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Décisions

CA Bordeaux, 1re ch. A, 26 mai 1997, n° 95001324

BORDEAUX

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Association Les Amis de la Fondation Wallerstein

Défendeur :

Du Plessis de Grenadan, Association AGAR, Association des Amis de L'Aérium d'Ares, Association La Croix Rouge Française, Association Populaire d'Entraide Familiale d'Issy-Plaine

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Présidents :

MM. Bizot, Broquière

Conseiller :

M. Septe

Avoués :

SCP Fonrouge-Barennes, Gautier, SCP Labory-Moussie, Andouard, SCP Boyreau

Avocats :

Mes Chambolle, Ambry, Bessard du Parc, Touzet, Chardin, Baudelot

TGI Bordeaux, du 16 janv. 1995

16 janvier 1995

Faits - Procédure - Prétentions des parties

1. Les époux Wallerstein ont créé en 1895 la fondation Wallerstein qui a été reconnue d'utilité publique en 1904 ; ils ont fait apport à la fondation d'un domaine dont ils étaient propriétaires à Ares, sur lequel ils ont fait construire une maison de santé et un aérium préventorium pour enfants tuberculeux ou déficients.

Après le décès de son mari en 1905, Mme Wallerstein a consacré son activité et sa fortune à la fondation dont elle était présidente. Le 8 juin 1942, le conseil d'administration de la fondation a décidé de dissoudre la fondation et d'attribuer les biens de la fondation à la Croix Rouge, pour éviter des mesures de confiscation.

Mme Wallerstein est décédée le 31 décembre 1947 après avoir établi un testament par lequel elle instituait la Croix Rouge légataire universelle.

Pour assurer la gestion de l'œuvre de la testatrice, la Croix Rouge a, le 19 avril 1949, passé une convention avec M. Weiller, petit neveu de Mme Wallerstein chargé de créer une association à cette fin. Les locaux d'Ares lui ont été donnés à bail moyennant le paiement d'un loyer annuel de 300 000 F et l'obligation d'assurer toutes les réparations. Deux avenants ont été signés les 19 juin 1962 et 27 juillet 1973, par lesquels la convention a été reconduite pour une durée de 35 ans, renouvelable par périodes de 9 ans, à charge pour le locataire d'affecter les biens à l'exploitation des établissements, de payer un loyer annuel de 3 000 F et de réaliser tous les travaux nécessaires.

Par ailleurs, la Croix Rouge a donné à bail à construction à l'association les parcelles de terrain formant le surplus de la propriété pour une durée de 35 ans, les constructions édifiées devenant propriété de la Croix Rouge à l'expiration du bail.

Jusqu'en 1971, l'aérium, dont la vocation était de recevoir des enfants fragiles, a fonctionné conformément aux voeux de la fondatrice. A partir de 1971, l'association AFW a cessé d'entretenir l'Aérium et ne l'a utilisé que pendant les périodes de vacances avant sa fermeture en 1981. A la fin de 1986, M. Weiller, président de l'association AFW a permis au Père Du Plessis d'engager la restauration de l'aérium. Les travaux ont commencé pendant les vacances de Pâques 1987, avec l'aide de bénévoles membres de l'APEFIP et se sont poursuivis en 1987, 1988 et 1989. Cette mission a été officialisée par lettre de l'association AFW du 20 décembre 1988 par laquelle le père Du Plessis a été désigné en qualité de "directeur de projet" pour la restauration de l'aérium, afin de pouvoir ensuite l'utiliser.

Le mandat du Père Du Plessis a été révoqué par lettre du 20 novembre 1989.

L'expulsion du Père Du Plessis a été ordonnée en référé par décision du 29 août 1990. Par décision du même jour, une expertise était confiée à M. Sabron pour décrire et chiffrer les travaux exécutés.

La demande de la Croix Rouge d'être autorisée à continuer les travaux a été refusée le 9 juillet 1990 et cette décision a été confirmée par la Cour d'appel de céans le 27 octobre 1990.

Par actes des 27 et 31 août, 1er et 17 septembre 1992, le père François Du Plessis De Grenadan a assigné l'association des amis de la Fondation Wallerstein (l'AFW), l'association Croix Rouge Française, l'Association Populaire d'Entraide Familiale d'Issy-Plaine (l'APEFIP), l'association AGAR (Association pour la gestion de l'Aérium et l'Association des Amis de l'Aérium d'Ares (l'AAAA) en paiement solidaire du prix des travaux exécutés (1 031 282,60 F somme ramenée à 750 100 F ultérieurement) et en réparation de son préjudice moral (100 000 F), fondant son action sur la rupture abusive d'un mandat d'intérêt commun ; il a réclamé subsidiairement les mêmes sommes à la Croix Rouge sur le fondement de l'enrichissement sans cause.

La Croix Rouge Française a dénié l'existence d'un mandat d'intérêt commun et l'existence d'un enrichissement sans cause.

L'AFW a dénié l'intérêt à agir du demandeur en paiement de travaux qu'il n'a ni exécuté lui-même ni financé, a dénié l'existence d'un mandat d'intérêt commun, et a subsidiairement invoqué la légitimité de la révocation d'un tel mandat à raison des fautes du mandataire.

L'APEFIP a réclamé une indemnité de 750 000 F à l'AFW et à la Croix Rouge Française en dédommagement des frais et du temps qu'elle a consacré aux travaux de rénovation en 1987 et 1988.

L'AGAR a réclamé à l'AFW et à la Croix Rouge Française une indemnité de 100 000 F et le remboursement d'une facture de 21 862,25 F à raison de la disparition de ses matériels et pour réparer son préjudice moral. L'AAAA a réclamé à l'AFW et à la Croix Rouge Française à titre principal 1 franc de dommages-intérêts et à titre subsidiaire le remboursement d'une facture de 12 575,86 F au titre de sa participation aux travaux.

2 - Par jugement contradictoire du 16 janvier 1995, le Tribunal de grande instance de Bordeaux a déclaré l'action de François Du Plessis De Grenadan partiellement recevable ; a mis hors de cause la Croix Rouge Française; a dit que l'AFW a révoqué abusivement le mandat d'intérêt commun confié au père Du Plessis ; a condamné l'AFW à rembourser au père Du Plessis la somme de 159 171,89 F et à lui payer en outre une indemnité de 300 000 F ainsi que la somme de 10 000 F en application de l'article 700 du Code de procédure civile ; a condamné l'AFW à payer à l'APEFIP une indemnité de 150 000 F et la somme de 5 000 F (frais irrépétibles), à l'AGAR une indemnité de 71 862,25 F et la somme de 5 000 F (frais irrépétibles), et à l'AAAA une indemnité de 12 575,86 F et la somme de 5 000 F (frais irrépétibles) ; a rejeté les autres demandes ; a condamné l'AFW aux dépens en ce y compris les frais de référé et d'expertise.

Il est fait ici expresse référence à l'exposé des motifs de ce jugement.

3 - L'Association Les Amis de la Fondation Wallerstein devenue Association des Amis de l'Oeuvre Wallerstein (l'AAOW) a régulièrement relevé appel par déclaration du 2 mars 1995.

L'AAOW demande à la cour d'infirmer le jugement déféré, à titre principal, de "constater l'irrecevabilité" de la demande du père Du Plessis à réclamer des indemnités et dommages-intérêts de toute nature pour le compte de tiers, et à réclamer paiement de travaux effectués par autrui ou le paiement de fournitures qu'il n'a pas lui-même payées et ce conformément à la théorie de l'enrichissement sans cause" ; de juger qu'il n'a pas existé de mandat d'intérêt commun entre l'AAOW et le père Du Plessis "conformément à l'article 2004 du Code civil", de constater que le père Du Plessis "n'a été mandaté qu'en qualité de directeur du projet et qu'il n'existe aucun autre contrat écrit entre les parties en conséquence, de débouter le père Du Plessis de l'ensemble de ses demandes ; à titre subsidiaire, de constater, dans l'hypothèse d'un mandat d'intérêt commun, que ce mandat a été valablement résilié par l'AAOW "en raison des fautes graves et répétées commises par le père Du Plessis dans l'exécution de ce mandat" ; de constater que les associations AGEFIP, AGAR et AAAA sont "totalement irrecevables en leurs demandes présentées à titre personnel compte tenu de l'absence de contrat liant les parties" ; de constater que les demandes de ces associations "sont également infondées en droit et en fait" ; de constater que la demande du père Du Plessis fondée sur la notion d'enrichissement sans cause "ne pourrait prospérer qu'à l'encontre de la Croix Rouge Française" mais que cette demande "est néanmoins mal fondée" ; de débouter ainsi "toutes parties de l'ensemble de leurs demandes" ; de condamner les intimés aux entiers dépens.

François Du Plessis De Grenadan demande à la cour de déclarer l'appel recevable mais mal fondé ; de débouter l'AAOW de toutes ses demandes ; de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a mis hors de cause la Croix Rouge Française, en ce qu'il a dit abusive la révocation par l'AAOW du mandat d'intérêt commun à lui confié et en ce qu'il a prononcé condamnations de l'AAOW à son profit ; de condamner l'AAOW à lui payer en outre une somme de 10 000 F au titre des frais irrépétibles et à supporter les entiers dépens. Il réclame en outre qu'il lui soit donné acte de ce qu'il n'a pas formé appel incident contre la Croix Rouge Française.

