Cass. com., 10 juillet 2001, n° 98-16.202
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
Spontex (SNC)
Défendeur :
Le Nigen (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Dumas
Rapporteur :
Mme Tric
Avocat général :
M. Feuillard
Avocats :
SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, SCP Delaporte, Briard.
LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt déféré (Paris, 30 avril 1998), que, par contrat du 27 septembre 1993, renouvelable par tacite reconduction, la société NLN, devenue Le Nigen Industries, a concédé à la société en nom collectif Spontex (la société Spontex) la distribution exclusive des produits de sa gamme "l'Arbre Vert" pour la période du 1er janvier 1994 au 31 décembre 1996 ; que dès le premier trimestre, les résultats ont été très inférieurs aux objectifs fixés ; que, le 26 mai 1994, la société Spontex a demandé à la société NLN de redéfinir sur des bases saines et vérifiables par les deux parties les données de l'accord ; que la société NLN a répondu en la mettant en demeure de respecter les objectifs fixés, puis le 20 octobre 1994, a constaté la résiliation du contrat aux torts de la société Spontex et lui a réclamé l'indemnité contractuelle de fin de contrat ; que la société Spontex l'a assignée en remboursement du stock de produits finis constitué, en annulation du contrat pour dol ou subsidiairement en résiliation à ses torts ainsi qu'en paiement de dommages-intérêts ; que la société NLN l'a assignée à son tour en paiement de l'indemnité contractuelle de fin de contrat et de dommages-intérêts ;
Sur le premier moyen, pris en ses trois branches : - Attendu que la société Spontex reproche à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande d'annulation pour dol du contrat de distribution, alors, selon le moyen : 1°) que la société Spontex critiquait la sincérité, non des projections auxquelles la société NLN s'était livrée quant au volume de ses ventes du dernier trimestre 1993, et en conséquence de l'ensemble de l'année 1993, mais des résultats des trois premiers trimestres qu'elle avait déclarés le 14 septembre 1993, et sur la base desquels la société Spontex s'était engagée par contrat du 27 septembre 1993, d'autant plus mensongers qu'ils s'étaient révélés supérieurs au volume des ventes constaté sur l'ensemble de l'année ; que le motif déduit du caractère aléatoire des dites projections est inopérant à l'égard de ces résultats, de sorte que la cour d'appel n'a pas recherché, comme elle y était invitée, si les chiffres déclarés par la société NLN pour les trois premiers trimestres ne révélaient pas un mensonge caractérisé de sa part, dans l'intention de tromper la société Spontex, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1116 du Code civil ; 2°) que la société Spontex faisait également valoir à l'appui de ses écritures d'appel que la société NLN avait menti sur les parts de marché-détenteurs figurant au "booklet" qu'elle lui avait remis et démontrait que, pour écarter ce grief, les premiers juges avaient confondu parts de marché nationales et parts de marché-détenteurs ; que la cour d'appel qui n'a pas répondu à ce moyen a entaché sa décision de défaut de réponse à conclusions et privé sa décision de base légale en violation de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; 3°) que la cour d'appel, qui a réduit le dit "booklet", tel que figurant en annexe à l'étude de M Marque, à une simple énumération des produits distribués par la société NLN et en a déduit que rien ne permettait de le qualifier d'inexact, tandis que celui-ci comportait également l' énoncé des parts de marché-détenteurs pour chacun de ses produits, a ainsi dénaturé les termes clairs et précis de ce document et violé l'article 134 du Code civil ;
Mais attendu que l'arrêt relève qu'il résulte des faits et des correspondances produites que les deux sociétés ont conclu le contrat de distribution dans l'euphorie d'un développement prometteur du marché des produits écologiques et ont gravement surestimé la synergie des produits et la puissance de la "force de vente" de la société Spontex, laquelle peut sans doute prétendre qu'elle aurait réduit son engagement de résultat si elle n'avait pas pris les chiffres fournis pour le montant des ventes réalisées mais ne se serait pas moins engagée dans la diversification qu'elle a entreprise; que par ces seuls motifs, desquels il résulte que l'erreur commise n'a pas été déterminante du consentement, la cour d'appel a légalement justifié sa décision; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Et sur le deuxième moyen, pris en ses deux branches : - Attendu que la société Spontex reproche encore à l'arrêt d'avoir prononcé la résiliation du contrat de distribution à ses torts et de l'avoir condamnée à payer à la société NLN la somme de 12 000 000 francs à titre de dommages-intérêts, englobant l'indemnité contractuelle, ainsi que la somme de 60 000 francs au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, alors, selon le moyen : 1°) que pour établir que la société Spontex n'avait pas satisfait aux objectifs contractuels, nonobstant le fait que la société NLN, malgré l'obligation pesant sur elle, n'ait pas renégocié ceux-ci, la cour d'appel ne pouvait se fonder sur les résultats éventuels de cette renégociation, sans statuer par-là même par un motif hypothétique et priver sa décision de base légale au regard de l'article 1184 du Code civil ; 2°) que la charge de la preuve du manquement d'un cocontractant à ses obligations incombe à celui qui s'en prévaut ; que la cour d'appel ne pouvait reprocher à la société Spontex de ne pas apporter la preuve de ses efforts commerciaux tandis qu'il incombait à la société NLN de rapporter la preuve de ce que la société Spontex avait manqué à son obligation de diligence ; que la cour d'appel a ainsi inversé la charge de la preuve et violé l'article 1315 du Code civil ;
Mais attendu que l'arrêt relève que la société Spontex s'est engagée à réaliser un chiffre d'affaires de 80 000 000 francs en 1994 tandis qu'elle n'avait vendu au 13 mai 1994 que pour 11 229 001 de produits avec sa force de vente cinq fois plus étoffée que celle de la société NLN qui avait réalisé 14 171 000 francs en 1993 et retient que la société NLN justifie de la perte de référencements dans plus d'une centaine d'hypermarchés et de doléances de clients ne trouvant plus les produits en magasin; qu'ainsi, sans inverser la charge de la preuve et abstraction faite du motif surabondant critiqué par la première branche, la cour d'appel a légalement justifié sa décision; que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le troisième moyen : - Vu l'article 1152 du Code civil ; - Attendu que pour condamner la société Spontex à payer la somme de 12 000 000 francs à titre de dommages-intérêts, englobant l'indemnité contractuelle, l'arrêt énonce que le caractère de clause pénale de l'indemnité contractuelle implique qu'elle peut être révisée à la hausse dès lors que le dommage qui en justifie le paiement excède son montant ;
Attendu qu'en statuant ainsi, alors, que le juge ne peut augmenter la peine convenue que si celle-ci est manifestement dérisoire, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
Par ces motifs : casse et annule, mais seulement en ce qu'il a condamné la société Spontex à payer à la société NLN la somme de 12 000 000 francs à titre de dommages-intérêts, l'arrêt rendu le 30 avril 1998, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles.