CA Versailles, 12e ch. sect. 2, 29 avril 1997, n° 7612-95
VERSAILLES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Dispharm (SA)
Défendeur :
Solvay Pharma (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Assié
Conseillers :
Mme Laporte, M. Maron
Avoués :
SCP Lambert & Debray & Chemin, SCP Gas
Avocats :
Mes Cretot, Gabizon.
La société Laboratoire de Thérapeutique Moderne (LTM) devenue aujourd'hui société Solvay Pharma, dont le siège social est à Suresnes (92150), commercialise divers produits pharmaceutiques et parapharmaceutiques tant sur le territoire français qu'à l'étranger.
Dans le cadre de cette activité, elle a conclu plusieurs contrats avec la société Dispharm établie à Toulouse, en vue d'assurer l'implantation de ses produits dans divers états d'Afrique et dans les départements et territoires d'Outre-Mer (DOM-TOM).
La société Dispharm ayant transféré son siège social et ses activités en Suisse, deux nouveaux contrats ont été établis entre cette dernière et la société LTM pour une durée de deux années, lesdits contrats commençant à courir le 1er janvier 1992 pour se terminer le 31 décembre 1993.
Par lettre du 13 octobre 1993, la société LTM a informé la société Dispharm que les contrats prendraient fin à l'échéance prévue du 31 décembre 1993.
Estimant cette rupture abusive et injustifiée et revendiquant le statut d'agent commercial, la société Dispharm a saisi le Tribunal de Commerce de Nanterre d'une action en réparation de son préjudice.
Par jugement en date du 13 juin 1995, la 5ème chambre de cette juridiction a débouté la société Dispharm de ses prétentions et l'a condamnée à payer à la société LTM une indemnité de 10.000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, motif pris essentiellement que les contrats conclus entre la société LTM et la société Dispharm, devenue société de droit suisse, n'étaient pas la reconduction des contrats précédents mais de nouveaux contrats; que la société Dispharm ne démontrait pas qu'elle aurait exercé une activité d'agent commercial et que, s'agissant de contrats de prestations de service à durée déterminée, la rupture ne peut être qualifiée d'abusive.
Appelante de cette décision, la société Dispharm reprenant et développant son argumentation de première instance, fait essentiellement valoir que les contrats litigieux ont été improprement qualifiés par le premier juge de contrats de prestations de services alors qu'il s'agit en réalité de contrats d'agents commerciaux soumis en tant que tels à la loi du 25 juin 1991, ainsi que le montrent, selon elle, les pièces des débats. Elle déduit de là qu'elle est en droit de prétendre à une indemnité de rupture calculée comme il est d'usage sur la moyenne des deux dernières années de commission et réclame à ce titre la somme de 2.400.000 F avec intérêts au taux légal à compter de la date de l'assignation introductive d'instance, demandant en outre à être autorisée à capitaliser les intérêts. Elle estime, par ailleurs, abusives les conditions dans lesquelles s'est déroulée la rupture en raison notamment du fait qu'il lui a été donné fallacieusement à croire que les relations contractuelles se poursuivraient sous une autre forme et réclame, de ce chef, une réparation complémentaire de 500.000 F. Subsidiairement, et si le statut d'agent commercial ne lui était pas reconnu, elle demande qu'il soit jugé que les contrats litigieux relèvent d'un mandat d'intérêt commun auquel il a été mis fin sans motif légitime par la société LTM devenue Solvay Pharma et réclame la condamnation de cette dernière à lui payer à titre de dommages et intérêts la somme de 2.400.000 F. Enfin, elle sollicite une indemnité de 20.000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La société LTM, devenue Solvay Pharma, réfute point par point l'argumentation adverse et conclut à la confirmation en toutes ses dispositions du jugement dont appel, sauf à se voir allouer une indemnité complémentaire de 20.000 F, en couverture des frais qu'elle a été contrainte d'exposer devant la Cour.