La Croix Rouge Française demande à la cour de confirmer le jugement déféré en ce qu'il l'a mise hors de cause et de condamner l'AAOW à lui payer une somme de 20 000 F au titre des frais irrépétibles et à supporter les entiers dépens.

L'Association Animation et Gestion de l'Aérium pour un Ressourcement (AGAR), l'APEFIP et l'AAAA demandent chacune à la cour la confirmation du jugement déféré et la condamnation de l'AAOW à leur payer chacune la somme de 5 000 F au titre des frais irrépétibles et à supporter les entiers dépens.

L'instruction a été close le 27 janvier 1997.

Motifs

I - En procédure

* Les associations AGAR, APEFIP et AAAA ont conclu le 27 janvier 1997 pour invoquer l'irrecevabilité sur le fondement de l'article 132 du Code de procédure civile, de toutes pièces de l'association AOW n'ayant pas fait l'objet d'une communication régulière au cours de l'instruction de l'affaire, malgré sommation réitérée.

* L'association AAOW a conclu à l'irrecevabilité de ces prétentions sur ce qu'elles ont été formulées le jour de la clôture de l'instruction. Ce moyen a été contesté à son tour par les trois associations précitées au motif que leurs conclusions ne portent que la constatation d'un état de fait.

* Les conclusions du 27 janvier 1997, dont la preuve n'est pas rapportée qu'elles aient été déposées et signifiées avant la signature de l'ordonnance de clôture par le conseiller chargé de la mise en état, doivent être déclarées irrecevables en application de l'article 783 alinéa 1 du Code de procédure civile, leur contenu n'entrant pas dans le champ des exceptions à cette sanction légale mentionnées aux alinéas 2 et 3 dudit article.

* En application des articles 132, 133 et 135 du Code de procédure civile, la partie qui fait état d'une pièce s'oblige à la communiquer à toute autre partie à l'instance, de manière spontanée, ou, en cause d'appel, s'il s'agit d'une pièce déjà versée aux débats de première instance, sur demande de toute autre partie, le juge ayant la faculté d'écarter toute pièce non communiquée en temps utile spontanément ou malgré injonction.

* En l'espèce, à l'examen des pièces de procédure et à la lumière de ces principes, ont été régulièrement communiquées en cause d'appel, spontanément ou sur sommation d'une partie adverse en premier lieu les pièces n°1 à 45 dont fait état l'AAOW, en second lieu les quatre pièces dont font état les associations AGAR et autres ; par contre, sont hors débat les pièces réclamées par les associations AGAR et autres par sommation du 17.09.1996, que l'AAOW a refusé explicitement de produire (conclusions du 18.10.1996) qui ont fait l'objet de la part des associations AGAR et autres d'un incident de communication, de pièces élevé devant le conseiller de la mise en état puis abandonné et dont les associations AGAR et autres n'ont pas saisi la cour au fond par voie de conclusions déposées avant la clôture de l'instruction.

Il - Au fond

A - Sur la fin de non-recevoir du chef du défaut de qualité et d'intérêt à agir du père Du Plessis

* L'AAOW ne remet pas en cause la disposition du jugement déféré déclarant le père Du Plessis irrecevable à réclamer lui-même réparation du chef du préjudice subi par les associations AAAA, AGAR et APEFIP. Le père Du Plessis et lesdites associations ne la critiquent pas non plus.

Mais l'AAOW soutient encore que le père Du Plessis est personnellement dépourvu d'intérêt et de qualité pour agir en paiement de prestations qu'il n'a pas exécutées, ou qu'il n'a pas lui-même payées.

* Cependant, comme le fait valoir avec pertinence le père Du Plessis, ses demandes en réparation visent exclusivement les préjudices matériel et moral personnels qu'il dit avoir subi à la suite de la révocation unilatérale abusive du mandat d'intérêt commun à lui confié par l'AAOW Ces demandes ont été explicitement formées dans le corps de ses conclusions rectificatives du 19 mai 1994 en première instance elles comportent d'une part la réparation du préjudice moral (100 000 F réclamés), d'autre part la réparation d'un préjudice matériel (750 100 F correspondant pour 677 100 F à une partie du montant expertisé des travaux réalisés à l'aérium d'Ares, et pour le surplus, 73 000 F, aux frais personnels divers qu'il a exposés durant le temps du mandat).

Le rattachement de ces demandes à la révocation abusive du mandat suffit à justifier la qualité et l'intérêt à agir de leur auteur, sauf à examiner ultérieurement, le cas échéant, leur pertinence, tant en leur principe qu'en leur montant.

* La fin de non-recevoir n'est pas fondée. Il convient de la rejeter.

