Kleiman.

T. com. Paris, 13e ch., du 19 juin 1996

19 juin 1996

Par jugement du 19 juin 1996, le Tribunal de commerce de Paris a :

- débouté Maître Courrèges, ès qualités de mandataire liquidateur de la société Auto Sprint, des demandes qu'il avait formées contre la SA Fiat Auto tendant au payement d'une indemnité provisionnelle de 3.000.000 F pour rupture abusive du contrat de concession qui liait les parties, avec désignation d'un expert aux fins d'évaluation définitive, ainsi qu'à la décharge de la caution personnelle, à savoir la Banque BNP, et a condamné Maître Courrèges ès qualités à payer à la SA Fiat Auto 20.000 F de frais irrépétibles ;

- débouté la SA Fiat Auto de la demande qu'elle avait formée contre la Banque BNP, en déniant à l'obligation souscrite le caractère d'engagement à première demande et en observant que l'acte qui s'analysait en un véritable cautionnement ne s'appliquait pas aux créances postérieures à la fusion de la société créancière, la SA Alfa Romeo devenue Fiat Auto, et a condamné la SA Fiat Auto à payer à la Banque BNP 5.000 F de frais irrépétibles.

Maître Courrèges a interjeté appel, réitérant purement et simplement ses demandes initiales, sauf à solliciter une élévation des frais irrépétibles chiffrés à 80.000 F. Il soutient que la SA Fiat Auto est à l'origine de la rupture, alors que sa restructuration a déstabilisé l'entreprise, qu'elle s'est opposée aux solutions de diversifications ou de cession qui lui étaient proposées et a finalement invoqué un motif sans fondement déterminant, à savoir les difficultés financières du concessionnaire. Il relève qu'à partir de 1990 la SA Fiat enregistrait elle-même de très mauvais résultats financiers, avait réduit la distribution de ses différentes marques en France (Alfa-Romeo-Lancia), avec pour conséquence la réduction des moyens offerts au concessionnaire, spécifiquement - la baisse de la rémunération, la suppression de la prime d'exclusivité, la compression des divers réseaux. Il proteste de la déloyauté de la SA Fiat Auto qui avait dissimulé la situation et la portée gravissime de pareil comportement qui compromettait la survie de l'entreprise, joint aux entraves mises à tout relèvement de cette dernière.

La SA Fiat Auto objecte que l'appelant tente de déplacer le débat en exposant une situation dépassée, puisque aussi bien, une première résiliation était intervenue en décembre 1990 pour impayés, sans la moindre réserve, et qu'un nouveau contrat avait été souscrit le 6 mai 1991, objet de la présente résiliation, également pour impayés, et effectuée en vertu des prévisions expresses de la convention, ce, pour des sommes considérables. Elle souligne que la société Auto Sprint souffrait en réalité d'une mauvaise gestion qui lui était propre et d'un manque d'adaptation aux fluctuations générales du marché. Elle note aussi que, par la souscription d'un nouveau contrat, elle donnait une chance au concessionnaire de se reprendre et qu'un effort particulier lui avait été consenti (retrait du département des Hautes Pyrénées, objectif de vente réalisé à la baisse, après de nombreuses acceptations de différé de payement en 1989, 1990, 1991). Elle remarque encore que, si un 3e contrat avait été signé en janvier 1992, l'ensemble des clauses du précédent s'y retrouvaient, l'acte n'ayant pour but que de régulariser les relations des parties après la fusion des firmes Fiat et Alfa Romeo, alors que la société Auto Sprint, concessionnaire de longue date n'ignorait rien des difficultés structurelles de son concédant et avait, un an plutôt, reçu une information précontractuelle complète. Elle conteste s'être opposée à la cession et à la représentation d'une seconde marque (Hyundai) et relève l'absence de preuve à cet égard. Pour ce qui est de l'engagement de la Banque BNP, qu'elle tient comme mal apprécié par les premiers Juges et portant sujet à appel incident de sa part, elle précise que, souscrit au profit de la société Alfa Romeo, cet engagement s'est étendu à la société Fiat du fait de la fusion absorption. Elle maintient que le dit acte n'est pas un cautionnement en dépit de son libellé, mais bien un engagement à première demande qui n'est pas subordonné à la preuve d'une défaillance du débiteur principal. Elle observe aussi que le créancier est la société absorbée et que par application du principe de la transmission universelle du patrimoine, la société absorbante a recueilli cette créance, s'agissant d'un engagement déterminé. A titre subsidiaire, elle dénie l'existence d'un préjudice établi et, en toute hypothèse, requiert la compensation. Enfin, estimant le recours injuste, elle conclut à l'octroi de 100.000 F de frais irrépétibles à la charge solidaire de Maître Courrèges ès qualités et de la Banque BNP ;

La Banque BNP maintient que son engagement est un cautionnement, en raison essentiellement de son caractère accessoire au contrat de vente intervenu entre la firme Alfa Romeo et la société Auto Sprint, résultant essentiellement de la stipulation expresse prise par la firme Alfa Romeo d'avertir la banque de la défaillance éventuelle de la société Auto Sprint, par un écrit de rigueur (lettre recommandée). Elle ajoute qu'il y a une contradiction dans les termes employés et que le recours au droit commun du cautionnement s'impose. Quant à la fusion-absorption opérée le 1er janvier 1992, elle estime qu'elle a entraîné la disparition de la personne morale bénéficiaire de l'engagement et que la société absorbante ne peut se prévaloir que des créances nées antérieurement, sauf manifestation contraire de volonté, et insiste sur le fait que le décompte assortissant la créance déclarée correspond à des factures émises entre le 1er juin et le 31 décembre 1992, soit postérieurement. Elle conclut donc au débouté de l'appel incident et à l'octroi de 100.000 F de frais irrépétibles ;