Motifs de la décision :
Considérant qu'il résulte des pièces des débats que la société LTM a conclu avec la société Dispharm International, ayant alors son siège social à Toulouse, une série de contrats à durée déterminée ayant pour objet d'assurer la promotion de ses produits dans divers états d'Afrique ou dans les DOM-TOM ; que ces contrats, échelonnés entre le mois de décembre 1987 et le mois de janvier 1991, étaient tous à durée déterminée et prévoyaient l'absence d'indemnité à l'issue de la période contractuelle; que la société de droit français Dispharm International SA a fait l'objet d'une dissolution anticipée et a cessé toute activité; que le 17 décembre 1991, deux nouveaux contrats ont été conclus entre la société de droit suisse Dispharm SA nouvellement créée et la société LTM, lesdits contrats étant intitulés "Contrat de services" et l'un s'appliquant aux produits de la gamme LTM et l'autre à de nouveaux produits de la gamme des laboratoires Dispharm ; qu'en ce qui concerne la gamme LTM il était prévu :
- que les territoires concernés étaient les pays ci-après: Guinée, Mauritanie, Burkina Faso, Niger, Benin, Togo, Gabon, République Centrafricaine, Tchad, Martinique, Guadeloupe, Guyane, Polynésie et Nouvelle Calédonie ;
- que le taux de commissionnement applicable serait de 13 % ;
- que la durée du contrat serait de deux années à compter du 1er janvier 1992 jusqu'au 31 décembre 1993 ;
- qu'aucune indemnité ne serait due à l'expiration de la période contractuelle ;
que la convention dont s'agit annulait et remplaçait les précédentes ;
Qu'en ce qui concerne la gamme des produits Dispharm, le contrat prévoyait que les territoires concernés seraient les pays suivants : Guinée, Mauritanie, Burkina Faso, Niger, Benin, Togo, Gabon, République Centrafricaine et Tchad, les autres dispositions de la convention précédente ayant été reprises à l'identique ;
Que, par courrier du 13 octobre 1993, la société LTM écrivait à la société Dispharm pour lui rappeler que les contrats prendraient fin de plein droit à l'échéance du 31 décembre 1993, ce même courrier envisageant les modalités de restitution des matériels promotionnels ainsi que l'état des stocks de ces matériels pour chaque pays, objet de la convention ; que le 11 avril 1994, par l'entremise de son conseil, la société Dispharm prétendait à une indemnité de rupture de 2.400.000 F ; que face au refus que lui a opposé la société LTM, la société Dispharm a engagé la présente procédure;
Considérant que, comme elle l'avait fait en première instance, la société Dispharm prétend à titre principal au statut d'agent commercial ; que, subsidiairement, elle demande à la Cour de qualifier les relations entre les parties de mandat d'intérêt commun; qu'enfin, elle dénonce les conditions de la rupture qu'elle estime abusives et injustifiées; que ces moyens seront successivement analysés;
- Sur le statut d'agent commercial
Considérant que la société Dispharm rappelle que les deux contrats du 17 décembre 1991 prévoient expressément en leurs articles 7, que le droit français leur est seul applicable ; qu'elle en déduit qu'elle est fondée à se prévaloir de la loi française du 25 juin 1991 relative aux "Rapports entre les Agents Commerciaux et leurs Mandants" entrée en vigueur antérieurement à la conclusion des contrats dont s'agit: qu'à cet égard, elle soutient que, sans qu'il y ait lieu de s'arrêter à l'intitulé desdites conventions qualifiées improprement de "contrat de service", il apparaît que les activités qu'elle a exercées relèvent du contrat d'agence commerciale; que notamment, il résulte des pièces des débats que, en plus de la mission classique de visite médicale:
- elle a mis à la disposition de la société LTM, sa mandante, une structure lourde sur tous les territoires concédés (bureau, personnel) ;
- elle a apporté son entregent et sa clientèle y compris celle de non médecins tels que laboratoires, grossistes ou centres répartiteurs ;
- elle était rémunérée de manière permanente et exclusive par un commissionnement sur le chiffre d'affaires réalisé et non sous forme d'honoraires ;
- elle a démarché pour le compte de sa mandante des grossistes et des pharmaciens et autres auxiliaires qui ne sont pas prescripteurs ;
Qu'il suit de là que les activités qu'elle a exercées ne peuvent relever d'une simple opération de visite médicale ou de promotion, comme l'a retenu le premier juge, mais d'une véritable activité de démarchage et de négociation pour le compte de la société LTM, laquelle entre incontestablement dans le champ d'application de la loi précitée sur les agents commerciaux; qu'elle est dès lors en droit de prétendre à une indemnité compensatrice de 2.400.000 F, représentant la moyenne de deux années de commissions calculée sur la base des trois derniers exercices, et ce, d'autant que la société LTM a bénéficié postérieurement à la rupture des contrats, de la clientèle qu'elle lui a apportée dans des pays où elle n'était jusque là nullement implantée
Mais considérant que la loi du 25 juin 1991, dont la société appelante revendique l'application, définit en son article 1er l'agent commercial comme "un mandataire qui, à titre de profession indépendante, sans être lié par un contrat de louage de services, est chargé de façon permanente de négocier et éventuellement de conclure des contrats de vente, d'achat, de locations, de prestations de services, au nom et pour le compte de producteurs, d'industriels ou de commerçants" ; qu'il en résulte que, pour revendiquer le statut d'agent commercial, l'agent doit impérativement justifier qu'il était chargé de façon permanente ou pour le moins habituelle de négocier auprès de la clientèle pour parvenir à des achats, des ventes, des locations ou des prestations de services;
Or considérant qu'il n'est nullement rapporté la preuve en l'espèce, que la société Dispharm a négocié de manière permanente ou habituelle la vente des produits commercialisés par la société LTM;
Considérant, en effet, qu'il ressort de l'examen des pièces des débats que les agents de la société Dispharm avaient pour mission essentielle de contacter dans les territoires concédés, les médecins, pharmaciens, infirmiers et autres auxiliaires médicaux pour leur faire apparaître les qualités et propriétés substantielles des produits distribués par la société LTM ; quelesdits agents recevaient une formation appropriée de la société LTM ; que le fait que ces derniers aient visité des auxiliaires médicaux non prescripteurs et notamment des centres de répartition, ne relève que de la situation spécifique de la distribution des médicaments dans les pays dont s'agit et traduit seulement l'apport d'une information technique auprès de ces intermédiaires ; que de même, le fait que la rémunération de la société Dispharm soit fonction du volume des ventes effectuées par la société LTM n'est d'aucune influence sur la qualification du contrat et obéit à une simple logique économique consistant à faire dépendre la rémunération de cette société, de la qualité de l'action promotionnelle menée sur le terrain et des résultats constatés au vu de cette action ; qu'en revanche, rien n'établit que la société Dispharm aurait d'une manière habituelle négocié des ventes pour le compte de la société LTM ou recueilli la moindre offre d'achat, la participation occasionnelle de cette dernière à des appels d'offre s'étant limitée à remettre des dossiers préparés par les laboratoires Solvay, étant observé de surcroît que s'agissant d'appel d'offre, on ne voit pas quel rôle de négociation aurait pu avoir l'appelante ; qu'il en résulte que même si l'action de la société Dispharm a pu faire naître un courant commercial conformément à l'objectif poursuivi, cette action n'a pas eu pour autant pour effet de lui conférer le statut d'agent commercial, dès lors qu'il n'est pas établi qu'elle avait pour mission permanente ou habituelle de négocier ou de conclure des achats pour le compte de la société LTM, condition indispensable à la reconnaissance du statut d'agent commercial ;
Que c'est donc à bon droit que le premier juge a qualifié les contrats litigieux de contrats de prestations de services ;
- Sur le mandat d'intérêt commun
Considérant qu'il résulte de l'analyse qui précède que la société Dispharm se contentait de fournir une prestation consistant à faire assurer, par des délégués médicaux qui sont de simples techniciens n'ayant pas vocation à prendre des commandes, la visite de praticiens ou de structures spécifiques susceptibles de prescrire ou d'utiliser les produits proposés par la société LTM; que l'action de ces délégués, formés par la société LTM n'a donc pu avoir pour effet de développer une clientèle commune sur laquelle le mandant et le mandataire pourraient avoir des droits spécifiques, mais simplement de développer une action de promotion; qu'il en résulte que la théorie de mandat d'intérêt commun n'est pas applicable en l'espèce;
- Sur la prétendue rupture abusive des contrats
Considérant qu'il sera rappelé que les contrats souscrits le 17 décembre 1991 entre la société de droit suisse Dispharm et la société LTM se substituaient aux précédents et qu'ils portaient en partie sur des produits différents ; que ces contrats prévoyaient une durée de deux ans commençant à courir le 1er janvier 1992 pour s'achever le 31 décembre 1993 ; qu'ils prévoyaient également qu'aucune indemnité de rupture ne serait due à l'échéance contractuelle;
Considérant qu'en application de ces dispositions contractuelles qui font la loi des parties, la société LTM a informé la société Dispharm, 2 mois et demi avant l'échéance, dans des termes dépourvus de toute ambiguïté que leur collaboration cesserait le 31 décembre 1993 ; que la société Dispharm ne peut donc prétendre que la rupture serait constitutive d'un abus de droit ; qu'à cet égard, elle ne démontre en rien que la société LTM lui aurait laissé espérer une poursuite des relations, le seul fait qu'elle ait achevé certaines actions n'étant pas de nature à établir la preuve contraire alors que le courrier de rupture que lui a adressé la société LTM était, comme il a été dit, sans ambiguïté sur la volonté de cette dernière, de mettre un terme à leurs relations ; que, de même, l'appelante ne saurait se prévaloir des contrats antérieurs alors qu'elle ne démontre pas qu'elle serait aux droits de l'ancienne société de droit français Dispharm International et qu'il a été conventionnellement convenu que ces contrats étaient devenus caducs et remplacés par ceux du 17 décembre 1991, lesquels ne prévoyaient pas exactement les mêmes prestations ni les mêmes conditions de rémunération ; que c'est donc encore à bon droit que le premier juge a rejeté la demande en dommages et intérêts formée par la société Dispharm ;
- Sur les demandes complémentaires
Considérant qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de la société LTM devenue Solvay Pharma, les sommes qu'elle a été contrainte d'exposer devant la Cour ; que la société Dispharm sera condamnée à lui payer une indemnité complémentaire de 10.000 F H.T. s'ajoutant à celle déjà allouée au même titre en première instance ;
Considérant que, de même, la société Dispharm qui succombe, supportera les entiers dépens.
Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Reçoit la société de droit suisse Dispharm SA en son appel ; Dit cet appel mal fondé et l'en déboute ; Confirme en toutes ses dispositions le jugement déféré; Y ajoutant, Condamne l'appelante à payer à la société Solvay Pharma, anciennement dénommée société Laboratoire de Thérapeutique Moderne (LTM), une indemnité complémentaire de 10.000 F HT en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Condamne également l'appelante aux entiers dépens de première instance et d'appel et autorise la SCP d'Avoués GAS, à poursuivre directement le recouvrement de la part la concernant, comme il est dit à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.