B - Sur l'existence du mandat d'intérêt commun

* L'AAOW fait en substance grief au jugement déféré d'avoir, à la suite d'une "mauvaise analyse des faits et des documents échangés liant les parties", retenu à tort l'existence d'un mandat d'intérêt commun entre elle-même et le père Du Plessis, et soutient qu'en réalité ce dernier n'a pas eu d'autre qualité que celle de directeur de projet en vue de la rénovation de l'Aérium, et qu'il ne démontre pas l'existence de ce type de mandat, alors que l'accord passé entre elle-même et le père Du Plessis n'avait pas pour fondement leurs intérêts respectifs, mais seulement l'intérêt de l'œuvre de la fondatrice et des enfants appelés à bénéficier ultérieurement de la remise en état des lieux.

* Mais, comme le font valoir à juste titre le père Du Plessis et les associations intimées, les premiers juges, en des motifs pertinents reposant sur une analyse exempte de dénaturation des éléments de fait soumis au débat, et que la cour fait siens, ont retenu à bon droit que l'objet de l'accord des parties, la restauration de l'aérium d'Ares en vue de l'accueil d'enfants en difficulté, présentait pour l'AAOW comme pour le père Du Plessis un intérêt distinct mais commun, en sorte que leurs relations devaient s'analyser dans le cadre juridique qualifié mandat d'intérêt commun.

Pour répondre aux plus amples arguments de l'appelante, il convient de rappeler au surplus:

1° - que les circonstances de fait dans lesquelles en octobre 1986 puis publiquement le 21 décembre 1986, Paul Weiller, président de l'AAFW a proposé la mission de restaurer l'Aérium d'Ares alors en état de délabrement au père Du Plessis, qui l'a acceptée, ne sont pas contestées ; qu'a compter de ce moment, s'est lié entre les parties un mandat au sens de l'article 1984 du Code civil ainsi libellé "Le mandat ou procuration est un acte par lequel une personne donne à une autre le pouvoir de faire quelque chose pour le mandant et en son nom. Le contrat ne se forme que par l'acceptation du mandataire".

2° - que les conditions dans lesquelles durant les années 1987, 1988 et 1989, telles que rappelées dans le jugement déféré, le père Du Plessis a organisé les travaux de restauration en plusieurs chantiers bénévoles avec le concours de l'association APEFIP ne sont pas non plus contestées, ni contestables ;

- que durant cette période, il est en particulier constant que l'aide matérielle et financière apportée aux travaux de restauration soit par l'association APEFIP soit par des particuliers, soit par des entreprises ont eu pour objectif de permettre au père Du Plessis d'organiser dans les locaux restaurés son propre projet social en faveur non pas seulement des enfants tuberculeux ou déficients suivant une partie des voeux de la fondatrice et des associations qui ont pris officiellement sa suite, mais aussi et surtout des enfants et des adultes malades, démunis au inadaptés (cf. lettre de M. Maury- Laribière du 17 août 1990 notamment ainsi que les correspondances diverses et projets établis durant l'année 1987, dont il ressort que dès novembre 1986, l'APEFIP a été autorisée par l'AAOW à implanter sur les lieux un village de toiles du 1er mars au 30 septembre pour les bénévoles participant à l'exécution des premiers travaux de restauration, qu'en août 1987, il était envisagé, avec l'accord implicite voire explicite de l'AAOW d'affecter les lieux et locaux de l'aérium, non seulement à des groupes d'enfant pendant les vacances scolaires, mais encore, compte tenu des besoins nouveaux découlant du chômage et des nouvelles pauvretés, à des jeunes en difficulté de santé ou d'isolement, ou à des jeunes mères célibataires, à l'effet de les aider "par de cours séjours et une aide appropriée, à éviter la marginalisation") ; qu'en ces circonstances, il apparaît clairement qu'au-delà du mandat de restauration des locaux, l'AAFW avait implicitement voire même explicitement admis que le père Du Plessis poursuivît dans l'exécution de sa mission un objectif personnel à objet distinct, mais convergent avec celui fondant l'activité statutaire de l'AAFW et répondant d'ailleurs aux préoccupations sociales contemporaines mieux que l'objet primitif de l'association (par exemple, la tuberculose, maladie endémique ayant à peu près disparu à l'époque des faits),

