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Décisions

CA Paris, 25e ch. B, 27 mars 1998, n° 96-03622

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Benhamou

Défendeur :

Coultronics France (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Pinot

Conseillers :

M. Cailliau, Mme Maestracci

Avoués :

Me Hanine, SCP Fisselier-Chiloux-Boulay

Avocats :

Mes Grignon Dumoulin, Clatz.

T. com. Bobigny, 7e ch., du 15 déc. 1995

15 décembre 1995

LA COUR statue sur l'appel relevé par M. Ali Benhamou du jugement du tribunal de commerce de Bobigny, 7ème chambre, qui a déclaré partiellement fondée sa demande dirigée contre la société Coultronics France, ci-après Coultronics, et a condamné cette dernière à lui payer la somme de 164 908,25 F à titre de commissions dans les trente jours de la signification de l'arrêt et celle de 86 958,25 F au plus tard le 3 mars 1996 sans majoration d'intérêts.

Il convient de se reporter aux énonciations des premiers juges pour l'exposé des faits, des prétentions et des moyens des parties en première instance, et de rappeler les éléments essentiels suivants.

Employé salarié depuis 1979, en qualité de technicien service clients export, de la société Coultronics, spécialisée dans la fabrication et la vente de matériels d'analyse médicale, M. Benhamou a obtenu la suspension de son contrat de travail le 31 mars 1992, pour cause de congé sabbatique pendant un an, puis pour création d'entreprise pour les deux années suivantes.

Cette suspension de contrat a permis, en fait, la conclusion par les parties d'un contrat d'agence commerciale à durée déterminée de onze mois, intitulé contrat international de mandatement, renouvelé deux fois par avenants pour une durée de douze mois à chaque reprise, le 2 mars 1993 et le 2 mars 1994. La société Coultronics lui confiait ainsi l'exclusivité de sa représentation sur le territoire algérien.

Après avoir interrogé la société Coultronics, par lettre du 17 novembre 1994, sur ses perspectives de réintégration en qualité de salarié de l'entreprise, M. Benhamou informait son mandant, le 26 février 1995, qu'il continuait l'exécution de son mandat dans le cadre du contrat d'agence du 31 mars 1992.

La société Coultronics a engagé alors, le 8 mars 1995, une procédure de licenciement pour motif économique à l'encontre de M. Benhamou, qui est devenue effective le 8 juin l995.

M. Benhamou a pris l'initiative de la procédure en poursuivant la société Coultronics en paiement d'indemnités de rupture et de préavis, liées à la rupture abusive du contrat d'agence commerciale par la société Coultronics, outre le paiement des commissions acquises, mais non réglées, ou à percevoir. Il a revendiqué l'application de l'article 11 de la loi du 25 juin 1991, estimant que le contrat à durée déterminée, renouvelé à deux reprises à l'expiration de son terme, était devenu en conséquence un contrat à durée indéterminée et que le principe de l'indemnisation était acquis depuis la Loi de 1991 quelle que soit la durée du contrat. Il réclamait ainsi au titre de l'indemnité de rupture la somme de 1 769 348 F et, au titre de l'indemnité de préavis, celle de 221 168 F, outre 327 288 F de commissions.

La société Coultronics s'est opposée à ces demandes en relevant que M. Benhamou lui avait indiqué clairement, par lettre du 17 novembre 1994, qu'il entendait cesser son activité; que sa réintégration dans l'entreprise est intervenue à la suite de cette décision, suivie de son licenciement pour motif économique.

Les premiers juges, par le jugement déféré, après avoir relevé que les contrats successifs, renouvelés par avenants à l'expiration de chaque terme, n'avaient pas eu pour effet de transformer le contrat initial en contrat à durée indéterminée, ont souligné que les parties n'avaient pas manifesté leur intention de mettre un terme au contrat d'agence commerciale avant son expiration, le 3 avril 1995, qui est donc venu à échéance à cette date. Ils ont rappelé qu'aucune indemnité n'était due, ni par l'effet de la loi du 25 juin 1991 ni par l'effet du contrat, lorsque le contrat à durée déterminée touchait à son terme.

Appelant, M. Ali Benhamou conclut à l'infirmation du jugement, reprend ses demandes initiales et sollicite la confirmation du jugement en ce qui concerne les commissions impayées qui lui restent dues. Il demande en outre la condamnation de la société Coultronics à lui payer la somme de 20 000 F en application de l'article 700 du NCPC.