Par d'ultimes écritures Maître Courrèges, avec insistance, reprend et développe son argumentation initiale ;

La SA Fiat Auto indique à toutes fins que la Banque BNP a continué à percevoir une rémunération après la fusion et n'a pas non plus dénoncé sa garantie ;

La Banque BNP répond que la rémunération n'est pas prouvée et que la non-dénonciation du contrat n'est pas une manifestation expresse de volonté ;

Sur quoi,

Quant à la rupture abusive :

Considérant qu'il ressort des éléments du débat : qu'il y avait au moment de la rupture, le 20 novembre 1992, un retard persistant dans les payements de la part du concessionnaire, retard qui allait en s'aggravant; qu'aussi bien une première résiliation était intervenue en décembre 1990, pour cette raison, après deux années de difficultés, tandis que le 14 mai 1991 la Banque BNP acceptait de la garantir ; qu'au cours de l'année 1992 la dégradation des rapports entre parties s'était encore accusée, nonobstant des aménagements et l'établissement de deux nouveaux contrats successifs ; que le 9 décembre 1992 une procédure de redressement judiciaire était ouverte à son encontre, le montant de la créance du concédant étant alors de 2.506.657,52 F (ultérieurement admise pour 2.534.957,04 F);

Qu'il apparaît que le concédant a marqué une réelle patience à l'égard de la société Auto Sprint qui était son concessionnaire depuis une vingtaine d'années, éprouvé lui aussi par la dépression du marché, que c'est ainsi vainement que la brusque rupture est invoquée, que pas davantage n'est sérieusement démontré, voire allégué son caractère injustifié; qu'en effet il est singulier que le mandataire liquidateur ne produise pas le rapport d'enquête diligentée lors de l'ouverture de la procédure collective qui aurait permis d'éclaircir en sa genèse la déconfiture de la société Auto Sprint et que, de plus, la créance ait été admise en son intégralité ; que la déloyauté prétendue de la SA Fiat Auto n'est en rien caractérisée, ni prouvé un lien de causalité directe entre les agissements de cette dernière, contrainte, hors son fait exclusif, à la compression de ses coûts et réseaux, et les difficultés financières de la société Auto Sprint;

Qu'il suit que la rupture ne procède pas d'un abus;

Quant à la garantie de la Banque BNP

Considérant qu'il est de la nature d'une garantie à première demande d'être indépendante de tout contrat commercial au moment de sa souscription, et qu'elle se réduit à un simple cautionnement seulement " en l'absence de tout terme exprimant l'Autonomie de l'engagement bancaire " ;

Qu'en l'espèce l'art. 3 de l'acte d'engagement de la Banque stipule expressément : " la Banque s'engage à verser à Alfa Romeo... à première demande... l'intégralité des sommes dues, à concurrence d'un montant maximum de 1.000.000 F, et ce quelle que soit la situation de la société Auto Sprint " ;

Qu'il reste que l'acte comporte une contradiction notable en ses art. 1 et 2 puisque référence est faite à une garantie du payement des voitures et pièces de rechange fournie par la société Alfa Romeo à la société Auto Sprint et qu'il est dit, qu'en cas de non-payement, la société Alfa Romeo informerait la Banque par lettre recommandée du montant des sommes qui lui sont dues par la société Auto Sprint ;

Que, sans doute, il faut bien mettre en jeu la garantie et l'inexécution du contrat est sous-jacente ;

Que néanmoins, le rédacteur de l'acte qui n'était autre que la Banque, professionnel spécialement averti de ces notions juridiques, manifeste de manière réitérée une intention de simple cautionnement, illustrée par la mention manuscrite apposée et signée en fin d'acte par son dirigeant responsable ;

Qu'ainsi, l'acte doit s'analyser en un cautionnement ;

Considérant, par ailleurs, qu'il est de principe, qu'en cas de fusion de sociétés donnant lieu à la formation d'une personne morale nouvelle, l'obligation de la caution qui s'était engagée envers l'une des sociétés fusionnées n'est maintenue, pour la garantie des dettes postérieures à la fusion, que dans le cas d'une manifestation expresse de la caution de s'engager envers la nouvelle personne morale ;

Qu'en l'espèce, il est vérifié que les créances pour lesquelles la garantie de la Banque est requise sont nées postérieurement à l'acte de fusion, en date du 1er janvier 1992 ; qu'en effet, le récapitulatif des relevés de compte arrêté au 2 février 1993 fait apparaître que ne sont concernées en véhicules neufs et pièces de rechange, des factures échelonnées durant l'année 1992, mais partant pour les premières de juin 1992, donc postérieures de 5 mois à la fusion ;

Qu'en outre, il n'existe aucune manifestation expresse de la Banque de s'engager à l'égard des sociétés fusionnées ;

Que, dès lors, le cautionnement de la Banque BNP s'est trouvé éteint ;

Considérant que l'équité justifie l'octroi de frais irrépétibles d'appel évalués à 15.000 F pour la Banque BNP, mis à la charge de la société Fiat Auto ;

Par ces motifs : Contradictoirement, Confirme le jugement entrepris ; Condamne la société Fiat Auto à payer à la Banque BNP 15.000 F de frais irrépétibles d'appel ; Condamne Maître Courrèges, ès qualités, et la société Fiat Auto aux dépens, chacun d'eux pour moitié ; Admet les avoués concernés au bénéfice de l'article 699 du NCPC.