3°- que dans ces circonstances, l'attribution unilatérale au père Du Plessis, par le président de l'AAFW, dans une lettre du 20 décembre 1988,soit près de deux ans après le début des travaux, de la qualité de "directeur de projet" ne saurait contrebattre utilement l'existence du mandat d'intérêt commun d'abord parce que père Du Plessis étant sans lien contractuel aucun avec l'Association, les termes "directeur de projet", qui sous entend l'existence d'un lien de subordination ou, au moins, d'un rapport d'autorité entre l'association et l'intéressé, est sans valeur juridique propre et ne peut se rapporter qu'au mandat liant les parties depuis octobre 1986 ; ensuite parce que l'association y reconnaît explicitement tant l'existence du mandat que la convergence de l'intérêt propre du père Du Plessis et de son intérêt à la réalisation de l'objet du mandat, dans les phrases "En votre qualité de Directeur de Projet, vous êtes chargés de remettre en état les locaux de notre ancien aérium d'Ares afin de les utiliser par la suite", et encore "à l'avenir toutes les réparations, remises en état de toutes catégories... des bâtiments pourront être effectuées par vous sans autre autorisation à condition que cet entretien soit fait rigoureusement à l'identique de ce qui existait dans le passé", ou encore "l'utilisation des bâtiments vous est accordée sous la condition expresse de ne servir à aucun autre usage qu'au logement d'enfants âgés de 4 à 12 ans pour les garçons et de 4 à 13 ans pour les filles complété par un encadrement d'adultes indispensables à leurs surveillance".

*Il est donc parfaitement établi que l'AAFW avait confié au père Du Plessis un mandat tendant à l'exécution des actes juridiques et matériels en vue de la restauration de l'aérium d'Ares, et que ce mandat n'était pas dans l'intérêt exclusif de cette association, mais dans l'intérêt commun du mandant et du mandataire. La portée du mandat qui s'apprécie à la date où il a été conclu, ne saurait être rétroactivement recherché dans l'intérêt d'une personne physique disparue quarante années plus tôt (la fondatrice) ou d'une personne morale dissoute depuis quarante cinq ans (la Fondation), ou dans l'intérêt de l'objet de la fondation (l'œuvre de la fondatrice) proposition juridiquement irrecevable. L'AAFW avait, en sa qualité de bailleresse des locaux et à raison de son objet, la gestion de l'œuvre de la fondatrice (maison de santé et aérium préventorium pour enfants tuberculeux et déficients), un intérêt matériel et moral évident à l'exécution des actes du mandat, ne serait-ce que pour respecter les obligations nées des contrats du 19 avril 1949, 19 juin 1962 et 27 juillet 1973 passés avec la Croix Rouge Française, propriétaire. Les statuts de l'AAFW portent en effet (article 2) qu'elle a "pour but la gestion des œuvres sociales diverses consistant notamment à l'octroi de soins médicaux et chirurgicaux aux malades des deux sexes et aux enfants déficients menacés par la tuberculose". Le père Du Plessis avait de son côté un intérêt moral et matériel non moins évident à l'exécution des actes du mandat puisqu'il poursuivait le projet personnel d'accueillir dans les locaux restaurés des enfants et jeunes adultes en difficultés, notion se rapportant à une population beaucoup plus large que celle destinée à y être accueillie suivant l'objet de l'œuvre fondatrice (les locaux primitifs étaient d'une part une maison de santé à usage d'hôpital avec ses dépendances, d'autre part un aérium comportant divers bâtiments affectés à l'hydrothérapie, la gymnastique, un solarium et des dépendances dont des logements pour infirmières, donc ensemble avec vocation strictement médicale ou sanitaire).

* Il convient, en conséquence, de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a dit établie l'existence d'un mandat d'intérêt commun entre l'AAOW et le père Du Plessis.

C - Sur la légitimité de la révocation du mandat d'intérêt commun

* L'AAOW fait en substance grief au jugement déféré d'avoir déclaré illégitime la révocation du mandat confié au père Du Plessis au prix d'une interprétation erronée des faits ; qu'en réalité le père Du Plessis n'a pas respecté les instructions du mandat, a cherché à s'approprier l'aérium d'Ares et a créé, en infraction au mandat, diverses associations non pour suppléer la carence du locataire des lieux et mandant, mais pour parfaire cette appropriation en détournant les locaux de la destination voulue par la fondatrice ; qu'ainsi ne pouvant admettre cette situation, elle a pu légitimement révoquer le mandat d'intérêt commun.

* En des motifs pertinents, qui ont déjà répondu aux moyens et arguments de nouveau exposés par l'AAOW en cause d'appel, et que la Cour fait siens (page 7 dernier paragraphe, page 8 et page 9 premier et second paragraphe du jugement), les premiers juges ont fait une exacte appréciation des faits et documents de la cause pour retenir au visa implicite de l'article 2004 du Code civil que les motifs de révocation unilatérale du mandat d'intérêt commun tels qu'exprimés dans la lettre du 20 novembre 1989 n'étaient pas légitimes, ni la force majeure, ni une faute quelconque du mandataire n'étant établies.