Il fait valoir principalement que :

- l'initiative de la rupture du contrat d'agence ne peut lui être reprochée, puisqu'il a continué à exécuter ses obligations jusqu'à la fin du mois de mars 1995,

- il était convenu qu'à l'expiration du contrat d'agence commerciale il reprendrait son contrat de travail, alors que la société Coultronics lui a notifié le 21 mars la fin de son contrat d'agence après avoir déclenché la procédure de licenciement à son égard,

Intimée et appelante incidemment, la société Coultronics France sollicite la confirmation du jugement en ce qu'il a débouté l'appelant de ses demandes d'indemnités de préavis et de rupture. Elle demande en outre que M. Benhamou soit débouté de ses demandes formulées au titre des commissions, celles-ci étant non dues ou déjà réglées, ainsi que sa condamnation à lui payer la somme de 25 000 F en application de l'article 700 du NCPC.

Elle expose en substance que :

- M. Benhamou ne s'est pas vu imposer de congé sabbatique ou autre pour permettre à l'intimée de faire l'économie des frais de licenciement, mais cette formule a été retenue d'un commun accord par les parties pour préserver les droits de M. Benhamou pendant qu'il créait son activité sur le territoire algérien,

- par sa lettre RAR du 17 novembre 1994, M. Benhamou exprimait sans ambiguïté son intention de mettre fin à son activité et son souhait de reprendre son activité salariée à compter du 3 mars 1995, ce qui a déterminé la société intimée à rechercher en Algérie une société susceptible de remplacer l'appelant et à engager à l'encontre de ce dernier la procédure de licenciement économique, dès le 27 février 1995,

- la cessation du contrat d'agence résulte de la volonté de l'agent lui-même, exprimée dès le 13 janvier 1994, puis le 17 novembre 1994, ce qui exclut, par application de l'article 13 b/ de la loi du 25 juin 1991, le principe d'une indemnisation,

- la démarche tardive de l'appelant tendant à obtenir le maintien de son contrat d'agence, exprimée dans sa lettre du 28 février 1995, ne pouvait contraindre l'intimée à renouveler un contrat à durée déterminée qui venait à expiration le 3 mars 1995,

- l'initiative prise par M. Benhamou le prive de ses droits à indemnité de préavis et de rupture,

- l'intégralité des commissions dues à M. Benhamou lui ont été payées, au fur et à mesure de l'exécution du contrat, et postérieurement à son expiration, ayant versé en août 1995 la somme de 174 926,83 F et le 17 octobre 1995 la somme de 79 113,14 F, les commissions retenues par les premiers juges n'étant pas dues par l'intimée,

subsidiairement,

- l'indemnité de rupture évaluée par l'appelant à la somme de 1 769 348 F, correspondant à la moyenne sur 24 mois des commissions perçues pendant les trente six mois de durée du contrat d'agence, doit être réduite pour tenir compte de l'absence de création de clientèle par M. Benhamou en Algérie et du mode de calcul des rémunérations proposé par l'appelant,

Par conclusions en réplique, signifiées le 18 décembre 1997, M. Benhamou développe ses premières écritures, sollicite qu'il soit donné acte à la société Coultronics de ce qu'elle lui a versé la somme de 173 916,60 F au titre des commissions, le 16 janvier 1997. Il demande la condamnation de la société Coultronics à lui payer la somme de 61 853 F correspondant à des commissions restant dues.

Il rappelle que la société Coultronics lui avait promis "sa réintégration en tant que salarié dès que sa situation le permettrait" et que, pour cette raison, son contrat de travail avait été simplement suspendu, pour la durée du contrat d'agence commerciale.

Il estime que ses courriers du 13 janvier et du 17 novembre 1994 ne peuvent s'interpréter comme des lettres de démission, mais s'inscrivent dans l'économie du contrat d'agence selon laquelle la société Coultronics devait le réintégrer comme salarié à l'expiration de la convention. La société Coultronics ne démontre pas, selon l'appelant, que celui-ci aurait pris l'initiative de la rupture du contrat d'agence.

L'indemnité de rupture et de préavis lui sont dues, d'autant plus que la société Coultronics n'a dénoncé le non-renouvellement du contrat d'agence que le 21 mars 1995 soit postérieurement à sa date d'échéance, justifiant ainsi la transformation du contrat à durée déterminée en un contrat à durée indéterminée.

La société Coultronics réplique en soulignant que, par sa lettre du 7 novembre 1994, M. Benhamou, qui avait épuisé la durée maximum légale des congés pouvant lui être accordés, devait exprimer l'option que lui imposait l'article 122-32-16 du code du travail, par une demande de réintégration dans des fonctions salariées. Cette option irrévocable, formulée par l'appelant, ne faisait pas mention de la poursuite de son activité d'agent commercial.