* Il convient d'ajouter pour répondre aux plus amples critiques de l'appelante:

1° - que la lettre de révocation du 20 novembre 1989 comportait deux griefs le premier, tiré des énonciations de la lettre du 20 décembre 1988 définissant aux yeux de l'AAFW les limites du mandat, fondé sur le non-respect de ces limites en ce sens que "les travaux ne devaient être conduits que par les Amis de la Fondation Wallerstein et dans le cadre de notre association" ; le second, tiré de la circonstance que le père Du Plessis avait créé au rebours des volontés exprimées par l'AAOW dans l'article 10 de la même lettre du 20 décembre 1988 une nouvelle association, au demeurant inutile "puisque la notre avait la capacité de recevoir dons et legs" ;

2° - que la légitimité de la révocation ne peut être recherchée que dans l'examen de ces deux seuls griefs à l'exclusion de tous autres exprimés postérieurement, qu'ils aient trait à la singularité prêtée à certaines associations ou à la nature et à la valeur technique des travaux réalisés sous l'égide du mandataire père Du Plessis;

3°- que les énonciations de l'ordonnance de référé du président du Tribunal de grande instance de Bordeaux prononcée dans le cadre du litige né entre les parties sont également sans intérêt pour l'examen de la légitimité de la révocation ;

4° - que l'objet du mandat d'intérêt commun établi fin 1986 et courant 1987, étant la réalisation des travaux de restauration à l'effet de créer un centre d'accueil temporaire à vocation de réinsertion sociale pour l'enfance et les jeunes adultes en difficulté, la lettre du 20 décembre 1988 déjà citée a été justement analysée par les premiers juges comme contraire à l'intérêt propre du mandataire, de nature à vider de toute substance les projets sociaux du père Du Plessis, et comme une restriction unilatérale elle-même illégitime de l'objet dudit mandat, en sorte que les griefs de la révocation ultérieure, eux-mêmes fondés sur de prétendus manquements à une liste de prescriptions restrictives unilatéralement opposées au mandataire qui a aussitôt protesté, ne sauraient revêtir eux-mêmes un caractère légitime ;

5° - qu'au surplus, durant les années 1988 et 1989, l'AAOW n'a jamais exercé la tâche de maître d'œuvre des travaux qu'elle s'est conférée dans la lettre du 20 décembre 1988 et a laissé le père Du Plessis poursuivre leur exécution avec l'aide de tiers, particuliers ou entreprises sans apporter le moindre soutien logistique, notamment pour loger les fonds reçus et les paiements ni le moindre concours financier alors que, dans le même temps, le père Du Plessis, après avoir pris des renseignements pour s'assurer lui-même du chef de la responsabilité civile découlant de l'exécution des travaux, et recevant par ailleurs de nombreux dons et legs pécuniaires qu'il s'est interdit de loger sur ses comptes personnels, a pris la précaution de rechercher, pour les recevoir, le concours de la Croix Rouge Française, propriétaire-bailleresse, que l'AAOW lui avait elle-même désignée pour ce faire; que, devant sa réponse négative, dont il a informé l'AAFW, qui n'a alors pas répondu à sa suggestion de créer un compte séparé en ses livres pour la réception des dons et legs, il s'est résolu à créer une nouvelle association, l'AGAR, pour les recueillir ; que cette initiative, mue par un souci de clarté et d'efficacité, et destinée à suppléer l'inertie de l'AAOW dans le cadre de la réalisation du mandat, ne saurait, en effet, être constitutive d'un grief quelconque pouvant légitimer la révocation unilatérale, alors qu'il est constant (cf. le rapport de l'expert Sabron du 26 avril 1991), que les travaux de restauration menés par le père Du Plessis jusqu'à la révocation du mandat ont généré des paiements à hauteur de plus de 700 000 F, donc d'importantes manipulations de fonds ;

6° - qu'enfin, et surabondamment, il n'est pas inutile de relever que, contrairement aux allégations de l'AAOW, il ressort du rapport Sabron que les travaux, d'importance, ont été exécutés de manière techniquement non critiquables et non comme un "simple bricolage", en sorte que l'exécution de l'objet du mandat ne peut, de ce point de vue, être critiqué, ne serait que pour la période postérieure à la date de la révocation, où le père Du Plessis a poursuivi sa tâche avant que d'être expulsé (29 août 1990).

* Il convient, en conséquence, de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a déclaré abusive la révocation unilatérale par l'AAFW du mandat d'intérêt commun confié au père Du Plessis.

D - Sur les réparations

1 - Les réparations sollicitées par le père Du Plessis

* L'AAOW fait en substance grief au jugement déféré d'avoir méconnu les moyens de sa contestation du préjudice invoqué par le père Du Plessis ; qu'elle soutient que le préjudice invoqué par ce dernier du chef de l'exécution des travaux n'est pas fondé dès lors d'une part que certains travaux (la toiture des bâtiments) n'étaient pas justifiés, les bâtiments étant dans un "remarquable état de conservation" et que les autres travaux relevaient de la notion de bricolage et ont été exécutés sans réalisme ni plan d'ensemble, d'autre part qu'une partie des travaux a été exécutée postérieurement à la révocation du mandat.

* Mais comme le soutient à juste titre le père Du Plessis, et comme l'ont à bon droit retenu les premiers juges en des motifs qu'adopte la cour, (cf. page 10 paragraphes 2 et 3 du jugement), le préjudice matériel et moral invoqué, par suite de la révocation unilatérale abusive du mandat d'intérêt commun par le mandataire congédié ressortit à la dépense personnelle que celui-ci démontre avoir faite au titre de l'exécution de l'objet du mandat, des frais qu'il a engagés au titre du temps consacré en pure perte à la réalisation de l'intérêt social propre en vertu duquel il a exécuté l'objet du mandat et du préjudice subjectif résultant de l'anéantissement de son projet social propre.

Contrairement à ce qu'allègue l'AAOW, il résulte du rapport de l'expert Sabron que les travaux, d'ailleurs justifiés et réellement exécutés, pour un montant TTC de 725 817,90 F, représentant la valeur TTC des factures réglées aux entreprises ou aux particuliers bénévoles ayant exécuté avec le père Du Plessis, les travaux (193 610 F) et la valeur des rémunérations et fournitures avant charges sociales et marges d'entreprise (532 008 F), sont exempts de critiques techniques, et que, de ce point de vue, le mandataire a normalement rempli ses obligations contractuelles. C'est donc à juste tire que les premiers juges ont retenu pour base d'évaluation le montant correspondant à l'évaluation du temps passé outre celui correspondant aux sommes que le mandataire a avancées pour l'exécution du mandat (cf. page 6, 7 et 9 à 19 du rapport d'expertise).

Il importe peu qu'une fraction des travaux ait été réalisée postérieurement à la révocation unilatérale abusive alors que leur utilité pour la réalisation de l'objet du mandat d'intérêt commun n'était pas discutable, et que la volonté du mandataire d'en poursuivre l'exécution nonobstant la révocation ne pouvait dans les circonstances décrites, être considérée comme fautive; alors surtout qu'il était formellement encouragé dans cette démarche par la Croix Rouge Française, propriétaire des lieux (cf. le protocole d'accord du 20 juin 1989 conclu entre le père Du Plessis, le président de l'AAAA, M. Dufaure membre du Conseil Economique et Social et M. G. Dufoix, présidente de la Croix Rouge Française), qui, dès l'origine, par son président d'alors (M. Dauge) avait souscrit au projet de restauration et au projet social, et qui a continué de l'approuver (cf. lettre du 8 août 1990 de la Croix Rouge Française à l'architecte Morier, lettre du 19 octobre 1989 de la Croix Rouge Française au père Du Plessis sur les justifications fiscales à fournir aux entreprises, notamment).

* Il convient, en conséquence, de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a sur le fondement des articles 1999 et 2004 du Code civil, accordé au père Du Plessis une indemnité de 300 000 F en réparation tant du préjudice matériel que du préjudice moral résultant de la révocation unilatérale abusive du mandat.

2 - Les réparations sollicitées par les associations AAAA, APEFIP et AGAR

* L'AAOW fait en substance grief au jugement déféré d'avoir accueilli les demandes en réparation de trois associations AAAA, APEFIP et AGAR, alors que celles-ci ne peuvent, en droit, obtenir par ricochet la réparation d'un préjudice ayant pour source la révocation abusive du mandat, d'autant que ces associations, créées à l'initiative du père Du Plessis ou contre la volonté de l'AAOW n'ont "aucune légitimité".

* L'article 1994 du Code civil énonce "Le mandataire répond de celui qu'il s'est substitué dans la gestion 1°) quand il n'a pas reçu le pouvoir de se substituer quelqu'un, 2°) quand ce pouvoir lui a été conféré sans désignation d'une personne et que celle dont il a fait choix était notoirement incapable ou insolvable. Dans tous les cas, le mandant peut agir directement contre la personne que le mandataire s'est substituée".

Il est de principe établi que le substitué jouit d'une action personnelle et directe contre le mandant pour obtenir le remboursement de ses avances et frais, que la substitution ait ou non été autorisée ; qu'en conséquence de la substitution, le mandant répond également à l'égard du substitué, des dommages qu'il a pu lui causer à raison de la révocation unilatérale abusive du mandat d'intérêt commun.