La société Coultronics a refusé de prendre en compte l'ultime volte-face de M. Benhamou, par lettre du 28 février 1995, selon laquelle, prenant note de l'impossibilité de sa réintégration, il informait son mandant de la poursuite de son contrat d'agence commerciale du 31 mars 1992.

Elle souligne que l'initiative de la résiliation doit être attribuée à l'appelant, qui de ce fait n'a aucun droit à indemnité de rupture ni de préavis.

En ce qui concerne les commissions restant en litige, elle admet devoir les sommes de 666,90 F (SIE) , 21 700 F (IL AIPSO T 890) et, subsidiairement, le matériel n'ayant été installé que le 18 avril 1995, 9 300 F (IL AIPSO BG3).

Par conclusions déposées la veille de la clôture de la procédure, M. Benhamou développe son argumentation et souligne que son contrat de travail n'a été suspendu que pour être poursuivi après l'expiration du contrat d'agence, et non dans la perspective de différer un licenciement.

Sur quoi, LA COUR,

Considérant que s'il est constant que l'agent commercial, au terme de son contrat à durée déterminée, dispose d'un droit à indemnité compensatrice du préjudice subi, il demeure que cette règle, posée par l'article 12 de la loi du 25 juin 1991, connaît des exceptions, lorsque la cessation du contrat est provoquée par la faute grave de l'agent commercial ou résulte de son initiative ;

Considérant que les circonstances dans lesquelles a été conclu le contrat d'agent commercial, le 31 mars 1992, ont donné lieu à des interprétations tendancieuses de la part de l'appelant, notamment sur les intentions réelles de la société Coultronics, quant à la justification du congé sabbatique, alors que le maintien d'un lien juridique avec l'ancien employeur de l'appelant, par le biais d'une suspension du contrat de travail, ne présentait d'intérêt que pour l'ancien salarié devenu agent commercial ;

Que le congé sabbatique ou pour création d'entreprise ouvrait droit en effet à réintégration, dans un certain délai, si la situation de l'entreprise le permettait, et réservait en tous cas les droits du salarié concerné à recouvrer une protection sociale et, le cas échéant, des allocations de chômage dans l'éventualité d'un licenciement ;

Considérant qu'ii ne peut être soutenu, comme tente de le faire l'appelant, que cette situation lui a été imposée, alors qu'il ne démontre pas quel aurait pu être l'intérêt de la société Coultronics de procéder ainsi et qu'il ne produit aucun élément de preuve au soutien de cette allégation ;

Considérant que le choix exprimé par M. Benhamou de réintégrer l'entreprise, par lettres du 13 janvier 1994, puis du 17 novembre 1994, ne contenait aucune ambiguïté ;

Qu'il était mentionné, en effet, dans ces lettres, aux formulations identiques, que l'expiration du congé pour création d'entreprise le 3 mars 1994, puis le 3 mars 1995, impliquait une reprise de l'activité salariée ;

Considérant que l'option prise par M. Benhamou était dépourvue de toute équivoque; que si elle a pu être repoussée d'une année, il était impératif de la réaliser en 1995, sauf à perdre le bénéfice de la réintégration, dans la mesure où le congé pour création d'entreprise ne pouvait plus être renouvelé ;

Considérant que l'initiative de la cessation du contrat d'agent commercial ne peut être attribuée qu'à M. Benhamou, lequel, à la suite du licenciement qui lui a été notifié régulièrement, a perçu les indemnités auxquelles il pouvait prétendre tout en étant dispensé d'accomplir son préavis ;

Considérant que, dans ces conditions, aucune indemnité de rupture ou de préavis ne lui est due au titre du contrat d'agence qu'il a lui-même fait cesser de manière certaine le 17 novembre 1994, conformément aux dispositions de l'article 13 de la loi du 25 juin 1991 ;

Considérant que, en ce qui concerne le solde des commissions qui restent dues à l'appelant, la Cour réformera le jugement et, disposant d'éléments suffisants d'appréciation condamnera la société Coultronics à lui payer la somme de 22 366.90 F avec intérêts au taux légal à compter du jugement entrepris ;

Considérant qu'aucune circonstance d'équité ne justifie qu'il soit fait application des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

Par ces motifs : Confirme le jugement en ce qu'il a déclaré partiellement fondée la demande de M. Ali Benhamou au titre des commissions lui restant dues ; Le réformant sur le montant desdites commissions ; Condamne la société Coultronics France à payer à M. Ali Benhamou la somme de 22 366,90 F avec intérêts au taux légal à compter du jugement ; Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ; Condamne la société Coultronics aux dépens d'appel et Admet Me Hanine, avoué, au bénéfice de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.