* Il est en l'espèce indiscuté et indiscutable, au vu des productions et des circonstances ci-dessus rappelées, que les associations APEFIP et AAAA ont été, avec le consentement explicite ou tacite de l'AAFW, substituées au mandataire, père Du Plessis, pour l'exécution d'une partie des travaux de rénovation de l'aérium d'Ares ; que l'AGAR, bien que non autorisée par le mandant, a été également substituée au mandataire pour le financement de prestations de maîtrise d'œuvre entrant dans l'objet du mandat ; qu'enfin ces trois associations dont la "légitimité" ne saurait être opposée comme moyen de contrebattre utilement leurs prétentions, ont été associées étroitement, au vu et au su de l'AAFW, au projet social constituant l'intérêt du mandataire à la réalisation de l'objet du mandat.

Il suit de là que les trois associations, chacune pour ce qui la concerne, sont fondées, par suite de la rupture unilatérale abusive du mandat d'intérêt commun, à réclamer directement au mandant la réparation de leurs dommages matériels et de leur préjudice moral respectifs.

* C'est donc à juste titre, en des motifs pertinents et suffisants qu'adopte la cour (cf. page 10 dernier aliéna et page 11 paragraphes 1 à 3 du jugement), que les premiers juges ont accueilli l'action personnelle exercée par chacune des trois associations contre l'AAOW et qu'ils ont constaté la réalité et l'importance des préjudices invoqués. C'est également à juste titre, qu'en ces mêmes motifs, les premiers juges ont arbitré comme ils l'ont fait les indemnités dues à chacune des trois associations, observation étant faite que ces indemnités ne sont pas discutées, fût-ce à titre subsidiaire, par l'appelante.

* Il convient, en conséquence, de confirmer de ce chef le jugement déféré.

E - Sur la mise en cause de l'association Croix Rouge Française

* L'AAOW appelante n'a pas formé de prétentions à l'égard de la Croix Rouge Française Le père Du Plessis non plus, qui demande même le donner-acte -inutile- de ce qu'il n'a formé aucun appel incident contre cette association. Enfin les associations AAAA, APEFIP et AGAR se bornent à réclamer confirmation du jugement, y compris en ce qu'il a mis la Croix Rouge Française hors de cause.

* La cour n'est donc saisie d'aucune prétention contre la Croix Rouge Française (article 562 du Code de procédure civile). Les dispositions du jugement déféré concernant l'action du père Du Plessis dirigée contre cette association sont donc définitives (mise hors de cause par suite du rejet des prétentions du père Du Plessis fondées principalement sur le mandat d'intérêt commun, subsidiairement, sur l'enrichissement sans cause).

F - Sur les dépens et les demandes annexes

* Les dépens d'appel sont à la charge de l'AAOW Le jugement déféré est confirmé de ce chef également.

* Il est équitable que l'AAOW défraie les parties intimées, comme en première instance, de leurs dépenses de procédure exposées en cause d'appel, comme ci-après précisé. Succombant au procès, l'AAOW ne saurait elle-même être accueillie en sa pareille demande.

Par ces motifs, LA COUR, Recevant en la forme l'appel de l'Association Les Amis de l'Oeuvre Wallerstein (AAOW), anciennement dénommée Les Amis de la Fondation Wallerstein, I - En procédure Vu les articles 16, 783 et 784 du Code de procédure civile, Rejette des débats les conclusions déposées et signifiées par les associations APEFIP, AGAR et AAAA le 27 janvier 1997, Vu les articles 16 et 132 du Code de procédure civile, Rejette des débats les pièces réclamées par les associations APEFIP, AGAR et AAAA le 17 septembre 1996 et non communiquées par l'AAOW, Il - Au fond Rejette la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité et d'intérêt à agir du père François Du Plessis De Grenadan à titre personnel du chef des travaux réalisés sur le site de l'aérium d'Ares, Vu les articles 1984 à 2004 du Code civil, Déclare l'appel mal fondé; Confirme en toutes ses dispositions frappées d'appel le jugement déféré; Y ajoutant, Condamne l'AAOW aux dépens d'appel; Condamne l'AAOW sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, à payer 1°) à l'Association la Croix Rouge Française la somme de 5 000 F, 2°) à l'Association Association Populaire d'Entr'Aide Familiale D'Issy-Plaine (APEFIP) la somme de 3 000 F, 3°) à l'Association Association pour la Gestion de l'Aérium d'Ares (AGAR), la somme de 3 000 F, 4°) à l'Association Association des Amis de l'Aérium d'Ares (AAAA) la somme de 3 000 F, 5°) à François Du Plessis De Grenadan, la somme de 10 000 F, et la déboute de sa pareille demande; Autorise la SCP Boyreau et la SCP Fonrouge-Barennes & Gautier, avoués, à recouvrer directement contre la partie condamnée ceux des dépens d' appel dont elles ont fait l'avance sans en avoir reçu provision.